Alors que Manu rejetait les réfugiés de la « crise » syrienne (le gars qui a fui en Espagne s’allier avec les néo-fascistes, pas notre saigneur actuel), certains bossaient sur une aventure textuelle nous permettant de suivre les échanges entre un mari resté au pays et sa femme cherchant à rejoindre l’Europe pour échapper à cette drôle de guerre, incarnation exemplaire du Grand Jeu, des crises agraires, des crises « migratoires » et autres problématiques d’un monde plongé dans le chaos pour que les bénéfices puissent couler à flot et que la suprasociété continue sa marche en avant. Enterre-moi mon amour est donc disponible depuis peu sur Switch. Rappelons que le titre était initialement développé pour mobiles et que pour ceux tentés par cette aventure, il est conseillé de la faire sur ce support, bien que l’adaptation soit bonne, très bonne.
Le titre peut en effet être joué en
mode vertical, avec un seul joycon, sur Switch, afin de retrouver le format original de l’œuvre (comme vous pouvez le constater sur certaines captures d’écran de cet avis), mais vous ne pourrez bénéficier du mode de jeu qui tirait partie de son support initial, à savoir recevoir les messages de Nour, la femme lancée à travers l’Europe, tels que vous les recevriez si vous étiez vraiment en train de vivre cette expérience (avec des attentes, des périodes sans nouvelles et autres), en temps réel donc.
Inspirée d’un
papier du Monde et particularité du titre, toute l’aventure se déroulera par textos. Vous échangez, vous plaisantez, vous vous envoyez des photos, vous pouvez essayer d’influencer les décisions de votre femme mais vous ne serez que spectateur distant. Différents itinéraires sont possibles (L’Europe via Istanbul ou via Izmir, la France via les Alpes ou Menton...), avec 50 endroits potentiels à « visiter » et 19 fins possibles, certaines sinistres, d’autres plus joyeuses et porteuses d’espoir. Des décisions anecdotiques pourront avoir d’importantes répercussions et vous serez souvent obligé de donner des « conseils » sans pouvoir en saisir tous les tenants et aboutissants.
Malgré les épreuves, l’humour est omniprésent. Pour connaitre la chute de la dernière image (sans mauvais jeux de mots), rendez-vous ici.
L’aventure comprend donc des embranchements et si cela permet une rejouabilité certaine, on déplorera l’impossibilité pour le joueur de pouvoir repartir, une fois sa première partie terminée, des différents nœuds déjà rencontrés, avec l’obligation donc de se retaper des lignes de dialogue déjà lues. Ce qui en fait LE gros défaut du titre.
Le point fort du titre, c’est bien évidemment (et heureusement) son écriture, capable d’aborder des sujets d’actualité et graves via les événements affrontés par Nour, tout en laissant une large place à l’humour, à la complicité de ce couple et leurs taquineries, en jouant à merveille sur le moyen de communication utilisée. Vous rencontrerez une foule de situations différentes mais toujours cohérentes et plausibles. Des petites histoires aidant à supporter la grande et humanisant une interface assez austère, en dehors des illustrations adjacentes.
Ca tourne sinon nickel sur Switch même si des retours à l’écran-titre ont parfois lieu. Niveau durée de vie, selon que vous alliez mourir dans une froide rivière turque ou que vous atteigniez Munich, on parle de parties oscillant entre une demi-heure et une paire d’heures.
Vous pouvez faire le prologue
ici-même pour ceux intéressés par cette belle œuvre, peu ludique mais qu’on pourrait tout à fait comparer à un docu-fiction.
Enterre-moi mon Amour peut dignement faire partie de votre ludéothèque. Bien écrit, ne versant pas dans le pathos, aventure avant tout personnelle reliée au collectif par son contexte et ses environnements traversés, l’œuvre est aussi fine dans son approche du sujet que son prix et devrait convaincre tous ceux qui savent dans quoi ils s’embarquent. Le fait que les développeurs soient français nous permet aussi d’avoir tout un humour qui aurait été perdu avec une éventuelle traduction et l’on ne pourra regretter au final que l’impossibilité de pouvoir repartir des divers embranchements lorsqu’on relance une nouvelle partie.
Les points « asile accordé » :
- Bien écrit
- Ne verse jamais dans le sensationnalisme
- Aborde un sujet complexe avec tact, sans idéologie
- Beaucoup d'humour
Les points « renvoi à la frontière » :
- Impossible de choisir le nœud duquel on repart lors d’une nouvelle partie
- Ne cherchez pas de ludisme