[Test évidemment garanti sans spoiler]
Qu’est-ce que
Death Stranding, déjà ? Une question qui a trotté dans la tête des intéressés pendant une bonne partie de la communication, Hideo Kojima ayant plus que jamais l’art et la manière d’attiser autant la curiosité que l’impatience, mais aussi le flou autour d’un projet pas comme les autres. 2015 fut une année marquante dans l’histoire du jeu vidéo japonais, celle où l’on a en l’espace de quelques semaines appris l’annulation malheureuse de
Silent Hills, l’embrouille grimpante entre le producteur et le PDG de
Konami, sans se rendre compte sur le coup que tout n’était que prémices à un divorce au préalable surprenant, mais quelque part attendu. Entre une firme qui plaçait l’essentiel de ses billes sur la rentabilité facile (le marché du mobile donc) et Hideo Kojima qui souhaitait toujours plus d’ambition dans ses projets à longueur, jusqu’à s’offrir un tout nouveau moteur, la mésentente ne pouvait être que palpable et tant pis si les enfants sont les premiers à payer le prix d’une séparation.
Metal Gear est resté chez
Konami, sans droit de visite, et Kojima est parti se reconstruire une famille.
Et c’est là que se trouve peut-être la première surprise autour de
Death Stranding. Bien entendu, on peut penser que ce titre a commencé à prendre forme dans l’esprit de son créateur bien avant le début de la reconstruction fin 2015. Bien entendu, on sait que le nouveau «
Kojima Productions » a bien été aidé pour reprendre le train en marche, particulièrement par
Sony et
Guerilla qui a apporté son moteur frais et un soutien logistique. Mais tout de même. Comment ne pas être surpris que l’homme qui a accumulé des retards dans tous ses
Metal Gear au long de sa carrière a pu pondre une licence neuve et suffisamment ambitieuse moins de quatre ans après la création de son nouveau studio ? Une meilleure gestion de chantier et des effectifs ? L’envie de ne pas énerver son nouveau mécène ? Entre autres… Mais pas que.
Bon on va de suite entrer dans le vif du sujet et répondre à la grande interrogation de chacun concernant le gameplay ou plus exactement le système de progression. Histoire de bien comprendre où vous mettez le pied. Une base vous propose de ramener un colis à x endroit, vous prenez le colis, allez à l’endroit prévu, ce qui va créer un lien avec le réseau si c’est la première fois que vous rencontrez le représentant sur place. Si la base atteinte est secondaire, la personne ne vous proposera que des commandes annexes. Si elle est d’importance, elle vous offrira à coup sûr une commande qui déverrouillera l’accès à une autre base. Et ainsi de suite pour progresser de plus en plus loin sur la carte (vers l’ouest). Et entre les bases, trois types d’obstacle : la topographique des lieux, des mecs chiants qui veulent vous piquer vos colis, et des créatures qui veulent vous happer dans la poix. Voilà, en quelques lignes, je viens de vous expliquer ce qu’était
Death Stranding en terme de « jeu », ou du moins les bases.
Alors j’en vois balancer « Attends ? Tout ça pour ça ? ». Oui, d’une certaine façon. Mais on ne peut en vouloir à Kojima d’avoir entretenu tout le mystère sur le concept et ce pour deux raisons. La première, c’est une question de marketing. Aller dans un salon et dire que ton nouveau projet repose sur l’apologie du Fedex, c’est quand même assez compliqué, pour n’importe quel développeur, et peut-être plus encore pour l’homme derrière MGS. Pourtant, comment ne pas dire qu’il y a une certaine forme d’audace derrière tout cela ? Cela fait maintenant des années que le principe du Fedex est considéré comme un des défauts majeurs du jeu en monde ouvert, au point que chacun essaye de changer la tendance ou au moins la maquiller, surtout depuis que
The Witcher 3 est venu poser quelques leçons à ce sujet, et voilà qu’un des plus grands créateurs japonais débarque avec un jeu qui ne va pas seulement appliquer ce système, mais carrément tout faire tourner autour de lui. Osons le dire : c’est couillu.
La deuxième raison, et c’est peut-être techniquement tout autant valable pour la communication, c’est que
Death Stranding est une expérience qui doit se vivre en profondeur pour être apprécié, et qu’il était difficile de décrire le ressenti sur une simple démo en plein milieu d’un salon. Le concept semble odieusement banal dites-vous. Et pourtant, il est capable de vous retenir plusieurs dizaines d’heures. Le secret va donc venir non pas du fond mais de la forme, et l’on peut parler de plusieurs aspects, ceux qui vont véritablement constituer l’expérience du jeu. Le premier notamment, c’est que même si les bases décrites vont globalement rester les mêmes, c’est la manière de les gérer qui va évoluer sur la longueur.
Bien entendu, il y a la simple découverte préalable, le face à face avec les premières menaces, et tout simplement comme on l’a dit la topographique. Dans
Death Stranding, un simple petit fleuve ne s’arpente pas de la même manière que dans les autres jeux, de même qu’une pente. Plus vous portez de matos, plus il est difficile de vous déplacer et il faut à la fois gérer l’essoufflement, réclamant quelques petites pauses (ou de boire du Monsters #petitepub), voir en cas de véritable fatigue penser à vous reposer. Mais il y a aussi votre équipement. Les bottes s’usent, chaque équipement standard pour vous aider à vous déplacer (dont les fondamentaux échelle et corde) pèsent du poids sur votre épaule en plus que ce que vous devez livrer. Et vous pouvez ajouter à cela que non seulement une chute abîme le matériel, mais la pluie (constamment acide dans ce jeu) également. Donc sur les longues distances, vous pouvez prévoir des sprays spéciaux pour rétablir au moins les contenants, mais c’est encore du poids ajouté. Bref, à un moment, vous avez la sensation que le jeu a véritablement envie de vous pourrir la vie. Mais ça, c’est au début.
Car la grande force de
Death Stranding vient de sa capacité à se renouveler à de nombreuses reprises. En fait, au moment où l’on voit arriver une pointe d’ennui, c’est là que nous est offert une potentielle facilité, comme un nouveau type d’équipement, du genre le fameux « gun lasso » pour emprisonner les voleurs de colis. Une fois ce truc entre nos mais, on n’appréhende plus un camp ennemi de la même façon. Donc on continue de progresser, potentiel ennui qui revient, et hop, voilà encore autre chose entre nos mains. Un exosquelette pour se déplacer plus vite ou porter davantage ? La possibilité de construire un pont ? Un abri de fortune qui répare automatiquement nos contenants en passant dessous ? Un véhicule ? Oui, car plus encore que la fameuse moto déjà vu dans les trailers, le simple fait de voler un camion ennemi procure une incroyable joie, où l’on appuie sur le champignon pour débarquer à la première base du coin, hurlant au représentant « Donne tout ce que t’as ! » afin de charger le cametare au maximum. On est heureux, du moins jusqu’à ce qu’on fasse preuve d’un peu trop d’optimisme et qu’on se retrouve en rade sans possibilité de recharger le véhicule, au milieu de nulle part avec 2000 kilos de matos. Là normalement, on pleure un peu.

Et tout cela n’est qu’une partie des choses à débloquer. Car en plus des choses offertes obligatoirement au fur et à mesure de l’avancée, il y a également tout ce qui tient du bonus mais qui est le nerf des livraisons facultatives. Comme on a dit plus haut, chaque base a ses livraisons que l’on pourrait qualifier de « principales » (donc les choses qui ont généralement de l’importance sur l’histoire et la progression), et les secondaires, cela incluant ce qu’on trouve parfois par terre sur le chemin. Accomplir les tâches principales d’une base vous offrira au moins deux étoiles sur cinq (c’est le rang global), le reste demandant donc des services annexes pour gratter des « likes » (oui, c’est comme ça que se nomme l’expérience, même si c’est justifié) et obtenir de nouvelles choses à chaque palier, donc généralement des versions améliorées de l’équipement disponible (et c’est hautement utile), des skins bien plus accessoires, mais aussi le droit de se reposer dans la dite base. Chose assez importante durant un temps avant que vous puissiez vous même construire vos propres abris.
Tout le concept va tourner autour de cette évolution et ce qui paraissait difficile au départ va se transformer parfois en promenade de santé. C’est notamment le cas lorsque vous pourrez vous attarder à la construction de route, puis plus tard les tyroliennes qui semblent au départ assez osef mais qui vont en fait totalement vous changer la vie quand vous saurez les utiliser. Mais au milieu de tout cela va intervenir la « deuxième notion » qui fait de
Death Stranding ce qu’il est : le online. Car d’ailleurs autant le dire de suite pour briser un tabou : même s’il s’agit d’une expérience purement solo dans le sens premier du terme, vous allez perdre énormément d’intérêt (et je pèse mes mots) à y jouer off-line, en plus d’augmenter artificiellement la difficulté.
Death Stranding est totalement conçu pour être une expérience ultra-connectée, c’était le souhait de Kojima, et on va vous expliquer pourquoi.
Vous connaissez le principe de
Dark Souls et quelques associés avec les messages laissés par un joueur et visibles par d’autres ? Eh bien là c’est le même concept, mais puissance 1000. Car on a les panneaux rigolos mais pas que. Dans
Death Stranding, vous êtes constamment connectés à d’autres joueurs, et chacune des choses qu’ils vont faire peut être visibles dans votre monde. Untel a posé une échelle à x endroit ou construit un abri ? Il peut être susceptible d’apparaître dans votre monde et à jamais (notez que vous pouvez en supprimer certains si vous le souhaitez). Un colis non livré par un autre ? Vous pourrez le trouver au sol s’il a laissé à cet endroit, ou dans un « casier », autant ceux de chaque base et que ceux que l’on peut créer sur le chemin, et terminer ensuite la mission vous-même. Casier qui peuvent même proposer armes, équipement et véhicules laissés par la communauté. Et bien entendu, l’inverse est valable lorsque vous disposerez de l’équipement à droite à gauche le long de l’aventure. Pour chaque chose à l’écran, il sera disponible de poser un like pour le concerné, voire même plusieurs (vous pouvez en placer autant que souhaité pendant quelques secondes). Et à quoi ça sert ? A rien du tout, et c’est en fait ça qui est génial.
On sent que c’est voulu par Hideo Kojima qui a une certaine habitude à briser le quatrième mur : comme dans notre monde, les likes et la reconnaissance globale sont omniprésents sur les réseaux sociaux, alors que l’utilité de votre compteur de pouces bleus est très relatif. Dans Death Stranding, c’est pareil. Multiplier les likes reçus (quasiment 600.000 au moment où j’ai éteint la dernière fois le jeu) n’a aucune utilité en soi hormis… la simple sensation d’avoir rendu service. Et l’expérience fonctionne parfaitement bien sur ce point. Débarquer de loin chargé de matos sur les épaules et voir une échelle laissée par un joueur pour éviter de faire un dangereux et énorme détour, ça donne envie de bourriner le bouton de likes comme si vous étiez dans un Mario Party. Et inversement, créé un petit pont de fortune (avec une pauvre échelle) pour traverser plus rapidement un fleuve, c’est utile pour vous. Mais revenir le lendemain dans la partie et voir que votre petite construction a reçu un paquet de likes, c’est savoir que vous avez rendu service à des gens que vous ne verrez pourtant jamais. Et… il faut avouer qu’il y a quelque chose de satisfaisant qui ressort de tout cela.

Et tout cela s’articule parfaitement avec le thème du jeu et le scénario. Vous êtes seul sans l’être vraiment, et vos actes permettent de créer des liens avec la communauté, encore plus quand vous répondez à des demandes directement faites par d’autres joueurs, où l’on sent qu’untel s’est déconnecté de sa partie car coincé dans sa progression à un recoin de la carte, attendant une livraison d’armes ou de matériel pour lui faciliter les choses lorsqu’il reprendra. Bonheur également de voir à la reprise de partie que le nombre de matériaux requis pour construire un morceau de route à tel endroit est soudainement moindre car quelqu’un avec qui vous êtes liés (vous pouvez le faire avec quelques dizaines de personnes) a bien bosser dans son monde, et ça a une répercussion dans le votre. On n’a jamais autant eu l’impression d’être aidé alors qu’on est seul au monde, et c’est sur cela que
Death Stranding va réussir son pari d’être une expérience différente de ce que l’on a vu jusqu’à présent.
Mais est-ce que ça va plaire à la masse ? Nop. Aux fans ? Pas forcément, ou en tout cas pas à tous. Car déjà on va balayer le principe du « J’attends le jeu car je suis fan de Kojima » car 95 % de ceux qui affirment cela n’ont jamais touché à
Snatcher et
Policenauts, en rappelant également qu’il n’était que producteur sur
Boktai et
Zone of the Enders. Donc pour la plupart, vous n’êtes pas réellement fans de Kojima mais de
MGS. Et
Death Stranding n’est pas
MGS. On en retrouve certains aspects, particulièrement dans la narration sur laquelle on va revenir plus bas, on a certes ce coté gameplay émergent de
The Phantom Pain vu les nombreux gadgets, mais c’est limite si ça s’arrête là. L’infiltration ? Réduite à sa plus simple expression : vous ne pouvez pas vous plaquer contre un mur, faire du bruit, siffler, porter des corps… Vous pouvez vous cacher, vous pouvez tenter d’assommer dans le dos (inutile une fois l’arme lasso) et vous aurez bien quelques gadgets pour détourner l’attention mais on sent que tout cela est secondaire au regard du cœur du jeu. Et pour ceux qui se posent encore la question : oui, les armes à feu sont majoritairement prohibées (contre les humains), ce qui peut-être frustrant mais parfaitement justifié dans le scénario, il faut le reconnaître.

Après, que Kojima souhaite s’adresser à une catégorie précise de joueurs, ceux qui veulent de l’originalité et une expérience différente, personne ne lui en voudra. Ce n’est pas parce que c’est un AAA qu’il faut impérativement toucher 10 millions d’intéressés. Mais pour autant, même lorsqu’on apprécie l’aventure, et ce fut mon cas, ce qui ressemblait à un édifice pendant plus de 30 heures a fini par prendre des allures de château de cartes. On le sentait face à quelques pointes de lassitude, qu’on répète sont constamment contrées par de nouveaux éléments de gameplay… sauf qu’à un moment, il n’y a plus de nouveaux éléments à fournir. En fait, une fois obtenu ce fameux système de tyrolienne qui permet en quelque sorte de concevoir des routes n’importe où sans passer par du bitume, on a atteint l’étape finale en terme de possibilités. Le reste n’est plus que du bonus et de l’amélioration et la motivation en prend un coup pour poursuivre les livraisons annexes, la faute à un manque de renouvellement des situations elles-même.
Donc à voir si certains souhaiteront relancer en post-game (via une astuce scénaristique) pour continuer leurs livraisons et pourquoi pas trouver des bases cachées (il y en a) et débloquer les fichiers restants du codex. Mais au moins, pour ce qui est de l’aventure principale, il y a évidemment le lien qui nous maintiendra jusqu’au bout : le scénario. Et là encore, si Kojima s’est montré très évasif pendant des mois, le synopsis se montre pourtant très simple à décrire. Nous sommes donc dans un futur très proche, quelques temps après que notre planète ait été frappé par un événement d’une ampleur aussi importante qu’inconnue dans son origine, détruisant en miettes aussi bien le numérique (le réseau, l’internet, tout ça…) que le physique : le simple fait de mourir peut enclencher l’équivalent d’une bombe ravageant tout aux alentours. Et il y en a eu des morts… laissant un monde en ruine et l’espèce humaine sur le point de disparaître.

Et quand un peuple s’est habitué aux miracles de la technologie pour se construire une vie davantage dans le numérique que le réel, au point de ne plus avoir besoin de sortir de chez soi pour se faire livrer tout et n’importe quoi, revenir au point de départ est difficile, et c’est là qu’interviennent les « Uber » d’une nouvelle ère, des sortes d’entreprise conçus pour rendre service aux gens tous séparés les uns des autres, donc seul boulot qui a encore de l’intérêt désormais. Et dans le « lot » (seulement deux entreprises sont finalement évoquées ici), il y a Bridge, celle qui appartient au gouvernement américain et dont la dernière Présidente en date va, à défaut de savoir comment contrer la fatalité, donner deux missions à l’un des plus grands spécialistes de la livraison (donc Sam, joué par Norman Reedus) : rallier pas à pas les USA de la cote est à la cote ouest pour pousser chaque communauté à valider le nouveau réseau afin de reconnecter tout le monde, mais aussi en profiter pour sauver Amélie, fille de cette même présidente, enlevée par un groupuscule terroriste pour des raisons que l’on ignore encore.
Et s’il faut reconnaître un truc, c’est que le casting démonte. Et encore heureux vu le ballet des stars. Car plus encore que la satisfaction de voir tel ou tel, chacun a le mérite d’avoir un truc à raconter et ça fait un bien fou dans cette époque où trop de jeux tournent encore aux PNJ randoms de voir un vrai travail de fond. Chacun est une réussite et le plupart de leur passif saura marquer le joueur, que ce soit Fragile (Léa Seydoux), Die-Hardman (Tommy Earl Jenkins), Mama (Margaret Qualley), Higgs (Troy Baker), avec une évidente mention pour Cliff (Madds Mikkelsen) même s’il met du temps à vraiment apparaître, Heartman (Nicolas Winding Refn) qui possède probablement les cinématiques qui sont le plus dans « l’humour Kojima », et enfin Deadman (Guillermo Del Toro) qu’on n’aurait d’ailleurs pas pensé être aussi présent dans le scénario. Et puis il y a notre Sam, qui aura besoin de nombreuses heures avant de pleinement s’affirmer, justifié encore une fois par le scénario, et peut-être aussi parce que Kojima a trop vu
The Walking Dead tant on sent que la psychologie et le ton sont calqués sur un certain Daryl Dixon.

« Alors, digne de MGS ? » Eh bien… difficile à dire. Sur cet aspect et dans la façon de travailler le casting, on pourrait dire oui même si l’on ne peut décemment comparer le travail d’un épisode par rapport à une saga qui en compte au moins une demi-douzaine. Coté « charisme », c’est le même topo et c’est le thème du jeu qui nivelle cet aspect. Un ancien soldat clope au bec, une sorte de pistolero ou un vampire partiront direct avec un bonus de classe quand on compare avec un livreur de colis et un informaticien. C’est de la logique. Et ce n’est pas pour rien que coté charisme, ceux qui sortent le plus du lot sont les méchants qui ont de grosses armes et qui ont vu autre chose que des ordinateurs, donc Higgs et Cliff. Et oui, Sam n’a pas une goutte de la prestance d’un Solid Snake, ou même de n’importe quel Snake quand on regarde bien, mais il est en même temps plus réaliste, et tout simplement plus humain.
Et pour rester dans la comparo car il faut apporter d’autres réponses aux questions posées, et toujours sans spoils : quid du rythme entre temps de jeu et cinématiques ? Disons que c’est tout simplement aléatoire. Quand on débute le jeu et qu’on joue réellement 20 minutes sur les deux premières heures, on sait que ça ne va pas plaire à certains, même si le jeu a forcément des choses à raconter pour poser les bases de son univers. En revanche, pour ce qui est de la suite découpée en chapitres (sans que ce ne soit aussi brutal que dans
MGSV), on a davantage l’impression que Kojima a voulu pousser un équilibre pour plaire à la fois au fan du précité que ceux qui adorent zieuter des cinématiques pendant de longues minutes. Car quand il y en a, elles peuvent être très longues, et on peut parfois entrer dans un tunnel narratif d’une bonne heure (voir plus vers la fin). Mais quand on joue, on peut également passer six heures sans être réellement interrompu. Tout dépend si vous foncez « tout droit » (et c’est déconseillé) ou si vous voulez prendre votre temps.
Ce mélange entre les cinématiques à outrance et l’école du gameplay fonctionne, bien mieux que dans
MGSV où l’on regrettait que de nombreuses séquences se soient retrouvés dans des cassettes audio, et mieux que dans
MGS4 qui blablatait souvent un peu trop sans avoir toujours quelque chose à dire. Qui plus est et c’est finalement le plus important : le scénario vaut le coup, et est plaisant à suivre. Certes, quelques rebondissements sont un poil téléphonés (ou alors Kojima ne sait plus comment cacher certains mystères) et on n’est pas dans une soudaine révolution mais c’est des personnages et de leur destin que le jeu tire toute sa force. Plus encore que de lever totalement le mystère sur le
Death Stranding et de savoir comment y remédier, ce qui peut être considéré ici comme le premier épisode (oui car il reste des questions) montre le vécu des gens face à cette tragédie, et comment certains s’adaptent à cette nouvelle ère.
Mais tout aurait été encore mieux SI on voyait des gens. En tout cas en dehors du casting 5 étoiles. Car c’est l’autre point qui justifie ce laps de temps entre l’annonce et la sortie : Kojima a dû malheureusement grignoter sur la forme et vous ne verrez quasiment personne en dehors des stars. C’est dit. Il y a les fameux secondaires sous forme d’hologrammes dont quelques guests, il y a les ennemis randoms voleurs de colis… et c’est tout. Même si les USA ne sont évidemment pas à l’échelle (très loin de là d’ailleurs), on a quand même un peu souvent l’impression que ce pays n’a plus que quelques dizaines d’habitants encore en vie. Tout est l’objet d’astuces techniques pour ne jamais montrer personne même quand il est censé y avoir du monde, mais le pire reste que c’est la même chose durant les cinématiques où, sortis encore une fois des stars, on ne voit jamais « monsieur ou madame tout le monde ». Et ça peut gêner.

Toutes ces petites choses prises ensemble empêcheront à mon sens Death Stranding d’atteindre le statut culte que l’on attendait, et d’être aussi marquant pour l’industrie que ne le furent les premiers
MGS. Et encore, je pourrais citer un chapitre 13 immonde à vivre en terme de mise en scène et de gameplay (un véritable non-sens, à croire qu’il a été effectué à l’arrache en fin de chantier) et surtout des boss qui sont non seulement en faible nombre mais aussi… Enfin parlons-en tiens. Le gloubi-boulga sombre que vous avez pu voir lors du TGS, c’est le genre de boss que l’on rencontre si vous vous laissez malencontreusement happé par les « échoués » (que l’on doit esquiver dans certaines zones en restant silencieux). Certains sont obligatoires, d’autres non. Mais ils s’affrontent tous de la même manière et exception faite du dernier, ils sont d’une facilité déconcertante. Je vais être honnête : je ne suis « mort » (pour ce que ça veut dire) qu’une seule fois durant tout le jeu. Il y a ensuite les boss scénarisés, mais il n’y en a que deux (et potentiellement un troisième mais difficile de le considérer comme tel). Sauf que l’un est une ode au bourrinage, tandis que l’autre (chapitre 9 de mémoire) est d’une telle nullité que j’ai laissé tomber la méthode imposée pour foncer constamment en zig zag afin de faire parler mes poings. Et ça a fonctionné. C’était sans nul doute l’affrontement majeur du jeu en statut de boss, mais c’est peut-être le pire dans l’histoire de Kojima. L’homme qui on rappelle était considéré un temps comme un maître dans l’originalité des affrontements.
Et pourtant j’ai adoré cette expérience qui m’a fait enchaîné des nuits blanches, il est vrai parce qu’il fallait rendre un papier dans les temps mais malgré tout, je pouvais tenir sans problème jusqu’à tôt le matin sans voir les heures passer. Le concept est cool, l’univers mis en place est cool, j’ai eu envie de lire chaque ligne du codex et des mails tant certaines choses étaient intéressantes (maintenant, je sais ce qu’est un Materpiscis, voyez ?), j’ai aimé dresser mes petits objectifs de livraison pour maximiser mes gains, j’ai aimé poser des routes pour me faciliter l’existence pour les prochains passages… Tout paraît banal à décrire, mais ce fut autre chose à vivre. Et même s’il y a des défauts, même si le jeu a failli totalement s’écrouler avec ce chapitre 13, le suivant a tout sauvé en terme de mise en scène et d’émotion, et on repart avec la sensation d’avoir vécu une belle expérience et, surtout, d’avoir joué à quelque chose de différent. Le pari est réussi, c’est l’essentiel.