Comme chaque année depuis bientôt dix ans, des centaines de milliers de spectateurs suivent avec impatience les Game Awards sur leurs écrans, quitte à veiller jusqu’à très tôt le matin en Europe. Non pas parce qu’ils veulent savoir avant tout le monde qui seront les gagnants de chaque récompense, mais parce que la cérémonie met en avant les jeux de demain avec beaucoup d’exclusivités au programme. Au fil des années, on a tous fini par accepter que les récompenses n’étaient désormais plus qu’une excuse pour mettre en avant des World Premiere.
Mais en cette année 2023 riche en contradictions, avec d’excellents jeux à foison tandis que des milliers d’artistes perdent leur emploi, les Game Awards apparaissent plus déconnectés que jamais de la réalité de l’industrie.
Voir certaines récompenses être remises dans le pré-show à la va-vite entre deux trailers de jeu est particulièrement choquant, même si l’on en a pris l’habitude.
Plus que jamais cette année, Geoff Keighley n’aura accordé que très peu de crédits aux awards, qui devraient pourtant être au cœur du show. En enchaînant les catégories par groupes de trois ou cinq, il ne récompense pas les artistes qui travaillent derrière ces jeux, il s’en sert comme produit d’appel pour mieux vendre ses publicités et graisser la patte de ses amis les plus proches.
Et lorsqu’il leur accorde ne serait-ce qu’un peu de temps de parole, il dévoile encore un peu plus son vrai visage. Vous l’avez sans doute remarqué si vous avez assisté à l’émission, mais lorsqu’un gagnant montait sur scène pour récupérer son prix, il n’avait droit qu’à 30 secondes de speech avant que la musique de fond ne se lance pour lui dire de quitter la scène. Un mépris affligeant qui est scripté par des consignes vidéos en face de la scène, avec un compteur à rebours qui se termine par un « concluez s’il-vous-plaît ».
Et puis, pourquoi être si pressés ? Oui, l’émission a duré 3h30, ce qui est une éternité, surtout en pleine nuit, mais 1 minute de plus accordée à chaque intervenant aurait-elle vraiment bouleversé le rythme de la cérémonie ?
Il y a fort à parier que non. De plus, contrairement aux Oscars, les Game Awards n’ont pas les contraintes de la télévision. La flexibilité de Twitch et du streaming devrait permettre ses moments hors du temps, qui coupent certes le rythme mais qui permettent aux artistes d’avoir enfin une vraie scène internationale pour s’exprimer.
On aurait mille fois préféré entendre Neil Newbon (l’acteur derrière Astarion de Baldur’s Gate 3, qui a failli quitter le milieu avant cela) revenir sur son parcours émouvant l’ayant amené à sa récompense, plutôt que de voir Anthony Mackie faire le clown pendant trois minutes autour de la série Twisted Metal.
https://www.youtube.com/watch?v=qeivytVUHVc
Quand Hideo Kojima – le meilleur ami de Keighley – a droit à 6 minutes de présence sur scène pour présenter son nouveau jeu sans image, mais avec la présence de Jordan Peele pour rappeler que le créateur japonais est extraordinaire (ce dernier n’a jamais eu les chaussures aussi cirées),
les gagnants de cette année sont complétement effacés. Quand le présentateur prend le temps de faire un sketch avec Les Muppets (mais quelle est cette drôle d’obsession ?), il ne prend pas une seconde pour tendre le micro vers les artistes qui permettent à sa cérémonie d’exister.
Pour voir des créateurs, des artistes et des équipes montrer leur passion sur scène au monde entier, avec un temps de parole décent. Mais il faut lancer la pub. Cette maudite pub. Celle qui sert à financer le show mais qui se fait plus intrusive que jamais.
Voir que Nvidia a autant de temps de parole pour présenter ses produits que les gagnants sur scène sont une insulte.
En 2023, plus de 7 000 personnes travaillant dans le secteur du jeu vidéo ont été licenciées. En cette fin d’année 2023, pas une semaine ne passe sans que l’on apprenne une vague de renvois, montrant ainsi l’état précaire dans lequel se trouve une partie de l’industrie.
Geoff Keighley n’est évidemment pas celui qui a mis ces personnes à la porte. Il n’a pas d’obligation à aborder le sujet. Mais lorsqu’il se vante d’avoir l’émission la plus puissante du secteur, avec le média le plus populaire au monde, il a des responsabilités. Et l’une d’elle était d’adresser un mot envers ces personnes qui ont contribué aux jeux de cette année 2023, mais qui se retrouvent désormais sans emploi.
Un mot. Une phrase. C’est tout ce que l’on attendait de lui à ce sujet, conscients du fait que l’intéressé fait partie des rouages de ce système et qu’il est contraint de ne pas trop cracher dans la main de ceux qui financent sa soirée. Mais c’était trop lui en demander. En refusant d’évoquer ne serait-ce qu’une seconde tous les renvois qui ont lieu ces dernières semaines, Geoff Keighley ne se montre pas neutre. Il invisibilise totalement cette situation.
En quelque sorte, il prend parti, celui des PDG.
Les Games Awards doivent mieux faire. Geoff Keighley doit mieux faire. Cette parodie de remise de prix ne rend certainement pas hommage à notre industrie à l’heure actuelle, elle ne fait qu’ignorer ses problèmes. On ne se réveille pas dix ans plus tard en ignorant le fait que le présentateur a toujours été un homme sandwich qui célèbre avant tout ses amis plutôt que le jeu vidéo dans son ensemble, mais on pouvait légitimement penser qu’il avait pris conscience de ses responsabilités lorsqu’il avait évoqué les affaires de harcèlements chez Activision-Blizzard en 2021, comme le rappelle très justement The Verge. Deux ans plus tard, les œillères sont de retour. Notre milieu et ses artistes méritent mieux que ce à quoi l’on a assisté hier soir, indépendamment de la qualité des jeux présentés et récompensés et du show en lui-même qui s’est montré très divertissant.
ActuGaming