Le 21 janvier 1998 sort aux États-Unis Resident Evil 2, probablement le développement le plus douloureux et chaotique jamais assuré par Capcom. Au prix d’une conception qui se sera fait en deux temps avec un jeune Hideki Kamiya, inexpérimenté, qui aura frôlé la catastrophe en sus de s’être fermement opposé à son supérieur Shinji Mikami, Resident Evil 2 deviendra un hit historique. Il porte à lui seul la saga toute entière vers des horizons bien plus vastes que ne l’aurait fait seul le premier Resident Evil, Hideki Kamiya devient un des nouveaux espoirs du game design japonais tandis que Mikami a déjà son nom gravé au panthéon. L’histoire est en marche et les zombies sont inarrêtables. Les péripéties du développement de Resident Evil 2 auront monopolisés bien des ressources au sein de Capcom et causés bien des troubles en périphérie de la seule équipe en charge du second opus Resident Evil. En effet car dans l’ombre des morts-vivants se terraient une horde de dinosaures, sauvages et affamés, mais qui ont bien failli ne jamais sortir de leur état de fossile…
En effet, Dino Crisis était à l’état de projet à peine quelques mois après le début de l’aventure Resident Evil 2, quelque part entre juin et septembre 1996. Shinji Mikami, qui a refilé les clés de Resident Evil 2 à Hideki Kamiya donc, est à la tête du projet "panic horror" comme aime le designer son créateur. Il explique en effet aux journalistes d’époque que "les zombies de Resident Evil font grimper la peur lentement. Mais les dinosaures de Dino Crisis sont des ennemis plus rapides et surtout plus intelligents. Ils peuvent vous suivre d’une pièce à l’autre, franchir une porte ne signifie pas que le danger a disparu. Il est question ici de peur constante.". On sent dans le discours de Mikami qu’il fut grandement influencé par un film dont on devine absolument tous le titre très facilement : Jurassic Park bien évidemment ; et en particuliers la scène vers la fin du long-métrage où un vélociraptor parvient, à la grande surprise du spectateur à ouvrir la porte des cuisines où les deux enfants, Tim et Lex se cachent.
L’histoire ne dit pas réellement si c’est Capcom qui a soufflé l’idée d’exploiter le filon dinosaure à la suite de l’immense succès du film à son nouveau game designer star, ou si c’est Mikami lui-même qui a pris l’initiative. Cependant, nous savons que le Dino Crisis originel ne ressemblait pas du tout à ce que nous avons eu. En effet, l’idée de départ était assez aux antipodes de l’ambiance militaro-scientifique du jeu. Un mage probablement malintentionné qui invoque par rituel occulte des créatures d’un autre temps, des tyrannosaures et des ptéranodons qui envahissent les villes, une histoire de prophétie et un chasseur qui vient faire le ménage… oué, de loin on aurait pu croire à un scénario alternatif de Turok, sorti dans les mêmes environs sur Nintendo 64. Mais Mikami probablement autant que Capcom sent que le concept est assez bancal et ne tient pas la route. L’ébauche est rapidement mise à la poubelle et Mikami revient aux fondamentaux, quitte à s’inspirer, comme pour Resident Evil, avec plus ou moins de finesse de ses sources culturelles favorites : les films d’horreur et de science-fiction. Ainsi, on obtient le triptyque classique du scientifique aliéné, du complexe futuriste et de l’équipe de gros bras paramilitaire désignée pour subir tout ce bordel. Remplacez le complexe par un manoir, les gros bras par des flics d’élite, et vous voyez où cela nous mène.
Cela étant, il serait incroyablement faux et idiot de résumer Dino Crisis à une simple copie de Resident Evil avec des reptiles géants. En tout cas, Shinji Mikami n’avait aucunement cette idée en tête, pour lui, la comparaison n’était d’ailleurs pas sa priorité et il voyait le projet comme quelque chose de bien différent. Ses ambitions étaient renouvelées et d’autant plus démesurées qu’il ressentait le besoin, après le développement déjà éreintant de Resident Evil premier du nom, d’air frais et de changement. Shinji Mikami proclame un certain Shu Takumi comme directeur de son nouveau projet tandis que lui supervisera le tout. L’équipe déborde d’idée folle, peut-être un peu trop, et quand bien même l’ambition y est volcanique au sein de cette formation réduite, Dino Crisis reste dans l’ombre de Resident Evil 2. Tout d’abord et pour différencier les deux projets au maximum, la représentation graphique est chamboulée. De la belle 2D précalculée de Resident Evil 2 le jeu de dinosaure se sépare, et d’une 3D complète dès lors il se pare. Moins belle peut-être, mais plus impressionnante pour l’époque, la full 3D est un véritable pari pour l’avenir. Des expérimentations sur un moteur 3D de Dino Crisis entre 1997 et 1999 naîtra Resident Evil Veronica sur Dreamcast en 2000.
Pour construire convenablement son projet, Mikami étudie soigneusement chacun des composants de son nouveau jeu. Cependant, là où il pouvait bénéficier de documentation pour donner un sens à ses zombies, il ne le peut pas réellement pour les dinosaures, sujets encore assez énigmatiques même aujourd’hui. Comment simuler le comportement d’êtres ayant existé il y a plus de 65 millions d’années de cela ? L’imagination des développeurs fait en grande partie le travail, les animations des dinosaures sont basées sur des analyses empiriques et sur la gestuelle de certains animaux contemporains comme les reptiles, les gallinacées ou les fauves. Le principe de la full 3D pousse déjà la Playstation dans ses derniers retranchements mais il n’entend pas s’arrêter là. Il explique à Edge "je voulais donner à chaque dinosaure une intelligence artificielle unique afin de les rendre suffisamment intelligent pour s’adapter au style de jeu du joueur". Il détaille : "par exemple lorsqu’ils le prennent en chasse, je voulais qu’ils soient assez malins pour emprunter un chemin différent et lui tendre une embuscade !". Ce fabuleux projet se verra avorté par les limites évidentes du hardware de Sony mais aussi pour des considérations d’ordre conceptuelles. En effet, pour répondre aux attentes élevées de Mikami, il convient de mettre les petits plats dans les grands. Tout d’abord, la traque qui était le maître-mot du danger que représentait les dinosaures impliquait que plusieurs ennemis à la fois soient visibles à l’écran. Si tout cela est modélisé en 3D, jamais la Playstation n’aurait pu afficher plus de deux ou trois reptiles géants de façon détaillée et animé avec fluidité sans d’énormes concessions graphiques. Aussi, la traque implique une liberté de mouvement étendue. Les dinosaures sont censés avoir la possibilité de contourner les éléments du décor ou de prendre le joueur à revers, ce qui sous-entend que les environnements doivent être vastes, grands et à l’architecture complexe. Là encore, le hardware Playstation ne pouvait que partiellement permettre cela. Enfin, le sentiment de peur et de claustrophobie aurait probablement été impacté si la caméra, comme à son habitude, n’avait pas été si proche du personnage et si les décors n’avaient pas été si étriqués et cloisonnés que dans le jeu final.
D’autres éléments passent à la trappe comme un segment entier du jeu se déroulant dans une jungle toute de polygone faite. Mais pour créer le sentiment de claustrophobie, d’autres astuces sont utilisées, elles bien moins gourmandes en ressources hardware. Ainsi, il est décidé de faire du lieu de l’action principale une île isolée. L’océan, dangereux par nature, n’offre aucune possibilité de fuite. Les premiers instants du jeu nous rappellent que nous venons de mettre le pied en enfer car si vous tendez l’oreille sur les quelques écrans à l’extérieur du complexe scientifique, vous entendrez le bruit des vagues au loin… Nul doute, vous êtes désormais cerné en pleine nuit au beau milieu de nulle part. Une façon comme une autre de reproduire ce sentiment d’être prisonnier de Resident Evil qui encerclait son manoir d’une forêt ténébreuse peuplée de monstres carnivores et de laquelle on ne pouvait s’échapper vivant. Le jeu use régulièrement de ce genre d’artifice pour tarabuster la paranoïa du joueur et lui faire imaginer toutes les horreurs possibles hors de son champ de vision. Ainsi, dans certains couloirs du complexe scientifique avec des vitres donnant sur l’extérieur, il est parfois possible d’entendre des grognements de dinosaures. Sont-ils situés dehors, ou au contraire proviennent-ils d’une salle annexe toute proche ? On ne saurait le dire, on entend, mais on ne voit rien. En cela, l’ambiance glaçante et la profonde sensation d’isolation se fait extrêmement puissante.
Shinji Mikami maîtrise avec une rare éloquence l’art de mettre en scène et sait parfaitement bien mettre l’ambiance dans ses jeux.
À peine le concept finalisé et quelques lignes de code écrites que le développement de Dino Crisis est stoppé. L’équipe de Shu Takumi est réquisitionnée courant 1997 pour sauver le soldat Resident Evil 2 avec les déboires que l’on connaît. Une fois ce dernier sorti d’affaire, le développement de Dino Crisis reprend, mais là encore, rien n’est simple. Le jeune Takumi, pour qui c’est le premier projet de grande envergure avec lui à sa tête, ne parvient pas à guider sa barque. Le bateau coule, les limites techniques de la Playstation sont trop contraignantes et Dino Crisis bat de l’aile. Shinji Mikami est contraint d’agir et reprend le leadership après avoir revu et corrigé bon nombre de chose du projet, comme pour Resident Evil 2 en son temps. Le level design notamment est remanié pour donner naissance à des environnements beaucoup plus cloisonnés et restreints afin que la Playstation ne soit pas obligée de calculer l’affichage de décors trop grands et donc trop gourmands en ressource. Malgré cela et tous les efforts des programmeurs, les dinosaures ne sont malheureusement pas aussi bien modélisés que l’aurait aimé Mikami, mais qu’importe, ça tient la route. Ce problème persistant et vraiment déterminant sur le résultat final du jeu aura de lourde conséquence sur la conception de Dino Crisis 2, dont on parlera dans l’article suivant !
Nous verrons par ailleurs que le destin du sympathique Shu Takumi n’a pas été défini par ce seul chapitre malheureux de sa vie professionnelle.
Avant de continuer, on va tordre le cou à une idée reçue qui a la peau dure : oui, il y a des dinosaures dans Dino Crisis mais non, ce n’est pas une copie carbone éhontée du film de Steven Spielberg comme le proclamait bon nombre de tests mal renseignés de l’époque. Détaillons un peu le scénario. Nous incarnons Regina, un membre d’une force armée d’élite gouvernementale qui se voit envoyée avec ses camarades Gail, Rick, et Cooper sur l’île d’Ibis. Cette dernière renferme un complexe militaro-scientifique où un autre agent dormant du nom de Tom fut envoyé plusieurs mois auparavant pour enquêter et espionner les activités d’un groupe de chercheurs. Ces chercheurs - avec à leur tête un certain Edward Kirk - auraient trouvés le moyen d’utiliser une nouvelle sorte d’énergie pure bien plus dangereuse mais aussi bien plus performante que l’électricité ou le nucléaire. Seul bémol : Kirk est censé être mort dans l’explosion de son laboratoire trois ans auparavant. Nous savons que Kirk a eu maille à partir avec le gouvernement qui n’a pas voulu à l’époque financer ses obscures recherches. À notre parachutage sur l’île, Cooper est séparé du groupe et se fait sauvagement assassiner par une bête immense dans la jungle jouxtant le complexe cible. Sur place, Gail également se fait attaquer jusqu’au moment où Regina croise un de ces êtres venu du passé, violent, énorme, sanguin et impitoyable. Une nuit d’horreur commence alors…
Par la suite, nous apprendrons que le docteur Kirk est bel et bien vivant et que la Tri-Énergie, puisque c’est comme cela qu’on appelle cette fameuse nouvelle source d’énergie ultra puissante, est capable d’ouvrir des failles dans l’espace-temps. C’est ce qui s’est produit à la suite des expériences ratées du groupe de chercheur sur Ibis qui ont conduit des créatures issues du Crétacé à envahir notre monde.
Narrativement, Dino Crisis reprend les fondations de Resident Evil. Un grand environnement labyrinthique n’attend que d’être exploré, chaque coursive ou chaque salle détenant bien souvent clé, ordinateur et autre élément primordial pour la résolution d’une énigme. La première partie du jeu propose tout d’abord de faire en sorte de réalimenter le complexe en électricité, sans cela, les systèmes de sécurité ne peuvent être débloqués par l’informaticien du groupe : Rick. Une fois les voies presque intégralement libérées, la véritable mission qui consiste à se mettre à la recherche de Kirk peut débuter. Là où Resident Evil nous proposait deux chemins différents avec deux personnages jouables, Dino Crisis ne montre le destin que d’une seule héroïne mais dont l’aventure pourra se scinder en deux. En effet, lorsque le groupe recevra un message de détresse provenant de quelque part dans le complexe, Regina devra prendre une décision : donner la priorité à la mission et poursuivre Kirk ou bien aller au secours de son ancien coéquipier Tom, blessé et caché dans les entrailles du bâtiment. Quatre fins différentes seront consultables selon les choix que vous ferez tout au long de l’aventure.
Les thèmes scénaristiques de Dino Crisis n’ont probablement pas le même impact que ceux de Resident Evil ni de ceux de Jurassic Park pour plusieurs raisons. Comme longuement expliquer dans l’article sur Resident Evil que vous pouvez retrouver en cliquant ici, la vague de zombies est d’autant plus effrayante qu’elle s’intègre dans notre histoire contemporaine avec les tristement célèbres attaques bioterroristes qui ont secouées le monde durant ces années-là. En revanche, aucune attaque de dinosaure n’a été à déplorer depuis environ 65 millions d’années et à vrai dire, d’un point de vue purement scientifique, les êtres humains n’ont jamais côtoyé ce genre de monstre. Le seul concept de se faire rencontrer dinosaure et humain relève plus du fantasmagorique qu’autre chose. La peur est moins concrète. On se dit que "de toute façon, ça n’arrivera jamais". Jurassic Park est un film au message sous-jacent pro-vie (la fameuse réplique "la vie trouve toujours un chemin") qui tente de nous faire comprendre que peu importe ce que ferait l’être humain pour essayer de garder le contrôle, la vie et la nature parviendraient toujours à reprendre le dessus. Tandis que Dino Crisis ne s’encombre pas de ce genre de réflexion philosophique où les dinosaures sont relégués au rang de menace pure et dure. Des bêtes sans capacités de pensées, semble-t-il, face auxquelles il n’y a que deux choses à faire invariablement : attaquer ou fuir. Et c’est aussi en cela que la frayeur viscérale peut exister. Les dinosaures sont inarrêtables, on ne peut les raisonner ou converser avec eux, pas plus qu’avec un zombie dont le cerveau serait en putréfaction. Les dinosaures veulent se nourrir, c’est un besoin impérieux qui guide la vie des animaux sauvages depuis la nuit des temps. La loi du plus fort, manger où être mangé. Dino Crisis devient dès lors un véritable combat pour sa propre survie où l’être Humain est finalement confronté au plus grand danger qu’il n’a jamais eu – par chance – l’occasion de fréquenter : une famille de créatures plus méchantes, plus affamées et plus tyranniques qu’eux. Le seul et unique maillon qui leur a été supérieur au sein de la chaîne alimentaire dans toute l’Histoire de la planète.
Dans le paragraphe précédent, je disais que les dinosaures semblaient ne pas être doué de pensée, encore moins de conscience. On sait que Mikami aurait voulu les faire doués d’une sorte d’intelligence collective qui les aurait fait agir en groupe pour vous chasser, vous prendre à revers et vous acculer dans un piège. Les limitations techniques de la Playstation n’ont pas pu permettre de rendre possible ce genre d’idée très attrayante. Cependant, le gameplay qui prend comme fondation celui de Resident Evil s’articule tout de même autour des capacités très différentes du dinosaure par rapport au zombie. Le zombie est lent, mou, quasiment inoffensif s’il est seul, il est idiot en plus de cela. Le dinosaure est conduit par un instinct mille fois supérieur à celui de n’importe quel être Humain et son intelligence, mine de rien, n’a d’égal que sa cruauté. Première difficulté lorsqu’on rencontre un dinosaure dans ce jeu : ils sont diablement résistant. En mode normal, il sera nécessaire de balancer de sept à dix balles de pistolet dans les écailles d’un vélociraptor pour le voir mourir ! Les munitions étant excessivement rares, bien plus disséminés et disparates que dans Resident Evil, il convient de réfléchir à deux fois avant de défourailler sur le moindre sauropside qu’on croise. Seconde difficulté comme je le disais précédemment, ils sont malins, les bougres. Ok, on peut aisément leur barrer la route en activant des barrières de sécurité laser (qui ne leur cause aucun dommage mais qui au moins les empêche de vous atteindre, vous protégeant ainsi derrière un mur strictement infranchissable). Mais autrement, leur résistance et leur machiavélisme en font toujours des ennemis redoutables. Dans Resident Evil, il arrivait qu’un zombie chute après avoir encaissé une ou deux balles de pistolet mais ce dernier finissait par se relever et se rediriger vers vous jusqu’à temps que vous l’abattiez pour de bon. Au contraire, le vélociraptor fera semblant de s’avouer vaincu après quelques coups de feu et restera au sol jusqu’à temps que vous vous rapprochiez de lui, à portée de sa gueule dentelée ou de sa queue ! Surveillez le sol, si vous ne le voyez pas baigner dans une mare de sang, c’est que le danger est toujours présent.
Leur queue, parlons-en (et n’éloignez pas les enfants, ça ne sert à rien). La plupart du temps, vous croiserez le chemin d’un vélociraptor dans une coursive étroite du complexe, ce n’est déjà pas facile de s’en sortir avec une bestiole de trois mètres dans ces conditions. Alors en plus, s’ils ont l’amplitude d’un Dhalsim reptilien qui allonge ses bras comme eux allongent leur appendice, c’est mal barré. En effet, s’il est parfois préférable de fuir, le dino ne l’entend pas toujours de cette oreille. Prenez garde quand vous essayez de le contourner, il peut vous assenez au passage un violent coup de queue tel le fouet d’un des gars de la famille Belmont, ce qui aura pour effet de vous faire chuter et de vous paralyser pendant de très dangereuses secondes. Pire, il se peut que Regina lâche des mains son arme pendant la chute. Récupérer son flingue est capital car dans Dino Crisis, contrairement à Resident Evil, nous n’avons pas de couteau pour pallier momentanément le manque de munition. Pas de pistolet équivaut à se balader sans slip la nuit dans les pires quartiers pénitenciers de Gamekyo, avec les Negan, Diablo, Xboxsaga, Biboys et compagnie. Après faudra pas vous plaindre.
Contrairement au zombie, là encore, le dino est vivace et rapide. Il court, déjà, c’est quelque chose qu’il faut savoir. Et les environnements étant majoritairement assez étriqués, il se peut que l’animal en question soit déjà derrière vos fesses avant que vous ayez le temps de dire téraflops ! Le zombie, on pouvait le faire tourner en rond comme un abruti, suffisait de changer brusquement de direction ou de le faire tourner autour d’une table, d’un élément du décor qu’il ne pouvait pas franchir. Le dino, lui, il s’en fout des tables, il saute par-dessus et tant pis si vous n’êtes pas prêt ! Ah et aussi, le zombie, on pouvait lui éclater ce qui lui restait de cerveau, avec tout le reste, grâce à un bon coup de fusil bien placé, un one shot particulièrement pratique. Mais le dino ne se laissera pas avoir par ce genre de technique, impossible de l’abattre en un coup, sauf avec des toxicogives, des fléchettes empoisonnées extrêmement rares et qu’il convient d’utiliser qu’en cas d’urgence. Enfin et pour finir, certains zombies en était rarement capables, mais dans Dino Crisis c’est relativement plus fréquent et on sent tout de suite à quel point Shinji Mikami fut influencé par Jurassic Park : le dinosaure sait ouvrir les portes et le fera plus souvent que vous ne pouvez l’imaginer. Les salles de sauvegarde sont des havres de paix sans danger, mais autrement, il n’est pas impossible qu’un vélociraptor sache vous poursuivre pendant plusieurs écrans dans le complexe. Le concept de traque dont on parlait plus haut, même s’il fut en grande partie avorté dut aux limites techniques de la console, refait surface ici.
Shinji Mikami et son équipe n’ont pas pu donner une intelligence artificielle suffisamment satisfaisante à leurs dinosaures, mais force est de constater que c’est déjà pas mal du tout. Le danger qu’ils représentent est à mon sens bien supérieur aux zombies lambda.
Pour le reste, Dino Crisis implémente les dernières nouveautés issues de Resident Evil 2 et 3 dans sa recette et reprend les bonnes idées du premier opus pour servir tant son gameplay que son pouvoir d’immersion. Ainsi, il est possible de jouer les petits chimistes afin de concocter des objets de soin plus ou moins efficaces selon les mélanges (et surtout condenser certains éléments pour prendre moins de place dans l’inventaire, comme à son habitude très exigu). Aussi, il est permis de faire rapidement volte-face en pressant une touche afin de prendre la fuite, comme cela fut introduit dans Resident Evil 2. Globalement, Regina est dotée d’une souplesse comparable à celle de Claire et Léon dans Resident Evil 2, mais est légèrement moins facile à manier que Jill dans Resident Evil 3 qui bénéficiait d’une esquive très utile. La gestion de l’inventaire est un tantinet différent. Si dans Resident Evil il fallait souvent choisir car il était quasiment impossible de transporter plus de deux armes différentes (certaines prenant même deux emplacements dans l’inventaire), ici, on peut se balader avec l’arsenal au grand complet. En effet, l’inventaire se séparant en trois catégories : armes, munitions et soins et objets clés. La catégorie des objets de soin comporte huit slots différents dans lesquels on peut placer jusqu’à quatre objets d’un même type (des petites trousses de secours, des fléchettes anesthésiantes faibles, etc.), contrairement à Resident Evil où chaque herbe prenait invariablement une place unique dans l’inventaire. Si vous gérez bien votre capacité de transport, vous pouvez vous baladez avec une pharmacie complète sur le dos. Vous pouvez donc changer d’arme à la volée car vous avez tout à disposition sans restriction. Ainsi, la règle des coffres communicants dans lesquels on pouvait stocker notre surplus d’objet n’est plus valable. En lieux et place, nous trouvons disséminés dans le complexe des coffrets muraux qu’il faudra déverrouiller à l’aide de cheville. Leur contenu sera divers et varié et il sera possible d’entreposer quelques objets dedans, mais ils seront réellement utiles qu’en cas de coup dur et leur présence est finalement assez anecdotique.
Techniquement et graphiquement, Dino Crisis témoigne d’un vœu encore cher dans le cœur de Shinji Mikami qui est de rendre hommage à sa source d’inspiration principale, à savoir le cinéma. Ainsi, et parce que le système fonctionne toujours aussi bien, les caméras fixes varient les angles de vue à mesure qu’on déambule dans les décors pour créer de la tension et du suspens. En effet, le jeu prend un malin plaisir à ne pas nous faire voir grand-chose et nous forcer à, quoiqu’il arrive, bouger pour découvrir ce qui se cache derrière le virage d’un mur ou par-delà l’ombre d’une salle mal éclairée. Cela a été dit et répété mais c’est tout à fait vrai, la beauté pure qu’on perd avec la 2D précalculée très détaillée des Resident Evil, on la regagne d’une certaine manière avec la 3D innovante de Dino Crisis. La froideur déshumanisée du complexe scientifique qu’on visite dans le jeu est rendu avec brio par la 3D. De plus, d’audacieux travelling de caméra accompagnent désormais l’héroïne à certains endroits clés du décor, un pas de plus vers la cinématisation du jeu vidéo, vers le futur de ce média à la croisée des mondes.
Le level design tortueux, encore plus condensé que pour le manoir de Resident Evil qui en comparaison parait réellement immense, procure ce sentiment d’isolation. Pendant la première heure de jeu, on se surprend à déambuler dans environ une douzaine de pièces différentes seulement car les énigmes réclament des allers-retours incessants et concentrent l’action dans un petit périmètre. Pour autant, la mise en scène dynamique et surprenante nous évite l’ennui d’un tel cloisonnement. Ainsi, nous allons de surprise en surprise et à mesure qu’il nous arrive tout un tas de péripéties, on constate la dangerosité des dinosaures. Lorsqu’on repassait dans un couloir qu’on croyait sécurisé, quelle ne fut pas notre surprise de voir un vélociraptor passer à travers les baies vitrées pour nous agresser, procédé d’ailleurs déjà utilisé avec les dobermans de Resident Evil. Mais il y en a encore pleins d’autres de ce genre. Tel un xénomorphe dans Alien, un vélociraptor peut se déplacer (me demandez pas comment c’est possible) dans les conduits d’aération ou dans le faux plafond d’une salle afin de vous prendre par surprise. La mise en scène s’en voit dynamitée, les élans de panique et de frayeur extrêmement aiguës ne cessant d’empoigner les nerfs du joueur de façon régulière. Et cela sans compter sur l’apparition, point culminant de ce genre de scénographie au suspense insoutenable, du fameux tyrannosaure, invincible et impitoyable.
La première partie du jeu est ainsi maîtrisée de façon hallucinante. Comme dit plus haut, le level design est relativement dense au tout début et on explore une petite paire de salles très rapprochées les unes des autres. Mais les évènements étonnants et la mise en scène donne un énorme souffle à ceci avant que l’exploration ne devienne plus diluée dans l’espace. Les allers-retours se faisant un peu moins insistant à partir du moment où on parvient à rétablir l’alimentation électrique et où on commence à explorer un peu plus en profondeur le complexe à la recherche de Kirk.
La modélisation est satisfaisante également, on sent qu’on touche à ce qui se fait de mieux sur Playstation. Un soin tout particulier semble avoir été apporté aux visages des personnages, un peu comme dans Vagrant Story, où les yeux et les traits faciaux sont très bien définis. Pour autant, l’animation est parfois peu naturelle mais on s’en contente, tandis que les effets de lumière – 3D oblige – sont dynamiques. Si d’ensemble, la super grosse gifle ne nous est pas assénée par Dino Crisis qui préfère concentrer sa mise en scène sur le résultat plutôt que sur la forme (quoiqu’il arrive, nous somme stressés et effrayés par les dinosaures, peu importe qu’il y ait de grosses giclées de sang et des démembrements ultra visuels ou pas), on peut noter tout de même plusieurs séquences qui restent dans les mémoires. Ainsi, ce qu’on croit être la scène finale où l’hélicoptère se fait détruire par le T-rex et la scène de combat au beau milieu d’un incendie qui s’ensuit est remarquable de théâtralité.
Dramaturgie renforcée par une bande-son aux petits oignons, là encore outil d’une mise en scène soignée et très immersive voulue par Mikami. Si les musiques n’ont pas grand-chose de valeur d’un point de vue purement mélodique, elles sont en revanche d’une solidité incroyable lorsqu’on leur demande d’installer une ambiance morbide. Si la douce mélopée de la salle de sauvegarde ajoutait une touche de mystère lointain dans ses notes dans Resident Evil, celle de Dino Crisis préfère un halo vaporeux de froideur, une sensation de déshumanisation latente dans ce bâtiment scientifique gris et désert. Le principe de la save room est conservé, nous somme en sécurité dans son enceinte, mais un sentiment insidieux de solitude et de paranoïa lacère notre cerveau. D’autres musiques d’ambiance comme "The place is deserted through..." ou "Investigate the underground" installent un suspense psychologiquement lourd à supporter du fait de la lenteur de leur rythme.
Que peut-on reprocher à ce Dino Crisis, à ce propos ? Oh, bien des choses. Tout d’abord, la 3D c’est bien joli, et après tout ce genre de graphisme, fort heureusement, répond au besoin de la mise en scène et de l’immersion. On ne pourra pas reprocher aux environnements d’être trop gris ou trop froids, puisque c’est le propos du jeu. On ne visite pas un parc d’attraction ou un manoir au style gothique, mais bel et bien un centre scientifique. Cependant, là où la 3D pêche, c’est quand elle refile Parkinson à notre personnage. En effet, ne la faite plus bouger, faite là se tenir immobile, et vous verrez que la notion d’immobilité dans Dino Crisis est toute relative tant Regina semble prise de spasmes incontrôlés. Ça encore, ce n’est rien, mais quelques bugs d’affichage sur les objets en 3D peuvent survenir et certains éléments du décor font n’importe quoi lorsque la caméra opère un travelling dans les cutscene. Le moteur 3D est innovant pour une production de ce genre chez Capcom, mais il est d’ores et déjà poussé à son paroxysme et ça se voit.
Niveau bruitages et sons, si j’ai fait l’éloge de la musique qui contribue à une immersion totale et à une ambiance à mon sens encore plus glaçante que dans Resident Evil, tout n’est pas parfait pour autant. En première ligne, le bruit de pistolet en plastique que fait notre arme de base. En fait, ce n’est pas un pistolet, à entendre les "poc, poc" qui en sorte mollement à chaque fois qu’on fait feu. C’est un pistolet à bouchon en liège de la foire à la saucisse de Bourecq dans le Pas-de-Calais. Son bruit va de pair avec son efficacité face au dino, vous me direz. Et la détonation étouffée du fusil à pompe n’est guère mieux, quel dommage ! D’ailleurs, le modèle de flingue que Regina se trimbale au début du jeu est étrange. Il s’agit d’un modèle 34 de la marque autrichienne Glock. Très bonne marque dans le domaine au demeurant. Seul souci c’est qu’en 1998, le Glock 34 fut introduit sur le marché à destination du tir sportif, et en aucun cas pour l’utilisation militaire ou policière. Autant dire que la pétoire est à peine plus efficace pour buter un putain de dinosaure de 300 kilos que le pistolet à bille de Bryan, 14 ans, adepte amateur de l’airsoft depuis qu’il a vu John Wick au cinoche. Choix étrange de la part de l’équipe de conception du jeu alors que dans Resident Evil, on trouvait du bon matos comme le Beretta 9mm ou le Remington 1100.
En contrepartie, les feulements menaçant des dinosaures sont bien rendus. Le bruitage roi restera à jamais le hurlement du tyrannosaure auquel on a le droit dès le menu de début du jeu, lorsqu’on sélectionne ‘’nouvelle partie’’. Légendaire, incroyablement puissant et épouvantable, il donne parfaitement le ton du périple qui nous attend. Un peu à l’instar du ténébreux "Resident Evil" déclaré dans le menu du jeu du même nom ; ou comme le sinistre "STAAARS" du Némésis qui résonne dans les rues en ruine de Raccoon City.
Peut-être que vous l’aurez constaté, et peut-être que vous vous en ficherez car vous pensez pareil que moi, mais il est clair que je manque d’objectivité concernant Dino Crisis. Autant vous le dire sans détour, je considère ce projet annexe de Shinji Mikami comme supérieur aux Resident Evil en termes d’atmosphère anxiogène. Le level design complexe et étriqué ; le sound design incroyablement inquiétant ; l’intelligence perfide des vélociraptors qui les place à mille lieux des zombies en termes de dangerosité ; les apparitions aussi rares qu’effroyables du T-rex ; la confiance qu’on ne peut accorder que de façon très partielle à ses compagnons (Gail en tête de liste, le docteur Kirk ensuite…) ; tout ça font de Dino Crisis un jeu à l’ambiance et au scénario extrêmement pesant et passionnant. Ce léger côté grand guignolesque que peut avoir la peur de Resident Evil se transforme ici en horreur viscérale, paralysante, froide et impitoyable tels ces immenses lézards préhistoriques.
Son ambiance se parachève avec un gameplay soigneusement équilibré et qui pioche autant dans les racines du genre que dans quelques innovations qui ouvre des portes vers l’avenir. La technique, à mi-chemin entre deux époques montre que le Capcom de ce temps avait de l’ambition à revendre et préfigure à d’autres titres de légende tel que Resident Evil : Code Veronica. Autant dire que Dino Crisis, à la croisée des chemins, est d’une importance cruciale pour la suite. Autant respectueux des traditions établies par Resident Evil en 1996 que désireux d’évoluer et de regarder vers l’avant.
Il n’empêche que la recette appliquée à ce Dino Crisis sera unique et ne sera plus appliquée par la suite. Le côté survival-horror extrêmement exigeant disparaîtra avec Shinji Mikami qui s’envolera vers d’autres projets tandis que la franchise tombera aux mains d’autres game designer. Ce que nous verrons dans l’article suivant, consacré à Dino Crisis 2 !
Cela fait un moment que ça traîne dans les innombrables projets de Retro Gamekyo ( au moins depuis la rétrospective complète des trois premiers Resident Evil de la Playstation effectuée sur le groupe en 2018 ), voici qu'enfin on peut passer à du concret !
Il me semble que les dinosaures sont un thème relativement moins usité par les jeux vidéo que peut l'être les zombies ou les vampires. Mais heureusement pour nous, les dino ont été témoins de très bons jeux les mettant en scène dans la longue histoire du jeu vidéo. Et en réponse à l'analyse du gameplay et de l'identité de la saga Resident Evil (old school) réalisée sur Retro Gamekyo, on va tenter de faire de même pour une série cousine de l’œuvre de Shinji Mikami: Dino Crisis.
Samedi 13 et dimanche 14 juin: trois tests seront donc au programme. Dino Crisis 1 & 2 sur Playstation et Dino Crisis 3 sur Xbox !
En espérant vous y voir pour commenter, débattre, apprendre (j'espère), le tout dans la bonne humeur habituelle (petit troll toléré ).
Depuis que j’écris des articles à propos de la PC-Engine sur Retro Gamekyo, j’ai tendance à n’évoquer que les bons côtés. Je ne vous expose que les coups de génie de la firme à l’abeille, Hudson, et de sa façon audacieuse et compétitive d’aller secouer Nintendo sur son propre terrain. Seulement voilà, il ne faut pas croire que tout fut rose pour l’alliance Nec/Hudson et leur PC-Engine et que tout leur a souri. C’est évident que non, sinon la console aurait triomphé au-delà des frontières nippones et Hudson aurait vaincu Nintendo et SEGA depuis belle lurette. Si Hudson fut assez ambitieux et malin pour signer des coups d’éclats tels que les portages parfaits de nombreux hits d’arcade, l’apparition novatrice du CD-ROM sur sa console en 1989, où le ralliement d’éditeur prestigieux comme Namco, il y eut également des couacs. On sait par exemple, via le témoignage d’anciens employés de TTI (une filiale de NEC créée pour gérer la commercialisation et la distribution de la PC-Engine, renommée TurboGrafx-16, aux USA) que les hauts responsables au Japon sont passé à côté de plusieurs belles opportunités. Par exemple, la PC-Engine qui cherchait à pénétrer le marché américain aurait pu capitaliser sur la présence de Mortal Kombat (probablement au moins les deux premiers opus) de Midway, cependant, la proposition de l’éditeur américain resta sans réponse favorable des japonais, ces derniers prétextant que le marché leur semblait trop concurrentiel et qu’il ne voyait pas comment Mortal Kombat pourrait rapporter de l’argent. La suite, on la connaît. À partir de 1993, à peu près tous les supports du monde bénéficient d’un portage de Mortal Kombat, même les antiquités que sont l’Amiga et la Master System ! Chacun de ces portages, même s’ils sont d’une qualité très variable, rapporte une tonne de billets verts à Midway et aux éditeurs/constructeurs qui ont pris part au deal.
C’est un raisonnement d’autant plus étrange et à côté de la plaque que celui-ci ne semblait pas s’appliquer aux nombreux shoot them up que la PC-Engine a pu accueillir durant toute sa vie. En effet, si le marché des jeux de combat fut concurrentiel au début des années 1990 d’après Hudson/NEC, que dire de celui des shmup, littéralement saturé. À tel point qu’après l’heure de gloire des 16-bits, bons nombres de studio ayant fait des shmup leur spécialité durent fermer ou se faire violence et innover pour survivre. À la décharge des gens d’Hudson et NEC, il est vrai qu’il était difficile de prévoir un si gros succès pour un projet aussi incroyable que celui de Mortal Kombat.
Qu’à cela ne tienne, la PC-Engine a d’autres arguments notamment dans le genre du jeu de combat. À cette époque, la rumeur insistait sur l’existence d’un support CD-ROM à brancher sur la Super Nintendo, développé conjointement avec d’autres grands de l’électronique, tel que Sony. Vous savez, le fameux Play Station. L’Histoire ne donnera jamais concrètement vie à ce projet mais Hudson et NEC voulaient en tous les cas couper l’herbe sous le pied de Nintendo et ils en ont profité pour annoncer plusieurs mesures. Tout d’abord, la sortie de la PC-Engine DUO-R, qui est en fait une DUO de base (le hardware qui lit aussi bien les HuCard que les CD-ROM) mais avec quelques options en moins (la prise casque, notamment) et qui sera vendu 20 000 yens moins cher en mars 1993. Une coupe drastique du prix qui représente presque la moitié du tarif initial de la machine, tout de même. L’autre annonce, communiquée non sans fierté par Hudson, NEC, mais également Capcom, fut le portage de Street Fighter II sur PC-Engine ! Pas de Mortal Kombat, mais du SFII, peut-on dire qu’on y gagne au change ? Tout dépend de la qualité du portage, et c’est ce qu’on va voir tout de suite, tiens !
Aller, j’insère la volumineuse (non, je ne parle pas de ça…) HuCard dans la machine. Volumineuse car la bougresse pèse pas moins de 20mbits. Bon, tout est relatif car énormément de cartouches Super Nintendo faisaient 16 ou 32mbits entre 1992 et 1994, c’était le cas notamment de celle de Donkey Kong Country pour ne citer que lui. Mais en ce qui concerne les HuCards, de la taille d’une carte de crédit (ah oui, ça calme, n’est-ce pas ?), celle de Street Fighter II était la plus grosse, ni plus, ni moins. Faut dire que c’était absolument nécessaire pour rendre honneur au jeu roi de Capcom.
Une fois la carte introduit, le jeu se lance. Et là, premier constat : la petite introduction a disparue. Vous savez, ce combattant de rue blond qui en frappe un autre entouré d’une foule en liesse avant que la caméra ne se déplace vers un building. La version PC-Engine affiche directement le menu principal où on peut sélectionner le mode de jeu. Ce petit couac relativement insignifiant est rapidement corrigé par une bonne surprise, le casting est élargi, comme dans Street Fighter II' : Champion Edition. Pas de Fey Long ou de Cammy pour le moment, ces derniers viendront seulement avec Super Street Fighter II ; en revanche, les quatre boss du Street Fighter II originel sont désormais jouables, en l’occurrence, nous disposons désormais des charismatiques Sagat, Balrog, Vega et Bison. Le casting se compose donc de douze guerriers, ce qui commence à être très intéressant, d’autant plus que chacun dispose de ses spécificités et que la majorité du roster d’origine a été révisé afin d’équilibré le tout. Ce qui suit ne concerne pas la version PC-Engine qui se base sur The World Warrior, la première vraie version de Street Fighter II, en termes de gameplay (tandis que le Champion Edition de la concurrence inclut les évolutions dont on parle au paragraphe suivant, la version la plus élaborée à ce moment précis de la vie de Street Fighter II restant le Hyper Fighting de la SNES donc).
Par exemple, Honda peut se déplacer pendant qu’il exécute l’attaque des mille-mains, ce qui permet une stratégie de zoning inédite avec ce personnage. Chun-Li possède une nouvelle attaque sautée imparable avec une défense traditionnelle, seule l’esquive et la fuite pure et simple reste efficace face à ce nouveau coup particulièrement fourbe ! Quant à ce colosse de Zangief, il peut désormais assener à ses adversaires un coup de boule en plein saut, ce qui lui donne le contrôle du terrain aérien, crucial lorsqu’il s’agit de maximiser le potentiel offensif face à un adversaire coriace et mobile. Les experts du pad se régaleront, à n’en point douter. Même Ryu et Ken, longtemps critiqués pour leur mimétisme s’offrent quelques singularités. Ainsi, le Hadoken de Ryu est légèrement plus puissant et plus rapide, tandis que le shoryuken du blondinet porte plus loin. Et je ne fais qu’évoquer les petits ajouts de gameplay sans entrer dans les moindres détails. Je le répète, presque tous les personnages ont subi quelques révisions, parfois mineures, mais dans tous les cas dignes d’intérêt et ajoutant souvent une vraie plus-value au titre d’origine.
Mais tous ceux qui ont déjà tenu entre les mains, ou du moins aperçu une manette de PC-Engine devrait se poser une question importante dès lors : comment joue-t-on à un tel jeu ? Eh oui, parce que bon, j’sais pas si vous avez remarqué, mais le pad de la PC-Engine ne dispose que deux boutons principaux, comme celui de la NES ou de la Master System. À vrai dire, Capcom et Hudson/NEC ont réussi à pallier cela de façon plus ou moins aisée. Avec le pad de base, il est tout à fait possible de jouer à cette version de Street Fighter II via une petite duperie. En effet, par la pression du bouton ''run'' (l’équivalent du start pour toutes les autres manettes), on switch (euh, il y a erreur là, nous sommes sur PC-Engine, pas sur Switch… ) de type d’attaque entre coup de poing et coup de pied. Ce n’est pas forcément super pratique, mais avec un peu d’exercice, ça vient relativement bien et on arrive à envoyer nos quelques enchaînements favoris. Bon, on préfère quand même le pad à six boutons de la Super Nintendo, on ne va pas se leurrer.
Et si cet artifice ne vous convainc pas, ils ont pensé à tout, et surtout à la commercialisation pour l’occasion d’un tout nouveau pad à six boutons, officiel et compatible avec la PC-Engine : l’Avenue Pad 6 au prix de 3980 yens, soit 1500 de plus que pour une manette classique. Pas folle la guêpe, enfin, l’abeille, en l’occurrence.
Graphiquement, la PC-Engine montre ses muscles, indéniablement. Si on prend comme référence la version Super Nintendo, on peut dire que le possesseur de la version PC-Engine n’est pas forcément le plus malheureux de tous les joueurs ! Le stage de Ryu me parait plus détaillé sur Megadrive que sur Super Nintendo, notamment avec cette superbe lune en fond, à demi couvert par un linge de nuages blafards. Le stage de Zangief sur PC-Engine est un peu moins joli, notamment dut à l’absence de quelques éléments décoratifs comme les clôtures. Elles ont été supprimées probablement pour fluidifier le défilement de l’écran lors des déplacements des combattants. Les superbes dégradés de couleurs chaudes du ciel orangé du stage de Guile sont également à noter et selon moi de bien meilleure qualité que sur Megadrive, ils rivalisent presque avec la SNES. Globalement, la PC-Engine tient la dragée haute à la console de SEGA concernant ce point très spécifique, et Street Fighter II est parfait pour nous le montrer. La PCE peut afficher jusqu’à 482 couleurs simultanément, la Megadrive 64 seulement. Même en ce qui concerne les animations, la toute petite machine blanche s’en sort comme une reine. C’est fluide, et les backstage sont toujours aussi fourmillant de vie (le cycliste qui fait des aller-retours dans le stage de Chun-Li, les militaires qui encouragent les combattants sur le tarmac de Guile…).
En revanche, les musiques sont de moins bonne qualité que sur les autres consoles 16-bits. Les sonorités sont plus mélodieuses et agréables à l’écoute sur SNES tandis que l’impact du son est plus clinquant sur Megadrive, le processeur sonore de la PC-Engine crache ses tripes et une HuCard, aussi volumineuse soit-elle ne permet pas de stocker des pistes sonores en qualité CD. Mais dans l’ensemble, la prouesse technique de la machine de NEC est vraiment époustouflante, Street Fighter II’ offre une dernière cartouche de taille au format HuCard, incontestablement.
Mais au fait, le jeu est sur HuCard, et il est sorti 12 juin 1993, vous n’y voyez pas une petite coquille ? Si vous avez lu certain de mes articles PC-Engine, ou tout simplement si vous avez eu cette console, ou encore si vous vous tenez un peu au courant, vous devez savoir qu’une extension comportant un lecteur de CD-ROM fut commercialisé pour la console à la fin de l’année 1988, à peine un an après la sortie initiale de la machine. Avec le recul, on peut se dire que cette démarche culottée et innovante était surtout incroyablement prématurée. Elle s’adressait à une frange de la population gamer addict aux nouvelles super technologies et traduisait aussi d’une volonté impérieuse de ne plus se voir contraint par les limites technologiques trop longtemps dictées par Nintendo. Car je rappelle qu’Hudson, avant d’être fabricant de console, était un développeur parmi les plus prolifiques et talentueux sur Famicom. Malheureusement, la console de Nintendo étant trop archaïque quelques années après sa commercialisation, les ingénieurs d’Hudson, frustrés et coincés par un plafond de verre technique infranchissable ont commencé à travailler sur leur propre hardware pour donner naissance à leurs envies et leurs délires.
Ça ne nous explique toujours pas pourquoi Street Fighter II’ est sortie sur une colossale HuCard et non pas sur CD-ROM, d’autant que le premier Street Fighter fut également porté sur PC-Engine en 1988 sous le nom de Fighting Street et … au format CD-ROM ! La raison est pourtant toute simple et Capcom avait bien compris leur erreur de sortir Fighting Street au format CD-ROM. Pour comprendre, il faut résumer ce qu’est un CD-ROM et ce qu’est une HuCard. Un CD-ROM est donc un support de stockage, il peut aussi bien servir aux musiques qu’aux films et aux jeux vidéo. La HuCard quant à elle s’apparente plus à une cartouche de jeu classique telle qu’on peut en voir sur Famicom, Master System, Gameboy et autre. Bien qu’en terme de dimension, une HuCard se rapproche d’une carte téléphonique ou d’une disquette 3,5 pouces, le principe n’est pas le même, la HuCard n’est pas dotée de bande magnétique sur laquelle on stocke les données. La HuCard contient une ROM, ou Read-Only Memory, autrement dit de la mémoire morte, qui n’a qu’un seul et unique but : être lue par la RAM (mémoire vive, celle qui interprète les données, en opposition à mémoire morte donc, qui est passive, qui n’attend que d’être lue) d’une machine, console, ordinateur ou autre. Cette méthode de transfert de donnée d’un support de stockage à une machine est la plus basique qui soit. Sa simplicité de principe fait que le processus est immédiat, rapide, facile. Les informations partent de la ROM dès qu’elle est connectée à la RAM, et le résultat s’affiche sur l’écran, le moniteur ou tout autre interface périphérique visuel. C’est pour cela que les temps de chargement ont tendance à ne pas exister, ou être quasi invisibles lorsqu’on joue à des jeux au format cartouche.
Le CD-ROM n’est qu’un support de stockage, son contenu n’est pas transféré vers la RAM de la console, il est ainsi nécessaire à la machine de se doter de ce qu’on appelle un buffer RAM. Autrement dit, une sorte d’espace virtuel qui émule la fonction de transfert de donnée d’une ROM vers la RAM. On dirait que c’est assez compliqué dit comme ça, mais j’essaye au maximum de simplifier les choses. Cet espace virtuel sera rempli au fur et à mesure que le jeu sera lu des données dont la machine aura besoin pour afficher ce qui est nécessaire à l’écran. Mais cet espace est limité, si bien que ce qui y sera stocké et donc affiché à l’écran sera le strict nécessaire selon les actes du joueur et les demandes qu’il fera à la machine. Si vous jouez à un jeu de plate-forme segmenté en tableau, il y a de forte chance que le buffer RAM ne rende accessible qu’une petite portion du niveau ou du tableau tandis que le reste figurera encore sur le CD-ROM, à attendre bien sagement qu’on ait besoin de lui pour être transféré momentanément dans le buffer RAM puis vers la console. Seulement voilà, Fighting Street est sorti avec un système de lecteur CD-ROM certes révolutionnaire pour l’époque mais qui visiblement ne l’était pas suffisamment pour rendre justice à toute la gourmandise graphique du jeu. La taille gigantesque de mémoire d’un CD-ROM permettait de stocker toutes les données en détail d’un jeu comme Fighting Street sans les compresser et donc sans altérer leur qualité : sprites, séquences d’animation, musiques dans la meilleure qualité sonore possible, etc. Mais le buffer du CD-ROM² de la PC-Engine sorti au même moment faisait 64ko, soit 0.5Mbit.
Si bien que le faible buffer RAM du CD-ROM² n’était pas suffisamment grand pour accueillir comme il se devait le flux de données transférées du support CD-ROM du jeu vers la RAM de la console. Le buffer devait se vider de certaines données au fur et à mesure qu’il en accueillait d’autres. Le buffer étant trop rempli de données qu’il ne parvenait pas à traiter et transférer suffisamment vite, cela occasionnait des ralentissements, des bugs, qui se traduisaient à l’écran par des animations saccadées, entre autres. Si le découpage complet de l’animation d’une attaque d’un personnage de Fighting Street réclame par exemple entre 70 et 100ko de stockage, il est évident que l’intégralité ne pouvait pas passer en une seule fois dans l’espace virtuel du buffer RAM pour être transférer sur la console. Alors le buffer RAM s’y reprenait à de multiples reprises pour faire passer la totalité des données en plusieurs fois s’il le fallait. Et si le délai de traitement et de transfert des données est parfois imperceptible, ce n’est hélas pas toujours le cas, surtout avec les jeux les plus costauds techniquement et qui réclament beaucoup de ressources.
Nous avons là un cas d’école qui nous prouve qu’une bonne maîtrise du hardware et de la technique peut influer sur le gameplay et le game design, car tout est lié. Sur un support type cartouche ou HuCard, il y a fort à parier que ce genre de problème ne serait pas survenu. Il aurait fallu fabriquer une HuCard d’une taille monumentale pour l’époque, car en 1988, celle-ci ne dépassaient pas les 2 ou 3mbits. Mais force est de constater qu’après l’expérience ratée Fighting Street sur CD-ROM², Capcom et Hudson avaient parfaitement assimilé et une HuCard exceptionnellement grande fut fabriquer pour accueillir convenablement Street Fighter II’ qui lui, pour le coup, tourne avec une fluidité exemplaire car l’accès direct de la ROM à la RAM est garanti. Pour vulgariser encore plus, dites-vous que si des données doivent passer par un buffer RAM, c’est comme si vous deviez passer par le centre-ville de Paris pour partir en vacances. Tandis que sur cartouche, les données empruntent l’autoroute pour se rendre de la ROM à la console. J’espère avoir été suffisamment clair avec cette petite métaphore.
En définitive, le CD-ROM² n’avait absolument pas les moyens de servir correctement un bon portage de Street Fighter premier du nom, quand bien même d’énormes efforts d’optimisation furent concédés par Capcom. Mais de cela, nous reparlerons peut-être un autre jour. À l’inverse, les choix techniques et l’optimisation pour Street Fighter II’ sur HuCard sont parfaits et offrent une expérience de jeu très agréable. Y’a pas à dire, même si quelques erreurs peuvent avoir été commises, Hudson et Capcom maîtrisaient leur sujet et savaient quoi faire à l’époque.
Autant le redire, si jamais vous n’avez pas encore compris, Street Fighter II’ est sur PC-Engine un véritable tour de force technique. Il est graphiquement sublime, pour une console qui a déjà cinq ans et demi dans le ventre au moment de la sortie du soft, elle n’a pas à rougir face à la concurrence de la SNES ou de la Megadrive. Le jeu est parfaitement jouable et on retrouve avec grand plaisir tout ce qui fait la quintessence de la licence. Nervosité, précision et richesse du gameplay sont au rendez-vous, surtout avec un pad adéquat. Le fun incomparable de ce jeu mythique est intergénérationnel est encore palpable, il nous brûle les mains dès lors qu’on s’empare de la manette et embrase notre cœur. Un must have absolu, peu importe son support. Il se place immédiatement comme le meilleur jeu du genre sur PC-Engine, même si par la suite plusieurs portages de jeux SNK viendront lui faire concurrence. Street Fighter II, définitivement, écrase tout sur son passage !
Monster Pro Wrestling est typiquement de ces curiosités nippones issues du catalogue de la PC-Engine. Mélange osé de sport de lutte (très populaire au Japon), de stratégie et de RPG (tout est relatif, nous allons voir ça en détail) et présentant un casting digne du dernier kaijū eiga à la mode, il fait parti de ces soft qui ont fait la marque de fabrique de la console la plus japonaise de tous les temps. Monster Pro Wrestling (qui n’a aucun lien de parenté avec la série de jeu de catch Fire Pro Wrestling signée Human) nous plonge dans un monde dystopique en 1999 où l’Humanité se terre dans des abris souterrains tandis que le vil Belzébuth envoi à la surface du monde ses armées de catcheurs démons pour exterminer notre race. Le docteur Yamato ne l’entend pas de cette oreille et décide de créer une troupe de mutants pour répondre aux menaces démoniaques, sur le ring !
Drôle de speech pour un jeu à l’allure complètement barrée mais qui prend son propos très au sérieux en même temps. Nous choisissons alors notre catcheur parmi une ribambelle de mutants bodybuildés et aux teintes de peau aussi étranges que variées : Flyman, Poisonman… ; le docteur Yamato nous sert de coach et entre chaque combat, il s’assure de l’amélioration des capacités de combat de notre mutant. Au départ, trente points sont disponibles à répartir sur diverses caractéristiques chiffrées qui, il faut se l’avouer n’ont pas l’air d’avoir grande influence sur le gameplay au départ. Force, résistance, endurance… On distribue les trente points un peu à l’instinct, selon ce qui nous semble important ou non dans un jeu de lutte, et on voit ce qui se passe. Vient le moment de passer à l’action.
Sur le ring, il n’est pas question de manipulation complexe de manette pour sortir des enchaînements de coup improbables et en rythme, nous ne sommes ici clairement pas dans un jeu de combat traditionnel. On sélectionne un type d’attaque, et un chiffre s’affiche à l’écran et défile de façon rapide et hasardeuse. Nous devons dès lors maintenir le bouton d’action enfoncé afin que le compteur qui défile à toute allure s’arrête et ne tombe sur un chiffre qui déterminera en quelque sorte votre potentiel d’attaque. Ensuite, c’est au tour de l’adversaire d’opérer cela ; et si son chiffre est plus élevé que le vôtre, votre attaque échouera tandis que la sienne vous sera asséné en pleine face !
Oui, dès les premières parties on a franchement l’impression de jouer à pierre-papier-ciseau tant le système parait saugrenu et hors de toute mesure de contrôle de la part du joueur. Il y a bien des types d’attaque plus ou moins efficace selon l’adversaire, et ces derniers disposent même de statistiques parfois très largement différentes des nôtres, elles sont par ailleurs systématiquement affichées à l’écran pour un maximum de transparence. Ainsi, si nous ne parvenons pas à vaincre un ennemi, il reste possible de recommencer une partie en sélectionnant un autre mutant et en redistribuant les points de statistiques autrement afin d’essayer de vaincre le fauteur de trouble selon ses propres forces et faiblesses. Mais le système de jeu reste malheureusement bien trop obscur pour qu’on puisse réellement parler de stratégie véritable. Tout au plus on devine que telle ou telle action peut être plus efficace qu’une autre, mais on a la fâcheuse impression que la chance prend beaucoup trop le pas sur le reste. Le manque de tutoriel au sein du soft n’arrange pas les choses, et pour le peu que le japonais vous soit complètement inconnu, il est certain que Monster Pro Wrestling ne soit qu’un mur de fumée opaque à vos yeux.
Ce qui nous pousserait à persister dans ce système de combat, c’est la séquence qui découle de ce simili shifumi. En effet, une fois qu’on attaque ou qu’on se fait attaquer, nous avons droit à de belles animations où nos mutants s’échangent de sacrés coups. Coup de pied sauté, prise de l’ours, saut de l’ange, facelock (terme technique en lutte qui désigne l’action d’enserrer le cou de son adversaire dans la pliure de notre coude et de serrer pour l’obliger à se soumettre), suplex, et même boule de feu ! Fun, ses animations montrent des sprites de combattants volumineux et bien détaillés servant une mise en scène réellement dynamique et explosive quand bien même tout cela ne se passe pas en direct. En fait, on peut comparer cela aux QTE modernes. On appuie sur un bouton, et la séquence animée - parfois d’une durée de plusieurs secondes - s’écoule devant nos yeux et montre les effets de notre action avant de nous demander de rappuyer sur un bouton pour lancer la suite. Les mutants sont bien designés et ont un certain panache. Il y en a un qui ressemble à une sorte de samouraï bleu sombre, un Shredder dopé au produit radioactif, tandis qu’un autre prend carrément l’apparence d’une espèce de minotaure aux cornes menaçantes. Il y en a un qui s’apparente littéralement à une momie, son visage intégralement recouvert de banderole de tissu blanc, un quatrième ressemble à s’y méprendre à Sasquatch de la série Darkstalkers qui n’apparaîtra pourtant que trois ans plus tard (le personnage étant lui-même inspiré du mythe du yéti). Mention spéciale à un de ces mutants au teint grisâtre, au crâne chauve et avec un motif d’œil sur le front, véritable sosie du docteur Manhattan des Watchmen !
Jeu inhabituel qu’est ce Monster Pro Wrestling, il mérite le détour non pas pour ses qualités ludiques finalement assez pauvres mais pour son statut de curiosité bien japonaise. Figure représentative d’une façon de faire du jeu vidéo japonais qui de tout temps préférait se baser sur un concept, aussi loufoque soit-il, plutôt que sur un idéal de jeu formaté, Monster Pro Wrestling intrigue autant qu’il frustre. Rares sont les joueurs à avoir eu la patiente ou le désir d’aller jusqu’au bout et à vrai dire, c’est une véritable gageure tant la difficulté devient insurmontable à partir du troisième ou quatrième combat. Le système de jeu répondant effectivement un peu trop du hasard, il est difficile dans ces conditions de lutter contre un compteur qui défile de façon incontrôlée et qui ne se soumet à strictement aucun raisonnement logique. Reste que graphiquement et d’un point de vue sonore, Monster Pro Wrestling est un sympathique divertissement qui montre les capacités épatantes de la petites PC-Engine face à une Super Famicom déjà disponible à la sortie du jeu.
Si je vous parle de Tōhō, il y a des chances pour que vous ne sachiez pas immédiatement de quoi il s’agit. Et pourtant, si je vous dis Godzilla, Akira Kurosawa, ou encore Lamu, cela devrait un peu plus vous éclaircir les idées. Tōhō est donc un studio de cinéma japonais fondé en 1932 à Tokyo. En 1989 sort un assez peu connu film de science-fiction nommé Gunhed, on ne va pas s’étendre sur le sujet. Bien que certaines critiques semblent avoir été conquises, n’hésitant pas à comparer le long-métrage à ce qu’aurait pu faire Ridley Scott dans ces belles années avec juste ce qu’il faut d’une vision toute japonaise de la sy-fy en sus. Oué, carrément. Dans les mêmes années, les géants japonais de l’électronique grand public et du jeu vidéo NEC et Hudson sont à la recherche de bons produits pour soutenir l’effort de guerre, car il se trouve qu’ils ont une console à vendre : la PC-Engine. Cette dernière est déjà sur de bons rails, elle prouve jour après jour sa férocité avec un hardware puissant et des jeux très intéressants. L’argumentaire marketing entre 1987 et 1990 argue qu’avec la PC-Engine, l’arcade à la maison est enfin possible. Et des soft comme R-Type l’ont déjà prouvé avec brio. Mais il est temps de définitivement enterrer la concurrence. Hudson s’octroie les droits d’exploitation du film principalement codétenu par Tōhō et Sunrise, un studio d’animation japonaise et appelle à l’aide des développeurs déjà aguerris face à l’exercice des shoot them up : Compile.
Ainsi naquit Gunhed, qui sortira le 7 juillet 1989 et qui deviendra instantanément un des classiques de la machine. Si R-Type, sorti un an auparavant avait bluffé son monde en donnant à la PC-Engine un titre proche au pixel prêt de l’arcade sur une petite HuCard de 2mbit, Gunhed entend aller encore plus loin. Pas de temps à perdre, la Megadrive pointe le bout de son nez, SEGA est lui aussi affamé de succès et NEC/Hudson ripostent par l’annonce de jeux toujours plus beaux et par l’exposition de leur système de CD-ROM à brancher sur la console dès 1988. Chaque production, qu’elle soit sur carte de jeu ou sur disque doit envoyer du bois pour impressionner. Contrairement à la Famicom qui s’adresse à la famille, et aux enfants surtout, la PC-Engine dévore un marché de niche de technophiles avides d’évolutions graphiques et d’hardware surpuissants.
Le scénario du film nous menait dans un futur proche, en 2038 plus exactement. Comme le craignait Sarah Connor dans Terminator, la suprématie des ordinateurs sur la race humaine est devenue une triste réalité. Les humains se défendent désormais à grand renforts de robots de guerre géants tandis que Chiron 5, le système d’intelligence artificielle le plus perfectionné, mais aussi le plus machiavélique, entend bien en finir une bonne fois pour toute. La courte ère de paix, fragile et dérisoire, qui s’était installée est terminée, l’extermination de la race humaine est inévitable. De son île où Chiron 5 fut emprisonné après que les humains aient tentés de la détruire à l’aide de leur flotte de Gunhed, les fameux robots de guerre, elle fomente un plan de vengeance. L’île en question n’est qu’un vaste champ de bataille où les carcasses de Gunhed détruits au combat sont légions, et constituent par ailleurs une sources financières importantes via le marché noir de l’armement. Lorsqu’on groupe d’individus avide d’argent facile s’introduit sur l’île pour piller les épaves, la colère de Chiron 5 se déchaîne…
Le jeu Gunhed ne reprend pas véritablement ce scénario. En vérité, on ne sait trop guère, la mise en scène étant relativement timide et le début du jeu ne nous met aucunement au contact d’une île, ni même de la planète Terre, puisque c’est dans l’espace que nous sommes conviés. En revanche, on devine que la pilote que nous dirigeons dans le jeu (eh oui, il n‘y a pas que Samus Aran dans la vie) est celle qui répond au nom de Nim dans le film, sergent des Texas Air Ranger de son état (alors que le film nous montre plutôt que c’est le rôle masculin principal tenu par Masahiro Takashima qui est le héros). En revanche, le boss final du jeu est là encore une femme et ça colle puisqu’il est précisé que Chiron 5 est une entité de genre féminin, au-delà de son état d’intelligence artificielle. Enfin bref, tout cela, on s’en fout un petit peu, je dois dire.
À peine le premier niveau débuté qu’on est frappé par l’excellence du graphisme. L’introduction façon anime nous claque son superbe pixel art en pleine tronche, tandis que le double scrolling vertical et horizontal, secondé par une avalanche de sprites, ne parvient même pas à faire grogner la console. L’animation reste d’une fluidité exemplaire, tout se déplace très vite, les explosions sont bien dessinées et… quoi ? J’ai entendu un truc, en ramassant le power-up là. Si, si, j’en suis presque sûr. Je me concentre et une minute plus tard, v’là t’y pas que je récolte une seconde pastille colorée et rebelote, une voix digitalisée m’informe qu’une nouvelle arme est disponible dans mon arsenal. Ça, en 1989, et sur une petite console de salon, c’est classe. C’est le genre de chose qui fait qu’on se souviens longtemps d’un jeu. Gunhed est le parangon technique de la PC-Engine, ses sprites sont pléthoriques et colorés, et quand bien même ses décors spatiaux ou le level 5 (un désert) peuvent paraître assez vides, les sprites superbement designés de ses boss (le boss 4 est, je trouve, un avant-goûts de ce que deviendra William Birkin dans Resident Evil 2, pas vous ? )et les effets spéciaux de notre arsenal rattrapent largement ce léger écueil. La technique ira en s’améliorant sans cesse avec les suites officieuses de Gunhed (Superstar Soldier, Final Soldier puis enfin Soldier Blade) et on ne serait lui en tenir rigueur bien longtemps quand on remet correctement le soft de Compile dans son contexte historique.
Heureusement pour lui, si ses graphismes vous paraissent trop vieillots (que foutez-vous là, sur Retro Gamekyo, alors ?), il dispose d’un autre gros atout, son gameplay ! Son système d’armement est original quoique légèrement déroutant au début. Apparaissant à l'écran sous la forme d'icônes allant de I à IV, toutes ces armes ont la faculté de monter en puissance dès lors qu'on en récolte suffisamment. D’autres pastilles, elles affublées de lettres, pouvaient aussi être utilisées pour configurer notre arme selon notre besoin du moment. Un mode offensif avec toute la puissance de feu vers l’avant pouvait donc se substituer à un mode défensif où une bonne partie de nos tirs se voyaient dirigés vers l’arrière ou les flancs de notre vaisseau. À vrai dire, ce n’était pas toujours aisé de jongler entre les différents modes dans le feu de l’action, mais à force d’essai et de répétition, ça permettait d’aborder certaines zones plus délicates que d’autres en se préparant de façon idoine. Cela occasionnait par ailleurs un déluge d’effets spéciaux et une bataille de sprite grandiose. En sus, on disposait de missiles à têtes chercheuses, de smartbomb et de bouclier, de quoi donner à notre Gunhed (puisque c’est comme cela qu’on appelle nos robots/vaisseaux de guerre dans le background du jeu) une franche gueule d’engin de mort volant !
Ça a tout de même son inconvénient et lorsqu’on ne connaît pas sur le bout des doigts les effets qu’engendre une certaine combinaison de power-up récoltée, on peut se retrouver avec un rayon laser qui virevolte sur tout l’écran n’importe comment. On perd fatalement en précision et en efficacité si on ne sait pas comment se positionner pour se servir correctement d’une telle arme, et cela mène à de la frustration. Le système d’armement de Gunhed réclame donc un temps d’adaptation et quelques expériences ingame pour déterminer quel est notre type d’arme favorite. Cela est contrebalancé néanmoins par une difficulté relativement cool et un rythme de jeu un peu déséquilibré. En effet, le niveau 4, organique et relativement calme succède à un niveau 3 où les unités ennemies envahissent l’écran. Les boss sont bien fichus mais pas franchement très difficiles à vaincre, leurs paterns ne sont pas complexes à comprendre et le nombre de boulettes qu’ils nous envoient à la figure est restreint. Mais ce n’est pas forcément un mal puisque Gunhed reste plaisant à jouer malgré tout. Pour une fois qu’un shoot them up - ou tout autre jeu des années 1980 - n’est pas d’une difficulté abominable, on ne va pas s‘en plaindre !
Les développeurs ont même été conciliant avec le joueur en lui offrant des possibilités tout à fait sympathiques. En effet, en pressant select, il est possible de moduler la vitesse de déplacement de notre vaisseau, pratique lorsqu’on bute sur certaines portions de niveau un peu trop épileptiques. De plus, il y a deux façons d’aborder la perte d’une vie. Les experts du shoot opteront pour l’option qui les fait revenir en plein cœur du champ de bataille sans plus aucun bonus ou power-up, leur laissant le challenge de se réarmer au plus vite face aux nuées de vaisseaux et d’aliens ennemis. L’autre option permet aux néophytes de revenir quelques écrans en arrière, dans une section du niveau un peu plus calme afin de prendre le temps de récolter quelques bonus avant de retourner en enfer. C’est une petite attention notable car Compile et Hudson ont eu le bon goût d’offrir le choix aux joueurs, là où énormément d’autres shmup de l’époque ne le faisaient pas et préférés imposer un défi parfois progressif, mais souvent très ardu également.
Shoot them up incontournable de la PC-Engine, Gunhed est un des meilleurs titres du début de vie de la console d’Hudson/NEC. Peut-être un peu conventionnel avec le temps, Gunhed dispose d’une technique haut de gamme, une véritable vitrine pour la PC-Engine, doublé d’un gameplay et d’un système d’armement qui allie efficacité et originalité. L’année 1989 sera riche pour la PC-Engine, avec Ordyne, Bloody Wolf, Doraemon – Meikyû Daisakusen, Nectaris, PC Genjin, Neutopia, ou encore le délicieux Son Son II, mais c’est Gunhed qui sera le véritable fer de lance de la machine. Au-delà du bon jeu, Gunhed est représentatif de tout l’esprit Hudson et PC-Engine, il a carrément servi d’outil de communication et de liant pour bâtir une communauté de fan à travers tout le Japon. Pour vous rendre un peu mieux compte de l’aura de Gunhed, bien qu’il ait pris des rides, je vous suggère de lire le niveau bonus de cet article.