C’est un vieux routier de l’industrie qui parle, mais avec l’enthousiasme d’un jeune premier. Shuji Utsumi, désormais à la tête de Sega Corporation et de ses branches occidentales, n’a pas exactement un CV anodin : il a participé au lancement de la première PlayStation, supervisé la Dreamcast et ses jeux cultes, bossé chez Disney sur Kingdom Hearts, cofondé Q-Entertainment… Et pourtant, ce qu’il vise aujourd’hui, c’est ni plus ni moins que de remettre Sega au cœur du jeu vidéo mondial. Il le dit sans détour : si ça marche, ce sera le plus grand accomplissement de sa carrière.
Pour y parvenir, il a commencé par changer la mentalité des studios japonais, longtemps trop centrés sur leur marché local. Désormais,
Sega pense global : les jeux sortent simultanément partout, sur toutes les plateformes, avec une communication calibrée dès le départ pour le monde entier. Ce changement de prisme a permis aux équipes nippones de mieux se projeter, de créer avec une vraie ambition internationale, et ça se voit déjà dans les résultats.
Utsumi voit Sega comme une maison de labels, à la manière de l’industrie musicale : Like a Dragon, Persona, Football Manager, Sonic… Chaque série a sa culture, son ton, son public. Ce qui les relie, c’est cette volonté commune de sortir des sentiers battus. Il veut retrouver le “rock’n roll spirit” de la grande époque, où
Sega incarnait l’audace, l’inventivité et un certain grain de folie, surtout du temps des salles d’arcade.
Mais pour survivre dans l’industrie actuelle, l’enjeu est ailleurs :
Sega peine encore à s’imposer dans le modèle du jeu service. Le solo fonctionne bien, mais le live service reste un défi. Pour l’aborder,
l’éditeur mise sur Rovio, fraîchement acquis, qui planche sur des jeux mobiles estampillés Sonic. Une manière de combler le retard dans le F2P, avec l’aide d’une équipe rompue à l’exercice.
Et puis, il y a cette fine ligne entre nostalgie et modernité.
Sega ressuscite plusieurs vieilles gloires comme Jet Set Radio, Crazy Taxi, Shinobi, Golden Axe, Streets of Rage... mais sans se reposer sur le fan service pur.
L’idée est d’injecter du neuf, de surprendre, d’oser. Tous les projets ne seront pas rentables, mais le pari est assumé : Sonic sert de base solide, le reste permet d’explorer plus librement, quitte à viser des niches. Car parfois, un public restreint mais passionné suffit à faire décoller un jeu.
Le cinéma joue désormais un rôle central dans la stratégie de Sega.
Le succès des films Sonic, qui ont généré plus d’un milliard de dollars au box office mondial, a changé la donne. Bien plus qu’une simple opération de branding,
ces adaptations ont redynamisé la franchise, entraînant un regain d’intérêt pour les jeux, y compris chez un jeune public qui ne connaissait pas forcément le hérisson bleu.
Pour
Shuji Utsumi, c’est aussi une forme de revanche personnelle. Il se rappelle d’une époque pas si lointaine
où les studios hollywoodiens regardaient le jeu vidéo de haut.
Lorsqu’il avait tenté de vendre l’idée d’un film Crash Bandicoot, on lui avait répondu que les jeux vidéo, c’était “pour les enfants”, “pas du vrai divertissement”. À l’époque, les grandes franchises du jeu restaient confinées à leur média d’origine, jugées trop “jouets” pour intéresser le cinéma.
Mais les lignes ont bougé. Avec le triomphe de
Sonic, mais aussi d’autres adaptations réussies comme
The Last of Us ou
Super Mario Bros,
Hollywood voit désormais le jeu vidéo comme un vivier d’univers riches et bankables. Cette bascule culturelle ouvre des perspectives immenses pour des éditeurs comme
Sega, qui possèdent un catalogue d’icônes prêtes à franchir le cap du transmedia.
Utsumi l’a bien compris : une adaptation réussie peut faire office de rampe de lancement pour relancer une licence, toucher un nouveau public, et installer une marque sur la durée. Ce n’est plus une simple extension, c’est un levier de croissance à part entière.
Sega explore donc activement d’autres pistes, dans l’idée de faire de ses IP des marques transversales, capables d’exister au delà de la console. Et cette fois, plus personne à
Hollywood ne les prend de haut.
Enfin, malgré la poussée du PC et du mobile, Utsumi continue de croire aux consoles. Il parle d’attachement personnel :
lui qui a contribué à deux lancements majeurs, notamment la PlayStation première du nom et la Dreamcast, mais aussi de complémentarité : on ne joue pas de la même façon sur téléphone, devant son PC ou sur un canapé avec une manette.
Sega prépare d’ailleurs activement la sortie de la Switch 2, avec cinq jeux en développement, dont trois pour le lancement.
S’il reste lucide sur les défis,
Shuji Utsumi croit en cette nouvelle ère pour Sega.
Plus ouverte, plus audacieuse, et surtout capable de jongler entre héritage et innovation. Et si ça marche, il le sait :
ce ne sera pas juste un retour de flamme, ce sera une renaissance.