Au mieux, c’est une interrogation : « n’était-il pas possible pour le testeur de tenter d’être moins subjectif dans son test ? ». Au pire, une invective : « qu’est ce que c’est que ce test pas du tout objectif et ce testeur nul ? ». Dans les deux cas, ce que l’on entend implicitement, c’est : « cette personne n’est pas d’accord avec moi, elle n’est donc pas crédible ». Les remarques de ce type sont récurrentes, et pas depuis hier. Il semblerait qu’une certaine frange des lecteurs de notre site - et pas seulement - recherche cette fameuse objectivité qu’elle peine pourtant à qualifier. Qu’est ce que l’objectivité ? Et pourquoi est-elle objectivement (excusez-nous) impossible à faire valoir dans le cadre de l’exercice critique ?
Puisque l'objectivité totale semble impossible à atteindre, le meilleur compromis pourait bien avoir été établi par le fondateur du Monde Hubert Beuve-Méry, avec ses mots destinés à Philippe Meyer relayés dans sa chronique « à propos d'objectivité » : l'objectif de toute critique, et plus globalement de tout journaliste devrait être d'atteindre une « subjectivité désintéressée ».
Philippe Meyer
"Je n’ai pas toujours été journaliste : j’ai même longtemps exercé une profession honorable que ma famille pouvait mentionner sans en rougir. Un accident de ministre m’en rendit l’exercice difficile. C’est à ce moment-là que L’Express que dirigeait Jean-François Revel, me proposa d’écrire des compte-rendu critiques de livres de sciences humaines et d’histoire. Je n’avais aucune idée de ce en quoi consistait la vie d’un journal. J’étais un lecteur plein d’appétit de quotidiens, d’hebdomadaires et de mensuels, mais je n’avais pas la plus vague notion de la manière dont se fabriquait un journal, et je me demandais si je pourrais y trouver ma place. Je résolus d’aller chercher conseil auprès d’un certain nombre de personnes qui me semblaient sages, bienveillantes et informées de première main, au premier rang desquelles Hubert Beuve Méry, que d’autres activités m’avaient fait rencontrer. Le fondateur du Monde ne dirigeait plus ce quotidien depuis plusieurs années, mais il y avait conservé un bureau modeste et il invitait libéralement à déjeuner dans une brasserie assez bien tenue du 9ème arrondissement où on lui assurait une table tranquille. Il connaissait mes activités antérieures, je lui expliquais la proposition qui m’était faite et lui demandais ce qu’il pensait de l’idée de quitter la recherche pour passer au journalisme. Hubert Beuve-Méry avait une voix sourde et assez faible. « Vous devriez essayer, me murmura-t-il, ça peut être amusant ». Je compris que c’était à moi de donner un contenu plus précis à ce mot d’amusant, et j’interrogeais mon illustre ancien sur quelques ponts-aux-ânes du journalisme. Je souhaitais notamment qu’il m’éclairât sur ce qu’il convenait d’entendre par « objectivité » et impartialité ». Dans le ton de sa réponse, il entrait de la compréhension et de la lassitude : on avait dû lui poser cette question plus souvent qu’à son tour. Hubert Beuve-Méry me répondit que, sans aucun doute, l’impartialité était un devoir et l’objectivité un but, de quelque manière qu’on définisse l’une et l’autre de ces exigences. Puis il ajouta : « mais commencez par essayer d’atteindre à une subjectivité désintéressée ». Et il eut un sourire malicieux. Je ne compris pas cette malice. Puis j’acceptais l’offre de L’Express et je commençais à essayer d’atteindre à, une « subjectivité désintéressée ». J’essaie toujours, mais, maintenant, je comprends pourquoi cette malice dans le regard du vieux Beuve."
Gamekult