Après presque trois mois de pause, il est temps de revenir aux affaires ! Et je me suis dis que cette année, j'essayerais (comme j'essaye de le faire depuis des années déjà), de vous faire plaisir avec un sujet qui m'est demandé (très) souvent: les J-RPG ! Genre encore aujourd'hui très important dans le cœur des gamer que nous sommes et qui a eu de belles heures de gloire, il fut un temps où le succès d'une console ne s'envisageait strictement pas sans son lot de J-RPG ! Aujourd'hui, probablement moins vendeurs, le genre reste tout de même une motivation d'achat pour bien des joueurs expérimentés, d'autant que l'import n'a jamais été autant facilité que depuis que nos chères consoles ne sont plus zonées.
Alors voilà, nous allons enfin nous intéresser à quelques jeux de rôle bien japonais, sans pour autant retracer en long et en large l'origine du genre ou ses fondamentaux. Nous brosseront simplement le portrait de trois jeux qui répondent typiquement aux critères du sous-genre qu'est le RPG japonais en se remémorant de bons souvenirs (ou pas). Ceci dit, il n'est pas impossible qu'un jour prochain on revienne plus en détails sur la naissance du genre, son influence culturelle et ses fondateurs.
Trois tests vous seront donc proposé à la lecture les jours suivants:
Tel un Saïyen envoyé sur Terre, Agedama est un jeune garçon qui provient d’une lointaine planète. Cependant, lui n’a pas reçu pour mission de nous exterminer mais d’apprendre à devenir un super héros car il se trouve que la Terre est une planète agitée où il y a toujours des combats à mener et des injustices à résoudre. Rien de tel pour un super gentil en herbe pour apprendre le métier en somme. Pour passer incognito, il est intégré à l’école de sa ville où il y fait la rencontre de l’atrabilaire Rei Kuki, jeune fille imbue d’elle-même, profondément hautaine et richissime héritière de sa famille. Celle-ci traître son entourage (y compris les dirigeants et professeurs de l’école) comme des animaux à son service et lorsque Agedama lui tient tête, tout innocent qu’il est, Rei décide de se venger. Elle demande alors à son grand-père, inventeur de son état, de lui créer des monstres pour semer la terreur sur la ville et vaincre Agedama, devenu Agedaman lorsqu’il libère ses pouvoirs. Agedama, secondé par son assistant personnel et mentor Wapuro (une sorte de lapin-ordinateur qui ressemble à s’y méprendre au lapin de Rabio Lepus Special sorti également sur PC-Engine en 1990. Wapuro veut d’ailleurs dire traitement de texte ou ordinateur selon le contexte, en japonais) va donc devoir assurer un max pour gagner ses galons de super héros !
En fait, tout cela, c’est non seulement le synopsis du jeu mais également de la série animée qui l’inspire, produite par le studio Gallop (les 66 premiers épisodes de Kenshin le vagabond, Yu-Gi-Oh! Zexal ou encore Initial D First Stage en collaboration avec Studio Comet) et diffusée entre octobre 1991 et septembre 1992. Le jeu - un des très nombreux tiré d’anime sur PC-Engine qui avait trouvé là une source de revenu facile sur le sol japonais – se compose de plusieurs facettes de gameplay. À la plate-forme, on peut y ajouter une grosse part de shoot them up pédestre, ce qui en fait un run’n gun finalement, d’autant que le scrolling est forcé, nous poussant sans cesse vers la droite de l’écran. La fuite en avant est interminable et Agedama aura à sa disposition cinq pouvoirs différents pour venir à bout des monstres envoyés par Rei. Les cinq pouvoirs, chacun liés à une couleur (rouge, bleu, vert, jaune et rose) sont gérés par une jauge qu’on remplit en collectant des cartes semées par les ennemis qu’on élimine.
Le pouvoir rouge est celui du feu et vous permettra de balancer une colonne de lave dont la fumée forme une tête de mort, super classe. Le bleu est le pouvoir du vent qui prendra la forme d’une jolie tornade venant tout balayer sur son passage. Le jaune sera un redoutable éclair. Le vert est un laser qui ressemble à une vague d’énergie et enfin le rose, le plus original et visuel de tous invoquera un groupe de génie style mythologie arabe pour faire le ménage à l’écran. À cela s’ajoute une attaque de base si vous préférez stocker l’énergie de votre jauge pour vous en servir contre un boss et une roulade qui permet d’esquiver certains ennemis ou en détruire d’autres. Les boss, par ailleurs, ne sont pas bien costauds et globalement, les vagues d’ennemis ne vous poseront probablement aucun problème ; La difficulté est très modeste. Le principal point de friction que vous imposera le jeu sera sûrement certaines phases de plate-forme, rendues délicates par le scrolling forcé perpétuel. Un bon timing sera nécessaire mais dans l’absolu, là encore, rien d’insurmontable. Genji Tsūshin Agedama reste un jeu agréable à jouer, qui ne révolutionne rien, mais qui propose une sympathique dose d’action enrobée d’un challenge très modique. Ce qui est dommage, quelque part, car les six petits niveaux se bouclent assez vite et la durée de vie, bien que cela soit la moyenne des jeux d’action d’époque, en pâtit fortement. D’autant plus qu’à la moitié de chaque niveau, le checkpoint restaure l’intégralité de la généreuse barre de vie du héros !
Les boss, aussi peu coriaces soient-ils ont le mérite d’avoir un design sympathique, d’assez gros sprites et savent bien accompagner un visuel très coloré et chatoyant. Genji Tsūshin Agedama est joli à voir, vif. Ce n’est pas le plus beau jeu de la PC-Engine, ni sur HuCard, ni sur CD-ROM, mais il a du charme. Les niveaux ne sont pas très variés ni très nombreux, mais entre la ville, les forêts traversées, les grottes et les montagnes, il y a de quoi dénicher quelques sympathiques panoramas. Mention spéciale au désert du niveau deux et son ciel rosé du plus bel effet. Effet de scrolling parallaxe des nuages et autres éclats lumineux s’occupent également de parfaire le tout dans une fluidité totale du début à la fin (et pourtant, c’est parfois le bordel à l’écran avec plusieurs sprites qui se balancent des boules de feu et des éclairs à la tronche !).
Genji Tsūshin Agedama n’est, en soi, pas un jeu incontournable. Il est plutôt joli, jouable, fun, ça pète un peu de partout et l’ambiance joviale et bon enfant de l’anime est très bien retranscrite dans cette modeste HuCard. Typiquement le genre de jeu court, très arcade, typé début des années 1990 qui occupe le temps d’une moitié d’après-midi ou qui se boucle dans une espèce de fricassée de jeu qu’on a obtenu en lot sur eBay. Pourtant, sa nature mérite le détour car à bien y réfléchir, il s’agit là de l’expression la plus simple et épurée de ce que devrait ou pourrait être le genre du run’n gun. On court et on tire, tout simplement. On est d’ailleurs contraint de ne faire que cela. Digne alternative de Isolated Warrior et Atomic Runner Chelnov qui eux aussi on un scrolling forcé (en vue isométrique pour le premier, et en vue de profil pour le second), Genji Tsūshin Agedama est un de ses innombrables jeu rétro de l’ère 8 et 16-bits qui en fin de compte nous font nous souvenir qu’à une certaine époque, le jeu vidéo ne se prenait pas la tête et que les développeurs, pour la grande majorité, visaient une valeur unique avec conviction : le divertissement.
Aujourd’hui, il nous parait évident de dire que Capcom n’aurait certainement pas été ce qu’il est sans Street Fighter II. Mais à l’époque, en 1991, lorsque le tsunami de bourre-pif et de Hadōken s’empare du monde entier, on était encore loin d’imaginer jusqu’où la baston "à la Capcom" été capable d’aller.
De l’autre côté du Pacifique, Marvel Comics traverse une période de vache maigre durant les années 1970. Le comics ne fait plus tant que cela recette, bien que des personnages tels que Batman, Superman ou Spiderman restent populaires et assez bien représentés dans le paysage culturel et médiatique des États-Unis. À la fin des années 1970, les X-Men sont réinventés, l’équipe de super-héros changent de membre et l’idée d’étendre le spectre des nationalités des guerriers X-Men est avancée. Ainsi apparaissent dans les cases de nos comics favoris Storm, ou Tornade en français, d’origine Kényane ; Diablo (Nightcrawler) quant à lui est allemand ; Colossus est russe ; d’autres un peu plus minoritaires comme Épervier (qui disparaîtra vite de l’équipe) nous vient d’une réserve apache en Arizona. Le but étant de toucher une plus vaste clientèle bien sûr, qui s’identifiera aux héros. La popularité grandissante de ces nouveaux X-Men s’harmonise avec les vieux briscards de la bande à savoir Cyclope, Le Fauve ou Phénix, déjà présent depuis les années 1960. Mais au début de la décennie suivante, c’est un protagoniste en particuliers qui se détache du lot : Wolverine. Canadien de son état, sa première apparition remonte à juin 1974. Ainsi est créé en son nom une série d’aventure afin de creuser l’histoire du personnage. Les scénaristes John Byrne et Chris Claremont ravivent les X-Men et leur font vivre un gros paquet d’aventures aujourd’hui anthologiques dans la longue existence des comics américains. Les arcs scénaristiques légendaires s’enchaînent. La saga du Phénix noir, Days of Future Past, ou encore God Loves, Mans Kills, sont autant de chapitres clés de la riche vie des X-Men. Pendant ces sagas, les X-Men deviennent des héros tourmentés, puissants d’émotions et de contradictions psychologiques, souffrant de la société qui les stigmatisent et les hait. La description du racisme latent contre les Mutants trouve son paroxysme avec le personnage de William Stryker dans God Loves, Man Kills, détracteur forcené, convaincu qu’il faut exterminer toute trace de la race mutante sur Terre pour le bien de ‘l’espèce humaine’’. Des choix scénaristiques forts sont également appliqués comme la mort de Jean Grey, choquante (car à l’époque, cela n’était pas monnaie courante, même chez Marvel, la mort la plus notable avant cela était celle de Gwen Stacy, la petite amie de Spiderman en 1973) autant que symbolique.
Dans le courant des années 1980, la popularité des X-Men est de nouveau au beau fixe, Claremont décide de gérer la troupe de Mutants comme une franchise. C’est-à-dire qu’il octroi à divers scénaristes et dessinateurs le droit de travailler sur les personnages non pas chacun leur tour, mais tous en même temps, monnayant quelques investissements. Ainsi, des auteurs réputés comme John Romita Junior ou Paul Smith "achètent" le droit de créer leurs propres aventures au sein du grand univers des X-Men. Voient le jour la série des Nouveaux Mutants, Facteur-X et de nouvelles aventures centrées sur Wolverine qui aboutiront au fameux Projet X en 1991, chapitre mémorable de la vie torturée du plus populaire et bestial des anti-héros d’alors. À l’aube des années 1990, de nouveaux auteurs de talent tel que Jim Lee s’empare des Mutants pour travailler sur plusieurs numéros de Uncanny X-Men, la série relancée depuis 1978 qui gagne de nouvelles lettres de noblesse à coup de dessin efficace et grâce à un look moderne pour tous les personnages. Mais c’est surtout le revival, sobrement intitulé X-Men, paru un peu plus tard qui fera exploser de nouveau la notoriété des X-Men et de Jim Lee. Le premier numéro se vendra à 8 millions d’exemplaires, un record pour l’époque. Des personnages iconiques sont créés (Gambit, Jubilée, Mister Sinistre) ou plutôt recréé (Dent de Sabre) et paradoxalement, les X-men n’ont jamais été autant à leur apogée en comics qu’au début de cette décennie alors que la maison des idées, Marvel, commence à collectionner les dettes financières…
Pour profiter du nouvel essor populaire des X-Men, Marvel n’hésite pas à avoir recours au transmédia. Une chouette série animée est donc proposée entre 1992 et 1997. Série de nos jours considérée comme presque aussi culte que la série Batman et son générique dantesque (1992-1995) et celle de Spiderman, elle aussi dotée d’un générique extraordinaire ( 1994-1998 ). Des projets de jeux vidéo sont évidemment confiés à divers studios plus ou moins heureux. En parallèle à Spiderman qui lui aussi connaît un nouveau départ canon entre les mains du jeune Todd McFarlane (plus tard créateur de Spawn), les X-Men commencent à s’aventurer sur les micro-ordinateurs de l’époque pour quelques jeux d’aventure pas forcément très intéressants. Sur console, c’est l’éditeur Acclaim, via sa branche tristement célèbre LJN, qui se paye les Mutants en Spandex multicolores. C’est évidemment le début d’un désastre, LJN multiplie les titres médiocres. The Uncanny X-Men sur NES en 1989, Wolverine sur le même support deux ans plus tard, et Silver Surfer (même si ce dernier n’est pas de LJN) qui se place entre les deux sont de véritables mouscailles sacrifiées sur l’autel du profit maximum (ce qui n’a rien à voir avec "l’effort maximum" de ce bon vieux Deadpool). Durant toute la période d’exploitation des héros Marvel par Acclaim, il n’en ressortira que des jeux oscillants entre le mauvais et le moyen. Heureusement, Marvel a confié ses franchises à d’autres partis comme SEGA qui a produit quelques jeux Spidey honnêtes. Data East signe également un Captain America & The Avengers intéressant. Mais c’est surtout de Konami que viendra la lumière rédemptrice des adaptations de comics en jeu vidéo. En effet, ces derniers produisent un excellent X-Men en arcade, jouable jusqu’à 6 pour une avalanche d’action et de jolis sprites ! Cela ouvre la porte à l’ambition, certains comprennent qu’il est réellement possible de faire de bons jeux avec les super-héros et la valse des éditeurs continue. Marvel désire installer confortablement les X-Men dans ce qui serait le plus juste pour eux : le jeu de combat et/ou beat them all. Mais dans ce domaine, Konami est très attractif, là où Capcom fait carrément office de champion incontesté. La décision est donc prise de refiler Cyclope et ses potes Mutants aux créateurs du génial Street Fighter II.
Cela tombe bien pour Capcom, car ils ont un tout nouveau système de jeu d’arcade à vendre : le CPS-2. Le vénérable CPS-1 (Capcom Play System) qui a accueilli des jeux comme Captain Commando, Final Fight et déjà à ce moment là un jeu adapté de l’univers Marvel (The Punisher) tire sa révérence. L’arrivé des X-Men dans son escarcelle permet à Capcom de varier un peu du sempiternel Street Fighter II dont le CPS-2 profitera également avec l’itération Super Street Fighter II. De plus, la popularité inébranlable des héros mutants en occident et leur univers résolument permissif accorde à la firme d’Osaka les coudées franches. C’est un terrain on ne peut plus propice, presque sans danger car déjà bien défriché par Capcom, que s’apprête à fouler Storm, Juggernaut, Psylocke et les autres. Children of the Atom s’inspire librement d’un arc narratif important des années 1990 pour les X-Men, à savoir Fatal Attractions. Durant cette période, on peut y voir le professeur Charles Xavier, fondateur des X-Men douter et dépasser les limites morales qu’il s’évertuait à respecter pour vaincre son ennemi de toujours : Magnéto. Pourtant, celui-ci ne s’avoue pas vaincu et pendant que Xavier est désavoué par ses chers élèves de l’académie des Mutants, Magnéto s’attaque à Wolverine et tente de décharner son squelette de l’adamantium qui le recouvre. Une scène absolument mythique ! Comme bouquet final, Magnéto, toujours plus fermement déterminé à guider la race mutante au sommet de la chaîne alimentaire de la planète menace de lâcher sur le monde une gigantesque impulsion électro-magnétique afin de détruire la totalité des systèmes électriques terrestres. Sans électricité, la race humaine serait plongée dans un âge de ténèbres, régressant quasiment jusqu’à l’Antiquité. Ainsi, les Mutants désireux de prendre le contrôle seraient en position de force face à une population mondiale majoritairement belliqueuse à leur encontre. Les pires ennemis des X-Men s’associent dès lors sans hésiter à Magnéto…
Un arc narratif riche en opposition d’idée et de philosophie, en échec et en chute pour le professeur X notamment (cheminement psychologique qui mènera à la naissance d’un super-vilain là encore emblématique des X-Men : Onslaught), et où chaque personnage se voit questionné sur ses actes et ses idéaux. Le jeu de Capcom n’en tiendra pas tant que cela compte, il se contente d’installer les évènements du jeu plus ou moins pendant ce chapitre des X-Men sans pour autant creuser véritablement les relations entre les personnages. C’est de coutume dans un jeu de baston, après tout, seule compte la castagne.
Ce plot scénaristique n’est qu’un prétexte pour accueillir les personnages suivants : Wolverine, Tornade, Iceberg, Cyclope, Psylocke et Colossus côté gentil ; Spiral, Silver Samurai, Omega Red et Sentinel côté méchant. Deux boss non jouables sont également de la partie : Juggernaut (le Fléau) et bien entendu Magnéto. Lorsque le deal entre Marvel et Capcom fut négocié, le développeur émit le souhait de pouvoir inclure dans le jeu un de leur personnage maison, ce qui fut accepté. Ainsi, c’est le terrible Akuma de Street Fighter - dont le sprite est le même que dans Super Street Fighter II - qui fut choisi. Cela augurait déjà la suite des évènements glorieux qui verront naitre un des plus fabuleux partenariats de l’histoire du jeu vidéo : Marvel vs Capcom. Même si on peut reprocher au casting un relatif manque de consistance (dix personnages seulement, c’est dans la moyenne d’époque, et pourtant, on ne peut s’empêcher de se dire que c’est si peu, il n’y a pas de Gambit ou de Beast par exemple, pourtant présents dans les comics à cette période), cet état de fait est compensé par un soin minutieux apporter à chacun des combattants. Véritable prophète aux beaux milieux des produits dérivés vidéoludiques estampillés X-Men, Children of the Atom est la quintessence de ce que sait faire de mieux Capcom à cette époque en termes de graphisme : une 2D léchée, des animations détaillées et beaucoup d’amour du pixel. Evolution logique dont le terreau natif est Street Fighter II, Children of the Atom use et abuse d’une animation riche (plusieurs frames seront supprimées pour le portage Saturn, quand bien même ce dernier reste incroyablement beau. Encore plus de frames seront en revanche retirées pour une version tardive sur Playstation qui peine à retranscrire toute le dynamique du jeu, dommage…) et d’effets spéciaux éclatants.
Couleurs chatoyantes, finesse de la modélisation qui laisse transparaître avec générosité toute la musculature et la surpuissance de ces bêtes de combat que sont Omega Red, Wolvy et consort, et super attaques meurtrières à coup de vague d’énergie et d’explosion ; Children of the Atom en met clairement plein les mirettes. Le tout servi par une fluidité exemplaire, en particulier sur Saturn qui sera choisi par Capcom comme le premier (et pendant très longtemps le seul) support domestique digne d’une conversion. La Saturn - cela n’étant plus un secret pour personne -, étant plus à l’aise avec la 2D qu’avec la 3D, la reine noire de SEGA semblait toute indiquée pour faire briller les Mutants dans nos foyers. Cyclope, droit comme la justice se dresse autant que Wolverine, sauvage, se cambre, prêt à bondir comme un animal en furie. Le gigantal Juggernaut qui répond au Earthquake de SNK (Samurai Shodown, 1993) dispose d’une écrasante aura de menace qui n’a d’égal que la souplesse et le charme du ninjutsu de Psylocke. C’est un plaisir de voir Silver Samurai se servir de son sabre avec toute la rigidité et la force de sa discipline ; c’est d’autant plus plaisant de voir Storm commander aux rafales pour dégager ses adversaires hors de son champ de vision. Chaque personnage a son comportement, sa posture et ses mouvements dictés par son caractère et ses pouvoirs. Capcom a pris la richesse de l’identité des personnages de X-Men très au sérieux, en résulte des animations variées et des combats ultra dynamiques.
Et comme si cela ne suffisait pas, les décors, à défaut d’être très originaux pour certains (celui de Juggernaut, par exemple) sont là aussi très beaux. Souvent animés, ils sont en plus destructibles ! Quelle baffe ce fut à l’époque (et même encore aujourd’hui) de voir les fibres du tatami de Silver Samurai se déchirer sous les coups de notre adversaire. Ou le sol de terre se fissurer à chaque chute dans la jungle tropicale de Serval. Certains sont même sur plusieurs niveaux et lorsque vous aurez causé suffisamment de dégât sur le pont routier qu’occupe Colossus (décors qui rappelle d’ailleurs la scène ou le géant d’acier croise Deadpool dans le film de 2016), celui-ci s’effondrera pour vous faire continuer la baston sur un bateau qui passait sur le fleuve en contre-bas ! De là, vous pourrez admirer un tout nouveau panorama constitué d’une gigantesque Sentinelle (robot de guerre conçu pour lutter contre les Mutants) à moitié détruite sur la berge, écrasée parmi les décombres d’un bâtiment et qui s’apprête à se faire assaillir par des soldats. Mention spéciale également au stage de Cyclope, la salle des dangers, qui change son environnement de fond régulièrement et en direct pendant le combat !
Aucun doute, X-Men : Children of the Atom est une terrifiante claque dans la figure. Une œuvre d’un panache graphique à couper le souffle, pétri d’une méticulosité épatante et servi par le charisme naturel des super personnages qu’il met en scène.
Les jeux magnifiques graphiquement, on les connaît, c’est souvent des jeux injouables. Hein ? Comment ça "non, pas lui" ? Hé, on parle d’un jeu Capcom dans leur âge d’or, là, les gars. Un jeu tendrement mitonné faisant figure de modèle pour tous. D’ailleurs, en parlant de modèle, X-Men : Children of the Atom a choisi les bons. À savoir Street Fighter II, naturellement, socle indéboulonnable d’une myriade d’autres excellents jeux de combat 2D, et Darkstalkers, le fameux all-star des monstres de film d’horreur sorti en juillet 1994 ; soit cinq petits mois avant le jeu qui nous intéresse ici. Plus fluides, plus intenses, les combats gagnent en finesse par le biais de combos et de garde qu’on peut effectuer même en étant en l’air. La gestion de l’espace, un point crucial dans un jeu de combat à haut niveau, est ici redéfini par le gain d’une maniabilité affinée et bien étudiée. Et puisque Capcom a la chance de pouvoir s’amuser des personnages extraordinaires de l’univers X-Men, une jauge nommée X-Power est présente. Semblable à la barre de combo de Super Street Fighter II ou à la jauge de Special de Darkstalkers, elle permettra de libérer des attaques dévastatrices, utilisant avec gourmandise les pouvoirs typiques de nos valeureux combattants. Énorme vague d’énergie écarlate sortant des yeux de Cyclope, tempête de foudre et de grêlons pour Tornade, déchaînement de griffes pour Wolverine… de quoi réduire en poussière son adversaire ! Trois niveaux de jauge se remplissant plus ou moins difficilement et vous donnant accès à trois attaques spéciales différentes vous permettrons donc d’inverser l’issue du combat.
Ajouter à cela quelques subtilités pour prendre par surprise votre adversaire, gérer au mieux la distance qui vous sépare de lui ou vous mettre à couvert, et vous obtiendrez un jeu au gameplay travaillé. Roulade pour esquiver ; double-saut pour atteindre son adversaire en l’air et éventuellement contrecarrer une attaque ou continuer un combo ; système de recover qui permet de se relever plus rapidement d’une projection ; et même dash vers l’avant pour fondre tel un aigle sur votre cible. On peut carrément orienter le laser optique de Cyclope via une manipulation, de quoi surprendre un adversaire qui se croyait en sécurité à l’autre bout de l’écran. Tout est fait pour rendre les joutes spectaculaires, vives et plaisantes autant à voir qu’à jouer. Innovant, X-Men : Children of the Atom reprend les enseignements de ses aïeuls, y ajoute quelques ingrédients persos à la sauce et pave avec brio la route pour ses successeurs. Enfin et pour finir, selon les niveaux d’exigences et d’expertises de chacun, on pourra à loisir choisir une option d’accessibilité pour déclencher des combos plus facilement, de quoi garantir un amusement pour tous, et ça, c’est chouette !
Avec un tel gameplay, la durée de vie ne fait que croître. La technicité réclamée pour maîtriser sur le bout des doigts un système aussi riche en possibilité se chiffre en plusieurs heures. Les niveaux de difficultés, toujours bienvenus, vous en feront voir de toutes les couleurs dans leur stade les plus élevés. Juggernaut en particuliers sera un ennemi coriace. Monopolisant une grande partie de l’arène tel un monument oppressant, il est lent mais dispose d’une puissance de frappe qui est à même de clore un combat en quelques secondes si vous vous montrer distrait ! Le lot habituel de modes secondaires tels que le survival ou le mode tournoi est présent, même si pour le fun, le mode versus prévaut. On pourra néanmoins regretter de ne pas pouvoir jouer les deux boss que sont le Fléau et Magnéto. Un défi supplémentaire pour pouvoir les débloquer "à la loyal" (sans cheat code donc) aurait été plus qu’appréciable et une raison suffisante pour le joueur de s’adonner au soft quelques parties de plus. Pour conclure sur les points qui fâchent (mais pas trop, parce que ce jeu est de toute façon tout bonnement exemplaire, lui reprocher quoi que ce soit doit se faire avec beaucoup de prudence et d’argument sous peine de passer pour un hater, c’est comme ça), on peut remarquer que la bande-son n’est pas dotée de musiques aussi mémorables que Street Fighter II. Elles sont de qualité, elles retranscrivent bien la fureur des combats et collent assez bien à chacun des personnages. Mais les mélodies glorieuses et qui s’ancrent dans notre cerveau à l’instar des thèmes de Ken, Guile, Chun-Li et Ryu sont largement aux dessus du lot. En contrepartie, les digitalisations de voix sont excellentes, avec notamment les doubleurs d’origine de la série animée. Tandis que les bruitages ont un réel impact et donne de la vigueur à l’action. Très classe !
X-Men : Children of the Atom est un des premiers jeux de Capcom de l’ère 32-bits sur console de salon, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ne plaisantent pas ! Capcom entame avec ce jeu un mariage heureux avec Marvel, tout comme ils l’auront fait un peu plus tôt avec Disney, qui aura donné naissance à de merveilleux jeux Mickey et Donald. Y’a pas à dire, Capcom et les partenariats, ça promet souvent du bon. 2D haut de gamme avec des sprites détaillés, anguleux et des personnages sculptés à souhait, typique du style de dessin très apprécié de Jim Lee, le soft conjugue cela avec un gameplay qui ébouriffe. Suffisamment subtil pour proposer du challenge et une marge d’apprentissage aux experts, mais également assez souple pour garantir à un débutant de bien s’amuser, ce X-Men nous sert son joli lot de bagarres bien défoulant. Le feeling de la baston "à la Capcom" fonctionne toujours aussi bien. Et même si SNK était encore à l’époque un concurrent plus que respectable, ce n’est probablement pas dut au hasard si Marvel s’est adressé à la société d’Osaka pour réaliser un jeu avec leurs Mutants.
Le portage sur Saturn est à saluer car d’excellente facture, très proche de l’originel sur arcade. Quand bien même il ne fut pas de tout repos car le soft était réellement très exigeant en ressource sur arcade, le studio Rutubo Games a accompli un joli tour de force. La version Playstation, qui paraîtra bien plus tard (alors que d’autres jeux de combat 2D, y compris de chez Capcom, beaucoup plus évolués, auront déjà mis les pieds dans nos consoles) est en revanche assez décevante. Elle souffre de ralentissements handicapants et d’une résolution qui semble un peu moindre, sans compter qu’en trois longues années (oui, la version Playstation est sortie en 1998 !), aucun personnage bonus ou autre n’a été implémenté.
La Saturn en sort grandie et gagne dès sa première année de commercialisation ses brillants galons de reine de la 2D face à ses concurrentes de l’ère 32-bits. Et même si on peut considérer que Capcom fera mieux encore avec les personnages de Marvel plus tard, je ne saurais que trop vous conseiller d’essayer ce X-Men : Children of the Atom. Histoire de jouer à un vrai bon jeu vidéo retro.
Au début des années 1990, les relations entre Namco et Nintendo ne sont pas au beau fixe. Le sanguin président Nakamura de Namco s’est chiffonné avec le non moins volcanique président Yamauchi de Nintendo. En cause, le fait que Namco fut soudainement rétrogradé d’éditeur privilégié à partenaire lambda lorsque la Super Famicom était sur le point de voir le jour. Les termes particulièrement préférentiels des contrats d’édition liants Namco à Nintendo ne furent pas renouvelés, poussant Nakamura à dénoncer la situation de monopole dangereuse et déloyale qu’occupait la firme Kyotoïte. Pour montrer son mécontentement, Namco tente tout d’abord de favoriser la PC-Engine de NEC et Hudson en éditant ses meilleurs soft d’arcade dessus dans des portages impressionnants. Mais Namco est malheureusement contraint de suivre la file des éditeurs qui doivent se plier aux lois du patron. Ils collaborent également avec SEGA pour éditer des jeux comme la trilogie Splatterhouse sur Megadrive mais globalement, Namco se sent prit à la gorge. Quand l’avènement de la 3D pointe le bout de son nez, Nintendo a quelque peu du retard, son Ultra 64 traine la patte et SEGA demeure un concurrent écrasant en salle d’arcade pour Namco. La firme cherche alors un nouveau support domestique pour faire briller ses hits d’arcade, la Nintendo 64 n’est pas disponible lorsque la guerre des 32-bits est déclarée et Namco ne peut se résoudre à aller vendre ses jeux sur la machine de son plus fervent concurrent, SEGA. Vient alors un challenger dans la danse qui n’hésite pas à directement aller faire les yeux doux à Namco, on parle bien entendu de Sony et de leur Playstation.
Le 27 octobre 1993 se tient une conférence de démonstration de la part de Sony qui désire montrer ce que son hardware a dans le ventre. À Tokyo face à des centaines de représentants d’au moins autant de studios japonais, la fameuse démonstration du tyrannosaure en 3D est faite et ébahi son monde. Le mois d’après, Namco est le premier éditeur majeur du Japon à signer un contrat en béton pour développer un paquet de jeu sur Playstation, et notamment des portages de ses fers de lance d’arcade. SEGA, indirectement, aura été le ciment de cette association fructueuse pour deux raisons. La première, déjà évoquée plus haut donc, étant que la société au hérisson bleu était le rival le plus imposant de Namco et que ces derniers cherchaient à s’imposer au-delà des salles d’arcade pour étendre son influence. La seconde étant que SEGA a eu les cojones de parier sur un jeu full 3D précurseur et incroyablement novateur pour l’époque en la présence de Virtua Fighter, sorti en arcade dans les mêmes eaux que la démonstration de Sony. Virtua Fighter sera la preuve éclatante et concrète que la 3D est l’avenir du jeu vidéo (même si toute l’industrie ne sera pas tout à fait convaincue de cela au départ). Fort de ce constat imparable, Namco est résolu à poursuivre Sega dans la folle course à la 3D. Dès lors, qui mieux que Sony et la Playstation aux capacités exceptionnelles pour produire de bons jeux 3D peuvent les accompagner ?
Bref, les astres semblent s’aligner et le partenariat entre Namco et Sony tombe à point. L’un avait besoin d’un support fort pour valoriser ses futurs jeux 3D ; l’autre avait besoin d’un éditeur intarissable pour accaparer une tonne de jeux exclusifs et de qualité afin de faire briller son hardware. Namco est d’autant plus enthousiaste à l’idée de travailler avec Sony qu’ils ont déjà de l’expérience dans le domaine de la 3D. En effet, ils ont produit auparavant des jeux comme Winning Run (1989) et Air Combat (1993), respectivement jeu de course automobile et jeu de dogfight (avion de chasse) via leur système d’arcade Namco System 21, spécialisé dans l’affichage de 3D polygonale. Mieux encore, ils ont de l’avance sur SEGA en ce qui concerne le texturing de polygones. Car là où Virtua Fighter pouvait impressionner par sa modélisation polygonale rarement vue à l’époque, le soft pêchait par une totale absence de texture. Ce qui donnait aux polygones formant les personnages l’apparence de vulgaires blocs de plastique qu’on aurait empilé pour donner la vague image d’un être humanoïde. Une certaine épuration du visuel qui déjà à l’époque avait déplu à quelques personnes. La froideur de ce genre de 3D avait créé ses détracteurs, préférant des sprites 2D finement détaillés et plus représentatifs. Tekken, quand le projet fut réellement lancé en tout cas, fit de la carence de Virtua Fighter un de ses plafond de verre à franchir en priorité. Car de tout temps, pour asséner une grosse claque à son rival, rien de mieux que de le ridiculiser sur le champ de bataille des graphismes et de la technique.
Tekken, à l’origine, n’aurait même pas dut être un jeu. Dans l’optique d’expérimenter et de travailler sa légère avance sur la maîtrise de la technologie des textures sur polygones 3D, le projet n’était qu’un amas de tests et de bidouillages. Un gros dossier cloîtré dans les ordinateurs de Namco servant à une équipe de R&D qui créait de nouveaux outils pour d’autres jeux de la firme. Deux hommes feront du projet intitulé Rave War un ambitieux jeu de combat désirant repousser les limites de la 3D et rivaliser avec SEGA : Katsuhiro Harada et Seiichi Ishii. Le premier est un étudiant en psychologie à l’université de Waseda (établissement que fréquentera également Tomonobu Itagaki, plus tard créateur de Dead or Alive), il est passionné de jeu vidéo et n’hésite pas à sécher les cours pour s’adonner à sa passion. Son orientation professionnelle sera un sujet de discorde dans sa famille. Né de parents travailleurs et un brin conservateurs, Harada leur cachera pendant plusieurs années son véritable métier au sein de Namco. Fort de connaissance dans la psychologie humaine, il se dit que ce serait un atout pour avancer les arguments chocs utiles à la vente et au démarchage, ainsi, il se fait tout d’abord embaucher par Namco dans la branche commerciale. Très vite, il bat des records de vente et les bornes d’arcade estampillées Namco pleuvent sur le marché. Cette prouesse lui donne suffisamment de légitimité pour obtenir ce qu’il désire réellement : être reclassé au sein d’une équipe de développement !
Au début, rien n’est très clair ni très bien définit à ce sujet. Harada prend la tête d’une équipe de recherche qui essaye diverses techniques pour améliorer notamment la modélisation, l’animation et le texturing de polygones 3D. Parmi les gens de cette équipe se trouve plusieurs ex-employés de SEGA ayant travaillé sur Virtua Fighter. D’autres membres de l’équipe se trouvent être des programmeurs et concepteurs responsables d’un certain Knuckle Heads (ナックルヘッズ), sorti en arcade en 1992, un jeu de combat à deux contre deux assez ennuyeux et peu intéressant de l’aveu même de Harada. Cependant, le second personnage sus-cité aura encore plus d’importance pour le premier Tekken. On ne sait pas si son recrutement vient de l’ambition de créer un jeu de combat pour rivaliser avec Virtua Fighter, ou au contraire si c’est son recrutement qui après coup a déclenché une subite envie à Namco d’aller tacler SEGA sur son terrain. Toujours est-il que Seiishi Ishii est déjà un patron dans le domaine, et pour cause. Game designer convoité, âgé d’à peine 25 ans au moment des faits, il n’est nul autre qu’une des têtes pensantes (avec le légendaire Yu Suzuki) à l’origine de Virtua Fighter, le fameux. Autant dire qu’avec un tel élément dans ses rangs, il aurait été dommage pour Namco de ne pas tenter le coup.
De simple projet de recherche, Rave War devient un véritable jeu qui sera très vite renommé Tekken. Tekken, littéralement poing de fer en japonais, conte l’histoire mouvementée de la famille Mishima, se livrant une guerre sans merci et intergénérationnelle. Tout commence (ou presque, les prochains Tekken nous en dévoilent toujours plus sur le passé des Mishima) par le mythique Heihachi, patriarche et chef craint de la Mishima Zaibatsu, une multinationale aux allures de véritable mafia qui trempe dans des affaires louches. Entre production d’armes et trafic en tout genre, la Mishima Zaibatsu tient le Japon d’une main de fer et Heihachi ne recule devant aucune cruauté pour asseoir sa domination. Avec Kazumi, sa femme, il a un enfant nommé Kazuya. Malheureusement, cette dernière décède en mettant bas et Heihachi gardera une haine tenace envers son fils à cause de cela. Il l’entraîne néanmoins au karaté du style de la famille Mishima mais plus les années passent et plus Heihachi est acerbe et intraitable envers son fils. Un jour, alors qu’il était âgé de dix ans, tout au plus, Kazuya subit une véritable tentative de meurtre de la part de son père qui l’avait emmené loin du domaine familial pour ce qui devait au début n’être qu’un simple entraînement. Le féroce Heihachi blesse le jeune Kazuya et le précipite dans un ravin escarpé. Kazuya est à l’agonie, plus mort que vif, et se vide de son sang des dizaines de mètres en contrebas tandis que Heihachi rebrousse chemin. Cependant, Kazuya parvient à rester en vie grâce à un démon venu accomplir un pacte avec lui. Le démon lui donne sa puissance surnaturelle et l’aide à survivre, en échange de quoi, Kazuya deviendra diabolique et devra accomplir les pires atrocités pour contenter la soif de destruction de l’entité qui vient de prendre possession de son corps et de son esprit. Kazuya jure ainsi la mort de son père, un jour prochain. Conscient que son fils brûle d’un désir de vengeance qui ne s’estompera pas avec le temps, Heihachi décide d’en finir une bonne fois pour toute et organise un tournoi d’arts-martiaux où les meilleurs combattants au monde vont se réunir. Au terme de ce tournoi, Kazuya, devenu adulte et un puissant guerrier croise de nouveau la route de son père. Un combat légendaire s’ensuit alors où Kazuya prend l’ascendant sur Heihachi pour à son tour le jeter dans un précipice sans fond…
Voilà, c’est ça Tekken. D’emblée, on évacue tout le côté réaliste et profondément respectueux de l’art-martial traditionnel de Virtua Fighter pour faire baigner le jeu dans une ambiance bien plus proche du manga avec tout son lot d’absurdité et de grandiloquence shakespearienne. Tekken est au jeu de combat ce que Star Wars est à la science-fiction, pas seulement parce qu’on y voit un père et son fils se défier du matin au soir, mais aussi parce qu’il y a des retournements de situations en pagaille, des alliances qui se font et se défont, et si on devait résumer cela grossièrement, on pourrait dire (dans les premiers softs de la série du moins) qu’il y a clairement une bande de gentils face à une bande de méchants. Ou du moins un gros méchant central qui reste pour à peu près tout le casting du soft Heihachi. Tous on leur grief contre le daron à la coupe de cheveux symbolique. Kazuya cherche vengeance, meurtrière de préférence ; Yoshimitsu veut rafler un paquet de pognon à Heihachi pour nourrir les pauvres du village qu’il protège ; Michelle Chang cherche à se venger, elle aussi, du meurtre perpétré sur son père par Heihachi qui cherche à s’emparer du pendentif familial, relique sacrée censée donner bien des pouvoirs à son possesseur ; Nina est embauchée comme tueuse à gage pour tuer Heihachi mais on sait que ce n’est probablement pas Kazuya qui est son commanditaire puisque dans Tekken 2, c’est au fiston qu’elle va devoir s’en prendre ; Wang Jinrei, vieillard expert du Xing Yi Quan est également un ami du père de Heihachi, à qui il a juré de surveiller son fils et de le remettre dans le droit chemin s’il le fallait. Étant témoins de la recrudescence de cruauté de Heihachi au fil des ans, Jinrei s’est juré de faire cesser son ascension dans la folie… Etc.
C’est un véritable imbroglio de mélodrame que Tekken nous propose dans sa première itération, et cela ne fera qu’empirer pendant les vingt cinq et quelques années que vivra la saga. Ce parti pris et cette liberté scénaristique assumée par les développeurs (d’autres qualifieront cela de grand guignol, ce qui n’est pas forcément irrecevable en fait) garanti une liberté au moins égale lorsqu’il s’agit de garnir le jeu d’un casting de personnage très éclectique. Si éclectique qu’on y trouve pêle-mêle un lutteur mexicain de deux mètres qui porte un masque de jaguar en permanence, un ninja cybernétique aux techniques de combats particulièrement acrobatique ; un ours, garde du corps personnel de Heihachi (oui, oui), un colossal robot de guerre à visage humain manifestement inspiré d’un certain Arnold Schwarzenegger, ou encore un resucée de la tête au pied de ce bon vieux Bruce Lee, mimiques hyper accentuées et combinaison jaune en cadeau. C’est clairement le cirque, il y en a pour tout les goûts et Tekken fait immédiatement montre de beaucoup plus d’imagination et d’extravagance que son modèle Virtua Fighter. On aime ou on n’aime pas, mais c’est pour sûr ce genre de chose qui donnera son identité à la série et qui lui permettra de traverser les âges. Tekken n’aura pas à se cantonner aux personnages trop terre-à-terre et pourra s’en donner à cœur joie dans l’impertinence et la fantaisie de son roster de combattant, au bon vouloir des designers et surtout de Katsuhiro Harada, de qui vient l’idée de faire combattre un panda et un démon ailé, par exemple.
Une variété de personnages qui n’aura d’ailleurs pas été sans conséquence et qui malheureusement échoue à esquiver quelques écueils. Avec une telle galerie de protagoniste, il était en effet quasiment impossible de nous épargner quelques fautes de goûts et quelques étrangetés malvenues. Nina qui se bat à pied nue dans un horrible Spandex violet, par exemple. Tout sauf sexy. Ou Michelle qui dans son costume secondaire ne porte qu’un haut noir et un jean blanc. Une simplicité assez triste que Harada n'aura pas manqué de soulever dans une interview en disant "C’est une amérindienne mais son costume n’est qu’un pantalon blanc et une chemise noire. Il n’y avait pas vraiment de concept sur ça, ça manquait de consistance.". Comme si l’équipe avait ajouté un costume alternatif par obligation plutôt que par choix créatif. Harada ayant d’ailleurs évoqué le manque de cohérence globale du design des personnages au fil des années (à l’époque de Tekken 1, il n’avait malheureusement pas le droit de décision sur absolument tout le développement de la série) et avoue que s’il le pouvait, il retravaillerait en profondeur et personnellement certains personnages.
Reste que Tekken premier du nom propose néanmoins et d’ores et déjà quelques protagonistes charismatiques et avec qui on prend plaisir à jouer. Le biker au poing fulgurant Paul Phoenix (dont Masamichi Abe, un designer de chez Namco, a influencé le design) partage quelques similitudes avec Jean Pierre Polnareff du manga Jojo’s Bizarre Adventure (et pour cause, Abe en est fan). Kazuya est une sorte de Ryu en un peu moins fréquentable, moins porté sur l’équilibre spirituel et le respect de l’adversaire au combat pour se concentrer plutôt sur la soif de vengeance, mais il n’empêche qu’il présente déjà quelques mouvements qui feront date dans la saga Tekken. Le super uppercut accompagné d’un bruitage brutal renfonce l’impact de la puissance du personnage ; tandis que son coup de pied tournoyant s’apparente au Tatsumaki Senpukyaku de Ken et Ryu mais reste tout de même un enchaînement sacrément classe à réaliser. Heihachi se présente comme un parfait boss de fin, imposant, aux techniques dévastatrices, il s’impose naturellement comme le grand expert en arts-martiaux bourru, aux nerfs d’acier et aux frappes titanesque. Son doublage réalisé par Banjō Ginga (dont on a déjà eu l’occasion de parler car il s’agit aussi du doubleur de Cracker Jack dans Street Fighter EX ; mais aussi Liquid Snake dans Metal Gear Solid ou Astaroth dans Soul Calibur) lui donne vraiment du caractère à chaque frappe. Dommage que ses samples de voix soit partagés avec Jack (qui d’ailleurs les gardera par la suite, tandis que Heihachi profitera de doubleurs différents dans Tekken 2 et 3).
Tekken a trouvé quasiment du premier coup les quelques piliers sur lesquels la saga allait se reposer. Même s’il y a encore besoin d’affinage par-ci, par-là, Heihachi, Kazuya, Paul, Marshall Law, Nina et Yoshimitsu sont déjà là. C’est également le cas du gameplay qui dès la première mouture de la série se présente comme une référence, magnifié par le pad Playstation que l’on croirait taillé pour ce jeu en priorité. En effet, Tekken se sépare nettement du carcan du gameplay de jeu de combat installé par Street Fighter II en 1991. Ici, pas de coup faible ou de coup fort mais un bouton pour chaque membre du corps de votre combattant. Pied droit et gauche, idem pour les poings. Ce qui donne une sensation de fluidité et de simplicité de prise en main quasi immédiate. Cette configuration de touches favorise l’enchaînement de coups afin de créer d’incroyable combo à huit ou dix frappes, chose qu’on arrive à faire après un peu de pratique mais qui impressionne toujours autant. Les quarts de cercle sont inexistants étant donné que les touches directionnelles servent à se mouvoir dans l’espace tridimensionnel, et cela à son importance. Car contrairement à Street Fighter EX déjà chroniqué sur Retro Gamekyo, Tekken fait le choix de se servir réellement de la 3D pour construire son gameplay autour. Ce n’est pas pour faire joli et impressionner les foules. Ainsi, des coups inédits peuvent être porté selon comment vous vous placez par rapport à votre adversaire. Et si vous parvenez à vous faufiler sur son flanc en esquivant une de ses attaques, la punition peut être explosive !
Là où Virtua Fighter se basait sur un système à trois boutons (poing, pied et parade) qui réclamait un timing précis pour pouvoir déclencher des contre-attaques fulgurantes, Tekken se veut plus nerveux. L’offensive est encouragée par la facilité à sortir quelques combos et par la souplesse qu’a la plupart des personnages à se déplacer sur les côtés. Une double pression très brève de la flèche directionnelle choisie les fait bondir en avant ou latéralement. La fluidité avec laquelle on parvient rapidement à déclencher quelques techniques enhardies d’autant plus le joueur. Moins technique dans la gestion du timing et des distances que Virtua Fighter, Tekken se montre abordable pour le néophyte. Mais il n’en oublie pas pour autant l’adepte du challenge avec des combos dévastateurs et parfois aux manipulations de bouton saugrenues pour être maîtrisé. En résulte un panel de coup varié pour chaque personnage qui adopte chacun un style parfois très personnel et la plupart du temps calqué sur des arts-martiaux ou sports de combat réels (judo et karaté pour Paul, catch pour King, taekwondo pour Baek Do San, aïkido pour Nina, etc.).
Cependant, tout n’est pas parfait, et encore moins à la première tentative. Oui, Tekken est facile d’accès, nerveux, impressionnant et enthousiasmant, on avait à l’époque l’impression de visualiser un super ballet d’experts en arts-martiaux qui s’échangeaient des prunes et des tatanes avec classe. Mais le jeu manque cruellement d’équilibre. Jack est capable de déclencher un enchaînement de coup sans interruption, par exemple. Oui, oui, vous avez bien lu, si vous arriver à faire la manipulation idoine et à appuyer en rythme sur le bouton de frappe correspondant, Jack ne s’arrêtera plus de frapper son ennemi jusqu’à ce que vous soyez victorieux. Et comme de bien entendu, le CPU a tendance à user et abuser de ce genre de technique crispante au possible dans les seuils de difficulté supérieur. Il suffit de laisser passer le premier coup par manque de réflexe pour vous bouffer dans les dents les dix ou quinze prochains sans pouvoir réagir. Frustrant ! Dans un autre ordre d’idée, certains personnages comme Paul ou Heihachi sont capables de vous abattre d’une seule et unique frappe. Le vieux à la coupe de cheveux Dragonballesque peut par exemple vous choper par le col et vous briser la nuque, comme ça, clac, rideau, round terminé, game over. Paul, si vous lui laissez le temps (trois à cinq secondes) de concentrer son énergie vous enverra un gigantesque coup de poing qui vous repoussera dix mètres en arrière et fera voler en éclat l’intégralité de votre barre de vie. Un détail qui a son importance et que Harada, là encore, aura noté durant toute ses années. Il raconte : "On n’a presque pas équilibré le jeu. À l’époque on faisait les choses à l’instinct. Ont réglé la puissance des coups manuellement et on n’établissait pas vraiment de cohérence et de rapport entre tous les personnages. Ce n’est qu’à partir du 2 qu’on a commencé à équilibrer la puissance des coups par ordinateur, avec un calculateur qui fixait des données numériques précises et en cohésion avec le reste du jeu.".
Ce genre de détail aura son importance dans le cycle de vie du jeu en arcade. Car les joueurs d’arcade adeptes des jeux de combat sont exigeants, en plus d’être bien souvent de véritables experts. Ils repèrent bien vite les failles du système et savent comparer avec les autres jeux disponibles sur le marché. Tekken est pour ce genre de raison prit moyennement au sérieux par les amateurs les plus critiques de jeu de combat, préférant l’universalité et l’équilibre d’un Street Fighter II ou la technicité et la précision d’un Virtua Fighter. Tekken n’est dès lors vu en salle d’arcade que comme une belle démonstration technique et un jeu plutôt fun à défaut d’être un bon jeu de combat. Ouille !
Heureusement pour lui, c’est surtout sur Playstation, lors de son portage sur la console de Sony, trois mois plus tard, qu’il va se faire remarquer dans le bon sens du terme. La technologie CD permettant de stocker convenablement une bonne partie des données du jeu, la conversion est optimale quasiment en tout point. Pour reprendre la comparaison avec Street Fighter EX qui n’utilise la 3D que partiellement (uniquement pour la modélisation de ses personnages, alors que leur déplacement ne se fait que sur une seule ligne, façon 2D), Tekken ose la full 3D. L’un des points d’orgue avec le travail sur les textures de polygones, c’est l’animation. Bien vite, l’équipe se rend compte qu’il est différent d’animer un personnage dans un environnement entièrement en 3D et un personnage sur une simple ligne d’horizon 2D. Lorsqu’on décompose un mouvement en 2D, il suffit généralement de dessiner deux sprites différents et de les assembler selon une suite logique. Les jeux à l’animation plus léchée peuvent décomposer le mouvement d’un personnage avec d’avantage d’animation intermédiaire, afin de délier le geste et ainsi rendre le tout très proche d’un dessin animé (au risque de mettre à mal la fluidité des mouvements du personnage car plus il y a d’animations intermédiaires, et plus le personnage mettra du temps à revenir à sa position initiale pour que le joueur puisse lancer une nouvelle action). Pour un personnage 3D, on peut modéliser des animations intermédiaires à l’envie, mais ce qui compte c’est la façon dont l’impact avec un autre modèle 3D est retranscrit. L’équipe de Namco voulait faire l’effort sur la façon dont le joueur ressentirait l’impact des coups, elle voulait qu’on ait l’impression de cogner sur un corps solide, un autre combattant, plutôt que sur un sprite léger et virtuel. Pour cela, de nombreuses animations secondaires furent créées pour simuler le coup reçu pour la victime, et donné pour l’agresseur.
Dans Street Fighter II, si Ryu donne un coup de poing gauche, le bras droit ne bouge pas car seul son bras gauche est animé, le reste du sprite de son corps est immobile. Cela convient très bien à un jeu 2D de cette époque. Mais dans Tekken, lorsqu’un combattant donne un coup de poing, il faut que le reste de son corps se positionne avec réalisme, il est impensable d’animer que son bras et de laisser le reste des polygones de son corps totalement immobiles. Cela rendrait le tout visuellement très grossier, donnant des airs de pantin rigide et rouillé aux combattants. Pour se faciliter la tâche et aussi répondre à une des exigences de l’équipe de développement, qui était de retranscrire des mouvements issus d’arts-martiaux réels, de la motion capture fut donc utilisée. Les mouvements les plus complexes furent réalisés par des cascadeurs avec un système de motion capture rudimentaire (bien que déjà révolutionnaire, pour l’époque) et le reste fut travaillé à la main. La masse de travail fut telle que lorsque les concepteurs se sont rendu compte de la complexité du processus visant à créer un panel complet d’animation pour un seul personnage, ils durent recruter du renfort. De vingt employés, l’équipe derrière Tekken passa à près de cinquante ! La qualité et la variété des animations est d’autant plus bluffante que les hitbox ont été conçues en conséquence et sont somme toute assez précises. On a rarement la désagréable impression d’avoir été frappé alors que notre personnage est vraisemblablement hors de porté du coup de pied adverse.
Pour les décors, les développeurs ont eu la bonne idée de ne pas recourir aux limites d’un ring ou d’une arène de combat. Le champ de bataille est virtuellement infini. Exit donc les ‘’ring-out’’ frustrant, souvent désigné comme solution de facilité par les experts qui pestent dés qu’un néophyte arrive à repousser leur combattant en dehors du ring à force de spammer la même touche comme un idiot. Mais ceci à ses quelques inconvénients. Par exemple, il est indéniable que dans certains décors on ait la forte sensation de vide, aujourd’hui comme en 1995. Heureusement, les décors, qui ne sont en fait qu’une image collée en fond d’écran et qui s’étire ou se rétracte en fonction de vos déplacements, sont assez jolies. Les décors nous font voyager et certains comme Angkor Wat ou Monument Valley ont leurs charmes. D’autres comme le Stadium dispose en revanche de couleurs criardes de très mauvais ton. On notera aussi que les décors sont on ne peut plus statiques, contrairement à ceux des jeux de combat 2D qui sont souvent bourrés de petites animations pour rendre le tout vivant. C’était probablement le prix à payer au début de l’ère Playstation pour avoir un jeu en full 3D.
Côté son et musiques, Tekken répond aux ambitions à la fois de Namco et de Sony. En effet, Namco voulait un jeu de combat réaliste et percutant, presque cinématographique. Sony voulait des jeux cool et ‘’jeune’’ pour garnir sa console. Alors, les compositeurs Yoshie Takayanagi et Yoshie Arakawa ont produit une série de musique entre la techno, la dance et l’électro. Globalement, c’est très pêchu et rythmé. Les sonorités sont souvent aiguës et donnent des effets de pulsation insistante à l’ambiance sonore du jeu, comme pour contribuer par le son à l’impact des joutes et des coups qu’on s’échange. D’autres musiques se parent de sons un peu plus tribaux pour installer une ambiance exotique ou dépaysante, comme celle d’Angkor Wat. Une en particulier se dote de sons lents et sombres, portant une ambiance de mort rampante et de solitude crépusculaire : la musique de Monument Valley. Elle détone véritablement avec le reste de la bande-son tant elle distille une ambiance à la limite de l’horrifique, une piste qui aurait parfaitement eu sa place dans un Resident Evil ! Bref, du bon travail, ou en tout cas une proposition qui colle bien avec l’identité et les ambitions du soft. Même si aujourd’hui, les samples ont vieillis et certaines musiques sont clairement passées de mode (on mix ici le dubstep, l’électro, le RnB très discothèque des années 1990… quand même), la BO contribue à faire de Tekken un jeu très bien ancré dans son époque. Un jeu "cool", "à la mode", pari remporté par Namco et Sony donc.
Pour en finir avec les qualités du titre (celle-ci est intemporelle, contrairement à la technique qui elle, inévitablement, a souffert des affres du temps), la durée de vie est conséquente pour un simple jeu de combat. Outre le fait que son accessibilité garantisse à bon nombre de joueur d’y revenir régulièrement et qui font que Tekken a réuni de nombreux amis le temps d’une soirée castagne sur le canapé, le jeu de Namco bénéficie de nombreux personnages. 8 dans la version arcade, mais pas moins de 17 dans sa version console ! En effet, Tekken comporte une impressionnante galerie de combattants (pas toujours d’un très bon goût, on vous l’accorde) qu’il faudra débloquer au fur et à mesure des parties. Chaque combattant de base devra affronter un sous-boss qui est propre à son histoire avant de se confronter au boss commun à tous : Heihachi. Une fois vaincu, ce sous-boss deviendra un personnage jouable, autant d’occasion de découvrir ou redécouvrir le jeu avec un protagonistes tout neuf qui pourrait bien devenir notre main character. Les huit combattants initiaux ont d’ailleurs l’honneur de voir leur périple se terminer par une séquence en image de synthèse assez belle pour l’époque, et bien mieux mise en scène que celle de Street Fighter EX, trop sommaire.
Seulement voilà, tout n’est pas parfait, et si à l’époque cela ne s’est vu qu’à partir du troisième volet environ (ou quand d’autres concurrents ambitieux sont arrivés sur le marché comme Bloody Roar ou Dead or Alive), aujourd’hui, plus de vingt ans après, il est impossible de ne pas voir l’évidence. Oui, Tekken premier du nom a pris un sacré coup de vieux dans la poire. Hé, c’est aussi ça, le retro gaming ma bonne dame. Il est de notoriété publique qu’un jeu en 3D vieilli d’ailleurs beaucoup moins bien qu’un jeu en 2D. Tekken est là pour nous prouver de façon incontestable que c’est vrai pour la plupart des cas. Désormais, la rigidité du déplacement des personnages ne ressemble plus du tout à ce qu’on pensait être de la nervosité et de la fluidité en 1995. Certains décors sont d’autant plus grossiers que d’autres bien plus jolis ont rejoint les panoramas de la série au fil des nouveaux épisodes. Comme cité plus haut, le design de certains personnages sont cheap à souhait (Jack et ses petites guibolles supportant un gigantesque tronc totalement disproportionné… Nina et son Spandex violet, Ganryu, Wang Jinrey qui est le cliché du vieux maîtres d’arts-martiaux chinois sans aucune once d’inventivité ou de charisme…). On peut aussi reprocher aux portraits 3D des personnages sur le menu de sélection des combattants d’être parfois bien laids, mal modélisés, ou tout simplement doté d’un style assez peu conventionnel (Law est vraiment… étrange, avec ses mimiques). Définitivement nous avons à faire à un jeu qui est la victime du progrès inarrêtable et rapide de la technologie 3D.
Mais il serait injuste de se souvenir de Tekken par le prisme de ses défauts d’ancienneté. Car replacé dans son contexte, il demeure le point de départ d’une petite révolution dans le jeu de combat et le jeu vidéo tout entier, avec quelques autres élus, dont Virtua Fighter justement. Celle de l’arrivée de la 3D qui a sut se rendre populaire et accessible au plus grand nombre. Avec la Playstation et la Saturn, puis un peu plus tard la Nintendo 64, il n’était en effet plus nécessaire de posséder un ordinateur hors de prix, avec carte accélératrice et tout le toutim, ou squatter inlassablement les salles d’arcade enfumées pour profiter d’un jeu en 3D. Les consoles étaient bon marché et les softs étaient de qualité. Premier jeu de la Playstation à franchir le cap symbolique du million d’unités vendues, Tekken s’inscrit immédiatement dans l’ADN de la marque Playstation et signe le début d’une collaboration fructueuse pour Namco et Sony. Au-delà de la rivalité Namco-SEGA dans le domaine de l’arcade, de la 3D ou du jeu de combat, c’est le duel qui oppose la Saturn à la Playstation qui fera de Tekken une production extrêmement importante pour le catalogue de jeu de la PS1.
La folle histoire de Tekken est ainsi lancée. Et si je peux reprocher certains manques de goûts dans la conception des personnages à ce Tekken, force est de constater que cela ira en s’arrangeant dans les suites. Nina, peu attirante ici, deviendra une femme fatale particulièrement attrayante, adepte des clés de bras et autres craquements d’os ; tandis que Lee Chaolan par exemple gagnera au fil du temps un look et un style de combat qui lui sont propre et qui en feront un personnage agréable à manier. Un jeu qui n’était qu’un projet de recherche technologique, finalement mal équilibré et parfois même mal dégrossi a sut se créer une place dans le cœur des joueurs. Aujourd’hui, Tekken existe encore et est une des séries de jeu vidéo les mieux vendu de tous les temps, rien que ça. Katsuhiro Harada, qui ne prendra le pouvoir à la tête de la franchise, véritablement, qu’à partir du troisième opus sait relativiser sur la situation. Il déclare : "Dans le secteur du jeu vidéo, la technologie évolue à toute vitesse. Les modes naissent et se défont, et parfois je me demande comment je peux perdurer et rapporter aussi longtemps. Quand vous regardez en arrière, il y a eu des tas de jeux de combat, surtout dans les années 1990. Mais qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Bien peu. Les jeux sortent et tombent dans l’oubli, je n’aurais jamais cru que Tekken durerait si longtemps. Personne ne l’aurait cru."
Et effectivement, bien des jeux de combat sont tombés dans l’oubli. Mais nous les gardons encore au fond de notre cœur de gamer car hier comme aujourd’hui, ils nous ont tant passionnés malgré tout : Bloody Roar, Battle Arena Toshinden, Darkstalkers, Fatal Fury, Rival School, Tobal…
Et bien entendu, Virtua Fighter, le grand et respectable rival de Tekken, mort bien trop jeune.
En février 1991 sort en arcade Street Fighter II. C’est un succès. Le jeu devient très vite une référence, répondant à un rendez-vous pile à l’heure avec son époque et dégrossissant le genre nouveau du jeu de combat un contre un. Sa conversion, d’abord sur Super Nintendo, propulsera la console de Mario vers le firmament et la saga perdurera, jusqu’à devenir le mètre étalon du genre et la franchise la plus emblématique de Capcom. Tout cela, on le sait déjà que trop bien. En marge de cela, le mois de novembre de la même année accueille Fatal Fury, Garou Densetsu au Japon. La firme SNK ne s’en cache guère et désire marcher sur les plates-bandes de Capcom. Mais pour comprendre un peu mieux d’où vient cette rivalité, aussi explosive que généreuse (car les deux éditeurs nous en auront donné, des tonnes d’excellents jeux de combat, dans leur folle rivalité, ça oui !), il faut revenir un peu en arrière. En 1987, en fait.
Capcom n’en est pas à son coup d’essai. Ben oui, dans Street Fighter II, il y a un ‘’II’’. Mais on est d’accord sur le fait qu’on préfère oublier le premier, celui qui vient avant la légende. Ce fâcheux petit clou rouillé qui s’est planté dans notre mémoire et qui se rappelle souvent à nous fut conçu par Takashi Nishiyama et Hiroshi Matsumoto. Le jeu se voulait technique et les deux compères avaient étudiés un gameplay en profondeur, nul doute que Street Fighter ne manquait pas de bonne volonté. Mais la première version des bornes d’arcade fonctionnait avec un système de pression des boutons. Plus on appuyait fort sur un bouton de coup, et plus le combattant à l’écran assénait un coup puissant à son adversaire. Ceci fut établi dans le but de rendre le système d’enchaînement de coup complexe avec pour le pied et le poing trois variations possibles sans pour autant bourrer l’interface physique de la borne en boutons, choses que les gérants de salle de jeu jugeaient comme repoussant, voire même effrayant pour les joueurs, en particuliers les néophytes. Cependant, ce système trouva bien vite ses limites. D'abord, les bornes coûtèrent cher à produire car demandant d’être fabriqué avec des matériaux solides et de façon que la structure résiste à des joueurs qui n’hésitaient pas à violenter les boutons comme des sangliers afin de tabasser (virtuellement, ou pas…) son adversaire. Et puis vint le second problème, les parties ne pouvaient durer éternellement, quand bien même les joueurs l’auraient voulu. Tout simplement parce qu’après avoir joué une petite demi-heure sur Street Fighter, beaucoup de joueurs s’en sortaient avec des mains en compote, rougies de douleurs, gonflées, on raconte même que des enfants en Californie se seraient casser les métacarpes à force de cogner sur les boutons reliés à un tube à air comprimés servant à calculer la pression exercée. Le mauvais équilibrage entre les personnages (qui d’ailleurs ne payaient pas de mine, contrairement à la galerie époustouflante de protagonistes bourrés de charisme de Street Fighter II), la difficulté atroce (l’ordinateur était une brute inarrêtable…) et les graphismes assez ternes finirent de décourager très vite les joueurs de s’investir réellement dans ce jeu. Street Fighter avait de l’idée, mais il n’avait pas la manière ni l’exécution.
La seconde version du jeu, où les concepteurs ont fini par virer les boutons avec système de mesure de la pression pour les remplacer par un panel de six boutons classiques (ceux que les gérants de salle ne voulaient pas voir), ne parvint pas à sauver Street Fighter du désintérêt des joueurs même si, comme souvent, un noyau dur de passionnés s’était formé. Le dilemme se pose pour Capcom. Street Fighter a un fond intéressant mais n’a remporté qu’un succès d’estime, en toute discrétion. On se demande comment orienter Street Fighter, après tout, on est encore loin du succès colossal d’un des parents du genre combat sorti la même année, à savoir Double Dragon. Puis est prise la décision d’en faire une suite car Capcom pense que le fond mérite d’être creusé. Mais c’est sans compter la démission de Nishiyama et Matsumoto en 1988. On ne sait pas réellement pourquoi, peut-être que la décision de Capcom de laisser une deuxième chance au duo de faire mieux s’est fait attendre. Toujours est-il que celle qui débauche les créateurs de Street Fighter se trouve être une société de développement connue sous le nom de Shin Nihon Kikaku. Enfin, ça c’était son nom jusqu’en 1986, depuis on l’appelle SNK.
La rivalité entre SNK et Capcom n’est pas née ex nihilo, pas plus qu’ils ne voulaient concurrencer Street Fighter au départ. On l’a dit, Street Fighter n’est pas un succès retentissant. Cependant, SNK, qui a de l’ambition et est touche-à-tout (du shoot them up avec Alpha Mission, du run’n gun avec Ikari Warriors, de la plate-forme avec Athena…) désire se mettre au beat them all. Pour cela, il s’inspire d’une création de Nishiyama du temps où il travaillait encore pour Irem, création par ailleurs autrement plus éminente et importante dans l’Histoire du jeu vidéo que son Street Fighter, je veux bien sur parler de Kung-Fu Master. Naquit alors Street Smart en 1988, qui s’il partage effectivement quelques ressemblances avec Street Fighter, n’en demeure pas moins une tentative de proposer un soft sympa sur un marché encore à apprivoiser plutôt qu’une réelle concurrence. Street Smart sera pourtant considéré à tort comme la première déclaration de guerre de SNK à Capcom. Takashi Nishiyama est un game designer qui aime bien expérimenter, et c’est ce que SNK lui donnera la possibilité de faire. L’entreprise lui demande de penser à un jeu de combat, pas tant pour répondre frontalement au triomphe indécent de Capcom et de son tout nouveau Street Fighter II que pour simplement profiter de la vague et se faire une place au soleil.
Ainsi vient au monde le projet Fatal Fury.
Ci-dessus, à gauche, Street Fighter premier du nom (arcade) et à droite Street Smart (arcade).
Geese Howard, patron de la pègre règne sur la petite ville fictive des USA de Southtown. Le principal de l’action de la série y prendra place. Chaque année y est organisé le tournoi du King of Fighters afin d’y faire florir les activités illégales de paris notamment. Jeff Bogard, rival de Howard et artiste-martial intègre est assassiné par ce dernier. Ses fils, Terry et Andy, à la crinière blonde caractéristique n’auront plus qu’une chose à l’esprit : la vengeance. Aidés par leur ami Joe Higashi, ils vont monter les échelons, défier les nombreux combattants de Southtown jusqu’à défier Billy Kane, le bras droit de Howard et parvenir à venger la mort de leur père.
Fatal Fury est le moule dans lequel seront créé le reste des sagas de combat de SNK. Prototype des King of Fighters sur bien des aspects (ambiance, casting de protagonistes, philosophie de jeu…), Fatal Fury n’est pourtant pas un jeu de combat au sens strict du terme. Expérimentant et peinant au début à trouver sa voie, il est intéressant de noter que le soft partage encore ses racines avec le beat them all plus qu’avec le vrai jeu de combat à la Street Fighter II. Comme dit plus haut, la volonté de Nishiyama sera plutôt de tenter des choses et de faire ce qui lui plaît plutôt que de chercher à tout prix à imposer un concurrent à son ancien employeur. Les similarités avec le beat them all, on le retrouve très facilement, dans le choix des combattants par exemple. Seulement trois guerriers seront proposés. Terry, le célèbre bad guy (ce n’est qu’une apparence, dans le fond il est loyal et amical) effigie du développeur ; son frère Andy, plus traditionaliste, préfère apprendre les art-martiaux au Japon alors que son frère s’est forgé aux combats de rue ; et enfin Joe Higashi, champion du monde de muay thaï, impétueux mais volontaire et fidèle. On est loin de l’éclectisme des huit combattants de Street Fighter II. La simplicité de leurs motivations n’a d’ailleurs rien de commun aux imbrications scénaristiques dont font preuve les différents personnages de la saga de Capcom, donnant du liant au background, si tant est que cela soit réellement nécessaire dans un jeu de combat. On se retrouve avec un jeu qui calque sa méthode de narration plus sur un Streets of Rage ou un Double Dragon que sur un Street Fighter.
Mais la caractéristique principale qui rapproche Fatal Fury d’un beat them all autant qu’il l’éloigne d’un traditionnel jeu de combat, c’est son gameplay. Si Street Fighter II privilégiait l’exécution de combo sur une ligne de déplacement fixe et unique, Fatal Fury préfère opter pour l’utilisation de coup spéciaux qui peuvent s’enchaîner au moyen de manipulation technique et au timing très précis sur… deux plans ! En effet, et seul l’adversaire vous permettra d’y avoir accès, quatre des huit arènes de combat comportent un fond qu’on peut atteindre pour continuer la joute. Si cela avait pour but de rendre dynamique l’action et de donner des airs de ballet cinématographique aux combats, hélas, ce n’est concrètement pas très bien exécuté. En fait, l’adversaire, doté d’une intelligence artificielle vicieuse et très coriace, n’hésitera pas à se servir du switch de ligne d’action à outrance pour esquiver vos coups. Parfois, on se retrouve assez vite décontenancé face à la vitesse avec laquelle l’ennemi parvient à passer d’un plan à l’autre sans qu’on puisse l’atteindre. Avec la nervosité, cela nous arrive même de nous tromper dans une manipulation et ne plus savoir sortir correctement le moindre ‘’power wave’’.
Pour autant, à chaque coup spécial qui porte là où on le veut, on est satisfait. Très satisfait même, au vu de sa puissance. Quasiment un tier, voire un peu plus, de la barre de vie de la cible s’envole en fumée ! Les coups demandent doigté et précision et c’est de là d’où vient la réputation de Fatal Fury de jeu de combat technique et exigeant. Il ne s’agit plus de bombarder la touche du coup de poing pour enchaîner bêtement son adversaire, car si celui-ci parvient à contrer ce vulgaire genre de forfaiture réservée à ceux qui ne veulent pas faire l’effort d’épouser un minimum le système de jeu, il peut asséner une terrible attaque spéciale très punitive ! L’autre point de détail qui rapproche Fatal Fury d’un beat them all est la possibilité de jouer à deux. Non pas l’un contre l’autre, mais en équipe, simultanément contre un même adversaire ! C’est l’occasion de rendre certaine joute délicate un peu plus aisée contre un CPU souvent tenace. Mais la fraternité au combat aura ses limites puisqu’au round suivant, il faudra bien vous départager et le combat entre les deux joueurs aura finalement lieux, juste histoire de montrer qui est réellement le plus fort.
Fatal Fury dispose clairement d’un feeling différent de Street Fighter II. Les personnages sont plus lourds, un peu plus lents et on ne ressent pas la simplicité d’exécution d’un Hadōken qu’on envoi à la chaîne. Pire encore, on surprend le joystick de la manette Neo-Geo de réclamer un excès de délicatesse pour qu’on soit en mesure de sortir la furie. Ce n’est pas aussi fluide et spontanée de maîtriser Terry que de maîtriser Ryu. Pourtant, et fondamentalement, les manipulations requises ne sont pas excessivement complexes car elles reposent pour la plupart sur des quart de cercle, consacrés par Capcom, ou de simples allers-retours entre la gauche et la droite du joystick. Une maniabilité qui s’adresse donc aux puristes mais qui en l’état ne parvient pas vraiment à convaincre de sa technicité ou de son exigence. À la place, elle se fait frustrante, plutôt, et dessert le soft de SNK. D’autres jeux à la maniabilité minutieuse et au timing de combo intraitable verront le jour et géreront cela bien mieux à l’avenir, tel que Guilty Gear. Heureusement pour plus tard, la firme d’Osaka apprendra de ses erreurs, notamment avec la futur grande saga King of Fighters.
Au moins, on ne pourra pas reprocher à ce Garou Densetsu d’être la copie carbone de Street Fighter II. Au contraire, que SNK ait réellement eu la volonté de concurrencer Capcom ou pas, on peut en tout cas reconnaître leurs efforts très appréciables pour tenter de livrer un jeu de combat qui veut faire les choses autrement.
La Neo-Geo s’est payé le surnom de Rolls-Royce des consoles pour ses performances graphiques hors du commun, notamment. Pourtant, et on peut mettre cet état de fait sur le compte de l’inexpérience des équipes de SNK face au hardware encore tout jeune de leur console, Fatal Fury n’est pas si incroyablement beau que d’autres jeux de baston sur le même support. On sent assez aisément la nature princeps de Fatal Fury. Les sprites sont raisonnablement grands (Raiden en revanche est réellement énorme, il est bluffant et ouvrira la porte à d’autres personnages du genre, typique de chez SNK : Earthquake en tête) et les animations sont généralement bien fichues hormis quelques combattants aux mouvements un peu saccadés, comme Tung Fu Rue ou Hwa Jai. La colorimétrie donne du charme et de l’énergie à la direction artistique du jeu, là où le character design, parfois convenu (Joe Higashi, Tung Fu Rue) côtoie la faute de goûts critique (Duck King). On notera quand même quelques élans de génie pour un Terry Bogard iconique et cool ou un Raiden haut en couleur. Quant à Geese Howard, autre protagoniste phare de l’Histoire de SNK, il est quelque peu décevant une fois en face de nous, lors d’un combat, car sa présence est écrasante dans les cut-scene en pixel art.
Les sprites ne sont pas aussi fins et détaillés qu’on l’aurait souhaité. Pire, les décors manquent de perspective, on a l’embarrassante impression que l’environnement n’est qu’un papier peint collé sur un mur. La sensation de profondeur n’est pas correctement rendue et on déplore également des badauds - constituant dans certains décors le public - trop sommairement dessinés. Heureusement, l’équipe de SNK ne ménage pas ses efforts et n’a rien d’Harpagon sur les effets graphiques. Zooms et changements de perspectives des sprites (avec des sprites spécialement dessinés de dos pour l’occasion) lors des changements de plans, éclats lumineux et même effets météorologiques sont de la partie. Les décors se verront par ailleurs changeant selon la période de la journée. En effet, et ce dans la plupart des arènes, le premier round débute en journée sous un soleil de plomb bien souvent, le second round prendra lieux en début de soirée avec un astre couchant rouge-orangé du plus bel effet. Et parfois, il sera même possible de combattre de nuit si une troisième manche il doit y avoir ! On notera avec joie une variété satisfaisante des décors également. La ville de Southtown est petite mais riche de panorama divers et variés, lui donnant de la vie et une identité palpable. Entre le Pao Pao Café mêlant subtilement inspiration culturelle sud-américaine et chinoise ; La plage ensoleillée typiquement californienne, terrain de jeu favoris de Michael Max ; ou le parc d’attraction coloré de Raiden, Fatal Fury expose sa ville au moyen d’une petite collection de carte postale très agréable à l’œil. Cela donne d’ailleurs un sentiment de progression au sein d’un unique gigantesque environnement segmenté par des zones bien délimitées et reconnaissables, encore un élément qui rapproche Fatal Fury du beat. Décidément.
Côté son, l’ambiance y est. Les coups sont pêchus, quelques musiques à base de guitare électrique accompagnent à merveille l’action bien que là encore, les mélodies ne parviennent pas à se hisser au rang des hymnes intemporels de Street Fighter II (le thème de Ken et de Guile en chef de file, bien évidemment). Cependant, on notera tout de même la qualité sonore élevée de l’ensemble, d’un point de vue strictement technique. Samples très audibles, voix digitalisées sympathiques, bruitages nombreux… SNK profite de l’espace alloué à la cartouche du jeu pour la bourrer de plein de bonnes petites choses pour nos esgourdes. À noter pour finir que la musique entendue dans le premier stage de Street Smart sera reprise pour les combats à deux contre le CPU dans Fatal Fury.
Que l’objectif initial de SNK fusse de défier Capcom ou pas, force est de constater que ce Fatal Fury n’arrive de toute façon pas à rivaliser avec le maître. Le ressenti n’y est tout simplement pas. Les protagonistes sont loin de faire mouche aussi bien que la galerie haut en couleur du soft de Capcom. Terry est cool, Raiden est impressionnant, mais Michael Max fait pâle figure (un comble, pour un afro-américain…) face à ce sauvage de Balrog. Gesse Howard est un grand méchant mafieux charismatique mais bien plus terre à terre que l’inénarrable Bison. Et Billy Kane, aux allures de punk anglais qui roule des mécaniques n’égale pas l’élégance meurtrière d’un Vega ou la posture écrasante du mastodonte Sagat. Il manque également dans Fatal Fury un personnage féminin fort pour répondre à la très attachante Chun-Li, chose qui sera corrigée dans l’opus suivant avec l’arrivée de Mai Shiranui. Et Blanka, personnage iconique de Street Fighter, qu’on le veuille ou non, apporte une touche d’exotisme très appréciable face à ce Fatal Fury qui n’ose pas grand-chose. Quel dommage !
On pourra également se questionner sur des choix de conception aussi étranges hier qu’aujourd’hui, comme par exemple l’absence d’un réel mode deux joueurs. Pour pouvoir se confronter à un ami, il faudra impérativement et dans un premier temps vaincre un adversaire commun avant de pouvoir faire un combat contre notre partenaire de jeu. Peu pratique quand on désire simplement enchaîner quelques combats contre un pote. Le portage sur Super Nintendo, tout à fait honnête sur tous les points, au demeurant, aura la bonne idée d’ajouter un vrai mode versus avec la possibilité plus que bienvenue de sélectionner n’importe quel combattants, Geese y compris, et non plus seulement les trois de base de la version Neo-Geo.
Le naturel de la prise en main de Street Fighter II ne se retrouve pas dans ce Fatal Fury. Le gameplay aux petits oignons, admirablement bien huilé dans le soft de Capcom surclasse celui de son homologue, un peu grippé et pas toujours très accessible chez SNK. Street Fighter II, manette en main, demeure pour le moment inatteignable. C’est la marque de fabrique des coups de génie. De là à dire que SNK en est dépourvu, je n’irais pas jusqu’à là. Au moins, on peut leur accorder le fait qu’ils apprennent vite et que Fatal Fury pavera la route pour plus de confort et de maîtrise à King of Fighters, mieux fignolé sur bien des aspects.
Enfin, si on ne prend plus en compte Street Fighter II dans l’équation, on peut tout de même s’accorder pour dire que Fatal Fury reste un jeu pas si désagréable que cela à pratiquer. Si l’une des figures de SNK n’était qu’une sombre daube injustement élevée au rang de hit, ça se saurait tout de même ! Il souffre de quelques inexactitudes dut à sa nature de précurseur, de point de départ de quelque chose de plus grand, mais en l’état, il n’est pas foncièrement rebutant pour autant. Il faut également garder à l’esprit que les réserves émises notamment concernant son aspect graphique le sont en comparaison d’autres soft Neo-Geo, celle-là même qui nous habitue bien vite à l’excellence. Un jeu graphiquement respectable sur Neo-Geo paraîtra au bas mot excellent sur Super Nintendo ou Megadrive, là est toute l’importance de savoir rester lucide.
Le fin mot est le suivant : Fatal Fury reste une alternative intéressante à Street Fighter II, ni plus, ni moins !
En haut à gauche, Fatal Fury version Neo-Geo, en haut à droite version Super Nintendo, puis version Megadrive en bas.