Tous les super-héros n’ont pas reçu le même traitement dans l’histoire du jeu vidéo et pendant que d’autres ont connu de funestes destinées (ex : Superman), d’autres ont réussi tant bien que mal à s’en sortir plus que la moyenne, notamment
Spider-Man. Incarnant le personnage le plus connu de l’univers Marvel, l’homme-araignée a légitimement multiplié les adaptations, pas toutes réussies évidemment, mais avec quelques unes qui sont sorties du lot, particulièrement les deux premières de l’ère 128 bits (donc adaptations de la trilogie Raimi). Mais toutes représentations ont finalement pris un énorme coup de vieux à l’arrivée de la franchise
Batman Arkham, posant de nouvelles bases qualitatives pour s’octroyer unanimement le statut de référence. Mais l’araignée est tenace et comprenant qu’il n’y avait plus rien à tirer des misérables budgets d’
Activision, c’est donc du coté de
Sony et
Insomniac qu’elle est partie tisser sa toile pour un énième reboot.
Et on sent de suite la différence de moyens devant le rendu technique absolument admirable, presque fou par moment, au point d’être attristé de ne pas avoir eu à disposition ce foutu mode photo (disponible via une MAJ le jour du lancement). Qu’importe la disparition de quelques flaques d’eau : quel que soit le moment de la journée, il y a toujours ce truc pour nous mettre une claque, entre ces instants de photo-réalisme le matin, ces effets de lumière prodigieux quand arrive le soir, et l’explosion de néons aux endroits clés la nuit venue. Et il y a de la vie surtout ! Sur ce point,
Insomniac vient montrer à
Rocksteady que, oui, il est tout à fait possible de faire un jeu de super-héros en monde ouvert sans utiliser d’astuces bidons pour faire disparaître la totalité des PNJ de la map. Ici, ça fourmille comme rarement, avec des habitants partout, et une circulation qui ne faiblit jamais.
Pour autant, cette débauche se paye sur certaines choses, probablement par le fait que les développeurs ne sont pas non plus de grands spécialistes des mondes ouverts. La copie est hautement respectable, mais
Insomniac a dû user de quelques techniques pour économiser des ressources. On pensera notamment à l’absence de cycle jour-nuit en temps réel (heure et météo changent après une mission, et ne bougeront plus jusqu’à la prochaine étape), le fait que la circulation soit gérée de la même façon qu’un
Infamous Second Son (bien posée sur ses rails) ou encore, assez surprenant au début, la gestion des collisions avec les PNJ : il suffit de les bousculer une première fois pour enclencher une animation mais en forçant un peu plus, pouf, vous passez à travers. Ça fait un peu tâche forcément avant qu’on n’y prête plus du tout attention et pour cause : vous êtes
Spider-Man, donc quelqu’un qui ne va pas souvent squatter le bitume.
Le simple fait de tisser sa toile dans les airs pour se déplacer incarne presque une démo technique, et l’envie de montrer la chose à d’autres. Jamais
Spider-Man n’a été aussi aussi maniable et agréable à incarner, avec pourtant seulement trois commandes principales : se balancer, faire un dash avant et pouvoir exploiter un rebord en vue pour foncer dessus et le combiner à un saut. On n’a presque plus envie d’utiliser le système de téléportation malgré la taille très respectable de la map (uniquement Manhattan, on précise) et ça en devient encore plus grisant une fois de nouvelles compétences en poche (roulade + saut, double dash…), surtout qu’il est finalement assez rare d’être pris à défaut, avec notamment cette bonne idée de pouvoir taper du wall-run au lieu de se cogner bêtement contre une vitre. Cela n’empêche pas quelques couacs de temps à autre, notamment lorsqu’il faut être assez précis, mais la prestation d’
Insomniac reste excellente. Surtout pour une première.
On peut d’ailleurs en dire autant du système de combat. Évidemment calqué sur les
Batman Arkham, les joutes offrent néanmoins une petite différence de taille : lorsque le symbole de danger apparaît, il faudra faire une esquive et non un contre. Le héros n’est pourtant pas plus faible que le Chevalier Noir mais on va dire que cela sert à pousser les aptitudes d’agilité propres au personnage. Et au départ, on était d’ailleurs assez mitigé puisque faute de contre et de l’étape d’animation qui va avec (vous rendant invincible 2-3 secondes), on passe son temps à sautiller dans tous les sens vu que l’indicateur de danger clignote toutes les deux secondes entre gros bourrins qui vient vous démonter, ceux qui lancent des grenades au loin, puis des tirs de mitrailleuses, puis du lance-roquettes…
Mais ça, c’est surtout au début. Petit à petit, à force de comprendre les patterns de chacun, de maîtriser vos acquis et surtout ce que vous allez chopper sur le chemin, les affrontements se montrent de plus en plus funs et on arrive à enchaîner de longues étapes sans se faire toucher ou presque. Chacun choisira d’ailleurs ses armes, à commencer par le costume où le jeu surprend par sa générosité : pas moins de 27 costumes, dont la plupart à débloquer au fil du temps, et beaucoup possédant une aptitude spéciale s’enclenchant via une jauge dédiée. On notera d’ailleurs la très bonne idée de pouvoir chopper un nouveau costume tout en gardant le pouvoir d’un autre, au cas où seul le design vous intéresse.
Et c’est loin d’être tout puisque
Spider-Man pourra aussi gagner en puissance via trois sous-menus : l’un pour ses différents gadgets (on peut booster chacun), un autre pour octroyer divers modules à son costume et enfin un dernier proposant trois arbres de compétences : chaque niveau gagné (level-cap à 50) vous octroie un point de compétence en plus d’un petit boost, soit coté PV, soit sur la puissance. Il y a donc largement de quoi faire pour que chacun trouve son style, avec de notre coté le petit plaisir du module façon
Bayonetta qui permet de ralentir le temps après une esquive parfaite. Dans tous les cas, de la relative faible araignée au départ, vous finirez parfois par déclencher les enfers en débarquant au milieu d’une troupe de vilains pour balancer un combo spider-tourelle à tirs électrifiés, bombe de toiles, un ou deux spéciales dans la tronche des plus gros, pour finir le dernier survivant par un rapide don de phalanges.
Mais avant d’en arriver là, l’expérience ne sera pas le seul élément requis puisqu’il faudra passer par les annexes, dont les récompenses se mesurent également en « jetons » de diverses sortes, servant donc de monnaie d’échange pour les costumes, les modules et autres. Et c’est sur ce point que vous allez comprendre pourquoi il n’y a qu’un « 8 » en conclusion d’article. On pourrait de nouveau utiliser le comparatif naturel des
Batman Arkham mais c’est en fait dans la globalité de l’industrie que l’on remarque un changement lent mais certain vers des expériences solo qui privilégient enfin la qualité à la quantité. De
The Witcher 3 au récent
God of War, beaucoup ont compris que les annexes se devaient de proposer autre chose que du fedex et du ramassage intense de plumes, drapeaux ou autres trucs sans intérêt. Moins de quêtes que d’autres (en fonction du genre), mais plus riches dans la forme et si possible scénarisées.
Et ça, Spider-Man ne l’a malheureusement pas pris en compte, là où
Batman Arkham offrait (surtout depuis le deuxième épisode) de vraies quêtes annexes qui donnaient envie d’aller jusqu’au bout car généralement l’occasion d’avoir un combat de boss dont le représentant était en dehors du fil rouge. Même la quête de Riddler, certes un peu abusé dans le nombre de choses à faire au préalable, menait à quelque chose d’intéressant. Dans
Spider-Man, non. Il n’y a en fait que deux boss annexes, l’un via deux petites missions, l’autre après s’être tapé une longue suite de défis combat/infiltration/parkour très
Batman Arkham (décidément). Et tout le reste ? La facilité et le remplissage. Et vas-y que je te met une brouette de photos à prendre, une cinquantaine de sac à dos à ramasser (juste pour visualiser des objets avec quelques clins d’œil), des zones à nettoyer… Oh et puis tiens, à la fin du jeu, je te remettrais bien une deuxième salve de photos sur toute la map. Heureux ?
De ce coté, il y a clairement surdose et on a beau parler de choses « secondaires », on doit au moins s’en taper une partie soit pour obtenir nos jetons, ne serait-ce que pour l’expérience, surtout si vous optez pour le mode difficile. D’ailleurs, même le mode normal n’est pas forcément une promenade de santé, du moins pas avant que vous ne maîtrisiez suffisamment bien les combats. Ceux qui voudront impérativement taper le 100 % le feront probablement en parallèle d’une autre occupation (du genre écouter un podcast) tant le fun peut se changer en lassitude. C’est cool de mettre des events « crimes » sur le chemin (mecs à taper, voiture à stopper, parfois bombes à désamorcer…) mais on sent le manque d’inspiration : une dizaine de « missions » du genre par zone, et hop, dix de plus une fois arrivé dans le dernier tiers du jeu.
Entre les crimes et les espèces d’arènes, on cogne tellement de personnes qu’il y a presque une bouffée d’air frais lorsqu’on doit s’atteler à un micro-puzzle qui n’a rien d’original mais qui n’est jamais désagréable à faire. Et tout ça est un peu étrange vu la licence puisqu’au final, on remarque que
Insomniac n’a jamais vraiment utilisé notre palette de gadgets. Les tirs électrifiés ? Une simple poignée d’interrupteurs à activer, toujours situés à moins de dix mètres de l’objectif. La « mécha-mini-araignée-téléguidée » ? A utiliser uniquement le temps de deux courtes missions annexes.
En fait, si l’on devait résumer les choses simplement, et ça vaut aussi bien pour les missions principales que secondaires, c’est qu’il faut comprendre que
Insomniac n’a visiblement pas voulu opter pour des mécaniques d’exploration. On est très loin des Batman Arkham à ce niveau avec ces passages qui demandent de fouiner et de résoudre de petits puzzles pour progresser. Spider-Man est un pur jeu d’action en monde ouvert, avec évidemment ces petites features infiltration, le genre que l’on exploite le temps d’éponger un minimum une zone avant de se charger en face du reste. C’est d’ailleurs loin d’être admirable dans les séquences obligatoires (du genre celles où l’on incarne Mary Jane) même si l’on ne tombe jamais vraiment dans la lourdeur : il suffit de comprendre comment fonctionnent les scripts pour traverser ces séquences assez rapidement.
En revanche, s’il y a bien un point où
Spider-Man arrive à voler la vedette aux productions
Rocksteady (en plus du rendu), c’est sur son scénario. Alors bien sûr, la trilogie n’était pas forcément mauvaise en la matière, et savait caresser avec douceur les fans dans le sens du poil, mais elle faisait aussi très « JV » dans l’exécution avec une histoire un peu prétexte – à quelques rares rebondissements près - où globalement, on allait cogner du grands vilains. Dans
Spider-Man, ce n’est pas du tout la même approche et on va très vite ressentir une grande inspiration cinématographique dans le traitement de l’univers durant une bonne quinzaine d’heures (en mode normal, et dix ou quinze de plus pour le 100%).

Car si les Batman font JV scénaristiquement, Spider-Man lui s’approche du film. Ou plutôt d’une sorte de série TV dont nous assistons à la Saison 1 (car oui, toutes les portes sont grandes ouvertes pour une suite vu la dernière ligne droite, incluant les scènes post-crédits). Pourtant on est dans ce que l’on appeler le faux reboot puisque l’histoire ne reprend pas au début. Spider-Man est déjà Spider-Man, Oncle Ben est déjà enterré depuis bien longtemps et Peter Parker connaît Mary Jane depuis tellement longtemps qu’ils ont eu le temps d’être en couple puis de se séparer. L’araignée a d’ailleurs déjà quelques grands combats sur son CV mais cela n’empêche pas de mettre les choses en place de manière très efficace, où l’on prend un vrai plaisir à suivre ce premier arc dédié aux Sinister Six (vous en avez déjà vu cinq, inutile de vous dire qui est le dernier).
On y retrouve d’ailleurs tout ce qu’on attend d’un
Spider-Man, capable de proposer des moments de calme pour servir l’entourage de Parker pour ensuite passer à des séquences de hautes volées dont bien entendu certains combats de boss qui finalement n’abusent pas tant que ça du QTE. Et même si certaines des plus grandes icônes de l’univers coté bad-guy ne sont pas au rendez-vous, car il faut bien garder du stock pour la suite, on admire le traitement de ceux qui ont répondu à l’appel, particulièrement trois d’entre eux qui évitent le cliché du « Je suis un taré et je veux tuer Spider-Man ». De ce joli tableau porté par une bonne VF, la seule erreur de casting reste malheureusement Jonah Jameson, qu’on ne voit pas vraiment puisque tenant uniquement sa propre radio presse dont on peut parfois entendre les interventions bien lourdes durant vos déplacements (notez que vous pouvez couper tout cela dans les options). Qu’on nous rende celui de Sam Raimi.