
La créativité en péril
Chaque année, plusieurs centaines de jeux sont commercialisés. Les consoles, les ordinateurs, les téléphones portables, les PDA sont autant de plates-formes aptes à accueillir cette multitude de titres. Alors que l’on pouvait imaginer que la multiplication des supports allait donner naissance à des jeux toujours plus originaux et innovants, nous avons, en fait, assisté au phénomène inverse. En effet, le secteur des jeux vidéo doit faire face en ce moment à une crise de croissance. Les artisans du départ laissent petit à petit la place à des businessmen qui gèrent des entreprises énormes où la passion s’efface progressivement devant la raison. Alors certes, ce phénomène n’est pas récent (souvenez-vous des jeux à licence sur NES ou même Atari VCS2600, des multiples Megaman...), mais avec la transformation d’un marché de niche en mass-market, il n’est en devenu que plus visible et nuisible.
Dans ce dossier, nous vous proposons, dans un premier temps, de revenir sur les faits, c'est-à-dire d’analyser les différentes formes que peuvent prendre ce manque d’originalité dans les jeux, les conséquences que cela entraîne avant d’en revenir aux causes profondes et d’essayer de voir si des solutions existent ou si cette situation est inéluctable.
Le manque de créativité peut prendre plusieurs formes.
Aujourd’hui, les jeux réellement créatifs et originaux se comptent sur les doigts d’une main. Pari souvent risqué, l’édition d’un tel titre n’assure en effet en aucun cas de son succès. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles les éditeurs préfèrent limiter les risques et se concentrer sur ce que nous appellerons des valeurs sûres, ou, pour reprendre un terme boursier, des valeurs refuges. Ces valeurs refuges peuvent être classées en plusieurs catégories : les portages, le multi plate-forme, les jeux à licence, les suites, les sagas, les remakes et le rétrogaming. Bien sûr, d’autres formes peuvent exister mais, pour ce dossier, nous nous focaliserons sur ces grandes familles. Nous allons bien sûr revenir sur chacune de ces catégories et analyser si, oui ou non, elles sont néfastes pour les jeux vidéo et la créativité.
Mais auparavant, nous allons illustrer cette notion de valeur refuge par une petite étude statistique. Nous avons analysé les jeux testés depuis le mois de janvier 2004 par un grand mensuel de la presse vidéoludique en classant les jeux dans les différentes catégories présentées ci avant. Les résultats sont sans équivoques. La prise de risque est aujourd’hui minimale puisque, sur 228 jeux testés, tous supports confondus, seuls 65 sont vraiment des créations originales soit 28%. Ce chiffre doit également être pondéré puisqu’il prend en compte les jeux imports japonais qui contiennent de nombreuses bizarreries qui ne franchiront jamais nos frontières. Voilà, seulement un tiers des jeux commercialisés sont complètement nouveaux. Est-ce un mal, est-ce insuffisant ? C’est ce que nous allons voir dans la suite de ce dossier.
Pour compléter cette étude, voici les résultats pour chacune des catégories :
Portage : 14%
Multi : 14%
Licence : 25%
Suite : 53%
Saga : 13%
Remake : 3%
Retrogaming : 4%
Juste une remarque sur ces chiffres : la somme des différents pourcentages dépasse les 100% ce qui est normal. En effet, un jeu peut appartenir à plusieurs catégories. Ex : Dragon Quest 5 est à la fois un remake, une suite, une saga…
En étudiant ces chiffres, On s’aperçoit que les suites et les licences sont les jeux les plus présents. Il ne faut donc pas s’étonner qu’un éditeur comme Electronic Arts, très friand de ces deux catégories soit un des plus profitables au monde. Mais nous y reviendrons…reprenons donc rapidement chacune de ces catégories.
Les suites: phénomène le plus courant et trahissant souvent un manque flagrant d’originalité, les suites de jeux vidéo représentent plus de la moitié des titres commercialisés. Cela en est tout de même inquiétant : en effet, le compteur présent à la suite des titres augmente de plus en plus rapidement. Gran Turismo 4, FIFA 2004, Burnout 3, Mario Party 6, Silent Hill 4, Resident Evil 4… Avec ces quelques exemples, on se rend rapidement compte qu’un jeu à succès a de très fortes chances d’avoir une suite. En soit, cela n’est pas un problème.
Le joueur, après avoir goûté avec satisfaction à un nouveau titre est bien souvent ravi de pouvoir se replonger dans une suite. Mais aujourd’hui, il semble les suites sortent à un rythme trop rapproché. Regardez Nintendo avec Zelda ou Mario Kart : chaque suite est attendue pendant des années. Si cette attente est difficile à vivre pour tous les fans, elle n’en est que plus bénéfique. La découverte du jeu, une fois en main, procure des sensations rares.
Peut-on en dire de même des jeux comme Tomb Raider dont la sortie frénétique chaque hiver pendant cinq ans aura eu raison des joueurs les uns après les autres, même des plus fans. Pourquoi ? Tout simplement car en si peu de temps, il est très difficile de renouveler le concept. On propose donc une évolution plus qu’une révolution et bien souvent le joueur à l’impression de rejouer au même jeu avec un scénario un peu différent.
Si l’on en croit les média, c’est un peu ce qu’il s’est produit avec Splinter Cell dont la nouvelle version est décriée pour son manque d’innovation en solo (ce qui n’enlève rien au superbe mode multijoueur). Poussons même plus loin l’analyse avec la série des FIFA. Chaque année, le jeu ressort avec une base de données mise à jour ce qui est finalement sa plus grande innovation. Malgré quelques changements dans la jouabilité depuis quelques années, FIFA est aujourd’hui l’exemple même de la suite finalement sans beaucoup de saveur.
Alors oui les suites sont nécessaires au marché des jeux vidéo. Qui n’a pas envie de vivre la suite des aventures de Solid Snake ou de voir comment Link va de nouveau réussir à sauver Zelda. Mais ne faudrait-il pas que ces suites soient plus travaillées plus réfléchies et surtout moins systématiques? De plus, il faudrait également que les suites, comme elles sont des valeurs sûres, permettent de financier des projets plus intimistes, plus créatifs et originaux. C’est ce qu’a fait Capcom en lançant Viewtiful Joe mais également bientôt Viewtiful Joe 2. Et c’est d’ailleurs le problème. Le premier jeu d’une série est quasiment toujours innovant. Le fait de voir apparaître des suites diminue l’impact créatif. L’équilibre est donc difficile à trouver et c’est le travail des développeurs que d’amener un plus produit intéressant pour le joueur entre chaque épisode d’une série.
Les licences : réaliser un jeu à partir d’un film, d’une BD ou d’un manga n’est pas une pratique récente. E.T est un des premiers films à avoir eu droit à une adaptation en jeu vidéo. Mais aujourd’hui, un jeu vidéo fait partie intégrante d’une stratégie marketing bien ficelée. Star Wars, Le Seigneur des Anneaux ou plus récemment Van Helsing ou Harry Potter, chaque grand film est suivi ou précédé d’un jeu qui en reprend, de prêt ou de loin, la trame. Est-ce la encore un mal ? Pas du tout ! Un jeu à licence peut être très créatif, original et permettre de prolonger les bonnes sensations ressenties en lisant un manga ou en allant visionner un film. Voilà pour la théorie. En pratique cela arrive finalement peu. Seuls quelques titres sortent réellement du lot comme KOTOR, Les Deux Tours, Naruto, XIII… A côté de cela, on retrouve de nombreux jeux absolument horribles et qui, bien souvent, font honte aux jeux vidéo.
Alors pourquoi un film ou un manga, aussi bon soient-ils, peuvent-ils donner naissance à un jeu conventionnel, insipide et souvent inintéressant. Pour deux raisons : la première est que les studios de développement doivent payer les licences pour obtenir le droit d’utiliser l’image d’un super héros, d’une BD ou d’un film. Ces sommes déboursées sont absolument colossales et peu de studios peuvent se permettre de tels investissements. Donc, avant même de démarrer le développement du jeu, le studio doit parfois investir plusieurs millions d’Euros. Impossible donc de prendre le risque de sortir un jeu original et créatif qui risquerait de ne pas trouver son public et ainsi de quasiment condamner la société.
L’exemple d’Atari avec Matrix illustre parfaitement ces propos. Avant même de lancer son jeu, Atari a annoncé qu’il lui faudrait vendre X millions de titres pour que l’opération soit rentable. Résultat, pour réduire les coûts de développement, certains choix ont été faits. Il en résulte un jeu très classique, sans surprises mais surtout très buggé. La critique fut assez négative mais une bonne campagne marketing permit d’occulter tous ces défauts.
En fait, bien souvent, les éditeurs s’appuyent sur la licence pour vendre des titres qui sans elle, auraient fait un flop monumental. Ils jouent sur la passion des fans, prêt à investir 60 Euros pour retrouver les héros de leur film ou dessin animé préféré. Cela reste scandaleux mais heureusement, quelques fois, des pépites émergent de cette mare de jeux sans âme.
L’autre point qui empêche les jeux à licence d’être très originaux est tout simplement la pression du détenteur de la licence. Celui-ci peut dicter ses orientations et celles-ci ne sont pas toujours en accord avec celles des développeurs. Mais plus grave encore, les propriétaires de ces licences peuvent imposer la date de sortie du titre. Et là, bien souvent, c’est la catastrophe. Combien de titres, en effet, ont été bâclés, ont vu des fonctionnalités originales abandonnées pour que les délais soient respectés ?
Heureusement, une pointe d’optimisme persiste. Electronic Arts, le roi de la licence, propose des jeux d’une grande qualité et crée même des titres originaux comme avec le dernier James Bond. Tout espoir n’est donc pas perdu de pouvoir avoir des jeux à licence passionnants.
Le multi : cela consiste à sortir un même titre sur l’ensemble des consoles du marché. Cette intention est très louable car rares sont les joueurs capables d’avoir toutes les machines. Bien sûr cela ne contribue pas à la créativité puisque les jeux sont bien souvent semblables. Cela a même pour effet d’uniformiser le marché. C’est un fait inéluctable mais qui ne peut être complétement critiquable.
Ce qui l’est plus c’est que ce jeu, sortant sur toutes les plates-formes, est bien souvent absolument identique. Les développeurs, dans un soucis d’économie, préfèrent créer le jeu en se basant sur le potentiel commun de chacune des machines. Ainsi, ils ne tirent absolument pas profit des spécificités des différentes consoles. Bien sûr Il ne faut pas généraliser et, par exemple, EA a proposé des jeux sur Gamecube qui exploitent la relation entre la GBA et la console de salon. Ubisoft a fait de même sur Splinter Celle premier du nom.
Mais globalement, on retrouve la même réalisation mais plus grave, également les mêmes bugs ou les mêmes défauts.
Le phénomène du multi bride encore un peu plus la créativité et l’originalité dans le jeu vidéo puisque, lorsque trois équipes différentes travaillent sur le même titre, cela fait finalement deux équipes qui ne travaillent pas sur des titres plus originaux.
Le portage : ce cas ressemble de très près au précédent. Lorsqu’un jeu fonctionne sur une machine, il peut être décidé de le publier bien plus tard sur un autre support. Ce processus se nomme le portage. Bien souvent cette tâche est sous-traitée à un autre développeur qui à la charge d’effectuer le transfert d’une machine à une autre. L’objectif ici n’est pas d’améliorer le titre mais d’augmenter son potentiel de vente. Ce qui ne plaît pas dans ce procédé c’est que le portage sort souvent plusieurs mois après l’original et que les innovations se comptent sur les doigts d’une main. Il en résulte des ventes assez faibles car l’effet de mode est passé et que les joueurs se tournent vers de réelles nouveautés. Les portages n’ont pour seul intérêt que d’élargir la gamme de titres disponibles sur un support. Regardez Baldur's Gate Dark Alliance. Sorti d’abord sur PS2, il fut ensuite converti (bien plus tard) sur GC et XBOX. Il fut vendu 60€ alors qu’il était déjà platinum sur PS2 (et donc à 25€).
La saga : selon moi, cette catégorie est celle qui fait le moins de mal à la créativité dans les jeux vidéo. En effet, nous parlons ici des sagas mythiques comme Final Fantasy, Dragon Quest, Zelda ou Mario. Chacun de ces titres a connu de nombreuses suites, mais à chaque fois, ils ont su se renouveler pour offrir une nouvelle expérience aux joueurs. Ici on parle plutôt de franchise. A l’exception de FF X-2, tous les Final Fantasy ont offert une trame, une époque et des personnages différents. De plus, de nombreuses séries dérivées ont vu le jour : Final Fantasy Tactics, Cristal Chronicles, Chocobo racing… L’innovation est donc de mise. En s’appuyant sur des bases connues (univers…), les développeurs proposent des titres variés et explorant différentes voies.
Reste que Final Fantasy en est à son douzième volet et que cela commence à faire beaucoup. Peut-on imaginer un FF 23, FF 38. Cela risque de poser quelques problèmes. Peut-être Square-Enix devrait revoir les noms de ses produits pour que cette sensation de répétition s’efface de l’inconscient collectif.
Quand on voit Donkey Konga, on ne peut pas parler de suite tant le concept change : Donkey dans un jeu musical. On retrouve une certaine créativité tout en conservant des personnages connus de tous. Tout espoir n’est donc pas perdu.
Le retrogaming : phénomène en forte croissance, il consiste à proposer, sans modifications, des jeux ayant plusieurs années. Il y a quelques temps, la série des Namco Museum a connu un certain succès. Ces titres proposaient des compilations de vieux titres de la firme à l’origine de Pacman ou Galaga. Ces compilations sont intéressantes pour les nostalgiques mais encore une fois, elles viennent à l’encontre de la créativité. Ressortir tels quels de vieux titres qui ont fait leurs preuves en jouant sur la nostalgie des anciens gamers n’a en effet rien d’innovant. On recherche l’argent facile, la prise de risque minimale. Mais cette politique n’est à priori pas condamnable tant que plusieurs jeux sont compilés sur un titre et que le prix est convenable.
Ce qui est plus critiquable, c’est le processus apparu avec la sorti de la Game Boy Advance. La plupart des éditeurs rééditent des jeux Super Nintendo et empochent ainsi un maximum d’argent en ne prenant aucun risque. Nintendo est le principal visé. De recyclage en recyclage de ses plus grands titres (Mario Advance, Réédition des Pokemon…), Nintendo nous donne l’impression que les jeux vidéo évoluent par cycle et que tous les 10 ans, on rejoue aux mêmes titres.
Les autres éditeurs n’osent pas devenir créatif puisque ces titres Nintendo, très connus, trustent les premières places des charts. Du coup, ils adoptent la même stratégie : Aladin, Magical Quest chez Capcom, Shining Force chez Sega, La série des Mana chez Square ou Double Dragon sont autant d’exemples flagrants. Bien évidemment, rejouer à ces anciens titres sur une portable a une certaine saveur mais des jeux innovants comme Golden Sun méritent plus, selon moi, d’être en première ligne.
Mais le pire reste à venir : Nintendo vient de lancer sa gamme Famicom Mini. Plusieurs anciens titres NES sont réédités tels quels sur GBA. Cette gamme a eu un tel succès au Japon (plus de un million de titres vendus) qu’elle va bientôt s’élargir. Nintendo ne crée plus, il recycle et cela est assez embarrassant pour l’avenir des jeux vidéo. Ne désespérons pas, peut être que la Nintendo DS permettra de retrouver cette notion de créativité qui commence à se faire de plus en plus rare.
Le remake : dernière catégorie de notre liste, elle est apparue assez récemment. Les figures de proue de celle-ci sont deux titres Gamecube : Resident Evil Rebirth et MGS the Twin Snakes. Le principe est simple. On prend un énorme succès paru sur une autre machine et on l’améliore en revoyant la réalisation et la jouabilité. La trame reste la même mais nous avons l’impression de revivre une autre aventure tant l’environnement de jeu diffère. Là encore, la créativité n’est pas le point fort de ces titres. Bien souvent, d’ailleurs, les remake sont en fait des portages déguisés. Si cela est une pratique louable pour les titres mythiques, il ne faudrait que cela se généralise pour des titres jugés moyens.
Voilà dressé le panorama des jeux qui ne favorisent pas le retour de la créativité sur ce marché. Les faits sont là, ces genres de jeux se multiplient depuis quelques années. Mais à qui la faute ? Pour tenter d’apporter des éléments de réponses, je vous propose d’analyser les différents acteurs du marché pour tenter de définir les responsabilités de chacun.
Manque de créativité : à qui la faute ?
Chaque intervenant du marché des jeux vidéo porte une part de responsabilité dans ce manque de créativité actuel. Cependant, avant d’analyser chaque catégorie d’acteurs, revenons sur l’élément fondateur de cette tendance, le marché.
De l’artisanat à l’industrie, le jeu vidéo a opéré sa mue.
Avouons le tout de suite, le manque de créativité dans les jeux vidéo résulte avant tout de raisons économiques. Auparavant, les éditeurs de jeux vidéo n’étaient pas de si grands groupes et la rentabilité n’était pas le maître mot. Dans cette époque bénie, il était principalement question de passion. Les créateurs de jeux vidéo étaient des passionnés qui, parfois seuls dans un garage, parvenait à développer des titres qui devenaient des best-sellers. Que les plus anciens se remémorent le mythique Another World.
La créativité était alors de mise puisque toutes les bases de cette nouvelle culture étaient encore à construire. Aujourd’hui, les jeux vidéo reposent toujours sur ces fondations posées par ces pionniers. L’innovation est donc plus que réduite et on peut difficilement imaginer aujourd’hui, quelqu’un développant en solitaire, un grand jeu vidéo.
Les artisans ont laissé place à des industriels qui gèrent des millions d’Euros. D’ailleurs les meilleurs de ces artisans sont devenus des industriels de génie qui ont su effectuer leur mue.
Aujourd’hui donc, nous sommes dans l’ère de la rentabilité. Seuls quelques titres parviennent à apporter des bénéfices à une entreprise. Les prises de risque doivent donc être minimales. Chaque projet majeur mobilise au minimum trente personnes sur deux ans et les coûts de développement ayant grimpé en flèche, tout échec est à proscrire. L’exemple de Driver 3 est éloquent. En cas d’échec de ce jeu, Atari se retrouverait dans une situation délicate. Un seul jeu peut donc ruiner une entreprise. On comprend donc mieux pourquoi les éditeurs sont plutôt frileux à lancer des jeux originaux.
Un temps, Sega a tenté de jouer la carte de la créativité : REZ est ainsi apparu. Ovni vidéoludique, il a été encensé par les critiques mais n’a connu qu’un succès d’estime. De même Shenmue, du même éditeur, est un des jeux les plus créatifs de ces dernières années. Véritable gouffre financier, ce jeu a failli couler Sega alors mal en point. A tel point que personne ne sait actuellement si Shenmue 3, dernier volet de la trilogie verra le jour. Ce jeu a pourtant ému des centaines de milliers de joueurs et a apporté un vent de renouveau sur les jeux vidéo.
Malheureusement, le succès d’estime ne suffit plus. Il faut vendre pour faire des bénéfices qui permettront de créer des jeux à fort potentiel puis les vendre… La boucle est sans fin et les jeux créatifs n’ont que peu de place dans celle-ci puisqu’ils sont moins rémunérateurs que les grands classiques.
Alors pour compenser, les éditeurs tentent de se forger une conscience. Après avoir vendus des millions de titres, ils se permettent une petite création originale. Viewtiful Joe pour Capcom, Beyond Good and Evil pour Ubisoft, Forbidden Siren chez Sony sont quelque exemples. Mais malheureusement, lorsque les éditeurs proposent de tels titres les consommateurs ne suivent pas toujours.
Et c’est bien là le problème. Les joueurs également ont leur part de responsabilité dans le manque de créativité des jeux actuels. Si l’on regarde les ventes de jeux vidéo, les jeux en tête des ventes sont principalement des suites ou des licences. Et oui, le consommateur est frileux et lui non plus n’aime pas trop prendre de risques. Force est de constater que la logique économique agit sur lui également. En effet, le coût d’un jeu est non négligeable. Le joueur ne peut donc investir que dans quelques titres chaque année. Entre Gran Turismo et Viewtiful Joe, le grand public se tournera plus vraisemblablement vers la simulation de Sony. Et on peut le comprendre.
Quelles sont alors les solutions ?
Baisser le prix des jeux est une solution intéressante. Les joueurs pourraient alors acheter plus de titres et donc offrir une place plus importante à des jeux originaux dans leur ludothèque. Malheureusement, cela n’est qu’une solution en aval du processus.
Il faudrait peut-être également que le joueur change ses habitudes de consommation. Comme pour le cinéma d’art et d’essai, il faut réussir à inciter les joueurs à se tourner vers ces titres peut être moins médiatisés. Cela passe par une sensibilisation toujours plus forte des média mais également à une prise de conscience des joueurs. Oui, il est possible de jouer différemment, oui la surenchère technologique ne fait pas forcement un bon jeu. Tout cela est d’ailleurs au centre des réflexions des plus grands puisque M. Iwata ainsi qu’un grand dirigeant de Microsoft affirment que le hardware n’assurera pas le succès de la future génération de consoles. Il faut trouver de nouvelles manières de jouer et cela passera par le software. Aujourd’hui, tout le monde est conscient qu’en dépit de sa grande santé financière, le secteur des jeux vidéo est en crise. Une crise idéologique certes mais une crise tout de même.
D’ailleurs pour confirmer ces propos, il suffit de reprendre les dires du dirigeant de Naughty Dog qui, lors d’une conférence, appelait les développeurs à demander plus de liberté aux éditeurs. Le jeu vidéo, pour poursuivre sa progression, doit évoluer vers plus de créativité, d’originalité. Tout le monde est d’accord pour le dire mais pour le moment, personne n’est prêt à le faire. Sans cette nécessaire révolution culturelle qui semble s’imposer, le jeu vidéo pourrait connaître une grave crise existentielle.
Souhaitons-nous voir le milieu du jeu vidéo devenir comme celui de la musique ou du cinéma où quelques majors dominent l’ensemble du marché et nous imposent leurs produits formatés. Cela signifierait une certaine mort des jeux vidéo tels que nous les avons connus depuis maintenant 25 ans. Si vous ne souhaitez pas cela, dirigez-vous vers des titres plus originaux et faites en sorte que des produits tels que Beyond Good and Evil ou Viewtiful Joe ne deviennent des ovnis vidéoludiques. Et c’est à vous les joueurs de montrer l’exemple. Montrez aux éditeurs ce que vous souhaitez.
Pour finir, un soupçon d’optimisme. Nintendo, qui a toujours défendu une certaine idée de créativité, va présenter une console portable, la Nintendo DS, dont on ne sait finalement que peu de choses si ce n’est qu’elle va offrir une nouvelle manière de jouer. On ne peut qu’encourager cette politique qui, après tout ce que vous venez de lire, n’en paraît que plus audacieuse. Et si Nintendo, qui en a connu des crises sur ce marché pourtant jeune, était dans le vrai ?