La musique a toujours tenu un rôle prépondérant dans le jeu vidéo. Devant accompagner avec efficacité ce qui se passe en image, certaines bandes-son sont restées cultes même séparées des jeux vidéo dans lesquels elles prenaient vie. Aussi, avec l'apparition du CD-ROM et au fil du temps avec la multiplication des jeux à très gros budget, les moyens techniques mobilisés pour offrir au joueur une musique digne du cinéma ont explosés. Contribuant, justement, à rattacher toujours plus le jeu vidéo au cinéma, comment passer à côté du cas The Order 1886, extrêmement polémiqué. C'est TheSixthAxis qui interview le compositeur du jeu de Ready at Dawn: Jason Graves.
Première question, incontournable, comment avez vous atterri dans le monde de la musique de jeu vidéo ? Est-ce un hasard, grâce à votre réseau de connaissance ? Ou tout simplement votre vocation première ?
J'ai débuté dans le cinéma et la télévision lorsque j'étais à Los Angeles. J'ai fais aussi beaucoup de travaux pour la publicité et les bandes-annonce de films en tant que mixeur son par exemple. Puis j'ai déménagé à Raleigh (ND Anakaris : Caroline du Nord), à ce moment là je me suis largement diversifié et j'ai commencé même à composer pour la radio. Après cinq ou six ans de cela, je me suis retrouvé sur mon premier jeu. Ce n'était pas forcément voulu même si je ne regrette rien, c'était plus du ''au bon endroit au bon moment'', je n'ai effectué que quelques compositions pour ce jeu. Mais plus tard, un des producteurs qui avait déménagé en Australie et qui travaillé désormais pour une autre société m'a recontacté pour que je fasse enfin une première véritable bande-sonore complète seul. (ND Anakaris : le premier jeu solo de Jason Graves est l'adaptation du film King Arthur avec Clive Owen et Keira Knightley sur Playstation 2, Xbox et Gamecube. Le producteur en question travaillait bel et bien en Australie puisque le jeu fut développé par Krome Studios, d'origine australienne). Mon parcours est un mélange de réseaux, de hasard et de volonté, mais c'est relativement atypique, il existe mille façons de se faire une place dans le milieux et chacun à son histoire.
Depuis cette époque, vous avez composé pour beaucoup de jeu, vous êtes quelqu'un de très prolifique, non ?
Oui ! Même si il y a dix ans ça ne semblait pas être ma direction principale, je suis finalement arrivé à un stade où j'ai composé pour presque autant de jeux que de films et téléfilms ! Et en effet, je crois être quelqu'un de très prolifique. J'ai encore plusieurs projets en cour, The Order 1886 n'est pas le dernier loin de là ! Je suis quelqu'un comme ça, je préfère avoir plusieurs projets en cour, d'autres préfèrent en avoir qu'un seul à la fois, voir un seul par an ou tout les deux ans. Moi je me sens plus rassuré quand je sais que j'ai du travail pour encore plusieurs mois voir plusieurs années.
En quoi la bande-son est importante pour donner une bonne ambiance, pour absorber le joueur dans le jeu ?
Ce qui a de bien avec la musique, de mon point de vue, c'est qu'il est facile d'afficher une humeur. La puissance et la simplicité universelle de la musique est ce qu'il y a de plus formidable. Un son de cloche sonnera toujours identique que ce soit à Miami, à Tokyo, à Paris, Madrid, Moscou ou Johannesburg. Si vous faites un son dramatique avec un orgue, on se trouvera dans une ambiance sombre et tragique partout dans le monde ; Si vous faites une mélodie fluette avec un triangle et un hautbois, tout le monde s'imaginera dans une forêt en compagnie de fée et de lutin. C'est à mon avis de loin ce qu'il y a de plus simple à faire s'adapter à ce qu'il se passe à l'écran, la musique peut instantanément changer soit de façon subtile soit de façon brutale pour accompagner l'image. Et quoiqu'il arrive, si c'est fait avec un minimum de soin, tout le monde comprendra ce qu'il y a à comprendre.
Avez vous remarquez la popularité croissante des bandes-son de jeux vidéo ? Pensez-vous qu'elles devanceront bientôt celle des films ?
Lentement, mais surement, oui. De plus en plus de compositeurs de films font un bout de chemin dans les jeux vidéo, et même des mixeurs sons, des créateurs sons et tout un tas d'autres techniciens spécialisés dans le son. Certain le font pas pure passion, d'autres par pur hasard et se découvre au final une nouvelle vocation. D'autres comme Hans Zimmer pour Call of Duty sont souvent prit pour un très gros coup de marketing mais ce n'est pas forcément vrai, même si il est vrai qu'avoir Hans Zimmer à la bande-son de son jeu est extrêmement valorisant. Ceci dit, ça ne fait pas en sorte que la musique s'améliore en réalité, elle devient juste plus reconnue, plus populaire.
De plus en plus de jeunes compositeurs considèrent que travailler pour un gros jeu signifie avoir la récompense officielle ultime. Personnellement, je ne suis pas si vieux que cela mais je suis encore de ceux qui préfèrent avoir comme récompense le droit de jouer ou diriger mes musiques dans des représentations live. Ou avoir le bonheur de voir un autre artiste réarranger mes compositions. Le fait d'avoir signer la bande-son d'un très gros jeu n'est pas une récompense en soi. Le monde du jeu vidéo possède une base de fan vorace et profondément loyale. Et avoir des retours de la part des fans et venir à leur rencontre, éventuellement les voir venir à mes concerts ou aux concerts d'autres compositeurs qui auraient composés pour un jeu, voilà la récompense ultime ! Ouvrir l'esprit des gens et les faire s'intéresser à la musique. Si pour cela je dois faire de la musique de jeu vidéo, alors soit !
Y a-t-il des questions d'actualités qui ont bouleversé votre travail récemment ? Réduction de budget, difficulté d'entente avec les éditeurs, cahier des charges trop strictes qui brident la créativité ?
Honnêtement, rien de neuf comparé à ce qu'on a toujours été habitué d'avoir. Nous, les compositeurs avons toujours eu l'habitude d'être à la fin de la ligne de production, pas la cinquième roue du carrosse mais presque. Bien souvent, le jeu est déjà presque finit quand nous entrons en scène, et c'est à nous d'adapter notre musique pour qu'elle colle aux images et qu'elle convienne au réalisateur du jeu. Si jamais on ressent quelque chose de différent en regardant le jeu et qu'on fait une musique qui ne convienne pas au réalisateur du jeu, et bien tanpi pour nous, on doit s'adapter !
Mais ce n'est pas toujours ainsi, j'ai effectué quelques collaborations avec des studios de développement de jeux au Canada et ils sont plus souples à ce propos. Peut-être que ce n'est qu'un vécu personnel, mais j'ai eu plus de liberté, même lorsqu'il s'agissait de composer pour un jeu qui était tiré d'un film.
Dernièrement, avec The Order 1886, j'ai été contacté presque trois ans avant la sortie du jeu, à ce moment là les gens de Ready at Dawn n'était même pas encore en phase de production intensive. Mais ils avaient déjà des idées bien conçues et savaient où il se dirigeaient. Ils m'ont notamment expliqué qu'ils avaient longtemps discuté avec Sony de la marche à suivre, ils avaient défendu leur projet corps et âme et avait donc obtenu une très large liberté d'action au niveau de la musique et de la mise en scène de leur jeu. Ils m'ont expliqué que le jeu allait être particulièrement cinématographique et que donc, il ne fallait pas que j'ai peur d'exiger certaine chose pour pouvoir donner le meilleur de moi-même et que Sony allait suivre. Ils m'ont laissé le choix du studio d'enregistrement, du panel d'instrument sélectionné et de beaucoup d'autre chose sans se préoccuper de la facture finale. C'est un producteur de chez Sony qui a même suggéré d'ajouter des choristes dans mon travail, chose que j'avais déjà envisagé ! Et quelques jours plus tard, après avoir évalué cela et proposé quelques options à Sony, nous recevions de l'argent supplémentaire pour faire ce que nous voulions. Fantastique !
Dans les jeux vidéo, il y a toujours beaucoup d'interaction entre le jeu et le joueurs. En tant que compositeur, pensez-vous que cela accentue l'émotion ?
Évidemment. Les joueurs pour la plupart sont capables de s'immerger dans un jeu et de s'approprier correctement son univers. Ainsi, ils vivent une aventure de plusieurs heures, mais la bande-son elle doit être présente du début à la fin et souvent doit être bien plus conséquente que pour un film. C'est parce que nous offrons la possibilité de prendre part directement à ce qui se passe à l'écran que l'émotion est accentuée, et la musique doit accompagnée cela aussi efficacement que possible. C'est d'ailleurs aussi pour cela que les joueurs sont très exigeants avec la musique d'un jeu, je suppose. Ils veulent tout simplement vivre la meilleure expérience possible, vivre le jeu, et la musique doit faire son boulot, c'est normal.
Comment faites vous avec les éditeurs pour publier vos bandes-son ailleurs que dans les jeux vidéo ? Est-ce que vous négociez d'une façon particulière ?
C'est très différent selon les éditeurs, car ce sont souvent eux qui ont le dernier mot. Avec Sony par exemple, ils se sont montré très compréhensifs. On s'est expliqué les choses, je leur ai dit que de toute façon, les amateurs de musique allaient se procurer la bande-son de The Order d'une manière ou d'une autre. Et de leur côté, ils savaient que les fans se procureraient la bande-son pour soutenir le jeu d'une façon ou d'une autre. Alors pourquoi ne pas créer un scénario gagnant-gagnant ?
Mais pour le jeu Evolve de 2K par exemple, ils n'étaient pas du tout intéressés par le fait de commercialiser la bande-son. Je suis un compositeur indépendant, ce qui veut dire que mon travail est considéré comme des missions. C'est un peu du « tais toi et travail » dit vulgairement. Ça ne veut pas du tout dire que je suis esclave chez certains éditeurs, mais tout simplement que je compose, et que la décision de quoi faire avec mes musiques n'appartient qu'à une seule personne. Souvent, le grand chef, tout en haut, ou un responsable quelconque. Ensuite, le choix de vendre ma musique à part ou non le regarde. Avec certains éditeurs, j'ai eu la chance de discuter de cela avec eux et j'ai même réussi à faire changer d'avis certains responsables. Mais avec d'autres éditeurs malheureusement, le dialogue est impossible. C'est leur choix, ce sont de très grandes entreprises, ils ont leurs raisons.
D'ailleurs, comment avez vous eu contact avec Sony ? The Order 1886 n'est pas votre première collaboration, exact ?
C'est une très longue histoire (rires). Ma première collaboration avec la division jeu de Sony remonte à 2005, sur le jeu Rise of the Kasai (ND Anakaris : suite de The Mark of Kri de SONY San Diego, sorti uniquement aux USA sur Playstation 2). J'avais rencontré peu avant le compositeur du jeu Jack Wall à la cérémonie des Academy of Interactive Arts & Sciences où malheureusement il ne fut pas récompensé pour son travail sur le jeu Myst IV. Puis ce n'est que plus tard qu'il m'a demandé si je voulais le seconder sur Rise of the Kasai parce que lui avait d'autre projet musicaux plus personnels qui lui prenait beaucoup de temps. Choses que je ne savait pas et qu'il m'a dévoilé plus tard, c'est qu'il travaillé aussi sur une gigantesque production pour l'époque dans le jeu vidéo : Mass Effect ! De ce fait, plusieurs autres compositeurs ainsi que moi furent embauchés pour Rise of the Kasai. Puis de là, les responsables de Sony Computer Entertainment America, les éditeurs de Rise of the Kasai m'ont présenté aux responsables de Santa Monica Studios, je leur ai composé une musique de trailer pour leur nouveau jeu Warhawk. Et depuis, je reviens régulièrement chez eux pour collaborer, je commence à connaître un tas de monde aux quatre coins de la planète chez la division jeu vidéo de Sony (rires) !