On ne le répètera jamais assez mais l'arrivé des 32-bits, et plus particulièrement de la Playstation fit pour de bon gagner ses galons de média tout public au jeu vidéo. Aussi, l'apport d'un certain réalisme était permis avec les capacités des machines nouvelle génération. Des jeux voulus ''cool'' destinés aux adolescents vinrent secouer un jeu vidéo qui restait jusqu'à présent relativement sage comme WipEout et Destruction Derby, et la course au réalisme put réellement débuter dés lors que les consoles étaient capables de générer des mondes en 3D. Le jeu vidéo n'était définitivement plus fait pour les enfants, si tant est qu'il le soit, et les gamer, comme l'industrie mais aussi le public extérieur pouvaient s'en rendre compte avec la proposition software des consoles 32-bits. Dans la course au réalisme, de nombreux concepteurs ont utilisé les capacités 3D des machines à des fins diverses. Dans Resident Evil par exemple, la mise en scène, le cadrage et les textures ou lumières sophistiquées avaient pour but de véhiculer une ambiance effrayante. Dans les différents jeux de sports, une modélisation des athlètes de plus en plus fines permettait une identification plus efficace tandis qu'au niveau sonore, l'apport de voix enregistrées (CD oblige) ajoutait une plus-value d'authenticité à l'ambiance. Les jeux de course automobile ont eux aussi largement bénéficié des apports de la 3D. Par opposition au fun instantané et au côté surréaliste des jeux de course des années 80 et 90 (Out Run, Power Drift, Mario Kart …), des jeux qui prenait en compte la physique des bolides, l'influence de la météo et la qualité du terrain sur lequel on roulait virent le jour. Gran Turismo devint rapidement la star de ce genre de jeu exigeant autant pour les joueurs que pour ceux qui le développait. SEGA, grand nom du jeu de course automobile depuis toujours ne s'est pas fait prier pour apporter sa contribution avec SEGA Rally ou F355 Challenge dont on a déjà parler sur Retro Gamekyo. Et V-Rally qui nous intéresse aujourd'hui fut d'ailleurs conçu en parallèle de l’œuvre de Tetsuya Mizuguchi.
Tout commence par le désir d'un homme de revenir aux affaires pour mettre les mains dans le cambouis (quand on parle d'un jeu de voiture, ça tombe plutôt bien) après quelque temps passé en tant que producteur, derrière un bureau. En effet, Stéphane Baudet, après avoir participé aux succès commerciaux et critiques des adaptations de bande dessinés chez Infogrames comme Astérix, Tintin et les Schtroumpfs, avait constaté de son propre aveux tenir un rôle de producteur et de superviseur. Une position qui lui semblait trop passive, trop distante de ce qu'il aimait faire véritablement : designer et imaginer des jeux. Aussi, avec les nouvelles consoles qui arrivent sur le marché, durant l'année 1995, l'homme reçoit quelques propositions intéressantes. Activision, notamment, désire le faire venir aux USA pour travailler avec lui. Mais Infogrames et son patron charismatique, Bruno Bonnel ne l'entend pas de cette oreille et on promet à Baudet de lui laisser le champ libre pour mettre sur pied un projet qui lui tient à cœur, peu importe de quelle manière il s'y prendrait. Stéphane Baudet savait précisément ce dont il avait besoin. De liberté, tout d'abord. De changement ensuite, il voulait marquer une scission nette avec ce qu'il avait déjà fait auparavant. Et enfin, il voulait faire parler sa passion. Si bien qu'il s'orienta vers un projet de jeu de Formule Un, en grand amateur de course automobile. Son équipe avait déjà travaillé sur des prototypes de moteur 3D et Sony avait déjà prospecté de nombreux éditeurs européens pour se munir en software afin de supporter sa Playstation. Tout commençait à bien s'imbriquer.
« Je voulais profiter de ce que Bruno Bonnel me proposait pour faire une véritable rupture avec ce que je faisais avant. Et cela comprenait également le fait que je m'éloigne un peu de la ''grosse boite'' qu'était devenue Infogrames (ND Anakaris : entre 1988 et 1995, le nombre de salariés avait plus que doublé pour atteindre largement la centaine de personnes). Je voulais plus d'indépendance, je voulais donc fonder un studio de plus petite dimension autour de ce projet de jeu de Formule Un mais je n'en avais pas les moyens. Bruno m'a beaucoup aidé en me permettant de devenir plus indépendant tout en restant salarié d'Infogrames. J'ai ainsi put monter une équipe avec les gens avec qui j'avais le plus d'affinité pour fonder Eden Studio, une équipe de développement sous ma direction mais interne à Infogrames. »
VF-1, pour Virtua Formule Un est donc lancé. Le projet est rapidement présenté à Sony Europe qui se montre enthousiaste. Les tractations vont bon train et il semblerait que de belles promesses soient faites à Eden Studio quant à la valorisation publicitaire de son jeu, considéré très vite par Sony comme un des fers de lance de son catalogue Playstation. Seulement voilà, en parallèle, un autre studio, britannique celui-ci, prépare également un jeu de Formule Un. Stéphane Baudet apprend plus ou moins par la force des choses que le dit studio, Bizarre Creation de son nom (Metropolitan Street Racer, Project Gotham Racing...) est en pour-parler avec Sony depuis très certainement plus longtemps que Eden Studio, si bien que leur jeu, Formula One, en est à un stade plus avancé. Il semblerait même que des moyens ai été très sérieusement mis en place afin de supporter le développement du jeu du studio de Liverpool. C'est la douche froide, Stéphane voit cela d'un mauvais œil et Bruno Bonnel trouvait déjà que cela pouvait être un coup délicat à jouer. Tout d'abord car obtenir la licence officielle du championnat de F1 coûtait cher, et c'était un vœux important de la part du chef de projet. Désormais, un solide concurrent se profile à l'horizon, les promesses d'avenir radieux se fragilisent nettement. Qu'à cela ne tienne, VF-1 ne verra pas le jour mais Stéphane et son équipe avait déjà prévu une suite aux opérations, ou au moins un plan de secours. Pour amortir les coûts de recherche et de développement, perfectionner le moteur physique du jeu et proposer une expérience inédite aux joueur après VF-1, il était en effet prévu de produire un autre jeu. Toujours dans le domaine de la course automobile, mais avec une autre discipline un peu moins grand public que la Formule Un : le rallye. Le jeu d'Eden Studio sera donc un jeu de rallye.
Pour autant, le jeu d'Eden Studio reste un projet très pris au sérieux par la direction d'Infogrames et la liberté créative de l'équipe est garantie. L'équipe se permet de faire du repérage, notamment dans plusieurs pays d'Europe afin de récolter des photographies pour modéliser les décors, rendre réaliste des types de routes pour les circuits et transposer l'ambiance d'une campagne traversée par des bolides de rallye, bien différente d'un circuit proprement bitumé. Le dépaysement est assuré car Eden Studio a bien compris que ce qui faisait la force d'un rallye, hormis ses voitures de sport et ses dérapages dans les gravillons visuellement impressionnant, c'est la variété des décors visités. Un championnat de rallye se passe à travers les panoramas du monde entiers. 8 pays sont à découvrir (7 si on considère que la Corse est rattachée à la France), de la savane poussiéreuse du Kenya aux pistes verglacées de la Suède en passant par les gravillons d'Angleterre. Les environnements, fruits des travaux d'un studio annexe spécialisé dans les graphismes du nom de Étrange Libellule sont superbes. Correctement texturés et présentant un panel de couleurs vaste, certains panoramas couplés avec des effets météorologiques bienvenues sont tout bonnement bluffant. Le lens flare (l'effet d'éblouissement lorsqu'une source de lumière est en face de la caméra) ou la pluie qui change d'angle ou de force selon l'accélération et l'orientation de la voiture apporte une immersion sensationnelle à V-Rally.
Tout comme pour le projet avorté VF-1, l'équipe désire acquérir la licence officielle du championnat (qui n'existait pas à l'époque) de rallye. L'accord avec les différents constructeurs automobiles stars de la discipline à l'époque n'a pas été très compliqué à conclure car contrairement à la F1, cela ne coûtait pas très cher. Au contraire, Nissan, Mitsubishi, Škoda, Lancia et compagnie y voyait un très bon moyen d'augmenter leur visibilité auprès d'un public jeune afin d'élargir leur propre potentiel de vente et populariser leur discipline. Grâce à cela, Eden Studio put modéliser pas moins de onze bolides avec un niveau de détail là encore surprenant. Bandes de couleurs, stickers de sponsor, calandres et ailerons aux formes typiques de ce genre de véhicules, la modélisation des voitures est très satisfaisante. C'est un joli coup quand on sait que peu de détails étaient fournis par les constructeurs automobiles eux-même et que, tant sur l'aspect du design que des performances, Eden Studio dut se débrouiller avec des photographies et des articles de magasines spécialisés pour concevoir les voitures de V-Rally.
Le retro gaming est passionnant car il n'est pas rare d'apprendre que l'équipe a eu recours à différentes petites astuces afin d'embellir leur jeu et lutter contre les limitations techniques. C'est ce qui fait le sel de beaucoup de dossier et d'article sur le sujet. Concernant V-Rally, qui ne fait pas exception à la règle, les véhicules ont été réalisés en trois modèles différents. Selon la proximité du bolide avec la caméra dynamique qui l'accompagne, un modèle de voiture fut établi ceci dans le but de soulager le travail de calcul de la Playstation. Plus le véhicule se trouvait éloigné du point de vue du joueur, sur une portion de circuit en ligne droite par exemple, et plus le niveau de détail était moindre afin que la console puisse continuer à générer les incroyables environnements tout en garantissant une frame-rate stable.
Seulement un an et demi sépare V-Rally de la version Saturn du ténor du genre de l'époque, SEGA Rally, et pourtant, la générosité du travail des gens d'Eden Studio renvoi illico le jeu d'AM3 au garage !
En corrélation avec l'aspect visuel du soft qui se voulait réaliste, l'enrobage sonore de V-Rally a été soigné. La volonté de l'équipe partait d'un constat difficilement contestable qui est que le rallye est une discipline faisant bien plus voyager qu'une vulgaire course de Formule Un. Dans le sens où les tracés de courses se situent bien souvent en pleine cambrousse, à travers forêts et plaines, montagnes et vallées, on ne peut nier l'environnement qui entoure les pilotes. Outre les quelques stands aménagés et les bolides aux moteurs bourdonnants, le reste du décors n'est que nature. Étienne Saint-Paul, qui supervise la partie sonore et musicale du soft a réalisé un travail méticuleux afin de reproduire des bruitages qui paraissent anodins mais donnent un surplus d'ambiance bienvenu à V-Rally. Les oisillons qui chantent en Indonésie, c'est lui, l'idée d'avoir recours à Hervé Panizzi (célèbre co-pilote de rallye français) pour faire la voix du co-pilote dans la version française du jeu vient également de Saint-Paul. Ce dernier a sut réutiliser des enregistrements audio de moteur et de mécanismes divers (boite de vitesse, turbo...) capté sur un modèle de F1 de marque Renault en les modifiant afin de retranscrire avec précision les bruits d'une voiture de rallye. Panizzi constitue la garantie d'authenticité du côté sonore du jeu puisque c'est lui qui a en quelque sorte coaché le reste des acteurs engagés pour faire les voix des co-pilotes dans les différentes langues selon les pays où V-Rally serait commercialisé. Tout était affaire de ton, de rythme à respecter, ou de vocabulaire technique à maitriser selon les situations rencontrées par le joueur et Panizzi a joué le jeu à merveille.
Signe que V-Rally était un projet bénéficiant de beaucoup d'attention et de bonne volonté de la part des développeurs, la musique fut également une portion du jeu qui réclama de l'investissement. Surmontant les difficultés, Stéphane Baudet raconte une anecdote intéressante à ce sujet : « Je voulais des morceaux aux sonorités rock pour faire la bande-son du jeu, je trouvais que ça collait plus à l'esprit rallye que les musiques électro dont on avait l'habitude dans d'autres jeux de course. Ça n'a pas été facile de convaincre Infogrames et le budget était très limité. Nous n'avons pas put nous offrir les musiques de groupes reconnus alors j'ai décidé de contacter des touts petits groupes de la région lyonnaise, limite amateurs. Mais très vite, les résultats n'étaient vraiment pas à la hauteur de nos espérances et nous avons été forcé de contacter des groupes plus sérieux, plus professionnels, mais aussi plus chers. » Cette façon de faire et de travailler avec des talents locaux, non seulement dans le but d'alléger la facture mais aussi de favoriser la créativité française fut également reproduite pour V-Rally 2. L'excellente bande-son de metal industriel de ce dernier fut réalisée par le groupe Sin, originaire de la région parisienne.
Corroborant avec les graphismes et le son réaliste du jeu, le gameplay se devait d'offrir aux joueurs autre chose qu'une simple course. Sur console de salon, les jeu de course étaient souvent limités en matière de sensation et grâce à l'arrivé des moteurs 3D, les concepteurs ont put pousser l'expérience à son paroxysme. Finit les savonnettes qui pouvaient réaliser des drifts interminables comme dans un Mario Kart, dans V-Rally, il fallait conjuguer sa conduite avec l'asphalte lisse, les gravillons, la glace et la boue ! De nombreux calculs et essais furent nécessaires pour programmer le comportement des différentes voitures selon la puissance de leur moteur, le réglage de leurs amortisseurs et d'autres options variées. Malheureusement, un écueil viendra ternir le tableau d'Eden Studio. En effet, le moteur 3D, relativement limité (il faut relativiser, nous nous trouvons en 1996-1997 et les consoles de salon découvrent à peine la véritable 3D, tout reste à faire en la matière ou presque ! ) montre vite ses limites. Si bien que les voitures demeurent légères, peut-être un peu trop, ont tendance à patiner trop facilement et à perdre en adhérence de façon incontrôlable à la moindre broquille subit sur la route. Les sauts en haut d'une petite butée deviennent dès lors un peu capricieux et lorsque nous ne connaissons pas certaines portions de circuits par cœur, les dérapages hasardeux sont légions.
La dynamique des véhicules est donc un réel soucis de gameplay qui a fait grand débat au sein du studio à l'époque. Cependant, il convient de tempérer notre jugement. V-Rally reste un jeu de qualité en dépit de ce problème. Il ne s'agit en aucun cas d'un jeu injouable, bien au contraire. On constate juste que le souhait de le rendre réaliste et révolutionnaire est quelque peu réduit à néant par un moteur physique qui, aussi bon soit-il, date de 1997 sur une Playstation pas encore tout à fait maitrisée. Si pour l'époque, la performance de V-Rally pouvait être impressionnante, aujourd'hui, le gameplay est cabossé, un peu comme la carrosserie d'une Subaru Impreza après un rallye de Monte-Carlo.
Avec d'autres titres du début de l'ère 32-bits comme Rayman, Tomb Raider et autres Resident Evil, V-Rally fait parti des soft de qualité disposant d'un caractère propre et octroyant de facto une belle identité à la Playstation. Pourtant relativement discret dans les médias au tout début de son développement, ce n'est qu'un peu plus tard qu'il sera visé notamment par les journalistes français, devenus soudainement bien chauvins. Le processus de développement ne souffrant de quasiment aucun incident notable se verra un brin chamboulé trois à quatre mois avant le bouclage de la production lorsque Infogrames se rendra compte que son V-Rally possède un réel potentiel. Les producteurs auront dès lors à cœur de vouloir finir le développement du jeu afin qu'il entre dans le planning fiscal de l'éditeur avant la fin juin 1997. La pression sera gérée de façon efficace par les développeurs et V-Rally sortira sans soucis. Deux millions de jeux vendus plus tard, c'est un succès retentissant qui fait écho au véritable gain de popularité qu'obtient les jeux vidéo à la fin des années 90.
Si c'est la Playstation qui, dans un premier temps a eu le privilège d’accueillir le soft d'Eden Studio, son succès mènera à des portages. La version Nintendo 64, nommée V-Rally '99 est selon les propres dires de Stéphane Baudet à prendre comme une version intermédiaire entre V-Rally et V-Rally 2. Bénéficiant d'un affinage des modèles 3D grâce aux capacités certaines de la N64 en la matière, c'est un portage de qualité. Dû au manque cruel de concurrence dans le domaine, le jeu s'est très bien vendu sur la machine de Nintendo. Les versions Gameboy et Gameboy Advance seront quant à elle programmées par deux petites mains indépendantes originaires de Dijon et ne sont pas à ignorer tant leur qualité est honorable pour de simple jeu sur console portable !
Me voici de retour (pour vous jouer un mauvais tour, bla bla bla, on connait la chanson) avec cette fois-ci une énigme bien foireuse (comment ça, "comme d'hab" ? ), parce que pour la lettre précédente, j'avais la flemme et franchement aucune idée de ce que je pourrais vous proposer. Et puis je voulais gagner du temps en zappant cette étape pour vous proposer le test d'Unreal sur Amiga au plus vite, car le concours traine en longueur et nous arrivons déjà à la fin de l'année 2018. J'ai déjà prévu l'après abécédaire sur Retro Gamekyo et beaucoup de nouveau test retrogaming sont sur le feu, donc j'aimerais boucler ce concours rapidement
Voici donc le principe du machin, comme vous pouvez le voir ci-dessous, il y a six personnages de jeu de combat. Vous devrez me donner le nom exact de ces six personnages pour trouver le nom du jeu qu'on cherche aujourd'hui. Les initiales de chacun des personnages sera une lettre du jeu en question.
Ceci dit, pour les petits malins qui balanceraient tout au pif comme des gros porcs, j'exigerais qu'un seul personnage par commentaire soit mentionné. Si vous balancez le nom des six personnages en un seul commentaire, c'est pas fairplay, et je supprimerais immédiatement votre réponse en plus de vous infliger un malus de - 2 points. (Oué, parce que au moins comme ça je suis sûr que vous allez jouer le jeu de manière réglo, ça reste un concours, pas une bagarre )
Entre 1989 et la moitié de la décennie suivante, nombreux furent les jeux à s'auto-proclamer (ou pas du tout) le ''Shadow of the Beast-killer'' sur Amiga et sur les autres micro-ordinateurs. Beaucoup ont essayé et assez peu d'entre eux ont réussi à surpasser le titre original. Tandis que le studio Reflections exploita sa nouvelle poule aux œufs pour finir par, au mieux, ne pas réitérer l'exploit du 1er de la trilogie Shadow of the Beast, au pire voir la qualité de la série terminer en chute libre et lasser le public. Aussi, ce ne fut pas véritablement le but de la petite équipe franco-belge d'Ordilogic que de venir défier le roi sur ses terres. C'est en effet volontiers les médias qui ont déclaré Unreal comme le soft qui déboulonnera de son rang de must have dans le genre Shadow of the Beast. Mais qu'en est-il réellement ?
Le scénario d'Unreal est digne des fresques homériques ou des contes intemporels issus de mythologies. Même s'il n'est pas tant que cela exposé au sein du jeu, le déroulé de l'aventure et la succession des niveaux prennent tout leur sens quand on prend la peine de lire la notice du soft, décrivant une formidable légende. Voyez plutôt : le Dormeur, créateur de toute vie dans l'univers se réveille au terme d'un long sommeil, un peu à la manière du dieu Beerus dans Dragon Ball Super, bien que ses fonctions ne soient en aucun cas identiques. Le Dormeur, comme le veut la coutume, une fois éveillé, envoi aux frontières de l'univers connu sont fidèle serviteur Fragor afin qu'il y apporte la vie et une partie de son essence divine. Fragor échoue alors sur la planète Unreal et ne tarde pas à y développer la vie grâce aux pouvoirs des quatre œufs élémentaires représentant le feu, l'eau, la terre et l'air. Pour équilibrer cela, il fait appel à deux gardien censé harmoniser l'influence du Bien et du Mal sur Unreal. Enfin, tout cela, c'est si la procédure s'était déroulé convenablement. Malheureusement, Fragor n'aura jamais le temps d'accomplir son devoir car en arrivant aux abords d'Unreal il est percuté par une comète. Ses immenses pouvoirs se répandent sur Unreal de façon anarchique, les éléments s'organisent mal et mélange leurs propriétés sans aucune logique, créant une vie contre nature sur Unreal. Les deux gardiens quant à eux ne sont pas bienveillants, l'équilibre ne leur importe pas le moins du monde, ils luttent l'un contre l'autre pour la souveraineté d'Unreal, perpétuant ainsi le Chaos. Mais un havre de paix est épargné par le désordre sur Unreal, une vallée où les œufs de la vie se sont déposé afin de créer une race d'être vivant. C'est au sein de ce fragile paradis que naquirent Artaban et Isolde qui vont rencontrer Dracus, un dragon cuivré venant chercher refuge dans la vallée. Se liant d'amitié car Dracus était de nature noble et protecteur, ils eurent une vie paisible jusqu'au jour où Isolde, compagne d'Artaban fut kidnappée par le suppôt d'un des gardiens. Ce dernier lui fit du chantage. En échange de ses fiançailles avec la barbare, il épargnerait la vie dans la vallée et laisserait Artaban et Dracus en paix. Le mariage entre le gardien et Isolde se tiendra donc dans vingt et un jour, ce que Dracus apprit et s'empressa de rapporter à Artaban. Le premier acte de ce dernier eut été de rencontrer un mage autrefois déchu par le Mal afin d'obtenir une épée magique et les connaissances nécessaires pour vaincre les forces magiques du gardien. Puis en chevauchant son fidèle ami Dracus, Artaban parti à l'assaut des contrés du gardien, bravant les quatre éléments aussi dangereux que nécessaires à la vie.
Vous l'aurez compris, le scénario d'Unreal est étonnamment étoffé, et je n'ai même pas eu besoin de faire l'effort de romancer le tout, c'est déjà suffisamment riche dans la notice du jeu. Même si le gros de cette fantastique fresque fait partie du passé, le jeu nous faisant vivre qu'une petite partie de cette immensité chronologique, il est de bon aloi de noter que Jean Luc Wilgaut a prit soin d'élaborer une mythologie, des dieux, des évènements et des pouvoirs régissant tout cela avec passion. Pour un jeu d'action et d'aventure, c'est relativement inédit et d'autant plus en 1990 où le genre Arcade était encore roi. Les canons du jeu vidéo d'époque imposaient un plaisir immédiat et des jeux fun avant d'être immersifs ; si bien que hormis les RPG, très peu de jeux faisaient l'effort de proposer un réel background, qu'il soit documenté dans une notice ou pas.
Ça, c'est si vous aviez eu la patience de lire la notice du jeu au moment de votre achat, chose qu'on faisait certainement lors du retour de magasin, à l'arrière de la voiture. On l'a tous fait . La seconde chose qui frappe lorsque l'ont fait l'acquisition d'Unreal sur Amiga, c'est sa splendeur. Qu'on soit clair, je crois n'avoir jamais employé de terme aussi fort pour décrire les graphismes d'un jeu oldie sur Retro Gamekyo. Unreal est tout bonnement effarant, toujours en considérant qu'il s'agisse d'un jeu de 1990 et à fortiori développé sur un Amiga 500. Hardware déjà dépassé en ce début de décennie par les plus sophistiqué Amiga 3000, commercialisé en juin 90. L'intérêt d'Unreal vient non seulement de son inspiration purement artistique très intéressante mais aussi du tour de force sensationnel que les programmeurs (Yann Robert et Yves Grolet) ainsi que les graphistes (Franck Sauer accompagné de Marc Albinet) ont sut réaliser. Le jeu ne manque pas d'ambition et si au départ il n'était censé être qu'un simple jeu d'aventure en 2D, Marc Albinet avance une idée saugrenue mais terriblement enthousiasmante : « Lorsque j'ai intégré l'équipe après avoir terminé le développement de mon jeu précédent avec Ubisoft : Illyad, la partie 2D d'Unreal était déjà initiée. Le barbare et les thèmes fantastiques étaient directement repris de l'heroic-fantasy que nous apprécions tous à l'époque. C'est alors que j'ai avancé l'idée d'incorporer un niveau en 3D car à cette époque, le jeu Galaxy Force 2 m'avait beaucoup impressionner et comportait des parties où on contrôlait un vaisseau spatial au dessus d'un océan de lave en fusion. Ce concept de phase 3D a fait l'unanimité et nous avons dut séparer l'équipe en deux afin que l'on s'occupe en parallèle de la phase 3D et de la phase 2D. » Ainsi, Marc et Yves eurent la lourde tâche de créer les niveaux façon shoot them up en 3D tandis que Franck et Yann durent s'atteler à la non moins ardue tâche de donner vie aux phases 2D.
Le jeu s'ouvre sur ce genre de séquence 3D à dos de dragon époustouflante. Ce qu'il faut savoir, c'est que le hardware de l'Amiga 500 ne permettait pas réellement ce genre d’esbroufe. La 3D de Doom par exemple ne pouvait pas être gérée en tant que tel sur un Amiga. Ce qui obligea Marc Albinet à dessiner pixel par pixel plusieurs éléments susceptibles d'entrer en interaction avec le joueur et ceci selon différentes proportions pour simuler l'effet de zoom et de mouvement vers l'avant. Si cette technique, dite du sprite scalling existe depuis la nuit des temps dans le jeu vidéo (Pole Position, 1982), c'est surtout les hits de SEGA tels que Space Harrier (1985), Out Run (1987) ou encore Galaxy Force ( 1988 ) qui la popularise. Le fameux Mode 7 de la Super Nintendo est d'ailleurs une adaptation hardware de ce genre de procédé toujours épatant à l'époque. Marc explique : « Je me souviens que j'utilisais Deluxe Paint (ND Anakaris : un célèbre et performant logiciel de dessin créé par Electronic Arts et intégré dans l'OS de l'Amiga), je dessinais à l'échelle le sprite d'un élément. Puis lorsque j'étais satisfait, je reproduisait ce même sprite une vingtaine de fois en déclinant la taille de plus en plus. J'obtenais ainsi une animation de zoom et de dezoom sur le sprite en question. Une fonctionnalité de Deluxe Paint me permettait d’enclencher une animation pour voir en temps réel le résulta final. Ça m'aidait à ajouter une taille de sprite intermédiaire entre deux séquences si jamais l'animation finale paraissait trop saccadée. »
C'est bien joli tout ça, mais est-ce que l'ajout de quelques séquences en 3D, aussi impressionnantes fussent-elles, suffisaient à déclarer Unreal comme le Shadow of the Beast-killer ? Probablement que non, qu'à cela ne tienne, le soft de Reflections s'est fait connaître par son scrolling parallaxe incroyable, alors Unreal fera mieux, bien mieux ! Le ciel de ses phases de shoot 3D est en effet généré en pseudo 3D parallaxe. Jusqu'à cent lignes de scrolling différentiel sont affichées avec pour la plupart une subtile variation de couleur afin de sans cesse donner cette impression de profondeur, de mouvement. C'est non seulement très beau à regarder, cela donne un puissant aspect poétique et fantastique au visuel du jeu, mais c'est également une prouesse purement technique incroyable quand on sait que le maître en la matière (devinez qui...) ne produisait ''que'' treize de ces lignes de scrolling différentiel pour illustrer son arrière plan.
Les connaisseurs du hardware Amiga auront alors tilté, car sur cent lignes de scrolling différentiel, il est normalement impossible de leur donner à chacune une couleur unique. La plupart des jeux utilisaient une palette déjà assez étoffée de 32 couleurs, mais l'Amiga était capable d'en utiliser 64 via un coprocesseur optionnel nommé Copper. Le Copper permettait ainsi d'échanger une couleur à une autre en une micro-seconde sur un pixel précis afin de donner l'illusion qu'un sprite change de couleur alors qu'il est en mouvement. Si théoriquement, cela engrange quelques très légers scintillements, le temps que l'information numérique passe d'un processeur à un autre, en réalité, l’œil humain ne peut presque pas discerner ce scintillement tant il est bref. L'illusion est donc parfaite, on a réellement l'impression de voir un ciel flamboyant de mille couleurs différentes défiler sous nos yeux de façon totalement fluide !
La partie 2D n'est pas en reste, bien que plus classique. Elle est principalement assurée par Franck Sauer, le graphiste déjà compagnon de Marc et des autres sur des titres comme Ironlord sur Commodore 64. Le ciel reprend la technique de dégradé de couleur exposée plus haut, mais les décors naturels sont l’œuvre du natif de Charleroi (Belgique). Les niveaux 2D enchanteurs, à base de forêts denses et verdoyantes, de ruisseaux d'eau limpide, de vastes étendues enneigées et de sombres enceintes de château sont parmi les plus beau que nous ai donné l'Amiga. Sans conteste, le niveau enneigé fait parti des plus beaux décors 2D jamais vu dans un jeu vidéo, du moins dans les années 80 et 90.
Non seulement les sprites sont gros et détaillés, mais l'assemblage de tous ces sprites donnent à la nature dépeinte dans Unreal une apparence très réaliste. Les arbres ne sont pas parfaitement alignés comme sur un quadrillage millimétré (ce qui aurait donné un aspect artificiel), et les monticules d'herbe ou de glace sont difformes, ils ne paraissent pas réguliers et donc à fortiori sonnent très authentiques. Cela ne paraît pas grand chose, mais pour l'époque, c'était un véritable travail d'artiste. Le graphiste devait avoir conscience du level design et de la cohérence du panorama qu'il devait réaliser pour rendre la copie la plus belle et en même temps la plus jouable possible. Pour s'aider, Franck Sauer a évidemment réalisé quelques sketch préliminaires au crayon à papier, un peu comme un storyboard lorsqu'on produit un film ou une séquence de dessin animée. Il pouvait ainsi visionner sur un seul plan toute l'étendue du niveau qu'il devait ensuite modéliser avec des pixels. Mais plus ingénieux encore, il a mis à contribution Yann Robert qui devait prendre la pose sur différentes photographies en milieux naturels, ceci afin de donner une idée à Franck des proportions personnages-décors. La composition (dispositions des arbres, des rochers...) et la colorimétrie de ces photographies furent également une bonne source d'inspiration afin de produire des décors de pixel aussi magnifiques que ceux d'Unreal.
La qualité graphique époustouflante (à force de le répéter, je crois que vous aurez saisi le message) du titre transpire à chaque minutes de jeu. Même entre les niveaux, Franck Sauer s'est adonné à l'illustration d'incroyables saynètes en image fixe toujours en usant de cette formidable palette de 64 couleurs. Mieux encore, l'image de fin, certes fixe là encore vaut bien toutes les séquences animées de fin au monde au vu de sa beauté. Le mode HAM (Hold and Modify) typique de l'Amiga fut utilisé pour cette illustration. Mode graphique qui a fait la renommé de l'Amiga, par exemple dans la numérisation de photographie à l'époque considérée comme photoréaliste, ce mode est capable d'afficher jusqu'à 4096 couleurs différentes. Le plus souvent de façon fixe bien entendu (animer une image avec autant de couleurs est de l'ordre du sisyphéen ! ). Sans conteste, Franck Sauer maitrisait intégralement les possibilités graphiques de l'Amiga.
Face à une telle avalanche de superlatifs, il y a de quoi attraper le vertige. Pourtant, si on chipote un peu (beaucoup), on peut éventuellement énumérer quelques bémols. À commencer par la lourdeur de notre personnage. L'arborescence de couleur et la richesse des décors alourdissent probablement l'affichage ce qui se traduirait par le ralentissement d'animation de déplacement du héros, ça reste compréhensible. Les jeux modernes souffrent toujours de ce genre de problème et c'est un choix perpétuel difficile à assumer pour les graphistes et concepteurs de jeu vidéo. Choisir entre définition graphique pure et fluidité d'animation est lourd de conséquence, notamment pour le gameplay. Ici, les moins patients et les moins réceptifs à la beauté graphique d'Unreal ne retiendront qu'un gameplay un peu trop lourd et un personnage trop peu maniable pour donner du plaisir au joueur. Aussi, certaines animations comme lorsque Artaban donne des coups d'épée semblent timides. Dans d'autres jeux, on aperçoit le personnage s'escrimer à grand renfort de gestes dynamiques et de fauchages horizontaux pour attaquer ses ennemis. Mais dans Unreal, Artaban n'effectue qu'un léger petit piqué vers l'avant, tout juste de quoi embrocher une feuille de salade. Dommage !
Le gameplay justement, parlons-en. Le jeu se divise en deux portions très distinctes. La première, par laquelle on commence invariablement l'aventure est une phase de shoot façon Space Harrier vu de dos où notre guerrier chevauche son dragon. Jamais très difficile, graphiquement incroyable comme on l'a longuement vu quelques paragraphes plus haut, c'est une petite friandise destiné à compléter l'expérience de jeu. Ce genre de séquence a le mérite de lier de façon cohérente les différentes zones à explorer à pied en organisant un véritable voyage où on se voit changer de géographie au fur et à mesure du jeu. La seconde phase est celle d'action/aventure en 2D. Là, le soft devient bien plus conventionnel, surtout en comparaison des tas d'autres produits déjà sorti sur micro-ordinateur. Mais qu'importe, j'ai toujours pensé que l'évolution et l'innovation insérée aux forceps dans un jeu n'était pas forcément une bonne chose. Pour ajouter un peu d'intérêt, les concepteurs se sont dit que donner la possibilité aux joueurs de trancher dans le gras de quelques monstres ne suffirait pas à tenir tous le monde en haleine. Si bien qu'il fut inclut un peu d'énigmes. Comme lorsqu'il nous faut nous servir de notre épée magique pour absorber les pouvoirs de l'eau et ainsi envoyer des bulles sur un mur de flammes autrement infranchissable. À l'inverse, un monstre trop coriace pourra être vaincu avec les dégâts bonus que vous octroieront une épée à la lame incandescente. Guettez les feux de camp et les braseros qui jalonnent votre chemin ! Cela ne paraît pas grand chose aujourd'hui, mais à l'époque, ça offrait des séquences de jeu suffisamment variées pour être satisfaisant. D'autant que les quelques opérations de sauts et de plate-forme étaient pénibles au possible, souvent exigeantes au pixel prêt (heureusement que le travail de graphiste de Franck Sauer était de qualité pour clairement délimiter les plate-formes et le vide mortel...). Le personnage se déplaçant bien trop lourdement pour aborder les sauts avec sérénité rendait la moitié des séquences de jeu à pied un brin délicates.
Au diapason du visuel magnifique, le son d'Unreal sert une ambiance envoutante. Charles Deenen (les Maniacs of Noise, on en reparlera dans VGM), des compositeurs néerlandais célèbres dans les années 80 notamment sur la scène Commodore 64 (Rubicon, RoboCop 3, Stormlord I & II, Savage, Lemmings, Super Monaco GP ...) ont une fois de plus fait parler leur talent pour les mélopées savamment construites. Longues, complexes, disposant de motifs multiples et d'une mélodie parfois hypnotisante, les musiques d'Unreal sont certes moins nombreuses que celle de Shadow of the Beast (qui comporte plus de niveaux) mais figurent tout de même dans le haut du panier de l'Amiga. Malheureusement, et comme c'est coutumier sur Amiga et sur les autres micro-ordinateurs d'époque faute de mémoire, il faudra choisir entre musiques et bruitages car la machine n'es pas capable de générer les deux à la fois. Par chance, les bruitages sont là aussi de grande qualité, variés et distillant une ambiance de nature et de magie sensationnelle. Clapotis de l'eau qui s'écoulent d'une cascade cristalline, vent qui fait bruisser la végétation sous son souffle, feu qui crépite et fait claqueter le bois... tout est disposé pour donner à Unreal une atmosphère forte en envoutement et en magie.
Unreal fait parti de ces jeux incroyablement beaux et maitrisés de bout en bout qu'on croise d'ordinaire sur des supports en fin de vie, même si l'Amiga vivra encore plusieurs années après cela. Lorsque tout a déjà été fait mais que certains génies du développement arrivent tout de même à briser les limites, ça donne Unreal. On pourra lui reprocher, éventuellement, une durée de vie un peu moindre que son concurrent principal (ou en tout cas celui que la presse d'époque lui a imposé) à savoir Shadow of the Beast. On pourra également noter que le contrôle du personnage aurait put se faire un peu plus souple et que les stages en mode shoot them up se font étrangement plus difficiles et bien plus longs que nécessaire. Mais qu'importe, tout cela ne pèse pas bien lourd face à l'excellence du reste. Unreal représente, parmi quelques autres jeux, le meilleur de ce que pouvait faire un support de type micro-ordinateur au début des années 90. Monument du micro-ordinateur représentant une façon de jouer et une identité de jeu typiquement opposée à celle des consoles de salon d'origine japonaise qui commençaient à s'imposer sur la planète entière à ce moment, Unreal est clairement un jeu mémorable.
Par la suite, Ordilogic Systems se fera connaitre sous le nom de Art & Magic et commettra l'un des jeux Amiga les plus connus et emblématiques, à tel point que le personnage du dit jeu servira de mascotte à l'éditeur vedette de ce support (Psygnosis). Ce jeu, c'est ni plus ni moins que le splendide Agony. Mais de tout cela, nous reparlerons une autre fois.
INTERVIEW EXCLUSIVE DU GRAPHISTE FRANCK SAUER
Anakaris: Présentez-vous-en quelques lignes, mis à part les jeux vidéo, quelles sont vos passions ? Franck: Je suis un passionné d'image et de son depuis mon enfance et ma rencontre avec l'ordinateur en 1982 m'a permis de m'exprimer sur ces deux points et d'en comprendre les fondements techniques.
Progressivement mon intérêt s'est porté sur le jeu vidéo car il permettait d'assouvir mes besoins tant artistiques que techniques dans ces deux domaines.
J'ai commencé ma carrière chez Ubisoft en tant qu'artiste, mais avec le temps, j'ai perfectionné ma technique pour devenir ce que l'on appelle aujourd’hui un technical artist. J'ai pu mettre à profit mes compétences dans des projets depuis l'époque des micros 8 et 16 bits jusqu'aux dernières générations de consoles, ce qui m'a permis de connaitre la transition 2D-3D et l'industrialisation de ce qui n'était au départ que de l'artisanat de garage.
Après la sortie de Outcast: Second Contact, de nouveaux projets de production de jeux sont actuellement en cours de préparation. J'ai récemment obtenu un Bachelor en Computer Science à l'Université de Namur et je poursuis en ce moment un Master pour continuer à me perfectionner en programmation.
Il y a 5 ans j'ai co-fondé le hackerspace de Namur, club de passionné d'art et techniques en tout genre. Depuis 2 ans environ je m'y passionne pour l'électronique digitale. Après la réalisation d'une première nano-console, je m'attaque actuellement à la conception d'un hybride micro-ordinateur/console 8 bits que l'on pourrait qualifier de retro-moderne. Enfin, cela fera bientôt 14 ans que j'enseigne à la Haute École Albert Jacquard diverses matières dans la section Jeu Vidéo.
Anakaris: Vous avez dû quitter votre Belgique natale très jeune (19 ans) pour aller en Bretagne développer dans les locaux d'Ubisoft, cela n'a pas été trop dur de vous éloigner de votre famille ? Comment avez-vous vécu, à titre personnel, cette aventure ? Franck: Il y avait une forte tension familiale car mon père souhaitait que je continue mes études et je m’apprêtais à tout abandonner pour partir sans diplôme travailler à l'étranger. J'avais heureusement le soutiens de ma mère, et la tentation de voler de mes propres ailes a été la plus forte. J'étais heureux de quitter le cocon familial et le travail chez Ubisoft me plaisait beaucoup donc j'ai vécu cela comme une aventure positive, même si ce n'était pas facile tous les jours.
À titre d'exemple, je n'avais pas encore le permis de conduire, je devais donc me rendre au travail en stop, tous les jours. Inconcevable aujourd'hui !
Anakaris: À l'époque, Ubisoft loue un château à Carentoir en Bretagne afin d'y héberger les équipes de développeurs. Le but était de favoriser le travail en évitant aux développeurs les distractions extérieures (famille, tourisme) et garantir un confort de vie optimal (restauration, logement), c'est quelque chose de complètement fou et d'impensable aujourd'hui ! Quel est votre avis là-dessus ? Comment était le quotidien de la vie au sein de ce château ? Y avait-il beaucoup d'équipes de développement et d'occupants ? Franck: De mémoire on devait être une grosse vingtaine de développeurs, programmeurs, artistes et musiciens confondus. J'y ai passé l'été 1988 avant que certains développeurs devenus employés soient transférés dans les nouveaux locaux d'Ubisoft à Carentoir.
C'était une expérience surréaliste, et le cadre n'y était pas pour rien. Il faut imaginer ce château de la Gree de Callac et ses dizaines d'hectares de forêts, campagnes, étangs et autres dépendances, et au milieu de tout cela une bande de jeunes (marginaux pour la plupart) qui vivent déjà le plus clair de leur temps dans des univers fantastiques.
Il n'en fallait pas plus pour que les soirées se transforment en longues séances de jeux de rôles jusqu'au bout de la nuit, ce qui ne manquait pas d'impacter la productivité la journée (qui ne commençait jamais avant l'après-midi de toute façon).
Malgré cela, ce fut une expérience très enrichissante créativement et techniquement tant il y avait une émulation entre nous. Certains développeurs avaient un background formel tandis que d'autres étaient autodidactes ou encore venaient de la démo scène.
C'est ce mélange qui a apporté tant à chacun d'entre nous.
Anakaris: À la fin d'Unreal, on découvre le message ''to be continued'', laissant croire qu'il y aurait une suite, pourtant, elle n'arrivera jamais. Nous savons que certains membres de l'équipe voulaient quitter le château Ubisoft pour revenir chez eux. Pour autant, est-ce que Ubisoft vous a proposé de continuer votre collaboration ? Vous ont-ils proposé un nouveau projet ? Franck: Nous avions laisse une porte ouverte pour une suite, mais le départ au service militaire d'un des membres de notre équipe (Yann Robert, programmeur) nous a forcé à développer un concept plus simple à implémenter car Yves Grolet devrait prendre en charge toute la programmation à lui seul.
C'est pour cela que nous nous sommes orienté vers un Shoot'em up, ce qui a donné Agony. Ensuite l'opportunité s'est présentée de travailler avec Psygnosis qui jouissait d'une meilleure réputation qu'Ubisoft à l'époque, raison pour laquelle nous avons signé avec cet éditeur, sinon il est fort probable qu'Ubisoft aurait pris le titre.
Anakaris: Nous savons que pour promouvoir Unreal, vous avez été au European Computer Trade Show à Londres. La presse présentait déjà Unreal comme le ''Shadow of the Beast-killer'', or, Shadow of the Beast était un jeu... britannique ! Est-ce que cela a posé problème avec les journalistes locaux ? Avez-vous eu un bon accueil de la part des professionnels de ce salon alors que Unreal était un concurrent direct de Shadow of the Beast ? Franck: Quand on a 20 ans, on aime bien se comparer aux meilleurs et la modestie n'est pas nécessairement au rendez-vous, mais tout le monde jouait le jeu, c'était comme ça à l'époque, ça ne choquait personne.
Psygnosis et ses développeurs faisaient rêver la petite équipe franco-belge que nous étions. C'est d'ailleurs à l'occasion de ce salon que nous avons discrètement montré un prototype de notre futur jeu Agony et que l'on a pu séduire Steven Riding, alors producteur chez Psygnosis. Unreal était la preuve que nous pouvions mener un projet de développement jusqu'au bout, et notre nouveau prototype était alléchant d'un point de vue technologique.
Anakaris: Unreal s'est vendu à environ 20 000 unités sur Amiga. Était-ce un bon chiffre de vente à l'époque, et selon les conditions de sa sortie ? Cela a-t-il suffit à l'équipe pour pouvoir lancer un nouveau projet de développement sans encombre ? Franck: C'était un chiffre correct sans plus. Les gros hits comme Shadow of the Beast se vendaient a 60-70k. Les avances sur royalties de l'éditeur (Ubisoft) nous ont permis de vivre pendant le développement mais je ne me souviens pas qu'il y ait eu de royalties après la sortie, ou alors c'était très peu.
Ce qui permet de démarrer le jeu suivant c'est de convaincre un éditeur (le même ou un autre), généralement avec une démo, et de signer à nouveau un contrat avec avances sur royalties. C'est malheureusement le cycle infernal auquel sont soumis la plupart des développeurs indépendants. Il n'y a aucune garantie de pérennité tant qu’on n’a pas accumulé un volant de production suffisant, et il est très difficile d'accumuler de l'argent car les avances sur royalties ne permettent généralement pas de dégager de marge.
Anakaris: Pour finir, pouvez-vous me citer des jeux anciens ou récents qui vous ont marqué et expliquer pourquoi ils vous ont marqué ? Franck: Dans mes meilleurs souvenirs il y a notamment Space Invaders le premier jeu vidéo auquel j'ai joué (Arcade d'abord, ensuite sur TI-99/4a), Tales of the Arabian Nights (C64), The Hobbit (C64), Lemmings (Amiga), Another world (Amiga) , Magic Carpet (DOS), Quake (DOS), Mario 64 (Nintendo 64), Wipeout (Playstation), God of War (PS2). Plus récemment la série des Uncharted (PS3-PS4), Cuboid (PS3), Super Stardust (PS3-PS Vita), Resogun... et bien d'autres
Ce qui me marque dans un jeu ça peut être la prouesse technique, la qualité et l'identité visuelle ou bien l'univers et l'histoire, ou encore des mécaniques innovantes. Globalement j'ai tout de même un faible pour les jeux de type arcade, avec un gameplay immédiat car j'ai assez peu de temps à consacrer au jeu. Ceci dit j'attends avec impatience RDR2
Le 1er octobre, outre une légende de la chanson française, c’est un compositeur culte de la scène micros des années 1980 qui nous a quittés, et lui à 52 ans seulement, des suites d’un cancer du poumon. Né à Londres en 1966 mais ayant grandi dans le Nord industriel à Sheffield, Ben Daglish va à la même école que le programmeur et musicien Antony Crowther, avec lequel il formera le duo W.E.M.U.S.I.C. (« We Make Use of Sound In Computers »). Ayant notamment été le compositeur attitré de l’éditeur britannique Gremlin Graphics, on lui doit de nombreux thèmes de jeux ZX Spectrum, Amstrad CPC, Commodore 64, Atari ST et Amiga tels que Trap (1986), Jack the Nipper (1986), Cobra (1986), The Last Ninja (1987, l’original C64 avec Anthony Lees), Deflektor (1987), Switchblade (1989) ou encore Motörhead (1992), mais aussi les musiques de portages sur micro-ordinateurs de jeux d’arcade comme Gauntlet, Pac-Mania ou Rampage. Ces dernières années, il avait participé à divers concerts rétro, notamment ceux du groupe danois Press Play On Tape aux côtés de son confrère Rob Hubbard. Il avait d’ailleurs hâte de jouer le 13 octobre en Norvège alors que l’état de sa maladie s’était stabilisé… On se consolera donc avec plus de quatre heures de musique, couvrant (a priori) l’intégralité de ses compositions sur Commodore 64 :
Écornifleur! Flibustier! Fils de pute bouffeur de bite!
- Capitaine Haddock, 1960 -
Infogrames avait déjà acquis depuis quelques années les droits d'exploitation de certaines bande-dessinées franco-belges pour le jeu vidéo. Mais jamais le succès ne fut tant au rendez-vous qu'avec le trio de cartouches destinées à Astérix sur NES, SNES et Gameboy. Près de trois millions de jeux furent vendus rien que sur le territoire européen, un triomphe retentissant qui donne confiance à Infogrames. Le partenariat avec le petit studio prometteur Bit Managers, d'origine espagnole, est renouvelée pour programmer les versions consoles portables des prochaines productions. Tandis que l'éditeur lyonnais se relance dans l'aventure cette fois-ci avec les Schtroumpfs de Peyo, malheureusement décédé très peu de temps avant la sortie du jeu sur 16-bits. Beaucoup de héros de BD passent à la moulinette d'Infogrames, seul le Marsupilami - initialement parut dans un album de Spirou - esquive la case Infogrames puisque c'est SEGA qui parvient étonnamment à récupérer les droits et en fait sa propre adaptation en exclusivité sur Megadrive. Si chronologiquement, les Schtroumpfs est le jeu qui paraît après Astérix sur Super Nintendo et Megadrive, c'est plutôt à un autre jeu sorti un poil plus tard sur lequel on va s'attarder : Tintin au Tibet.
Entre Astérix et la suite des adaptations des héros de bande-dessinées, il est néanmoins utile de constater certains changements, afin de mieux comprendre ce qu'on pourrait reprocher au jeu qui nous intéresse aujourd'hui. Conceptuellement tout d'abord. Si Astérix dispose dès le départ d'un univers taillé pour faire du jeu vidéo, il n'en est pas forcément de même pour d'autres. Pensez-donc, dans Astérix, on a un personnage bagarreur et malin ; on a des ennemis clairement identifiés (les romains) et qui savent également se défendre ; on a des item célèbres qui apportent des bonus et des effets tout aussi connus (potion magique qui augmente la force, sanglier qui redonne de la santé...) et pour finir, on a des décors variés et des aventures palpitantes pour s'inspirer et construire de nombreux level de jeu vidéo. C'est l'idéal, du véritable pain béni pour tout studio de développement. En revanche, la définition de tout cela est un peu plus compliquée pour certains autres univers de bande dessinées, si bien que cela force les développeurs à broder un tas d'idée autour du matériaux d'origine afin de donner plus de consistance à leur jeu. À partir de là, c'est déjà très ardu, et la moindre erreur de game design peut avoir des répercussions désastreuses sur l'ensemble.
Le problème étant que pour Tintin au Tibet, il n'y a pas réellement d'ennemi. L'histoire est la suivante : suite à un cauchemar prémonitoire, le jeune reporter belge s'en va au Tibet afin de secourir son ami Tchang (rencontré auparavant dans l'album du Lotus Bleu), perdu dans la montagne après un crash aérien. Seulement voilà, si le choix de s'inspirer de l'album Tintin au Tibet est malin pour réaliser un bon jeu d'aventure car on y voit du pays et on mène une enquête intéressante, cela n'est pas si évident pour un pur jeu d'action. Tintin n'affronte pas ici une bande de criminels comme dans Le Secret de la Licorne ou Le Trésor de Rackham le Rouge, ou des indigènes comme dans ses aventures au Congo. Comment faire alors, pour en faire un jeu d'action et de plate-forme correct, qui tienne le joueur (souvent jeune, car c'est le cœur de cible de ce genre de produit) en haleine ? Hé bien la réponse est aussi rebutante qu'incontournable : on meuble.
Voilà tout le problème du game design de Tintin au Tibet. Tintin est un putain de fragile qui se cogne au moindre bidule du décors jusqu'à en mourir. Pourtant, il n'est pas si rare que cela que Tintin ose devenir bagarreur, on l'a déjà vu plusieurs fois dans ses albums jouer des poings et même tirer au pistolet pour se défendre face à ses agresseurs ! Ici, rien de tout cela, Tintin est aussi doux qu'un agneau tombé du berceau et sa pire Némésis devient le décors, fourmillant d'obstacles aussi variés qu'invraisemblables. Les sempiternels gouffres sans fin - que l'ont comprend mortels – et les vapeurs brûlantes de locomotive côtoient des choses plus ridicules comme de simples clochettes accrochées au fronton d'un marchand de légumes, ou les femmes de ménage qui passe l'aspirateur avec tant d'intensité qu'elle nous écrase littéralement les pieds sans pitié. Et Tintin au Tibet est plombé par ce genre d'idiotie afin de compenser le manque de challenge que l'aventure de base, celle de la BD, ne peut fournir au joueur. Des enfants qui vous bousculent, des petits cailloux qui tombent du plafond, des gens qui jettent leurs ordures par la fenêtre d'un train à l'arrêt, des bouts de métal presque invisibles qui pendent de la carcasse d'un avion en ruine … bref, tout, et surtout n'importe quoi peuvent tuer Tintin.
Plusieurs autres détails nous font nous demander si le game design avait été précisément étudié et défini et si le genre de jeu même a bien été compris par les gens d'Infogrames. En effet, l'inaptitude de Tintin à se défendre et le nombre incalculable de pièges et dangers du décors nous indique qu'il ne s'agit pas d'un jeu d'action stricto sensu. De plus, Tintin peut esquiver la plupart des obstacles lorsqu'on appuie sur la flèche directionnelle du bas, ce qui fait passer le personnage au premier plan. C'est malin et bien pensé, ça permet d'ornementer les niveaux de détails supplémentaires et ça sert à Tintin de converser avec des PNJ. Peu à peu, le jeu prend donc des aspects hybrides entre plate-forme et enquête, se revendiquant presque des jeux d'aventure micro-ordinateur et des point'n click. Ceci est renforcé par le fait qu'il faille parfois accomplir de fastidieux aller-retours entre les décors afin de rencontrer divers protagonistes qui feront avancer le cheminement de l'histoire.
Seulement voilà, si on peut accepter le fait que Tintin soit simplement un jeu d'aventure ridiculement difficile à cause d'environnements atrocement vicieux et piégés, pourquoi nous avoir foutu un putain de timer ?!
Un timer, c'est un chronomètre, en gros, hein. Son rôle, surtout dans les jeux d'action pur jus, c'est de faire en sorte que le joueur agisse rapidement afin de le mettre au défi et d'assurer un rythme impressionnant. Le timer d'un Super Mario oblige donc le joueur à bien sauter et à virevolter autour des koopa et des goomba pour s'en tirer. Le timer d'un rail shooter sert à presser le joueur pour le forcer à viser juste et à abattre ses ennemis avec panache. Le timer prend tout son sens quand le personnage du jeu est habile et quand le joueur peut le contrôler aisément ou quand le but du jeu exige qu'il faille aller vite. Or, dans Tintin au Tibet, le timer n'est qu'une écharde plantée dans la main du joueur, un véritable piège à ours accroché à sa cheville meurtrie. Tintin est lent, il est aussi souple qu'un frigidaire et le timer est souvent très serré. Le nombre de piège que comporte le décors nous force à nous méfier du moindre pixel qui paraît suspect, on prend donc notre temps pour repérer autant que possible les dangers de mort. Les va-et-vient pour courir après un maudit PNJ qui ne tient jamais en place nous fait également perdre du temps. Et le timer, impitoyable, nous laisse aucune seconde de répit. Bref, le style de jeu de Tintin n'est clairement pas adapté à la présence d'un timer. C'est une hérésie de game design qui ruine une grosse partie du gameplay. C'est comme si on imposait un timer dans Resident Evil ou Dark Souls !
Si le but de Tintin au Tibet est d'enquêter et d'esquiver les innombrables pièges, pourquoi ne pas en avoir fait un jeu d'aventure véritable, voir même un point'n click comme l'aurait très bien fait LucasArts sur PC ? Pourquoi nous avoir imposé des mécaniques de jeu d'action totalement incompatibles avec le reste du gameplay ? Et pourquoi diable ne pas avoir donné la possibilité à Tintin de frapper ses ennemis (encore aurait-il fallut y en avoir, outre les bandes de garnements armés de leurs meurtriers bilboquets et les perfides femmes de ménage...) ? Même dans les Schtroumpfs et dans Spirou il est possible de ''combattre'', soit en sautant sur la tête des méchants façon Mario, soit en leur tirant dessus au pistolet.
Vous en voulez encore ? Au rayon des maladresses de conception, que dire des sauts millimétrés qu'il faut accomplir sur des plate-formes capricieuses voir parfois tout bonnement invisibles ? Les décors sont certes très beaux, parfaitement dans l'esprit de la BD, mais sont parfois trop abstraites pour être lisibles. Les plate-forme où l'ont peut sauter ne se démarquent pas du reste du décors si bien qu'on passe son temps à sauter sur ce qu'on croit être une corniche pour finir dans le vide fatal. C'est bien beau tout ça, mais il faut garder à l'esprit qu'il s'agisse avant tout d'un jeu vidéo et qu'en tant que tel, il a besoin de règles et d'éléments concrets pour donner un minimum d'indication au joueur afin de le rendre jouable. Sinon, autant regarder un des célèbres dessins animés diffusés jadis sur France 3. Le niveau le plus problématique avec cela est certainement celui de la montagne enneigée. Du blanc sur du blanc, évidemment, c'est pas facile à discerner. Et n'espérez pas voir cet espèce d'asthmatique rouquin de Tintin s'accrocher au bord des plate-formes, faut pas trop lui en demander, on est pas dans Prince of Persia non plus !
Le level design est chaotique au possible sur bien des niveaux. Le niveau de la montagne verdoyante (niveau 5) nous fait sans cesse divaguer de haut en bas, puis de gauche à droite, avant de nous faire remonter le long de pentes abruptes, et nous faire revenir sur nos pas. Il nous faut ramasser des paquets d'herbe bien grasse afin d'attirer les buffles tibétains et une fois que ceci sont occupés à grailler, il nous faut sauter par dessus afin d'emprunter le chemin ainsi libéré. Mais la disposition des corniches n'a aucun sens et si on ne fait pas très attention, on perd vite le fil de la progression et on ne sait plus d'où on vient. Dans ces conditions, et quand on est pas sûr de quelle plate-forme emprunter car on ne sait pas s'il s'agit d'une vrai plate-forme ou d'un élément du décors, cela devient très pénible. C'est là encore, dans ce genre de condition que la présence du timer est plus que superflue et énervant, comme évoqué précédemment.
Même le premier niveau, censé être le plus simple - peu importe le jeu auquel on joue - et qui est censé faire découvrir tranquillement les commandes au joueur est mal fichu. Vers la fin du level, on s'improvise funambule sur des rails de train endommagées suspendues au-dessus d'une rivière au courant déchainé. Si on chute dans un petit trou jusqu'à toucher l'eau, c'est le game over. Pourtant, arrivé à un certain point des rails, Tintin décide de sauter de lui-même dans l'eau afin de secourir son ami Tchang en train de se noyer. Je pose donc la question qu'on s'est certainement tous posé à ce moment là : pourquoi avons-nous un game over quand on tombe et que nous n'en avons pas un dix mètres plus loin ? Parce que les concepteurs en ont décidé ainsi, tout simplement ? Eh ben moi je dis non. Le jeu est suffisamment frustrant et illogique comme ça pour qu'en prime on soient obligés d'endurer les lubies de concepteurs qui n'ont pas tout à fait la tête sur les épaules !
Un autre élément de réflexion nous ai parvenu bien après la sortie du jeu, lorsque Stéphane Baudet, réalisateur, game designer et tête pensante derrière Astérix ou les Schtroumpfs (mais qui n'a pas participé au développement de Tintin au Tibet) nous explique pourquoi le jeu semblait si dur. ''Le jeu fut effectivement jugé très difficile, mais ce sont surtout les adultes et les journalistes qui se sont plaint de la difficulté. Les enfants étaient plus enclins à réitérer plusieurs fois le même passage corsé dans l'espoir de parvenir au niveau suivant.'' On peut en effet imaginer qu'en étant môme, on ne se rendait pas forcément compte qu'un jeu puisse être plus dur qu'un autre car on manquait de mémoire ou de modèle de comparaison. Et oui, j'imagine qu'à l'âge de 5-6 ans, parfois un peu moins ou un peu plus, la difficulté d'un titre nous importait peu. Ce qui comptait, c'était de retrouver nos personnages favoris pour vivre une joyeuse aventure supplémentaire à leurs côtés. ''Le problème vient du fait que les jeux ont été bêta-testés par des hardcore gamer, des gens dont c'était le métier de jouer à des jeux incomplets et buggués ou mal fichus justement pour corriger le tir et aider les développeurs à s'améliorer. Ces gens là avaient donc l'habitude de jouer à des jeux très difficiles et ils parvenaient à finir les jeux en une heure seulement. Nous même nous connaissions nos jeux par cœur, donc nous avions tendance à les rendre plus durs sans s'en rendre compte. L'un des problèmes de nos jeux étaient également qu'il avaient une courte durée de vie, on augmentaient donc la difficulté pour occuper les joueurs plus longtemps devant leur télévision et améliorer le rapport investissement/temps joué.''
En résumé, les concepteurs de chez Infogrames se sont emmêlé les pinceaux et n'ont pas sut sur quel pied danser. Mêlant les genres de jeu avec peu de fortune, il en résulte un soft aussi grotesquement pénible que frustrant. En ce qui concerne Tintin au Tibet, il ne s'agit définitivement pas que d'une question de difficulté mal dosée, mais bien d'erreur de conception et d'un manque de logique qui donne au jeu sa légendaire réputation de jeu intraitable et cruel.
Faisons trêve de cruauté nous-même et voyons le bon côté des choses, car malgré tout, il y en a dans ce Tintin au Tibet. Si le gameplay est miné des problèmes évoqués ci-dessus, on ne peut ignorer le fait que les développeurs ont essayé de varier les aspects de l'aventure. De la plate-forme, de l'exploration, une phase d'ascension maintenu par une corde à son partenaire (le capitaine Haddock), de la nage en évitant les tourbillons et les branches d'arbres qui nous blesse … Ça a le mérite d'être là mais ce n'est pas toujours très réussi. Comme lors de ce niveau où on doit dévaler une longue pente abrupte en étant forcé de passer à gauche des chörtens (sorte de monument funéraire bouddhique plus ou moins semblable aux chapelles chrétiennes, servant également de reliquaire) pour éviter de nous attirer le malheur et la malédiction. C'est un passage clé de la bande-dessiné et les fans prendront certainement plaisir à le retrouver dans le jeu, mais en l'état, c'est très particuliers et compliqué à maitriser. La vue y est plus ou moins isométrique et Tintin peut sauter d'une ligne de déplacement à une autre en devant esquiver les gros rochers et les chörtens qui lui bloquent la route. La difficulté vient du fait qu'il faille anticiper les obstacles car on ne les voit que très peu de temps avant de se les prendre en pleine figure ! L'apprentissage par cœur du parcours est dès lors nécessaire. Si graphiquement, ce segment de jeu est impressionnant grâce à un scrolling efficace et un cadre très large, on aurait préféré tout de même un passage en vue de derrière un peu à l'instar d'un Crash Bandicoot ou d'un Disney's Hercule sur Playstation.
Autre petite trouvaille de gameplay qui tente de donner de la variété au jeu mais qui n'est pas très bien exécutée, ce niveau d'escalade où Tintin est lié par une corde au capitaine Haddock. On contrôle tour à tour les deux personnages qui doivent donc grimper le long d'une paroi tantôt glacée, tantôt rocailleuse. Le piolet qui sert à prendre appuie ne peut être fixé n'importe où, seules quelques portions de surfaces rocheuses peuvent soutenir les deux personnages. Si vous plantez le piolet là où il ne faut pas, le personnage chutera inexorablement, retenu par le second qui sera toujours accroché à la paroi. Seulement voilà, le personnage ayant chuté se balancera de gauche à droite au bout de la corde sans s'arrêter, à moins qu'il ne passe devant une nouvelle surface où s'accrocher. Dès lors il pourra reprendre son ascension en tentant une nouvelle approche. Mais si par malheur il se balance à un niveau de la paroi où il n'existe aucune surface pour s'accrocher, il sera tout bonnement inutile de tenter d'y planter le piolet. Rien n'y fait, il ne pourra plus s'accrocher et le second personnage ne peut continuer à grimper tant que le premier valser tel un balancier de pendule. Seule solution : faire lâcher prise les deux personnages et perdre une vie pour recommencer au checkpoint précédent. Navrant !
Bon, cette fois-ci c'est vrai, je vais arrêter de tabasser ce pauvre Tintin et vous parler des qualités du soft. Tout d'abord graphique, et Infogrames en fera sa marque de fabrique avec ses adaptations de BD franco-belges. Tintin au Tibet est splendide. Voilà, c'est dit. L'univers de Hergé est retranscrit à la perfection, ou en tout cas aussi bien qu'il puisse l'être sur un hardware 16-bits. Si la modélisation des personnages peut paraître simpliste pour certain, c'est surtout très respectueux du trait d'origine de l'auteur. On y retrouve cette façon si chère au maitre de Etterbeek (Belgique) de dessiner ''la ligne claire''. La ligne claire est une technique de dessin, et notamment de mise en couleur qui consiste à éviter les ombrages noires et les hachures pour rendre les cases plus lumineuses et plus colorées. Les aplats de couleurs délimitent à eux seuls les personnages et les parties du décors. Mais si cela donne un effet visuel proche du cel-shading avant l'heure du plus bel effet, ça handicape (encore ! ) le joueur en terme de gameplay. En effet, puisque un petit élément dangereux du décors gris sur fond gris ne se démarquera pas assez et viendra donc coûter de précieux points de vie au joueur. Idem pour les plate-formes qui paraissent tellement bien imbriquées dans l'ensemble du décors qu'on ne sait jamais si elles sont exploitables ou pas. Ce style graphique très proche des BD et rendant le jeu exceptionnellement beau et charmant est donc à double tranchant. Décidément, même dans ses qualités, Tintin trouve le moyen de commettre quelques fautes …
En ce qui concerne le son et la musique, là encore, nous avons droit à du travail de qualité. La musique d'intro opte pour une ambiance très mystérieuse avec un tempo lent et quelques clochettes qui viennent cristalliser le tout, tandis qu'on découvre les empruntes de pas du yeti dans la neige. La musique du premier niveau propose une mélodie assez urgente qui se fait au départ joyeuse et qui invite à la curiosité. Puis une petite boucle qui assombri l'ambiance arrive, comme pour accompagner l'effrayante découverte qui a fait s'arrêter le train dans lequel vous voyagez au beau milieux de nul part. Celle du second niveau qui est probablement l’hôtel le plus malfamé de toute l'histoire dispose pourtant d'une musique très sympathique où on se surprend a dandiner la tête sur son rythme saccadé et ses notes amusantes. La musique du marché nous sert un panel de sonorité qui fait un tantinet plus penser à la culture musicale indou qu'à celle du Tibet mais qu'importe, car celle-ci assure là encore une ambiance idoine. Le niveau d'après, qui prend part dans le même décors cette fois-ci abattu par des pluies torrentielles et menacé par un puissant orage s'offre une musique d'ambiance sombre, oscillant entre caisse de résonances et percussions très rapides pour apporter une notion d'urgence et de danger à l'auditeur. La musique de la haute montagne sais se faire imposante, avec des notes ronflantes semblables à des trombones qui donnent cet aspect de plus en plus mystique au lieux, à mesure qu'on s'approche de la tanière du légendaire yeti, tout en haut de l'Himalaya. Bref, le jeu est globalement comme cela du début à la fin, garni de belles petites mélodies. Certaines restent plus en mémoire que d'autre, dépendant surtout du nombre de fois où vous avez dut recommencer le niveau avant de le franchir. Mais il serait injuste de ne pas reconnaître que les deux compositeurs Fabrice Bouillon-LaForest et Emmanuel Régis ont rendu une copie sonore très satisfaisante, avec des thèmes qui collent parfaitement aux différents niveaux.
Tintin au Tibet est un sacré cas d'école. L'irrationalité de son gameplay et son impitoyable difficulté n'ont d'égal que la popularité qu'il a eu au moins en France lors de sa sortie. Car oui, paradoxalement, il revient dans bon nombre de liste de ''souvenirs'' d'enfance de joueurs français aux côtés de Super Mario World et autres Street Fighter II. Et c'est là qu'il est extrêmement ardu de juger objectivement un tel jeu car quand bien même il est d'une infamie totale avec son game design délirant et son personnage aussi fragile qu'un morceaux de sucre, on ne peut se résoudre à le détester totalement. Tintin au Tibet est typiquement le genre de produit qu'on embelli forcément avec le temps, quand bien même on se souviens avec douleur des game over à répétition qu'il nous a infligés.
Au delà de cela, le jeu est graphiquement impeccable, le style visuel de Hergé, très reconnaissable, n'aurait pas put être mieux rendu. La bande-son est également de bonne qualité et outre son épouvantable difficulté, il dispose d'une bonne durée de vie et d'une variété intéressante de niveaux/décors.
Il aurait probablement eu une chance d'être un must-have complet de toute l'ère 16-bits si seulement certaines errances de conception absolument idiotes n'auraient pas explosé notre plaisir de jeu en plein vol...