Pour ce premier retro test de l'année 2017 sur Retro Gamekyo, nous allons inaugurer une nouvelle section en abordant une console discrète, peu connue, qui n'a eu que peu de succès, souvent mal aimée, mais qui mérite tout de même qu'on s'y attarde un petit peu : la Lynx d'Atari !
Tout commence par Epyx, célèbre développeur américain (Winter Games, California Games, World Games, Summer Games, bref tout à base de games en fait...), qui crée un pôle de développement console. Celui-ci est constitué en grande partie par les ingénieurs ayant donné naissance aux coprocesseurs de l'Amiga (Portia, Agnès et Daphné). Le temps passe, nous sommes en 1988 et la machine est fin-prête. Elle a pour nom : Portable Color Entertainment System (PCES). Malheureusement, suite à l'effondrement du marché américain de software micro et à quelques développements stratégiques hasardeux la firme a perdu une grande partie de ses assises financières. Entre temps, le projet change de nom et devient la Handy.
En parallèle, Atari cherche à renouer avec le succès à la fin des années 80. Le marché des micro-ordinateurs ne cesse de se faire grignoter par celui des consoles de salon traditionnelles. La concurrence des japonais dans le secteur, Nintendo en tête, est de plus en plus handicapante pour les firmes américaines qui n'arrivent pas à lutter. La faute à un tarif hardware trop élevé et à des licences trop vieillottes, qui ne fédèrent plus comme le feraient les Mario ou les Zelda. De plus, l'arrivé de Windows 3.0 pour les PC sera une raison supplémentaire du déclin des machines d'Atari et Commodore/Amiga. Qu'à cela ne tienne, Atari veut tenter de prendre le wagon en marche et désire s'installer à son tour avec une console, pour épouser les dérives du jeu vidéo à l’orée d'une nouvelle décennie. L'accord est donc conclu, Atari prenant des parts chez Epyx tout en versant des royalties sur chaque machine vendue. Pour l'occasion, la PCES est rebaptisée Lynx. Parce que bon, PCES, c'est pas vendeur du tout. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que le fauve en a dans le ventre.
Commercialisée en octobre 1989, soit six mois après la Gameboy, la Lynx se trouve en petite quantité aux USA et au Japon pour un prix de 190 $. C'est cher. Mais dés le début, Atari ne s'en cache pas et veut clairement concurrencer la brique grise de Nintendo. Son hardware est phénoménal et là où la Gameboy dispose d'un écran pauvre, monochromatique et de composants bon marché (une volonté de son concepteur, Gunpei Yokoi afin de garantir l'accessibilité de la console à toutes les bourses), la Lynx gonfle immédiatement les pectoraux. Son fabuleux coprocesseur graphique, nommé Mickey, carbure à 16 Mhz. Sa palette de 4096 couleurs, dont 16 affichables simultanément, et sa définition de 160*102 avec écran LCD rétro-éclairé rétament littéralement la pauvre Gameboy. De plus, les cartouches Lynx sont costauds, avec des premiers modèles allant de 128ko (contre seulement 32 pour la console de Big N) à 1mo de mémoire, ce qui permet à la console américaine d’accueillir des portages d'Arcade assez intéressants et sans gros compromis graphique.
On passera rapidement sur les filouteries marketing d'Atari qui vendait sa console en bundle avec pas moins de quatre jeux. En réalité, seule la cartouche de California Games était livrée avec la Lynx. California Games qui proposait quatre épreuves sportives différentes en guise de mini-jeu dans le jeu (une version tronquée donc, vu que l'originale sur Commodore 64 proposait six épreuves), Atari camouflera cela en essayant de faire passer les quatre épreuves en jeux à part entière. Atari était coutumier du fait en ayant inscrit sur le packaging de Space Invaders sur Atari 2600/VCS qu'une seule et même cartouche contenait pas moins de 112 jeux, en réalité il s'agissait des 112 stages du jeu de Taito … On suppose que c'est le hardware impressionnant et ce genre de tromperie qui fera de la Lynx un gros succès commercial dés le début, avec prêt d'un million d'exemplaire vendu très vite. Mais le soufflet retombera presque aussi vite que la console vit son succès arriver, Atari peinant à l'alimenter en jeu contrairement à la Gameboy qui engloutissait des tonnes de soft venus des plus gros éditeurs d'époque.
L'été 1987 fut survolé par le premier jeu de SEGA à exploiter une nouvelle version de son célèbre hardware Arcade, le Super Scaler : After Burner. Atari sachant pertinemment qu'une console n'est rien sans jeu (même si ils auront énormément de mal à en développer pour leur Lynx après son lancement), ils chargent le graphiste Arthur Koch et le programmeur Stephen Landrum de développer un jeu en 3D pour être une vitrine technologique. Ce jeu, ce sera Blue Lightning. Très vite, le choix de réaliser un After Burner-like est fait, les salles d'Arcade aux USA étant encore très populaires à cette époque, l'inspiration vient d'elle-même. Koch nous raconte ''After Burner est probablement le jeu qui m'a poussé à conceptualiser un jeu de combat aérien en vue à la troisième personne plutôt qu'en vue subjective. Stephen était plus influencé par des simulations en vue cockpit comme Falcon sur Atari ST et Amiga. Falcon était une vrai simulation hardcore, difficile d'accès, et je voulais quelque chose qui soit plus dans la tradition de l'Arcade tant du point de vue du gameplay que de l'habillage visuel.''
Le jeu se paye le luxe d'avoir une petite histoire, quand bien même cela n'aurait aucune importance dans un jeu de ce type. Le diabolique général Drako, dont on nous ne dit pas la provenance ou la nationalité, sème le chaos et repend la guerre à travers le globe. Vous incarnez un pilote de chasse des Nations Unies membre de la fameuse Lightning Squad. Un peu le Rogue Squadron à la sauce Top Gun quoi. Et c'est bien entendu à vous qu'incombe la tâche de faire foirer les plans de ce fils de renard de général Drako. Oué, bon, fallait pas s'attendre à un roman de Isaac Asimov non plus hein.
Ce qui marque surtout, dans Blue Lightning, c'est indubitablement ses graphismes. After Burner était réputé en Arcade pour sa technique de scaling spectaculaire (zoomer/dézoomer, orienter et faire changer de direction différents sprites du jeu en même temps que celui contrôlé par le joueur) et la Lynx est aussi capable de cela. En découle beaucoup de dynamisme à l'écran, avec des cibles qui n'hésitent pas à changer d'axe pour tenter d'esquiver vos tirs. Le sprite de l'avion qu'on dirige a bénéficié d'un soin tout particulier de la part de Koch qui a bien failli voir son travail partir à la poubelle. En effet, Stephen Landrum et lui ont mis longtemps avant de tomber d'accord pour faire apparaître le chasseur F-16 à l'écran. De base, Blue Lightning devait se jouer avec une vue de cockpit. Mais c'est l'apport de quatre fois plus de couleurs possible en même temps à l'écran que sur les PC d'époque (sauf ceux équipés d'une très coûteuse carte EGA de chez IBM...) qui fera toute la différence. Le travail de Koch ne pouvait pas finir aux oubliettes de la sorte, cela aurait été du gâchis. Un cockpit gris et terne aurait été insultant pour le hardware de la Lynx. Là encore, le foisonnement de couleur dont était capable la console, impressionnante à côté des dérivés de vert de la Gameboy, ont permis de créer des environnements riches. Bien moins monochromes que ceux du portage d'After Burner sur Master System par exemple, ils sont en plus de cela variés : plaine, montagne, au dessus de l'océan ou dans un canyon désertique, on voit du pays. Il y a même des variantes de nuit du plus bel effet !
Arthur Koch nous explique à propos de son ambition graphique sur Blue Lightning : ''Il y a plein d'éléments graphiques, comme des tiles de décors ou des sprites d'arbres, qui ne se répètent pas aussi fluidement que je l'aurais voulu. C'est à cause de la limite de mémoire. On a donc dut limiter l'affichage et faire des concessions. Soit le jeu devenait ultra fluide mais avec des sprites peu détaillés et très nombreux, soit l'inverse. J'avais aussi fait bien plus d'éléments graphiques différents que ce qu'on a put exposer dans le jeu. Notre base de donnée sur Blue Lightning comprenait au moins dix modèles d'arbres différents supplémentaires. Quelques années plus tard, lorsque j'ai travaillé sur Soviet Strike (ND Anakaris : Saturn et Playstation, 1996), je n'avais plus ce problème de limitation de mémoire. J'ai donc put créer librement une grande texture de terrain basée sur des photos aériennes pour un rendu bien plus réaliste. Je suis tout de même fier de ce que j'ai fais sur Blue Lightning, c'est un titre sur lequel je me suis beaucoup investi. Il y a des jeux sur lesquels j'ai travaillé avec plus de facilité notamment grâce aux capacités hardware de plus en plus sophistiquées, mais sur lesquels j'ai pris moins de plaisir, paradoxalement.''
En terme de gameplay, Blue Lightning est convaincant aussi, quoique pas exempt de petits couacs. Tout d'abord, on constate qu'il est l'évolution logique d'After Burner, son modèle. Les concepteurs d'Epyx ont eu le bon goûts de ne pas faire un vulgaire copier/coller et ont ajouté différents types de missions. Outre les classiques dogfight, on a donc droit à du slalom de l'extrême entre les montagnes pour rejoindre un point précis de la map le plus vite possible. Les incontournables phases d'escorte où vous devrez protéger coûte que coûte des transports non armés, séquence particulièrement tendue d'ailleurs. Il vous faudra aussi viser et détruire certaines cibles précises au sol (hangar d'armement, usine, base ennemie...) ou encore éviter de se faire abattre (un véritable mode survival) alors qu'on transporte des documents top-secret très importants.
Mais comme pour honorer la mémoire de son illustre mentor, Blue Lightning reproduit en partie les problèmes de gameplay d'After Burner. La difficulté, principalement en cause, y est mal dosée. Les concepteurs ont été dans l'incapacité la plus complète de proposer un niveau de difficulté cohérent. Les premières missions sont faciles, voir très faciles, mis à part une ou deux à l'objectif bien spécifique qui entrainera une phase de gameplay particulière auquel les joueurs ne sont pas habitués (le rodéo entre les montagnes par exemple). Mais les missions de fin sont punitives au possible. Les unités adverses sont plus agressives et peuvent envoyer une salve beaucoup plus massive de leurs missiles meurtriers. La baffe arrive sans crier gare tant la courbe de difficulté s'amuse à emprunter la fusée direction les étoiles d'une mission à l'autre. C'est frustrant et ça rappelle le fonctionnement typique de beaucoup de jeu d'Arcade de l'époque (comme After Burner, comme c'est étrange...) qui offraient quelques stages simples en début de jeu, histoire d’appâter le chaland. Et qui à partir du second tier ou de la moitié impose des épreuves terribles et des niveaux à la difficulté diabolique, forçant le joueur à introduire des dizaines de deniers dans la fente à pièces de la machine, gloutonne au possible.
C'est le jeu vidéo des années 80 et 90, ma bonne dame !
En définitive, Blue Lightning est un bon jeu. Impressionnant techniquement, il propose un gameplay un peu plus complet que les autres jeux du genre sorti plus tôt, c'est une plus-value non négligeable. Il a tout du jeu honnête, immédiatement fun, simple à prendre en main. L'Arcade dans le creux de la main en somme. Enfin, à peu prêt, étant donné que la Lynx n'est pas à proprement parlé une console portable tant elle est volumineuse (hé, c'était pareil avec la Gameboy et la Game Gear après tout). Le problème, c'est justement qu'il est sorti sur la Lynx, et que cette console est morte-née tellement Atari n'avait aucun plan de développement software pour fournir à sa machine de quoi manger. Et des jeux malchanceux, de bonne qualité, mais qui on été fait sur des consoles foireuses, il y en a eu des tonnes.
À gauche, la jaquette de Taz, la version US du jeu. À droite, la jaquette d'Astérix, la version européenne de ce même jeu!
''Quoi ? Un jeu sur Atari 2600, sortit en 1983 ??! Tu remonte un peu beaucoup loin vers le Futur là Anakaris, non ?''
C'est ce que vous êtes en droit de vous dire en voyant cette review particulière en tout point.
Mais je vous assure que cette dernière a des raisons d'exister. Le postulat de départ se tient en un simple point qui m'a interpeller en découvrant cet état de fait, deux si on pousse la réflexion un peu plus loin : Taz sur Atari 2600 est le tout premier jeu vidéo de l'histoire à porter la licence Looney Tunes. La deuxième chose notable est que pour une 1ere excursion dans le monde des loisirs électroniques, Warner Bros. et Atari n'ont pas choisi le déjà iconique Bugs Bunny à l'époque, mais bel et bien ce dégénéré mais tellement hilarant Diable de Tasmanie.
Mais si on creuse encore un peu plus, on peut constater que ce jeu est lié à un autre et que c'est une particularité tout à fait notable dans la longue histoire du jeu vidéo. En effet, pour des raisons bien obscures (probablement guidées par la facilité et l’appât du gain, déjà à l'époque le monde du jeu vidéo était gangréné par l'argent, et Atari étaient pas les derniers des profiteurs, ça non...), Taz a servi de base à un jeu Astérix, sorti sur la même machine quelques mois plus tard. Dans le but de charmer le marché européen qui ne connaissait guère Taz (la popularité du personnage sur le Vieux Continent explosera réellement avec l'arrivé du dessin animé Taz-Mania en 1992), le sprites de Taz dans le jeu US d'origine fut donc remplacé par celui du petit gaulois bien connu des enfants de notre vert pays !
Changement donc de sprite, d'écran titre, mais pas de principe, il suffit pour faire de Taz US un tout autre jeu en Europe. Et cela, presque personne n'en aura eu vent, à l'époque, ce genre d'information circulant extrêmement mal, merci Internet.
Alors ? Voyez que même avec les jeux les plus insignifiants, les soft les plus vieux du monde, on arrive encore à découvrir des choses et à être surpris !
Bon attention, on a affaire ici à un jeu électronique dans sa plus simple expression, pas une musique pour égayer le tout, juste un écran noir tranché par sept lignes de pixel bleutés qui forment 8 étages. Étages dans lesquels Taz doit déambuler en mode toupie infernale afin d'y gober tout les hamburgers, cornets de glaces et autres victuailles délicieuses et bien grasses qui lui passeront sous la truffe ! Les aliments se déplaçant de gauche à droite et leur rapidité s'élevant au fur et à mesure des points récoltés, il faut en outre penser à esquiver les bâtons de dynamites qui se baladent régulièrement, coincés entre un steak et une chopine de binouze ! À partir des 2000 points acquis (chaque aliment en donnant 50 au minimum), le rythme devient soutenu et la difficulté va crescendo. La dynamite se multiplie et les réflexes sont mis à rude épreuve. Seule ombre au tableau, le fait que le déplacement du Taz soit beaucoup trop sensible avec le joystick de la 2600, ainsi, il n'est pas rare de le voir bondir d'un étage ou deux en trop et de se bouffer par erreur un bâton de dynamite de base simple à éviter... À partir des 10 000 points, la dynamite peut se permettre d'envahir une ligne entière et jongler à travers cette pluie d'explosif devient aussi oppressant qu'encourageant puisque c'est justement par tranche de 10 000 points qu'on gagne une vie supplémentaire. Une difficulté bien calibrée et un système qui intime la volonté de persévérer donc. Mais attention à la ''Crazed Wave'' qui peut intervenir à tout moment, au début ou très longtemps après dans le jeu et où le rythme de défilement des items (ainsi que de la dynamite, bien entendu) se multiplie par deux ou trois ! Pendant un laps de temps, où les bonus rapportent naturellement plus de points, il faudra se concentrer à l'extrême pour s'en sortir.
Dans Astérix, la tornade de Taz est remplacée donc par le petit gaulois et son fameux casque à ailettes, tandis que les burger et autres crèmes glacées sont échangés contre des marmites de potion magique et des sangliers rôtis. La harpe du barde Assurancetourix prenant la place de la dynamite car il est bien connu que la voix de crécelle et les piètres talents de conteur de ce personnage assommeraient n'importe qui.
À noter aussi que le directeur du projet, Steve Woita sera plus tard un des programmeurs sur un certain Sonic the Hedgehog 2 et Kid Chameleon, et qu'aujourd'hui il est programmeur spécialisé en AS3 (ActionScript, le genre de langage de programmation utilisé pour Adobe par exemple) au sein du studio du célèbre John Romero (DOOM, Daikatana) et sa femme Brenda Brathwaite-Romero (Wizardry, Jagged Alliance) : Loot Drop, Inc. Comme quoi, il est pas retombé si mal que ça.
Que dire de ce Taz si ce n'est qu'il est la simplicité même, comme 99% des jeux vidéo parut entre 1977 et 1984, en fait. On aurait même put le croire transfuge du monde de l'arcade tant son concept lié au scoring est sujet à la répétition et le perfectionnement des réflexes du joueur sans aucune autre notion de talent, de choix ou d'évolution de paramètres.
Et parce que mon esprit malade ne peut se résigner à ne pas noter quelque chose (c'est maladif, pour moi, tout doit avoir une valeur chiffrée et concrète, pas forcément dans le but de hiérarchiser les choses, mais pour essayer de voir sur un maximum établi ce que vaut le sujet de la critique), je lui donne une valeur nostalgique en mon âme et conscience tout ce qui a de plus galvaudée, injuste et inexacte pour tout un tas de raisons que je vous laisse deviner par vous-même.