De manière générale, les jeux de nos jours deviennent de plus en plus faciles à jouer. De nouveaux formats, tels que les jeux téléchargeables et sur téléphone mobile, sont apparus les rendant plus abordables et plus accessibles. Cependant, il existe au moins un irréductible concepteur japonais de jeux vidéo qui ne souhaite pas suivre la tendance.
Hidetaka Miyazaki veut que ses jeux soient "imposants". Il désire donner du fil à retordre aux joueurs. Il y compte et s'en délecte. Bien sûr, il souhaite avant tout que les joueurs finissent par gagner, mais pas avant qu'ils n'aient maudit son nom un bon nombre de fois.
"Cela ne veut pas dire que je ne veux pas faire un jeu pour un public très large, mais disons que je souhaite quelque chose qui sera apprécié en particulier par le noyau dur des joueurs." dit-il, se référant aux joueurs les plus avides de défis.
Il a une approche élégamment old school, mais modernement (certains diront exaspérément) non conventionnelle.
Le directeur du jeu, élégant, vêtu d'un costume et arborant des lunettes, parla du plaisir de développer des jeux qui mettent en valeur la jouabilité par la difficulté lors d'une récente interview. Il est actuellement en train d'apporter les dernières retouches à "Bloodborne", le titre PlayStation 4 dont la sortie est prévue en Mars et dont la noirceur est similaire à ses anciennes productions que sont "Demon's Souls" et "Dark Souls".
“Bloodborne” se situe dans un monde Victorien méticuleusement détaillé, où l'obscurité cède la place à des briques fissurées et trempées par la pluie constituant des édifices gothiques avec des clochers transperçant les nuages. C'est un monde sinistre tout droit issu d'un livre de contes et où des mutations démoniaques peuvent envahir le joueur sans préavis. Lors d'une courte session de jeu de 30 minutes en Décembre, je suis presque sûr que mon personnage est mort au moins une fois toutes les trente secondes.
Le défi que constitue le fait de terminer le jeu de Miyazaki "Dark Souls" est bien connu, un compteur de morts en ligne permet même de recenser le nombre de pertes subit par chaque joueur. Toutefois, le jeu ne se résume pas à des obstacles brutaux. Sean Velasco, concepteur du hit indépendant "Shovel Knight" précise que "La capacité de Miyazaki à faire en sorte que chaque élément des "Souls" contribue au challenge et au désespoir est remarquable."
"Bloodborne" arrivera sur PlayStation 4 en Mars
"Miyazaki lâche les joueurs dans le monde du jeu sans trop d'explications, les laissant ainsi l'explorer d'eux-mêmes et faire leurs propres erreurs." selon Velasco. "Miyazaki sait aussi à la manière d'un maître, briser la confiance d'un joueur en les surprenant constamment avec de nouveaux ennemis, ou en réutilisant des éléments antérieurs."
Miyazaki est aussi exigeant que le sont ses jeux. Il aime plaisanter sur le fait qu'il est perfectionniste au point que son équipe à From Software va finir par le lâcher dans quelques années. La création d'un défi interactif infaillible n'est pas un travail qu'il prend à la légère. Si les joueurs ne considèrent pas son titre d'action-fantasy "Bloodborne" comme étant purement punitif, il le considérera comme une déception.
Créer une expérience à l'approche cinématographique ou un scénario linéaire bien ficelé n'est clairement pas le but de Miyazaki. "Ce ne sont pas mes points forts", admet-il via un traducteur, sans renvoyer la tâche à une autre personne. "Les personnages et l'histoire sont juste des "piliers", des pièces de l'architecture qui formeront une structure de jeu cohérente".
Donc, que souhaite exactement accomplir Miyazaki avec ses propres termes ?
"Le summum de l'expérience vidéo-ludique" dit-il en se penchant, les coudes reposant sur ses genoux.
Et pourquoi est-ce que c'est toujours cela qui le motive à 40 ans ?
"Je crois qu'on peut dire ça pour l'ensemble des jeux sur lesquels j'ai travaillé, le dénominateur commun de l'ADN n'a pas changé. Ce que je veux pour nos joueurs de base, c'est de pleinement ressentir le sentiment d'accomplissement et de succès en réalisant les défis les plus élevés qu'un jeu puisse proposer. Le niveau de difficulté dépendra des personnes, mais c'est ce moment d'euphorie: "Vous avez réussi ! Vous avez surmonté un obstacle !" S'ils peuvent ressentir ça, je suis comblé."
“Bloodborne” se déroule dans un monde sombre d'inspiration Victorienne.
Comme Velasco l'avait indiqué, les jeux "Dark Souls" étaient suffisamment flexibles pour mémoriser une décision du joueur, voir même une erreur cruciale. Résultat ? "Le joueur éprouvait du désespoir, mais le goût de ses victoires étaient d'autant plus subtil par la suite."
Des jeux sans le mélange de découvertes et d'épreuves de Miyazaki paraissent tout simplement "vides", ajoute un autre développeur. "Si l'on ne vit pas l'expérience, on ne ressent rien de spécial" affirme James Silva, qui développe actuellement le titre action-fantasy "Salt And Sanctuary" à venir sur Playstation 4.
Miyazaki déclare que "Bloodborne" ne représente pas spécifiquement l'un de ses objectifs. Il s'agit plutôt de l'aboutissement de meilleures parties des idées antérieures qui avaient été laissées de côté, soit à cause du facteur temps, soit à cause des limitations technologiques. Il précise également que, plus il prend de l'âge, plus ses rêves de faire des jeux qui demandent plusieurs années de conception et une grosse équipe deviennent rares, puisque l'industrie est de plus en plus partagée entre les grosses licences à budget conséquent et les petits jeux indépendants seulement téléchargeables.
"Mon défi personnel est que j'ai 40 ans aujourd'hui et que je ne sais pas sur combien de jeux différents je peux encore travailler, des jeux que je pourrais pleinement développer et sortir." dit-il. " L'essentiel n'est pas de savoir comment je peux peaufiner un jeu. Pour le moment, la question est plutôt "combien de jeux pourrais-je encore développer avec la longue liste des choses que je voulais faire dans nos précédents titres ?". C'est un défi pour moi de réfléchir à ce que je vais faire dans les années restantes de ma carrière."
Mais pour quelqu'un qui se dit tout le temps perfectionniste, peut-être est-il temps de moins penser et de se lancer avec une plus grosse équipe pour explorer différentes facettes de sa philosophie de conception de jeux vidéo ?
"C'est une très bonne remarque," dit-il. " Dans mon rêve, le scénario idéal serait d'avoir un budget maximum très élevé. Je crois que ce genre d'opportunité arrive soit qu'une seule fois dans la vie, soit jamais.
"En revanche, Je vois des avantages à disposer d'une petite équipe et d'un petit projet plus conceptuel. Pourquoi cela? Je suis pointilleux avec les détails lorsqu'il est question de la réalisation; l'histoire, la direction artistique et tout le reste. Je suis une personne plutôt maniaque. Je bidouille un peu tout jusqu'aux plus petits éléments. Dans cinq ou dix ans, mes gars ne voudront plus travailler avec moi. À ce moment-là, il sera peut-être temps pour moi de travailler sur mes propres petits projets."