On est plutôt confortablement installé chez SEGA, alors pourquoi ne pas y rester un instant de plus ? Ça tombe bien, car il se trouve qu'on a jamais parlé de la ludothèque Dreamcast, "c'est scandalisant" s'exclame Liquidus. Et je vais éviter de faire la salope comme avec la Nintendo 64 en parlant dès le départ de ses pires daubes. Au contraire, je vais déterrer (encore) un excellent soft made by SEGA eux-même.
Yu Suzuki. Boum. J'en vois déjà deux-trois au fond de la salle tomber dans les pommes. Suffit juste de susurrer ce nom à leur oreille et ça parle chinois pendant trois jours. C'est un peu comme Shigeru Miyamoto, Hideo Kojima et quelques autres. Je vais pas perdre mon temps (et le votre) à vous présenter le bonhomme. Lorsqu'il décide de s'intéresser à la simulation automobile pure, celui à qui on doit déjà Out Run, Space Harrier, Virtua Fighter, Power Drift ou encore Daytona USA s'impose instantanément. À une époque où Ferrari faisait encore très attention à son image de marque, et plus particulièrement à comment étaient utilisés ses bolides dans les médias (films, jeux vidéo...), seul Electronic Arts avait la primeur de pouvoir bénéficier de la licence officielle du cheval cabré. Même les très classieux Gran Turismo de l'ogre Sony n'ont put obtenir la licence tant convoitée, pas plus que celle de Porsche, à l'époque également dans l'escarcelle de l'américain EA. Mais quand il s'agit d'un des papas du jeu vidéo japonais qui réalise un jeu tout entier à la gloire du rouge écarlate de Ferrari, ce n'est plus la même histoire.
Vous l'aurez compris rien qu'à la lecture du titre, il s'agit donc d'un jeu de strip poker avec des tentacules. Ah non, merde, j'me goure de disque là . Non, il s'agit bel et bien d'un jeu de course automobile dont les maitres-mots sont exigence, réalisme et passion. Et exigence.
Mais F355 Challenge : Passione Rossa est particuliers pour un jeu de course automobile, surtout à la fin des années 2000 ou Need for Speed, Gran Turismo et autres Ridge Racer nous on habitués à une pléthore d'engin tous aussi furieux les uns que les autres. Car la 355 de Ferrari est ici le seul et unique modèle proposé. Parti prit exceptionnel, on se croirait revenu dans le Pole Position de Namco en 1982 ! Mais en contrepartie du manque de variété évident dans les véhicules à disposition, la F355 est ici la star absolue. Tout le jeu tourne tellement autour d'elle qu'un soin d'orfèvre et une passion sans commune mesure a été insufflée dans le soft. Yu Suzuki étant un véritable amoureux de ce modèle mythique, son expertise du game design et sa passion immodérée pour la F355 ont donné naissance à un jeu authentique et d'une grande précision.
F355 Challenge : Passione Rossa tranche littéralement avec toute la ludothèque Dreamcast où jeux de course arcade côtoient fun et explosivité. Dans ce jeu, vous allez devoir dompter la bête et apprendre pas à pas aussi bien chaque courbes des circuits que les réglages fins et subtils du monstre de Ferrari. Dans sa version Arcade, le jeu proposait six circuits, ce qui est, croyez-moi, déjà très suffisant quand on se rend compte de la concentration nécessaire et de l'apprentissage que réclame un seul d'entre-eux pour être maitrisé à la perfection. Chacun des circuits proposant des portions techniques très différentes les une des autres faisant d'eux des challenges à part entière de nature variée.
Étaient proposés sur la borne d'Arcade : Motegi (ce circuit fabriqué par Honda est tout jeune puisque datant de 1997, il avait la particularité de contenir deux pistes en une mais seule la plus simple, le Oval Circuit était jouable dans le jeu) ; Suzuka (un autre circuit construit par Honda dans les années 60, présent dans une foule de jeu allant de Pole Position II à Project CARS 2 en passant par Forza Motorsport 4) ; Monza (un des plus vieux circuits de course automobile, bâtit en 1922 en Italie et rendu célèbre par les courses de Formule 1. Après le décès retentissant d'Ayrton Senna en 1994 en Italie, la piste fut retravaillée pour améliorer la sécurité des pilotes automobiles, c'est cette version retravaillée du circuit que propose de jouer F355 Challenge) ; Sugo (un circuit propriété de Yamaha depuis 1975) ; une autre version de Suzuka dite ''Full Configuration'' avec plus de virages et de chicanes ; et enfin Long Beach (circuit créé par la branche américaine de Toyota en Californie, sa naissance vient du souhait du promoteur Chris Pook qui après avoir vu le Grand Prix de Monaco voulu tenter de réitérer ce succès commercial et populaire aux USA).
Les versions Dreamcast et Playstation 2 (le jeu est réédité sur le monolithe noir de SONY deux ans après sa sortie initiale sur Dreamcast, peu après que SEGA ait déclaré abandonner le marché des consoles de jeu) se virent ajouter cinq circuits supplémentaires et non des moindres : Atlanta, Nürburgring, Laguna Seca, Sepang et Fiorano. Ce dernier étant particuliers pour Ferrari puisqu'il s'agit du tracé historique où la marque teste les configurations techniques de ses bolides tant pour les modèles commerciaux que pour les modèles de compétition.
Quitte à ne pas rendre son jeu accessible à tous, Yu Suzuki a opté pour des choix de conception drastiques mais burnés. Ainsi, seule la vue cockpit est jouable pour un maximum d'immersion. Pire encore, un léger décalage est simulé pour que vous ayez réellement l'impression de vous situer à gauche du bolide, à la place du conducteur. Tandis que votre rétroviseur d'intérieur se situera sur votre droite (au centre de l'habitacle donc), ce qui vous demandera certainement un temps d'adaptation avant de prendre vos repères dans l'espace 3D qui entoure le gabarit de votre véhicule. Cela aura une importance capitale pour l'appréhension de certain virage serré où vous devrez vous faufiler par l'intérieur afin de dépasser un concurrent. Cette vue d'intérieur posera problème pour la visibilité de la piste, car contrairement à une vue classique où on aperçoit tout son véhicule et où on se dirige, ici il faudra connaître le circuit sur le bout des doigts pour palier à toute mauvaise surprise. L'angle de chaque virage, la vitesse à adopter, la surface et l'adhérence offerte par l'asphalte quasiment à chaque mètre carré de la piste et tant d'autres paramètres seront à étudier pour espérer grignoter des points dans un mode championnat coriace.
Pour vous familiariser avec l’exigence de conduite requise dans F355 Challenge : Passione Rossa, un mode école de conduite est disponible, semblable au mode permis d'un Gran Turismo. Il vous apprendra le b.a-ba et plusieurs petites ficelles pour adopter le bon comportement selon différentes situations de jeu. Mais le meilleur moyen de se perfectionner reste encore l'entrainement, même si cela ne règle pas tout vos problèmes. En effet, l'IA, bien programmée est un des obstacles qui vous sépare de la victoire. Elle contrôle ses virages, régule correctement sa vitesse, joue parfois des pare-chocs, mais contrairement à l'impérieuse et imperturbable IA de Gran Turismo - rageante tant celle ci est beaucoup trop avantagée par rapport au joueur (elle ne sort jamais de la piste, il faut la défoncer à 220 kilomètres/heures pour espérer la voir patiner un tant soi peu...) - celle de F355 Challenge commet des erreurs. Ainsi, il vous sera possible de la voir parfois foirer sa sortie de virage et s'écraser dans les barrières de sécurité, ou freiner trop violemment ce qui lui fera perdre de l'adhérence jusqu'à exécuter une tête à queue sur le bas-côté. Quatre systèmes d'aide à la conduite vous serons également proposés, issus du fonctionnement de véritables bolides à savoir le Stability Control (Stabilité), Traction Control (Contrôle de traction), Anti Lock Brake System (ABS) et celui qui est le plus dispensable même pour les néophytes, l'Intelligent Brake System (Freinage Auto). Modulez toutes ces options et n'hésitez pas à essayer différentes combinaisons sur une portion de circuit donnée afin de comprendre ce que cela change au comportement de la voiture et quelle aide cela peut vous apporter. De la patience et du travail vous sera de toute façon nécessaire pour jouer correctement à F355 Challenge.
Graphiquement, on est en présence du meilleur de ce qu'il se fait sur 128-bits (le jeu est sorti en Aout 2000 sur Dreamcast au Japon, la Playstation 2 voyait le jour en mars de la même année). Si le véritable mastodonte du domaine tarde à débarquer (Gran Turismo 3 ne sortira qu'en 2001), Ridge Racer V de Namco fait parti du line-up de lancement de la concurrence. Pour bien se rendre compte de la qualité du jeu de Yu Suzuki, on peut s'adonner à une petite comparaison. Et malgré les qualités indéniables de Ridge Racer V, il ne tient pas la comparaison jusqu'au bout. Les reflets sur la carrosserie des bolides sont plus éclatants, les textures sur le sol représentant les différentes surfaces (bitume, gravillon, sable...) sont plus fines et la modélisation un peu plus propre du côté du jeu de SEGA. On peut néanmoins mettre au crédit du jeu de Namco le fait que lui propose plus de véhicules différents et des circuits de nuits. À ce compte là, F355 Chalenge n'est pas tout à fait exempt de qualité à faire valoir. En effet, le fameux ''magic weather'' conçu par l'AM2 et déjà utilisé dans Shenmue est aussi présent. Et ça change tout. Pour ceux qui ne savent pas ce qu'est cet outil graphique et pour faire simple, il s'agit d'un système de gestion en temps réel de l'aspect du ciel. Ceci donne une représentation des nuages très réaliste avec des textures haute qualité et une impression de mouvement de l'arrière-plan. Débuter une course en fin d'après-midi lorsque le soleil couchant donne ces teintes safranées et extraordinairement chatoyantes aux masses cotonneuses du ciel a de quoi émerveiller les yeux !
D'autres effets 3D comme les particules (quand on roule dans le sable) ou la fumée (quand on dérape ou quand on freine brutalement, la gomme chauffe ! ) sont également présents. Mais cela n'entrave en rien la fluidité exemplaire du titre. Le moteur physique quant à lui est de haute volée. L'équipe de développement démontre tout son sérieux et son savoir-faire en proposant au joueur un moteur physique hors norme. Survirage, sous-virage, transfert de poids, patinage, tremblement, ballotement dût à un freinage brusque ou sensation de plaquage consécutif à une accélération forte... tout y est et c'est du jamais vu pour un jeu de 2000.
Yu Suzuki a réellement pensé à tout ce qui était possible de faire avec le hardware qu'il avait à disposition. La borne d'Arcade était composée de pas moins de quatre unités NAOMI, le système d'Arcade phare de SEGA entre 1998 et 2003. La Dreamcast étant basée sur ce même NAOMI, la conversion fut facilitée mais au vu de la performance graphique époustouflante de la version Arcade, le travail minutieux des développeurs qui ont réalisé le portage est tout de même à signaler. La version console ne perd pas grand chose au change et reste impressionnante !
F355 Challenge : Passione Rossa est un jeu exigeant, complexe, il ne se laisse pas apprivoiser par n'importe qui. Il vous faudra persévérer, être patient et précis pour en extraire toute la quintessence, toutes les qualités. Il vous faudra sérieusement élever votre niveau de jeu pour goûter au doux plaisir de la victoire. Car la victoire, dans ce jeu a un goûts unique tant les efforts consentis pour y arriver sont importants. F355 Challenge n'est malgré tout pas un jeu bête et méchant, qui se plait à être difficile pour le plaisir d'humilier le joueur ou pour se donner un genre. Il a une courbe de progression nette et réelle, intelligente et qui encourage le joueur. D'ailleurs, quoi de plus concret et encourageant que de voir votre chrono fondre à mesure que vous réussissez à améliorer votre conduite. Outre les jeux à scoring pur, il n'y a jamais plus enthousiasmant qu'un jeu de course automobile où le joueur prend plaisir et gagne en assurance à force d'exploser les records de chrono de ses concurrents.
F355 Challenge se destine donc aux plus patients, aux plus acharnés, aux grands passionnés de Ferrari ou tout simplement à ceux qui ont du temps pour multiplier les longues séances d'entrainement afin d’exécuter la course ultime. Il est la parfaite deuxième moitié du genre course automobile sur Dreamcast. L'autre moitié étant le représentant roi du genre arcade, plus fun, plus immédiat et plus facile, Metropolis Street Racer.