Une question légitime sur un titre qui nous plonge dans un moment de l’Histoire peu connu du grand public : l’invasion de l’île de Tsushima par les Mongols au 13ème siècle. Au milieu tout cela, le joueur incarne Jin Sakai, samouraï qui devra mettre de côté son credo pour repousser l’envahisseur. Mais quelles étaient les véritables motivations de ce dernier ? Et est-ce que toutes ces histoires d’honneur ont bel et bien existées ? Réponse avec Julien Peltier, spécialiste du Japon féodal et auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet.
"Tsushima a toujours été un trait d’union entre l’archipel japonais et le continent. Jusqu'à la fin de l’époque des samouraïs au 19ème siècle, c’est grâce à cette entremise que le commerce entre la Corée et le Japon (au milieu desquels Tsushima se situe, ndlr) va prospérer.
Mais c’est aussi cette position géographique qui va pousser les Mongols à attaquer l’île (route logique entre l’actuelle Corée du Sud, qu’ils détiennent à l’époque, et le Japon, ndlr). Lors de leur première expédition en 1274, ils embarquent des ports au sud de la Corée pour s'emparer de Tsushima."
"Le fait de disposer d'une petite centaine de guerriers pour ce territoire, c’est assez logique (...) C’est une époque où l’on voit l'avènement des samouraïs (...) et globalement, il s'agit d'une petite élite de combattants professionnels qui est numériquement très faible. Donc en termes de proportion démographique sur l’île de Tsushima, c’est pas surprenant.
Par ailleurs, l’île au relief très accidenté est très peu propice à l’agriculture et ne sera jamais très peuplée. C’est encore le cas maintenant. Comparé aux foyers de peuplement d'habitants que l’on peut trouver ailleurs au Japon, l'endroit demeure sauvage et reculé.
Enfin, le régime militaire de l’époque, le Shogunat, est encore jeune. Il date de la fin du 12ème siècle. Donc lorsque les Mongols arrivent, cela fait à peine un siècle que les samouraïs règnent sur le pays (...) et leur bastion est plutôt situé dans l’Est."
"Les samouraïs sont assez désemparés face aux Mongols qu’ils n’ont jamais combattus, qui utilisent d'autres méthodes de combat, emploient des tactiques beaucoup plus élaborées, des armes plus variées, sont beaucoup plus aguerris qu’eux qui n’ont aucune expérience en dehors de l’archipel alors que les Mongols ont déjà un demi-siècle de guerre contre pratiquement le monde entier derrière eux.
Au Japon, les combats de masse sont totalement inconnus à l’époque. Les samouraïs ont l’habitude de se battre en petits groupes (...) Et le combat en formation des Mongols, qui sont capable de manoeuvrer de cent, mille, voire dix mille hommes, est très sophistiqué pour l’époque. Cela dépasse de très loin les compétences de samouraïs."
" Le samouraï du 13ème siècle est avant tout un cavalier archer, non le sabreur qu'il deviendra plus tard. C’est un guerrier qui combat en armure, à cheval, et dont l’arme première est l’arc, même s’il dispose quand même du tachi, l’ancêtre du katana, à la ceinture.
Il y a déjà des considérations très importantes sur l’honneur. À nuancer toutefois parce que c’est un honneur qui suppose d’être vu, d’être manifesté et dont on peut faire le témoignage (...) Le Rouleau des Invasions Mongols relate par exemple la vie d’un guerrier de rang moyen qui passe son temps à dire “il faut que je me dépêche”, “si je ne suis pas le premier à charger, c’est la honte”, “si je ne suis pas le premier à prendre une tête ennemie, je suis déshonoré”. Il y a toujours cette espèce d’obsession corrélée au fait de demander à un témoin de l’assister, car si le fait d’armes n’est pas “enregistré”, c’est comme s’il n’avait pas eu lieu. Donc il n’y aura pas de récompense ou de promotion (...) Ce n’est pas l’honneur pour l’honneur mais pour se distinguer auprès de son seigneur pour obtenir rétribution."
"Et concernant les conséquences pour avoir dévié du code d’honneur, ça ne me paraît guère refléter la réalité. On sent bien que l’important est de vaincre, et que le moyen est secondaire (...) J'imagine assez mal compte tenu de la situation désastreuse que l’on puisse reprocher à un samouraï de s’être mal comporté en ayant adopté les méthodes de l’ennemi. C’est une conception un peu moderne qui renvoie à un Bushidô, la "Voie du Guerrier" beaucoup plus tardive. L’important c’est quand même d’arriver à ses fins : la honte ultime pour un samouraï, c’est d’être vaincu."
JVC