(Même si tout ça avait un aspect désespérant indéniable, au vu de ma situation, je ne pouvais réprimer un accès jubilatoire en imaginant l’auteur de cette aventure de con tentant désespérément d’y mettre fin, et regrettant de lui avoir donné la tournure que vous connaissez.)
J’avançai, me passant la main dans les cheveux. En mettant l’autre main dans ma poche, je sentis un paquet de cigarettes.
(Joie)
(Joie partout le corps)
(Corps en joie)
(Jouissance corporelle)
Je m’emparai du paquet de Marlboro, et l’ouvris diligemment. J’attrapai l’une de ces demoiselles, qui trônait là, le filtre à la vue de tout le monde. La déposai entre mes lèvres sèches. L’allumai avec un briquet apparu dans ma main au même moment. Désirai que la pluie cessât – ce qu’elle fit aussitôt. Tirai une longue latte. Avalai la fumée non sans jouissance. Tentai de faire des ronds de fumée – mon rêve de ma vie. Fis des ronds de fumée. Jouis de les voir s’envoler vers la lune. Me rendis compte que je maîtrisais l’histoire, et que l’auteur supposé de cette dernière ne la maîtrisait désormais plus. (Me dis que c’était génial.)
Je décidai que cette aventure nocturne se conclurait de jour, dans un champ de blé nimbé de soleil.
Je m’allongeai dans le blé, sur le dos, ma cigarette dans la main.
En réalité, je n’avais pas véritablement d’idée pour finir cette histoire en beauté.
Etant moi-même devenu écrivain de ma propre vie de personnage fictif, je ne savais plus trop qu’en faire.
Je savais que je ne voulais surtout pas retourner dans ce bled trop silencieux aux habitants décharnés ; je savais que je ne voulais revoir aucun des pantins rencontrés dans cette nouvelle.
Ce que je voulais, en fait, c’était continuer de l’écrire sans que personne ne pût la lire.
(Et ce que je voulais par dessus tout, c’était arrêter d’employer le subjonctif passé alors que c’est une pratique totalement surannée.)
Je voulais tuer l’écrivain, ou en tout cas le connard qui se croyait tel.
Je me levai, terminai consciencieusement ma cigarette, me dis que c’était con de ne pas vouloir fumer parce que c’était définitivement bon pour la santé mentale, et regardai les montagnes qui m’apparaissaient, et leur pic enneigé, et les nuages dans lesquels n’importe quel débile romantique aurait trouvé des formes significatives, et constatai que celui de gauche dessinait indubitablement une banane, tandis que celui de droite représentait sans le moindre doute un nuage.
Il était temps d’en finir avec tout ça, pensais-je ; il était temps de montrer à l’écrivasseur qui avait tenté de me manipuler qui était le maître ici.
Je décidai que l’auteur allait mourir après un compte à rebours de dix secondes, pour lui laisser le temps de savourer l’inéluctabilité et la proximité de sa mort.
(Everything in it's right place. La veille je m'étais réveillé en suçant un citron ; aujourd'hui il y avait deux couleurs dans ma tête)
Je décidai qu’en prononçant le mot « zéro », tout cesserait.
« Dix. Neuf. Huif. Sept. Six.
(Dix secondes c’était long quand même)
Cinq. Quatre. Trois. Deux. Un… »
(Jamais je n’avais ressenti une telle impression de liberté et de pouvoir ; jamais je n’avais tant jubilé à l’idée de détruire la vie de quelqu’un. Il ne me restait qu’un mot à prononcer, deux syllabes à articuler, quatre lettres à assembler, le néant à matérialiser, pour que tout soit achevé. Mais je savais que plus personne ne serait là pour rendre compte de ce bonheur. Qu’à cela ne tienne, j’en avais une envie terrible.)
Je fis tomber la guillotine sur mon bourreau ; j’articulai le mot
z é r o

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posted the 08/10/2006 at 10:39 PM by
franz