Annoncé depuis quelques années, le nouveau titre d'Askiisoft en a fait baver plus d'un avec son soigné pixel-art et ses séquences de sabrage de cervicales (ok, katanage dans le cas présent). Dispo sur PC (pas d'exclu Epic) et Switch depuis la semaine dernière, le jeu est donc passé à la moulinette du groupe. Si comme moi vous vous attendiez à une frénésie d'action, vous allez tomber de haut. Explications relativement détaillées (mon clavier étant dans un état similaire à l'esprit du protagoniste) ci-dessous.
"Tu vas tout de suite baisser ta musique!"
On s'attendait, à tort, et pour qui aurait ignoré de
récentes vidéos, à avoir droit à une succession de tableaux nous permettant de libérer la partie sanguinaire de notre imaginaire et de trancher des gorges aussi souvent qu'LREM trolle ses auditeurs. ERREUR. ERREUR MAJEURE même. Le titre pourrait tout à fait être qualifié de narratif sans que ça ne trouble plus que de raison : chaque niveau est enserré dans des phases narratives conséquentes, prétexte à démonstration de l’œuvre des artistes ayant travaillé sur le titre et au bon déroulement d'un scénario cent fois vu, qui rappellera rapidement à tous de nombreux tropismes cinématographiques. Si les thèmes sont d'un classicisme rigoureux (et mieux vaut ne pas trop les aborder, le moindre lapin de 4 semaines devinant sans mal leur synergie), le traitement de la narration est quant à lui bien plus original que les idées qu'elle soutient : à l'image d'
Oxenfree, les dialogues impliquent directement le joueur. Vous pourrez couper la parole à vos interlocuteurs, choisir différentes réponses menant à différentes révélations, parfois exclusives, même si l'issue narrative sera sensiblement la même quelques soient vos choix. Il en ressort l'illusion de
réellement participer à la conversation, de la diriger parfois et on ne peut que souhaiter que cette idée de participation active
et au déroulement
et au dévoilement des échanges soit repris à l'avenir par beaucoup plus de titres.
Sachez que vous incarnerez un assassin isolé dans une zone urbaine défavorisée géré par son psy, que ce soit au niveau mental ou professionnel (c'est lui qui vous transmettra vos cibles). Et que ce dernier vous injecte régulièrement de grosses seringues que ne renieraient pas les futurs participants du Tour de France. Et que y'a eu une grosse guerre quelques années auparavant, et qu'une drogue semble attirer tous les regards (et gosiers) du milieu interlope local. Voilà, voilà, vous vous doutez bien qu'on est pas parti sur les bases des derniers Césars...
Le titre, malgré ses lignes de scénarios désabusées et déprimantes, fait aussi preuve d'humour via quelques PNJ, que ce soit de manière légère avec la réceptionniste ou beaucoup plus
punk avec le clown. Tout ça pue le
déjà-vu et pourtant... La qualité de l'écriture, la subtilité de certaines animations, les différents archétypes croisés résonnent et transforme le titre en une magnifique transcription vidéoludique d'une certaine vision du film d'action américain telle que pratiquée dans les années 80.
10 niveaux, ambiances en tout et pour tout. La qualité du travail fourni permet-elle plus ? La magnificence de certains tableaux en fait douter.
Années 80 que la présentation (avec ces VHS à l'issue des niveaux) et la bande-son reprennent avec brio, le titre éponyme étant une brillante interprétation sonore des aventures du pauvre hère que nous jouons (je sais, ça fait super pompeux mais détailler cette pensée impliquerait des divulgations massives du scénario, et vu que ça représente 50% du jeu, ce serait bien con, je crois que nous serons tous d'accord sur ce point). Vous le savez, mon côté mélomane étant aussi développé que la capacité des médias à faire preuve de justesse (ne parlons même pas du gros mot en -ice), je vous laisse donc aller sur
ce site vérifier ce qu'il en est réellement avec vos propres conduits auditifs. Les amateurs de grosses basses grasses et acidulées devraient y trouver leur compte aussi sûrement qu'R.Kelly dans les coulisses du Disney Club. Certains morceaux évoqueront malheureusement une alliance entre Cerone et André Rieu après une visite dans une rave anglaise du début des années 90: pianos ou mélodies plus mielleuses que les larmes de Xi-Jinping et autres abominations antétektonikiennes.
Détail musical témoin de l'attention et du soin apporté au jeu, la mécanique de ralentissement temporel de votre perso agira aussi sur la composition diffusée. Niveau bruitages, la consigne semble avoir été claire :
« de la PATATE Roger, de la PATATE ! Tu vois l'ambiance visuelle et tous ces effets de tremblements, de pauses fracturées ? La même en audio Roger, la même ! ».
Comme la majorité des humains, mon cerveau a malheureusement ignoré les noms des responsables au moment des crédits et l'on ne pourra donc les voir acclamer comme il se doit dans cet avis malgré leur contribution importante à l'alchimie générale du jeu. Comme la majorité des joueurs, que la bande-son tente d'intégrer de la cohérence en tant que simple émanation sonore de l'environnement immédiat du protagoniste, par la belle animation introductrice d'un niveau dans laquelle il enfile délicatement son
walkman avant de presser le bouton de lecture ou ce niveau où la musique sera mixée différemment dans certaines salles, ne m'aura pas échappé par contre : il est vrai que la tentative perpétuelle des devs de faire résonner, d'imbriquer, de relier au maximum chaque thématique ou élément du jeu, fait apparaître au joueur de nombreuses correspondances. Le simple nombre. L'assaut permanent et inéluctable avant l'épiphanie.
Détail marrant, le niveau Studio 51 se déroule juste après celui en boite. A droite, on a connu nettoyeur plus propre...
La mention du terme « assaut » entraîne tout naturellement vers le
gameplay. Comme dans tout bon film des
80's, votre héros va massacrer avec une élégance toute naturelle l'intégralité des troupes de police, des forces de sécurité et mafieux de la zone. En mode
die & retry (vous mourrez dès le premier coup subi, tout comme vos ennemis, hors
boss, plutôt réussis à mon sens). Et avec une justification scénaristique quant à ce dernier fait. Oui m'sieurs dames, la fin du précédent paragraphe n'était vraiment pas là par hasard.
Vous aurez donc des missions (au nombre de 10 en gros) avec vue latérale en 2D, dans lesquelles on vous demandera de traverser en général une grosse poignée de tableaux, à l'issue desquels le jeu sauvegardera (automatiquement) votre progression. Les adversaires de base, dispersés, disposant uniquement d'un coup au corps à corps et éliminables d'un simple coup de katana, laisseront vite place à des unités plus coriaces, équipées de fusils, de pompes ou encore de boucliers, avec des salles de plus en plus peuplées où les ruades ne suffiront plus et où certains enchaînements vous demanderont quelques (dizaines d') essais.
Pour affronter ces dangers, le jeu met à votre disposition trois mécaniques outre votre attaque principale et la possibilité de sauter: ralentir le temps (avec une jauge limitée se rechargeant sans conditions), faire des roulades (avec l'invincibilité qui va bien et la possibilité de passer dans le dos des affrontés) et balancer à la tronche des antagonistes tout ce qui provoque un
peeling bien trop prononcé, à savoir tessons de bouteilles, molotov et autres machins qui font mal une fois reçus pleine force sur le tarin. On aura même droit à une excellente mécanique supplémentaire pour le ressenti démiurgique du joueur à l'occasion d'un (trop) court passage.
On aura aussi le droit à deux phases d'infiltration plutôt réussie, leur parcimonie y étant probablement pour quelque chose il est vrai. On saluera en tout cas le fait qu'elles n'outrepassent pas leur accueil. Bref, toujours est-il qu'il va falloir faire couler le sang malgré ces deux interludes (dont une optionnelle bien qu'elle ait des incidences sur le scénario). Et ça va gicler : le moindre coup projette les crânes à des mètres, les tapisseries adopteront le rouge après votre passage et les portes seront soumises à rude épreuve lorsqu'un manant aura eu l'absence d'esprit de s'en approcher alors que vous l'attendiez patiemment de l'autre côté. Les effets sont du même acabit et les tremblements d'écran, les pauses à chaque coup porté dynamiseront encore plus l'action. A défaut de ressentir la violence du champ de bataille dans vos tripes, vos pupilles le feront (vous pouvez cependant régler l'intensité de tous ces artifices dans les options) .
Si
Katana Zero peut très bien être joué à la Hotline Miami en mode
« pas de ralenti et j'abats plus vite que la foudre » par les dieux du
pad', et bien qu'une jauge temporelle limite votre temps d'accomplissement des missions (jauge forte généreuse, il faut l'avouer), les mécaniques d'aide et la durée courte de chaque tableau permettront à tous de terminer le jeu. On est plus proche d'un jeu de réflexion en abusant de ces bonus que d'un jeu
« git good ». N'espérez donc vraiment pas ce sentiment d'intensité permanent, cet oubli dans les réflexes musculaires que produit le rythme d'un Hotline. Un bon point pour l’accessibilité du jeu donc (dans sa définition la plus large). Le véritable challenge sera de se passer de ces béquilles, mais en l'absence de mode
time-attack, et vu la prépondérance de la narration inzappable même en seconde partie...
La réalisation exemplaire, entre un
pixel-art qui réconfortera les détracteurs avec le genre (il suffit de constater les captures de cette page) et des anims ou effets de lumières épatants (à l'image du passage dans l'église, de la prison ou de la discothèque), les contrôles simples, faciles mais dont l'utilisation et combinaisons permettent une foule d'approche des niveaux (malgré le fait que ces derniers soient relativement basiques), tout semble contribuer à faire de Katana Zero un très grand indé. Et si je suis de cet avis, parce que le résultat créé est impressionnant de finesse, de syncrétisme et d'un sentiment de complétude, on n’ôtera tout de même à quiconque aura touché le titre le sentiment d'avoir affaire à un
Deus Ex : Mankind Divided quant à son scénario : lorsque tu penses être parti pour un trio de missions légendaires bouclant certains arcs et balançant à la gueule du joueur une overdose de ses principes et formules, le jeu se stoppe. On aurait aimé une poignée de missions additionnelles, mais qui sait, le futur nous en apportera peut-être (un secret semble indiquer
quelque chose à venir).
Alors oui, on refera bien quelques missions pour explorer les dialogues possibles, découvrir les quelques secrets présents mais bon... Une durée de vie de 3-4h, ça fait mal quand on a affaire à un jeu en tout point réussi par ailleurs. Comme un sentiment de mise en bouche...
Les captures d'écran ont été effectués sur Switch. Aucun souci à signaler depuis la MàJ 1.01 (cocasse vu le scénario). C'est fluide en toute circonstance, ça charge plus rapidement que le temps qu'il ne faut à notre protagoniste pour trancher la gorge des brutes en marcel qu'il affronte, et on ne regrettera encore une fois que ces foutus
joy-cons et leur course de stick ridicule ainsi que le choix des artistes d'avoir très souvent leurs tableaux n'occupant que les 2/3 de l'écran : en mode portable, on a le sentiment de passer à côté de leurs travaux.
C'est pour l'instant uniquement dispo en démat', sans mention de versions physiques (bien que ce ne soit qu'un secret de polichinelle) ou d'autres supports ultérieurs et ça vaut moins de 15 balles.
Le jeu bénéficie d'une excellente
traduction française et vous ne perdrez rien du scénario. Une traduction aussi intelligente que son titre, et qui retranscrit bien la dualité, la tension permanente que distille le jeu.
Le bilan, malgré cette petite poignée d'heures de jeu, est plus que positif et je ne peux que vous recommander ce diamant ciselé avec tant de soins et d'attention si cette "introduction" à une histoire générale plus vaste mais malheureusement plus rapide que l'arrivée des premières lamentations de joueurs découvrant un From sans assistance ne vous dérange pas. Une excellente surprise, parfois comparée à Hotline Miami pour ses phases de gameplay brutales mais dont l'intensité générale l'en éloigne totalement à mon sens : outre un flux dilué, avec ses rapides sans pitié et ses traversées narratives étirées, on a au final l'impression d'avoir plus affaire à un jeu esthétique avant tout, dans lequel la création visuelle et la fusion et variation de sa thématique principale avec les éléments qui le composent priment, et où les séquences d'action ne sont que prétextes à leur diffusion! Heureusement (ou malheureusement) pour nous, le soin apporté à ces dernières ne fait pas défaut, et arrivent à faire preuve d'originalité malgré des influences certaines (Mark of the Ninja, Hotline....) et l'on ne regrettera que leur faible nombre au moment de boucler « l'introduction » des aventures de notre tourmenté héros. C'est qu'en même temps, on a pas tous les jours la possibilité de renvoyer une rafale de balles à l'envoyeur via notre lame vous comprenez ? Katana Zero ou le The Order des indés... Mais avec un bon, voir très bon gameplay donc. Ce qui fait toute la différence, vous en conviendrez tous.
Un vrai monarque au final, dans tous les sens du terme, même ses plus sombres.
Chronos :
- Visuel somptueux (pixel-art, anims)
- La patate sonore et visuelle des coups, effets et ennemis
- Narration active
- Se contrôle au poil
- Si Palmer Eldritch ou un classique du cinéma militaire remaké au moins 3x en 70 ans vous parlent, foncez. Vous ne trouverez plus bel hommage dans cette sphère
- Malin. Très malin.
Chaos :
- Trop court. Bien trop court
- L'"arythmie" pourra troubler les plus joueurs
- T'as des enfants en bas-âge? P't être pas à mettre devant leurs mirettes
Malgré sa confusion, cet avis n'a pas été écrit sous Chronos.