Kickstarter réussi avec ses 645 000$ récoltés, soit 24 fois la somme demandée, en mettant de côté l’abandon de supports promis (à savoir la Vita, la WiiU et la Ouya) et le retard usuel de deux ans pour sa sortie, Hyper Light Drifter vient de débarquer sur Switch après avoir investi les autres plateformes majeures du marché en 2016.
L’occasion de re-vagabonder dans le titre d’Heart Machine fut trop forte pour mon côté humain et j’ai donc embrassé mon côté volatile sans nul remords étant donné la qualité du jeu. Pour ceux qui seraient intéressés par le titre, ne lisez pas le test, ne le regardez surtout pas, procurez vous le jeu et savourez-le en prenant votre temps. Pour les autres, l’avis commence d’ici deux mots.
Surfant sur la vague du post-apo,
HLD avait pour objectif d’émuler Zelda (entre autres, Diablo avait aussi été mentionné). Autant dire que bien que certains éléments pourraient faire penser à la série phare de Big N, on est loin du compte. Quant à celle de Blizzard, si ce n’est une tendance chtonienne marquée, je cherche encore. Bref, des influences qui se font très vite oublier manette ou clavier en main. Ce qui n’est pas plus mal d’ailleurs.
Le scénario, uniquement raconté de manière visuelle et cryptique au possible via ses noires cinématiques et ses rares PNJ s’exprimant en
haikus graphiques, l’écarte quelque peu de l’ambiance plus guillerette des aventures du lutin vert. On est plus proche d’un
Nausicaa dépressif, bien que la thématique centrale sera très probablement interprétée par tous selon ses propres filtres personnels, mais ce qui est sûr, c’est que la noirceur du récit de notre protagoniste contraste avec la palette de couleurs utilisés pour dépeindre le monde dans lequel vous évoluerez, et les séquences cinématiques auront tendance à vous faire sortir de votre torpeur grâce à l’excellente bande son de
Disasterpeace.
Point de texte dans l’univers d’HLD : bulles graphiques et environnements seront vos principales sources informatives.
Toute en opposition, les musiques et bruitages du jeu sont une franche réussite pour peu que vous appréciez les nappes lancinantes, les mélodies discrètes et la création d’ambiances. A l’image du titre tout entier, elle semble vouloir instaurer un sentiment d’ambivalence chez le joueur et le plonger dans les méandres d’une sensation douce-amère. Compagnonne idéale d’un
gameplay alternant phases d’exploration et combats frénétiques, elle saura vous
râper délicatement le tympan au papier de verre avant de subitement vous lancer une série de gifles derrière les oreilles.
Malgré des graphismes simplifiés, HLD arrive à proposer des paysages variés et parfois saisissants.
Au niveau technique, le jeu semble plutôt primaire avec ses graphismes grossiers de prime abord. Mais l’esthétique particulière s’impose très vite grâce à la cohérence des couleurs, pour peu que l’on apprécie les teintes pastel, et un soin du détail plaisant, à l’image de la vie sauvage virevoltante dans la citadelle engloutie, des cerfs ou écureuils fuyant votre avancée ou de l’arrière-fond aperçu lors de l’ascension de la montagne. La simplicité des graphismes ne nuit pas aux détails de l’univers et chaque ambiance retranscrira avec une sobriété et finesse bienvenues son thème et ses messages, tout en reliant toutes les zones au récit global avec une précision chirurgicale via les divers éléments visuels ou PNJ éparpillés afin que le puzzle narratif se forme soit progressivement dans votre esprit, soit avec l’instantanéité de la foudre quelque soit l’ordre des régions dans lequel vous aborderez le jeu.
Malheureusement
pour la version Switch, la fluidité en a pris un coup : le 60
ips ne semble pas être atteint et certaines traversées, ainsi que les combats contre une pelletée d'ennemis, laisseront une désagréable impression à ceux qui ont pu poser les mains sur d’autres versions, avec des ralentissements qui occasionneront parfois des coups dans le vide. Ca reste cependant largement jouable mais à moins que la portabilité soit un facteur déterminant, mieux vaut s’orienter vers les consoles de salon. Les temps de chargement sont (très) rapides, et aucun bug n’a été rencontré, si ce n'est des inoffensifs. Pour les amateurs de trophées/succès, les devs ont pris le soin de les inclure de manière interne.
Vous devrez activer 4 monolithes avant de pouvoir affronter le boss final
En ce qui concerne le
gameplay, il est composé de deux parties subtilement imbriquées : l’exploration et la baston. La première vous propose de parcourir 4 régions où vous devrez activer 4 modules (sur les 8 plus ou moins bien cachés) et ouvrir la voie menant au
boss local, avec une alternance constante entre souterrains et surface. Plutôt labyrinthique, le monde est truffé de secrets (clés,
stèles, tuniques aux diverses capacités, armes à feu et surtout d’innombrables
gemmes vous permettant de débloquer des attaques ou mouvements spéciaux) discrètement signalés, par une indication visuelle ou le petit robot volant qui vous accompagne, et souvent accessibles soit par la marche, soit par l’activation classique d’un interrupteur ou encore l’utilisation du
dash du protagoniste.
Autant la progression jusqu’au boss final se fait assez naturellement, autant découvrir tous les secrets risquent de vous prendre un temps considérable en l’absence de
guide. Et ce n’est pas la jolie carte dans les menus qui vous aidera à vous repérer dans votre avancement : outre le fait que sa lisibilité pourrait faire passer celle d’SMTIV pour un chef d’œuvre du genre, l’absence de zoom réellement utile ou de marqueurs personnalisables fait d’elle l’un des summums d’inutilité qu’il m’ait été permis de croiser. Et c'est finalement pas plus mal, puisque l'exploration en ressort renforcée.
Les stèles, gemmes, clés et autres modules à découvrir seront la principale difficulté de l’aventure si l’on vise le 100%, du moins avant le NG+
A intervalles réguliers, des ennemis plutôt vivaces et en nombre viendront troubler votre tranquillité. Les combats sont très nerveux et exigent du joueur une attention soutenue : inutile de marteler le bouton d’attaque, il va falloir surtout esquiver via le
dash et placer ses estocades au moment opportun. Les comportements adverses devront être pris en compte : suffisamment diversifiés pour ne pas introduire un sentiment de redite tout le long du jeu, ils permettent aux affrontements de maintenir une dimension tactique malgré une amélioration des capacités de votre personnage durant l'aventure. La présence d’une arme à feu (et surtout du fusil à pompe bien efficace pour faire le ménage dans son rayon immédiat) renforce celle-ci, car certaines vagues d’ennemis seront balayées bien plus sûrement par son utilisation que par celle de votre katana supersonique.
Simple péquin capable de
dasher et donner des coups d’épées limités en début de partie (une jauge d’endurance restreint le bourrinage), la collecte des gemmes mentionnées ci-dessus vous permettra donc d’accéder à des
coups spéciaux d’attaque, de
dash et d’augmenter le chargeur de vos armes à feu. On regrettera cependant le nombre plutôt chiche de ces améliorations (3 pour les deux premières et une pour la dernière catégorie).
On pourra aussi pinailler sur le rythme initial particulier de la capacité d’enchaînement des
dash, qui laissera plus d’un joueur moyen sur le carreau avec son tempo exponentiel.
Certains se plaindront aussi d’un pic de difficulté en début de partie mais l’assimilation des principes du jeu est à mon sens le responsable, et non un mauvais équilibrage. La présence d’innombrables
check-points évitera aussi la frustration de devoir se retaper de longs trajets avant d’affronter à nouveau l’épreuve sur laquelle on bute, et le joueur dispose d’un nombre de vies infini en pratique. Ajoutez à ça des sauvegardes automatiques tous les 3 écrans et le jeu s’apparente donc plus à de courtes épreuves à surmonter et de l’exploration qu’à un titre à l’ancienne.
Une édition "spéciale" pour la Switch

Les bonus sont plutôt anecdotiques : une tour rectiligne à gravir s'achevant par un boss recyclé en fin de course (avec 3 secrets menant vers des kits de soin en tout et pour tout, sans inventivité ou difficulté particulière) vous permettant d’accéder à une tenue pour découvrir les secrets du jeu et une épée boomerang peu efficace. Pas de variations graphiques, avec une linéarité qui fait tâche par rapport au reste du jeu, pas de poésie ou d’éléments qui renforcent l’univers, les possesseurs des autres versions ne manquent pas grand-chose. Un pistolet cristallisant est aussi dispo mais il est peu utile: vous le récupérerez en toute fin de partie, lorsque votre connaissance du jeu vous permettra de ne pas compter sur l'immobilisation d'un ennemi pour le combattre. Bref, possesseurs des autres versions, vous ne manquez pas grand chose.
Les points de sauvegarde manuels/téléportation (au milieu) régénéreront votre énergie en contrepartie de la réapparition des ennemis vaincus
Hyper Light Drifter est un (très) grand indé et une œuvre mémorable. Ni Metroidvania ni clone de ses influences, il est un captivant jeu d’action-aventure narrativement et sentimentalement bien plus fort que des œuvres plus bavardes, auquel on pourra juste reprocher une durée de vie (pour les plus directs d’entre nous) un peu courte, soit le symptôme d’une création indéniablement réussie.
Si une note devait être attribuée à ce travail d’orfèvre, ce serait 9/10 ; parce que le tout est plus que la somme de ses parties, qu’une telle harmonie est chose suffisamment rare pour être saluée et que même si le portage Switch est améliorable, le jeu n’en reste pas moins l’une des plus belles réussites de ces dernières années.

Les points supersoniques :
- Une DA plus efficace que ce que laisse penser son style
- Niveaux littéralement truffés de secrets
- Combats intéressants, exigeants sans être injustes
- Bande son magistrale
- Le sentiment de désolation douce installé par le jeu, à tous points de vue
Les points subsoniques :
- Fluidité prise en défaut (sur Switch)
- Une carte clairement créée par l’antagoniste final *
- Durée de vie courte en ligne droite (une dizaine d’heures)
- Peu d’énigmes véritables
- Des bonus (tuniques, équipements) qui arrivent trop tard *
* Des défauts qui n'en sont pas selon votre point de vue: personnellement ça me semble être approprié au jeu, le joueur devant s'améliorer après chaque échec et comptez sur lui-même et son talent plutôt que des aides externes, qui le rendraient plus faible.
Captures effectuées sur Switch (les 6 premières images) et PS4 (le reste, mais la fidélité graphique n'est pas prise en défaut). Le jeu vaut 20 balles.