Les fumeurs sont étonnement la plus grande métonymie qui soit : victimes de cancer des suites de leur comportement insensé, ils deviennent à leur tour un chancre : celui de la société. Trou dans la sécurité sociale, trou dans la couche d’ozone, trou dans les poumons de leurs fréquentations, trou dans leur porte-monnaie, trou de soixante-cinq mille personnes chaque année dans la population française… plus encore que le poinçonneur des lilas de Gainsbourg — qui lui même était fumeur, donc fauteur de trou(ble)s —, les fumeurs font des trous, des petits trous.
Le fumeur est à la fois un assassin et une victime. Car aucun fumeur n’aime fumer, et tous désirent arrêter. N’oublions pas que le fumeur est un être faible, désarmé, souvent asocial et qui trouve dans la cigarette un échappatoire à sa solitude et à sa frustration, allant jusqu’à faire de bâtonnet toxique un objet de culte religieux et sexuel, transformant le fumage en orgasme ; en conséquence, quoique conscient de sa dépendance envers la cigarette, il ne peut arrêter, même s’il le désire de tout son être. Le fumeur qui vous dit qu’il fume parce qu’il aime fumer est un fieffé fumiste qui tente de vous enfumer ; il est impossible qu’il vous dise la vérité (ce serait comme si un catholique disait qu’il pense sincèrement que Dieu existe).
Certains comportements doivent donc être adoptés face à un fumeur. Premièrement, gardez votre calme. Mais ne vous approchez pas trop — on ne sait jamais de quoi sont capables ces bêtes-là. Il faut faire comprendre au fumophile qu’il met sa santé en péril — il se peut qu’il ne le sache pas, les paquets de cigarette n’étant pas particulièrement explicites à ce sujet — , et que, parce que « fumer tue », il est en train de mourir de sa passion. Ne le laissez pas croire que «fumer peut tuer » ; tous les fumeurs meurent de la cigarette, et du reste, puisque « fumer tue», on peut affirmer qu’à l’inverse « ne pas fumer empêche de mourir ». Pour bien véhiculer l’idée des souffrances qui le guettent, n’hésitez pas à lui montrer des photos de poumons vérolés et détruits par une pratique intensive du fumage. Il est regrettable que l’on n’ait toujours pas, en France, le pays des droits de l’homme (non-fumeur évidemment — mais un fumeur n’est pas véritablement à proprement parler un homme ; il n’est qu’une machine mise au service du grand capital et qui s’ignore totalement), adopté la mesure anglaise consistant à coller sur les paquets de tabac des photos des organes tuméfiés de cancéreux en phase terminale. Dans le même ordre d’idée, il est dommage que les voitures ne soient pas vendues avec un catalogue de photos des plus jolis accidentés et des défigurés les plus mignons. Il pourrait du reste en aller de même avec les barbecues (des posters de grands brûlés), les tronçonneuses (de magnifiques amputations encore fraîches), les bretzels (une belle photo d’un étouffé pris sur le vif), les chiens (les plus jolies morsures, encore profondes et saignantes) ou les lits (les photos des plus belles chutes).
La mesure la plus efficace consiste à faire culpabiliser le fumeur en lui disant que ce n’est pas seulement sa santé qu’il met en péril — on se fout de sa santé en fait—, mais surtout celle des autres. Il est vrai qu’on peut sans problème lui mettre sur le dos les cinq mille personnes mourrant de tabagisme passif chaque année en France. Un problème qu’il sera très facile de régler en interdisant la cigarette dans les lieux publics. De fait, une étude de l’INSFMTP a démontré que 90 % des morts dues au tabagisme passif étaient causées par l’exposition de deux à trois heures par semaine dans un café à la fumée exhalée par les fumeurs environnants (les 10 % restants trouvant leur cause, de manière plus rare, dans l’absorption d’une seule bouffée de la fumée d’un fumeur n’importe où — dans la rue par exemple — provoquant une mort immédiate et sans appel), tandis qu’une autre étude du même institut a quant à elle prouvé que 100 % des personnes vivant quotidiennement au contact d’une personne fumant dans leur famille ne risquent rien. C’est pourquoi l’interdiction de fumer dans les lieux privés devient inutile, même si elle ne sera certainement pas écartée de la liste des choses à faire pour satisfaire la bien-pensance hypocrite des fumophobes. En outre, on sait de source sûre que 100 % des études de l’INSFMTP sont bidons.
N’oublions pas également les accidents domestiques dus à la malveillance de fumeurs qui oublient leur poison sur leur banquette, causant ainsi des dizaines d’incendies d’immeubles par an.
Animal décérébré et emprisonné dans ses pulsions tabagiques, à l’image du pédophile qui ne se libère jamais de son envie de petites filles, le fumeur, même s’il n’a pas encore son cancer, est un grand malade. Si la maladie du fumage n’est pas contagieuse — on ne se met pas nécessairement à fumer après le contact avec un fumophage —, il convient de conserver une distance de sécurité, pour éviter d’attraper le cancer du fumeur concerné. Les chiffres sont en effet simplissimes : chaque fumeur provoque un cancer du poumon. Il peut soit en être la victime, soit en être le coupable, et donner ainsi son cancer à lui à un personne passant par là totalement par hasard. D’ici à ce que ce soit vous, y a pas grand chose, donc prenez garde ; il se peut que demain un fumeur vous refile son cancer sans que vous vous en rendiez compte sur le coup (période d’incubation d’environ une semaine à toute une vie). La relation du fumeur au cancer est ainsi exclusive : il n’y a pas plus de cancers du poumon que de fumeurs, simplement ces cancers ne touchent pas que les fumeurs — les félons cherchant des non-fumeurs, cible innocentes et faciles, pour se débarrasser de leur propre cancer. On en déduit cette équation simple : zéro fumeur = zéro cancer.
Il faut donc faire disparaître les fumeurs de notre société. Nous pourrions à la limite les envoyer en Afrique, où un problème de plus passerait inaperçu, perdu dans la masse des emmerdes touchant les populations qui meurent là-bas.
Les mesures les plus évidentes sont à portée de main. Dans un premier temps, l’accès au travail (1) et à toute forme d’aide sociale leur serait évidemment proscrite, et leurs enfants iraient dès la naissance dans un centre de redressement. Des amendes élevées leurs seraient infligées pour tout incartade, et une femme enceinte prise sur le fait écoperait de 325 $ d’amende (2). L’éducation anti-fumage devrait se faire dès le plus jeune âge, en proscrivant la cigarette de tous les films parus ou à paraître, de toutes les BD (3), de toutes les images où des personnalités s’affichent avec une cigarette (4) et de toutes les expressions artistiques (5). Evidemment, les mots se rapportant à tout ce qui concerne le fumage seraient interdits. Il faudrait également effacer toute trace de l’existence du tabac dans le passé — Winston Churchill ayant par exemple fait une publicité outrancière à cette pratique déshonorante.
La solution la plus efficace resterait néanmoins la bonne vieille technique de la solution finale, déjà expérimentée avec un succès conséquent (quoiqu’inachevé) par Hitler (qui était non-fumeur, notez) sur les populations judaïques qui l’avaient bien cherché, à force d’être plus intelligentes que tout le monde tout en étant trop bêtes pour mériter le droit de vivre.
Nous pourrions ainsi annoncer qu’à Auschwitz la cartouche de cigarettes est à 1 € et qu’il y en a à volonté pour exhorter les fumeurs à une grande transhumance vers ce camp.
Pour les fumageurs qui auraient préféré rester chez eux, tout droit serait évidemment donné aux non-fumeurs de les martyriser et de les tabasser à souhait, et des récompenses seraient offertes à quiconque dénoncerait un fumeur.
Notre slogan pourrait être : « Fumeur, une heure et tu meurs, de ta tumeur ou de la rumeur ! ».
Une fois ce chancre éliminé, nous vivrions enfin dans une société débarrassée de toute contrainte et de toute pollution.
A ces mesures s’ajouteraient l’interdiction de toute nourriture et boisson non-diététique et l’obligation pour tout le monde de consommer des médicaments — en cours de conception — permettant de vivre au delà de 120 ans (le rêve de tout un chacun). Les maladies n’existeraient plus, et notre monde serait à nouveau propre et beau.
Pour atteindre cet idéal, la disparition des fumeurs est l’objectif numéro un, le premier palier vers une société plus respirable et peuplée de gens heureux.
Notes tout à fait sérieuses :
(1) Nous n’en sommes pas loin : la législation européenne veut qu’un employeur puisse refuser un poste à quelqu’un sous prétexte qu’il est fumeur
(2) C’est effectivement déjà le cas, à Taïwan
(3) Nous n’en sommes pas loin non plus quand ce n’est pas déjà fait : pourquoi croyez-vous que Lucky Luke mâchouille aujourd’hui un brin d’herbe ?
(4) Récemment, la Bibliothèque Nationale de France a effacé la cigarette que Sartre tenait entre les doigts pour imprimer sa photo sur des timbres, à l’occasion du centenaire de sa naissance
(5) Il y a quelques jours, Keith Richards, guitariste des Stones, a failli écoper d’une amende en Angleterre pour avoir allumé une cigarette lors d’un concert, dans un stade. Les autorités ont levé la menace qui pesait sur lui parce que la distance le séparant du public était suffisamment grande pour qu’il ne lui porte pas atteinte. En Ecosse, un comédien interprétant Churchill au théâtre s’est vu interdire d’allumer sur scène le cigare pourtant caractéristique du personnage.
Je crains de ne pas être beaucoup trop pessimiste dans cet article. L’avenir réservé à ceux qui s’adonnent au simple plaisir de la cigarette, stigmatisée aujourd’hui comme le fut la masturbation au temps de la dictature de l’Eglise, risque en effet de voir s'affirmer une supériorité naturelle, légitimée par l’Etat, des non-fumeurs sur les fumeurs, destinés à n’être plus que des sous-hommes.
Si la génération qui a déclaré en 1968 qu’il était interdit d’interdire pouvait respecter son engagement, elle m’en verrait fort ravi.
Par ailleurs, je vous conseille le livre suivant : Je fume, pourquoi pas vous ? Contre la tabacophobie
, que j’ai trouvé au musée du fumeur à Paris (dans le onzième je crois, pas loin du Père Lachaise, et c’est un musée que je vous conseille au passage, très informatif et éclairant) et dont un résumé se trouve à cette adresse (cliquez donc ici).