La Nuit des morts-vivants de George Romero n'a pas tout à fait inventé le zombie, cette créature en putréfaction avide de chair humaine. Mais lors de la sortie de son film en 1968, il l'insère nettement dans un bestiaire fantastique déjà généreux. Loup-garou (La Nuit du loup-garou, 1961), vampire ( Le cauchemar de Dracula, 1958 ), créature des marais (L'étrange créature du lac noir, 1954), momie (La momie, 1932), tout y est déjà pour faire la fête. Et quand au milieu des années 90, un certain Shinji Mikami se voit confier le développement d'un nouveau jeu au départ voulu très modeste, car ses patrons n'ont pas très confiance en lui malgré son talent indéniable, le zombie n'est plus très populaire dans la sous-culture de l'horreur, ni dans l'imaginaire collectif. L'essentiel de ses apparitions les plus notables appartiennent au cinéma, même si les romans (souvent eux) ont jeté leur dévolu et leur imagination sans borne sur le sujet dès les années 20 sous l'impulsion de Howard Phillips Lovecraft. Aussi, le mythe du zombie originel vient du versant maléfique du culte vaudou, religion païenne dont le berceau se trouverait vraisemblablement en Afrique de l'Ouest, et qui se serait largement exporté au cœur des Caraïbes et jusqu'au Nouveau Monde au XVIIème siècle. Zombie, ou "revenant" en créole désignerait donc un cadavre réanimé, ou plus vaguement un esprit possédé par un chaman ou un esprit supérieur, une entité, souvent malveillante. Bien loin des considérations pseudo scientifiques à base de virus et de modification de l'ADN comme peut nous le raconter Resident Evil. Mais là est le propre de tous les mythes fondateurs, sa propension a être malléable, adapté, assimilé et digéré pour répondre aux idées personnelles de chacun des créateurs qui en prendrait possession.
Si le sous-genre du film de zombie vit ses belles premières heures dans les années 40, il se fait plus discret par la suite, écrasé par les innombrables film de la Hammer mettant en scène le charismatique Christopher Lee dans le rôle de Dracula. On l'a vu, début des années 70, Romero relance un peu malgré lui la machine avec le premier volet de ce qui deviendra sa trilogie sur fond complètement incontrôlé et involontaire de critique acerbe des inégalités sociales. L'assaut des zombies sur un centre commercial durant tout le long métrage de 1978 n'est pas anodin et sera vu par la plupart des critiques comme une allégorie de la prise de pouvoir sur la société et les modes de vie de chacun du capitalisme et de la surconsommation. Les événements socio-politiques mondiaux de 1968 compléteront ce phénomène de prise de conscience qui placeront définitivement et bien malgré lui La Nuit des morts-vivants au panthéons des films cultes. S'engouffrent dans la brèche plusieurs autres cinéastes jusqu'au déclin du média à la fin des années 70. On constate dès lors que le succès des zombies au cinéma est particulièrement périodique, fait de haut et de bas. En 1978, Romero, toujours, donne un second souffle au genre qu'il a lui-même pour ainsi dire popularisé avec son Dawn of the Dead. Pendant la décennie suivante, les producteurs italiens, spécialistes dans l'hyper violence s'emparent de la nouvelle vague de film de zombie mais en oublie la moelle narrative à base de passation de message politique pour se focaliser sur l'horreur brute et purement visuelle. Le filon est exploité à outrance, le grand guignol, sous-genre de l'horreur zombiesque s’effiloche à mesure que les abus de mise en scène sont perpétrés et que cela ne fasse plus très peur, bien au contraire, tant certaine réalisation frôle le nanar et la parodie. La censure sévit et dans tous les médias, la brutalité et le réalisme de l'horreur dans sa plus stricte définition est adoucit, le public perd son appétit pour les films de zombies. Le zombie tombe à nouveau dans l'oubli au début des années 90, faute de réel renouvellement scénaristique ou stylistique. Tandis que la nouvelle vague de slasher (film d'épouvante avec un tueur en série massacrant à la chaîne un groupe d'adolescent ou de jeune adulte, typiquement destiné à un audimat lucratif : la jeunesse américaine) naquit de Wes Craven et de son Scream en 1996, c'est dans ce contexte que Resident Evil et son zombie passé de mode verra le jour.
C'est en 1990 que Shinji Mikami entre chez Capcom après avoir obtenu un diplôme en marketing à l'université de Doshisha à Kyoto, suite à un quiproquo aussi loufoque qu'inespéré. En effet, déjà passionné de jeu vidéo et de film d'action – notamment ceux de Bruce Lee -, il est poussé par un ami à se rendre à un buffet organisé par Capcom dans le cadre d'une campagne de recrutement. Mikami, de son propre aveux ne désirait pas s'y rendre avec de faux espoirs ou avec un plan de carrière bien établi, mais pour déguster un bon repas aux frais de la princesse (mais qui est cette foutue princesse, bon sang ?! ) et passer une bonne soirée. En palabrant avec les gens de Capcom, il se ravise et postule tout en se rapprochant également de Nintendo. Plus tard, il fera un choix et privilégiera la compagnie d'Osaka à celle du plombier moustachu. Entre 1990 et 1994, Mikami travaille à des postes divers sur autant de soft de plus ou moins grande envergure. Le premier, un jeu de plateau nommé Capcom Quiz : Hatena? no Daibōken le place immédiatement en friction avec ses supérieurs car sa méticulosité et son amour du travail bien fait lui font dépasser les délais de production. Sa hiérarchie devra le menacer d'annuler la sortie du jeu pour forcer Mikami à terminer le jeu dans les plus brefs instants. Par la suite, il aura un premier contact avec le milieu de l'animation occidentale puisqu'il s'occupe de Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, toujours sur Gameboy. Le jeu marche bien aux USA mais passe inaperçu au Japon. Mikami devra ronger son frein et courir après la reconnaissance encore un petit moment car même avec la célèbre adaptation de Aladdin sur Super Nintendo en 1993, ses performances seront ternies. En effet, ses supérieurs voient d'un mauvais œil les critiques et les comparaisons qu'on peut faire dans la presse d'époque, plaçant le Aladdin de David Perry sur Megadrive souvent au-dessus de celui de Capcom, quand bien même le Aladdin de Mikami était de grande qualité. Un nouveau budget, revu à la baisse est alloué à Mikami pour s'occuper d'un autre jeu à licence Disney, immédiatement définit par Capcom et par Mikami lui-même comme un titre de seconde zone, un petit puzzle game mâtiné d'aventure faible en ambition : Goof Troop. Nul doute que la légende de Mikami ne s'écrira pas avec ce jeu là non plus, le bonhomme est maussade et déplore sa carrière qui stagne. Néanmoins, les têtes pensantes de Capcom, et notamment Yoshiki Okamoto, concepteur du mythique Street Fighter II, remarquent son caractère bien trempé et son perfectionnisme.
Le manager de la division ''console de jeu'' de Capcom (en opposition à la division arcade), Tokuro Fujiwara, aussi connu pour avoir créé ni plus ni moins que Ghost'n Goblins et Commando et avoir produit Megaman et Ducktales vient voir Mikami avec une question simple : ''aimes-tu avoir peur ?''. Ce à quoi Mikami répond immédiatement que non, il déteste ça ! Fujiwara lui propose alors un projet de nouvelle licence à destination de la Playstation de Sony, Fujiwara veut qu'il s'agisse d'une suite spirituelle à un autre titre de Capcom, confidentiel, sorti en 1990 sur Famicom : Sweet Home. Fujiwara déclarera plus tard : "Si Mikami m'avait dit adorer avoir peur, ou s'il m'avait dit qu'il n'avait jamais eu peur de rien dans sa vie, jamais je ne lui aurais demandé de faire un jeu d'horreur, il aurait forcément été mauvais ! ". Mikami aborde un virage décisif de sa carrière.
Mikami se pose tout de même des questions, notamment sur la réussite et la portée commerciale assez limitée d'un tel projet. Ce à quoi Fujiwara répondra qu'il n'y avait aucune inquiétude à avoir car les business plans de Capcom ne prévoyaient pas des ventes au-delà de cent cinquante mille exemplaires. Le genre de l'horreur n'étant pas encore extrêmement populaire sur console de salon, et la Playstation de Sony venant à peine de pointer le bout de son nez, trop d'inconnu rendait l'équation indéchiffrable et bien malin aurait été celui qui aurait prédit un carton monumental. Ça, c'est la raison officielle. Mais en coulisse, et malgré les qualités reconnues de Mikami, on désire y aller prudemment avec lui. On lui donne dés lors un projet de moindre envergure tout en lui donnant l'illusion qu'il a une liberté créative complète. Mikami s'attelle donc à la tâche en révisant ses classiques, et surtout le fameux Sweet Home. Inspiré du film éponyme de Kiyoshi Kurosawa, le soft mêle J-RPG à l'ancienne et épouvante. Dans un manoir selon toute vraisemblance hanté, une équipe de cinq protagonistes sont à la recherche des trésors cachés dans les lieux par l'ancienne propriétaire. Mêlant réflexion, exploration, combat au tour par tour et en vue subjective à la Dragon Quest, de nombreux détails de gameplay et de représentation rappelle manifestement ce que sera Resident Evil plus tard. L'inventaire limité pour forcer le joueur à faire des choix et à progresser avec précaution ; les ouvertures de portes qui donnent lieux à des petites interactions ; des documents étoffant le background à récolter à travers les décors... Si le bien connu Alone in the Dark (PC, 1992) inspire Mikami par ses plans de caméra, sa mise en scène et son ambiance, nul doute que Sweet Home l'inspire par sa jouabilité et son game design.
Très vite, Mikami se concentre sur le gameplay, le cœur du jeu et ne s’embarrasse que très peu de scénario. Capcom le somme de produire un document afin qu'ils sachent où ils mettent les pieds et le créateur, presque à reculons, indique quelques vagues éléments d'histoire. Un manoir, une équipe d'agent d'élite ou de militaire, des monstres de diverses natures, et le tour est joué. Dès le début, Mikami rejette l'idée d'un manoir hanté, les fantômes ne lui font pas peur. Il préfère une menace réelle et tangible, physique, avec des êtres ''vivants'' comme des animaux. Quelque chose que le joueur puisse identifier facilement comme faisant partie de son quotidien. Mikami s'inspire de la philosophie de Romero, dont il a étudié l'oeuvre plus jeune, ce dernier disait que la pire peur provenait des éléments de la vie de tous les jours que l'on considère d'ordinaire comme bien, rassurante et sécurisante. Pervertir ces éléments là, les rendre mauvais et dangereux, et la peur créée n'en sera que plus forte. Romero dira aussi que ''la chose la plus effrayante, c'est nous-même''. Outre l'analyse économico-sociale qu'on peut en faire, cela veut tout simplement dire que si du jour au lendemain vos voisins, votre famille et vos amis se transforment en zombie dans une incroyable apocalypse à l'échelle mondiale, la peur se mêlera à la tristesse et au désespoir absolu car les figures amicales et rassurantes de votre entourage seront transformées en horreur cruelle et violente. Une première ébauche du jeu est ainsi créée après que Mikami ai fixé la ligne directrice du jeu. La première version est un FPS, comme on l'a récemment appris via différentes interview. Le jeu est d'après les propos rapportés époustouflant, très immersif, mais très difficile à programmer et étrangement, l'équipe d'une vingtaine de personnes n'arrivent pas à trouver l'astuce pour insuffler la peur. Tout est reprit de zéro quelques semaines après le début véritable du développement. Mikami et son perfectionnisme quasiment maladif sont mécontents. Resident Evil est sans nul doute un jeu qui sera enfanté dans la douleur...
Nous sommes alors quelque part en fin d'année 1994. Mais faisons une ellipse temporelle pour arriver directement à la sortie du jeu, le 22 mars 1996 au Japon. Mikami fait la gueule (pour pas changer). En effet, l’événement pour lequel fut invitée la presse quelques temps auparavant s'est assez mal passé. Resident Evil fut accueilli de façon modérée par les journalistes sur place, tandis que Yoshiki Okamoto a décidé de jouer un vilain tour à son compère en lui faisant croire que les premiers retours concernant Resident Evil était très insatisfaisant. La blague ne tient pas très longtemps quand Mikami découvre que son jeu obtient dans le commerce un succès croissant. Capcom annonce fièrement qu'il s'agit du premier jeu de la Playstation à atteindre le million d'exemplaire vendu rien qu'au Japon. Si le background s'est largement enrichi au fil des jeux et grâce aux nombreux documents qu'on découvre dans l'aventure, le scénario de base nous ai présenté comme suit : près de la petite ville paisible de Raccoon City, dans la région montagneuse et forestière d'Arklay se trouve un lugubre manoir. La tranquillité du coin est perturbée par des attaques de ce qui semblent être des gens malades, aliénés, particulièrement violents. Ils n'hésitent pas à dévorer n'importe qui leur passerait sous le nez et très vite, plusieurs victimes sont à déplorer. L'enquête est menée et les autorités comprennent bien vite que les responsables de ce genre d'attaques atroces ne sont plus tout à fait eux-mêmes, une maladie épouvantable les ronge, les obligeant à se transformer en impitoyables cannibales. L'élite de la police de Raccoon City, les STARS (pour Special Tactics And Rescue Service) remontent la piste de ces créatures à l'aspect humaine mais au comportement dangereux et bestial jusqu'à la forêt aux abords de la ville, là où se cache le manoir. L'équipe Bravo des STARS est la première sur les lieux mais au bout de vingt-quatre heures d'investigation, le contact est mystérieusement coupé. On apprendra plus tard qu'il leur ait évidemment arrivé bien des malheurs en plein milieu de cette forêt sinistre peuplé de monstres cannibales. L'équipe Alpha est envoyée en renfort pour secourir l'équipe Bravo, celle-ci se fait à son tour attaquer par les animaux de la forêt devenus incroyablement dangereux. Une nuit de cauchemar débute alors où les quelques membres survivants de l'équipe Alpha se voit dispersé à travers la forêt, certains trouvent refuge dans le manoir mais ils sont loin de se douter des sordides mystères qu'ils vont découvrir … Au fil des investigations, Chris Redfield, Jill Valentine, Barry Burton et leur chef Albert Wesker, qui cache de lourds secrets, vont découvrir une machination de la multinationale Umbrella qui développe un virus dans le cadre d'un projet d'arme biologique. Ce virus modifie l'ADN de toutes espèces vivantes pour les muter en créatures cannibales, féroces et insensibles à la douleur...
Resident Evil, de la volonté de Mikami s'inscrit dans une démarche de terreur réelle, en opposition à la terreur fantasmée ou symbolique. Comme nous l'avions vu plus haut, il désirait mettre en scène des gens normaux, en aucun cas des super héros ou des preux chevaliers, en proie à d'ignoble monstres savamment inspirés de la faune et la flore très rependue sur notre planète. Et de par le fait, coutumière à chacun, ce qui renforce le pouvoir d'identification du joueur dans les malheurs des différents protagonistes face à l'horreur ''vivante'' que communique le jeu. Un des exemples les plus connus de l'horreur symbolique au Japon réside dans la figure du lézard géant Godzilla, qui outre sa formidable puissance de destruction, représente les frayeurs du nucléaire et des catastrophes naturelles qui ont bouleversé l'histoire moderne du Japon (Hiroshima et Nagasaki en 1944, le séisme du Kantō en 1923, jusqu'à récemment avec la célèbre catastrophe de Fukushima). Resident Evil exploite un autre thème fort très lié à l'idée de progrès et de modernité comme on l'entend au Japon, à savoir la biotechnologie. Et pour cause, sujet d'actualité dans les années 90 avec les premiers essais de clonage (la brebis Dolly est née en 1996), le génie génétique et les multinationales pharmaceutiques faisant joujou avec l'ADN de toutes les espèces vivantes possibles cristallisent une peur et un malaise véritable causant moult problèmes. Conflit avec la religion (l'homme est la création de Dieu et nul autre n'a le droit de la modifier, menant dans les cas les plus extrême au rejet pur et simple de la médecine moderne) ; creusement des écarts sociaux entre les classes pauvres et riches qui peuvent se soigner plus ou moins bien selon comment est pourvu leur compte en banque, démolissant ainsi toute considération d'éthique... Un autre jeu, et plus globalement une série toute entière exploite également ce genre de thématique très importante dans la culture japonaise et son rapport au progrès : Metal Gear Solid et sa brocarde anti-nucléaire éloquente.
Si on ne retrouve pas dans Resident Evil le sous-texte et la critique sociétale à travers le zombie comme a pu le faire George Romero, il n'empêche que son scénario en fait un jeu résolument moderne sur le fond. Sous couvert d'une action hollywoodienne peut-être parfois abusivement rentre-dedans en opposition à des jeux d'horreur décrits comme plus psychologiques (Silent Hill, Eternal Darkness...), Resident Evil s'avère plus profond qu'il n'y paraît.
Obnubilé par le gameplay, Mikami voulait une prépondérance de la mécanique sur la narration. Le vecteur de peur devait être le cœur du jeu, les éléments qui lient le jeu au joueur en permanence, et non un prétexte scénaristique sitôt oublié qu'on aura zappé une scène cinématique. Et pour traduire un sentiment de frayeur, plus ou moins directement lié à celui d'impuissance et de stress, Mikami a l'idée de rendre le maniement des personnages si pas pénible, au moins contraignant. Un pari risqué auquel Yoshiki Okamoto – pour qui le fun et l'accessibilité est une chose importante dans le jeu vidéo – n'adhère absolument pas. Ce dernier aura de nombreux différends avec Mikami dont le suivant, probablement celui qui aura le plus secoué l'équipe de développement : les rubans encreurs. En effet, Okamoto, conscient que le joueur allait vivre une aventure riche et difficile, avec une pléiade de retournements de situation et énormément d'allers-retours dans les décors, un peu à l'instar d'un grand jeu d'aventure ou d'un RPG, estimait que les rubans encreurs ne devaient pas être si rares. Selon lui, le joueur se concentrerait trop sur la récolte de ces précieux objets de peur de perdre leur progression faute de pouvoir sauvegarder, et ainsi tournerait en rond dans chaque salle du manoir à la recherche de ruban encreur, sans faire attention aux énigmes et sans avoir envie de réellement progresser dans l'histoire. Ce qui conduirait fatalement à une frustration profonde et un abandon du joueur pur et simple. Mikami ne transigera pas avec son jeu et fera fi des oppositions de son aîné de quatre ans. Okamoto déclarera même à EGM quelques années plus tard ne pas comprendre comment peut-on prendre du plaisir à jouer à un jeu dont le seul but est de gâcher le plaisir du joueur, justement...
Il est vrai que le gameplay lourd et volontairement restrictif de Resident Evil avait de quoi déplaire. Au sortir de la génération 16-bits, nous étions habitués à des jeux fluides, fun, jouables et parfois même carrément explosifs. La science du gameplay de Capcom a façonné ce bon goût sucré des gameplay de jeu 2D d’antan, comme avec les Megaman X, les Ducktales et les Street Fighter. Mais le gameplay de Resident Evil ramène à une considération on ne peut plus utilitaire de l'utilisation du gameplay afin de véhiculer la peur, volonté primaire de Mikami. La lourdeur du personnage ne sert donc qu'à une chose, empêcher le joueur de se sentir trop à l'aise. Comme dans un de ces cauchemars, du genre qu'on a tous probablement eu au moins une fois, où on a l'impression de ne strictement rien maîtriser, où on ne peut absolument rien empêcher, et où on est condamné à affronter l'horreur en face sans avoir la chance de fermer les yeux ou d'en réchapper. Avec le déplacement lent et lourd de ses personnages, Resident Evil parvient à pincer nos pires craintes avec brio, en nous mettant en sensation de danger quasi permanente. L'appréhension des affrontements avec le moindre zombie est systématique. La gestion de l'inventaire, et surtout des munitions, véritable cadeau divin quand on en découvre un petit peu dans les décors, devient alors autant obsessionnel pour le joueur que le gameplay l'était pour Shinji Mikami.
Le choix du zombie tel qu'il est illustré dans Resident Evil comme opposant principal n'est pas anodin. Et même si Shinji Mikami ne s'est jamais exprimé à ce sujet, on peut imaginer ce qui est passé à travers l'esprit de l'équipe créative du jeu lorsqu'il fut question de savoir quoi ou qui affronter dans le manoir. Tout d'abord, le zombie est lent, ça tombe bien, nous aussi. Il aurait été impensable et inutilement frustrant de devoir affronter des super mutants vifs comme l'éclair (encore que, avec le Hunter...) alors que nos personnages eux-mêmes s'apparentent à des baleineaux. Le zombie est idiot également, il fixe bêtement le mur, se heurte à tous les meubles et obstacles qu'il croise sur son chemin et est très prévisible : il vous voit, il veut vous bouffer. Cela le rend facile à programmer pour les responsables de l'intelligence artificielle, et son déshumanisation profonde entre en conflit avec son apparence bel et bien humanoïde. Rien de plus crispant que de voir un tel monstre en se disant "je pourrais devenir ainsi, si je me fais mordre...". La lenteur des ennemis n'a d'égal que leur résistance et leur dangerosité s'ils sont nombreux et dans un espace confiné. Ainsi, ça permet au joueur de lui donner l'entière responsabilité de son parcours. S'il les combat tous, il n'économisera pas ses munitions et cela deviendra très difficile par la suite. Mais s'il esquive quelques zombies il se peut qu'il soit un moment ou un autre forcé de retourner dans certaines pièces pour résoudre une énigme ou récupérer un objet, et le zombie sera de nouveau présent …
L'inclusion d'énigmes est quelque chose de très important également. Parfois volontairement fantaisiste afin de brouiller les notions de réalisme et de logique pour que le joueur se demande sans cesse si tout ce qui l'entoure est normal ou bien si c'est un horrible cauchemar, les énigmes ont longtemps apportées une petite caution ''intelligence'' aux jeux Resident Evil. Leur donnant parfois à tort une apparence de jeu difficile d'accès, à réserver aux joueurs avertis, mais pas pour les bonnes raisons. Il n'était pas rare qu'en 1996 on dise à un enfant ''ne joue pas à Resident Evil, c'est trop compliqué, tiens, prend plutôt un Mario'' à cause de ses énigmes tarabiscotées sans même que les images horrifiques traumatisantes ne nous viennent à l'esprit. Reliquats des point'n clic du PC et des micro-ordinateurs, les énigmes enrichissent un game design qui malgré son assujettissement à une volonté maîtresse de faire peur – et donc interdire le joueur de triompher trop facilement -, réécrit en quelque sorte la recette du jeu d'aventure classique. À cause des énigmes, qui sont loin de n'être qu'à base de clé et de carte de couleur à utiliser sur les bonnes portes, le jeu nous pousse à l'exploration du manoir et ses entrailles. Lorsque l'on croise une porte verrouillée, on change de direction en se disant qu'une fois qu'on aura trouvé la clé ou le code du terminal informatique la bloquant, on reviendra. Puis on tombe au fur et à mesure sur d'autres salles présentant leur particularité, entre cachettes secrètes obstruées par un meuble, petits objets à manipuler dans un réceptacle pour débloquer un mécanisme, ou carrément pièges à démanteler pour échapper à la mort. Il faut dès lors garder la tête sur les épaules, mémoriser le level design et se souvenir de plusieurs endroits clés à la fois afin d'y revenir sans trop de soucis une fois qu'on est en mesure de résoudre une énigme. C'est là que l'aspect survie prend tout son sens. Savoir s'orienter, prendre des décisions entre combattre et éradiquer absolument tous les ennemis sur votre chemin ou fuir et économiser les balles ; puis savoir assembler le bon objet à la bonne énigme à force de jugeote et de déduction, tout cela compose le game design exigeant mais passionnant de Resident Evil.
Mais si ce gameplay impitoyable et exigeant est destiné à servir une cause plus grande - qui est celle de mettre mal à l'aise le joueur et l'effrayer à chaque instant, le déboussoler et mettre sa patience ou son courage à rude épreuve dans le labyrinthique manoir -, il est aussi le fruit d'une nécessité : celle de la mise en scène. Autre hantise envahissante de Mikami, certainement conséquence de son amour pour le cinéma (bien que celui-ci soit quelque peu différent de celui qui anime Hideo Kojima, créateur de Metal Gear Solid), la mise en scène devait elle aussi à tout prix répondre à un impératif avec lequel aucune négociation n'était permise : foutre la frousse au joueur !
Comme on l'a vu plus haut, Resident Evil était censé prendre l'apparence d'un FPS avant que le perfectionnisme de Mikami ne vienne tout chambouler. La colère des programmeurs ayant travaillé pendant des semaines pour rien atténuée, le jeu devient une aventure vue à la troisième personne avec des décors en précalculé où seul les personnages et les monstres seront en 3D. Cette représentation permet une abondance de textures finement travaillées sans apporter une surcharge de calcul au processeur de la console. Les graphistes de Resident Evil font dès lors preuve d'une imagination certaine en façonnant chaque salle du manoir, ses alentours (hormis le cimetière et la cabane de la famille Trevor qui seront de cauchemardesques ajouts du remake sur Gamecube) et le laboratoire souterrain glauque à souhait qui se cache sous ses fondations. Mais l'alchimie opère grâce à bien plus qu'une bonne modélisation 3D ou quelques textures riches en détails. Le level design, l'architecture, la gestion de l'espace et les cadrages de caméra se conjuguent pour créer une atmosphère et bouleverser les angles de vue du joueur à chaque instant. Le défi était de prime abord de ne pas perdre le joueur d'un écran à un autre. Immédiatement, le joueur devait savoir d'où il venait et vers où il pourrait aller afin de se repérer. L'utilisation de technique de mise en scène de cinéma est dès lors rendue toute naturelle, avec ligne de fuite, cadrage et autre vue contre plongée. Concrètement, cela fait voir le jeu différemment à chaque instant. Voir son personnage en gros plan et de face est sympa pour constater à quel point sa modélisation 3D est de bonne facture, mais ce n'est pas très rassurant quand dans le même temps on entend hors-champ un râle de zombie qui nous attend un peu plus loin. Le plan suivant, s'il place la caméra en hauteur et fort éloigné du personnage, peut créer un effet d'écrasement en laissant voir au joueur la quasi intégralité de l’architecture monumentale de la pièce, donnant au manoir de véritables airs de château gothique surnaturel. Quant au personnage, il sera représenté en taille parfois très réduite, permettant au joueur de relativiser sur son emplacement dans la pièce et sur la dimension de ce qui l'entoure. Contribuant ainsi à donner l'illusion d'un dédale immense, ou au contraire d'étroite coursive mal éclairée stimulant la sensation de claustrophobie.
L'utilisation sélective de la lumière est très intelligente car elle dénote d'une compréhension des instincts des êtres humains de la part de Mikami et de son équipe. En effet, et il paraît tout naturel de se l'avouer, il est évident qu'on sera plus rassuré à l'idée de se diriger vers une source de lumière plutôt que vers un coin d'ombre. Ainsi, dans les décors, l'orientation de la lumière et son intensité son précisément paramétrées pour créer des zones obscures dans lesquelles on ne peut parfois même pas se rendre (derrière un meuble, au détour d'un buisson, sous un escalier...) servant à nourrir l'imagination du joueur. Une sorte de vide visuel qui ne tient qu'au joueur de combler à grand renforts de psychose et de crainte plus ou moins personnelles, secondées souvent par une bande-son pesante et laissant place à un suspens névrosant. Cette gestion du rythme et le choix fait par Mikami de laisser voir au joueur certaines choses et en cacher d'autres pour attiser sa paranoïa est traduite par un très célèbre moment dans toute la saga Resident Evil : les ouvertures de portes. Véritable institution (reprise à Sweet Home comme on l'a dit précédemment), au même titre que les documents et les rubans encreurs qui composent le cœur du système, les ouvertures de portes sont tout autant artistiques qu'instrumentales. D'abord, ces petites transitions vidéo permettent de découper plusieurs zones. Le temps de cette courte séquence vidéo, la console charge la zone suivante en ayant accès aux contenus du disque de jeu. C'est une parade incroyablement futée pour camoufler joliment les temps de chargement, soulager au maximum le hardware de la machine et ajouter encore plus d'immersion à l'exploration. Aussi, chacune de ces séquences, surtout quand on ne connait strictement rien au jeu, a un impact psychologique fort. Car si on sait ce qu'on fuit (la douceur d'une salle de sauvegarde sans aucun danger par exemple), on ne sait presque jamais sur quoi on va tomber derrière la porte que l'ont franchi. Un couloir sombre mais paisible ? Ou une salle exiguë hantée par un grand nombre de monstruosités qui vont vous sauter dessus à la vitesse de l'éclair, flanqués d'une musique stressante qui s'emballe ?
Dans son obsession du game design, Mikami a trouvé le moyen d'assembler défi de gameplay, surprise de jouabilité et mise en scène remarquable. Ainsi, chaque salle du manoir, agencée de façon plus ou moins logique, a été pensé et conçu comme autant de scène de long-métrage. Une salle clé du manoir est égal à une scène forte d'un film. Il fallait qu'elle soit reconnaissable au premier coup d’œil, comme peut l'être une scène importante qui pouvait être replacée précisément dans la chronologie par le spectateur. Il fallait que le joueur puisse se dire "ah, je me souviens être passé par ici, je reconnais ce tableau accroché au mur !", ou encore "ça y est, je suis sur la bonne voie, je me souviens de ce couloir, si je tourne à droite à ce moment là je retrouverais la salle de l'énigme que je ne pouvais résoudre auparavant !". La composition architecturale et décorative des pièces du manoir a donc fait l'objet d'un travail minutieux. Il fallait imaginer et dessiner des objets du décors qui puissent donner de l'identité aux salles visitées, comme une grande bibliothèque, une superbe sculpture ou un piano. Si d'un point de vue visuel, il est évident que cela donne à la direction artistique de Resident Evil un cachet inimitable et à l'allure du manoir une idée du faste, du détail et du disparate, c'est aussi très important du point de vue du gameplay car cela aide le joueur à s'orienter dans le labyrinthe.
L'usage de la 3D précalculée (décors en 2D qui simulent une 3D) serait une solution de facilité si on écoutait les cancaniers. Mais c'est surtout un moyen de rendre les environnements plus viscéraux, plus authentiques que les froides modélisations aux polygones peu détaillés que pouvaient envoyer la Playstation à cette époque. Et dans le cadre d'un jeu d'épouvante, on ne peut nier que cela peut constituer un avantage certain. Silent Hill par exemple ne sera pas mieux loti puisqu'au final, les équipes de Konami auront eux aussi recours à ce genre d'artifice pour soulager le hardware trop peu puissant de la Playstation, avec de la brume par exemple, limitant le champ de vision. Ce qui n'est pas visible par le joueur n'est pas forcé d'être modélisé en temps réel, logique. Un véritable cache-misère en somme ! Globalement, le jeu était graphiquement très impressionnant à l'époque et si on fait l'effort de le replacer correctement dans son contexte, on peine à véritablement lui en vouloir d'accuser vingt trois années. Même avec l'arrivé plus tard de celui qui reste son sublime remake sur Gamecube, Resident Evil premier du nom reste digne. Malgré tout, on pouvait et on peut toujours noter des modèles 3D quelque peu brouillons, une incrustation des modèles 3D dans les décors 2D parfois laborieuse et une pixellisation à certaines occasions outrancière.
La musique de Resident Evil n'est pas un élément qui a besoin d'être restreint pour créer la peur et la panique dans l'esprit du joueur. Mais elle remplit un rôle presque autant fonctionnel que son gameplay. Ainsi, la musique n'accompagne que très rarement des scènes d'action cruciales, elle n'est pas là pour illustrer le caractère des personnages comme dans tout bon jeu de rôle japonais et elle ne sert pour ainsi dire aucunement l'histoire. Mais elle façonne une ambiance morbide avec brio. Le groupe de compositeur formé par Makoto Tomozawa, Masami Ueda et Akari Kaida pour Capcom d'une part, et Koichi Hiroki en indépendant d'autre part produit des pistes lancinantes et terrifiantes. Des violons et des pianos synthétisés s'accompagnent de moment de silence dans certaines salles du manoir, à dessein. L'irruption brutale d'un morceau saisissant et gothique lorsqu'on pénètre dans un couloir inconnu nous fait immédiatement hérisser les cheveux sur la tête (sauf pour Shanks) et nous fait comprendre qu'on vient de quitter un endroit calme pour pénétrer dans un endroit très dangereux, souvent suivi par l'attaque surprise d'un zombie, ou pire encore... L'ensemble des musiques ne brillent pas particulièrement pour leur qualité d'écriture mais remplissent à merveille leur rôle, jouer avec les émotions du joueur, installer une lourde ambiance horrifique et intensifier l'adrénaline quand c'est nécessaire. S'affranchissant d'un côté plus onirique et plus poétique comme peut l'être Silent Hill et ses étourdissants thèmes chantés par la talentueuse Mary Elizabeth McGlynn, l'oeuvre de Capcom fait également abstraction des rythmes dynamiques de style pop-rock qu'Akira Yamaoka aura donné à la série de Konami. Resident Evil préfère le concret de l'horreur, avec des instruments et des rythmes particulièrement évocateurs, quitte à faire un peu dans le cliché.
Exemple parfait de cet aspect fonctionnel qu'endosse sur ses épaules la composition : la musique de la save room. Les fans la connaissent par cœur, les autres en ont certainement déjà entendu parler tant cet élément fait partie des poncifs communs au genre qu'aura instauré Resident Evil. Une telle salle n'a d'autre but que d'offrir un petit havre de paix complètement dénué de danger pour le joueur, afin qu'il reprenne ses esprits et puisse sauvegarder. Ce n'est pas très cohérent en réalité, c'est un élément de game design qui ne trouve sa vocation que dans un jeu vidéo, fondamentalement surréaliste (car dans la réalité, si un zombie veut vous attaquer dans une salle dite ''paisible'', rien ne l'en empêchera). Mais c'est surtout le thème musical de tel genre d'endroit, réparti dans le manoir, qui a marqué les joueurs. Répondant à l'aspect fonctionnel de la bande-son, la musique des save room apaise, elle suit le principe même de ce genre de paradis placé à des endroits stratégiques par le game designer du jeu. D'un point de vue purement musical, on constatera avec le recul que les versions suivantes seront plus agréables à entendre, disposant de plus de variations dans les intonations et d'une instrumentation plus riche. Mais la musique de la save room de Resident Evil premier du nom a quand même ceci pour elle qu'elle berce autant qu'elle communique un suspense insoutenable. Comme pour nous faire garder dans un recoin de notre mémoire les horreurs et les mystères qui se cachent au-delà de cette porte protectrice et inviolable.
Resident Evil aura généreusement inspiré un sous-genre tout entier du jeu vidéo. Une des têtes pensantes derrière la série Dead Space, Wright Bagwell, avec qui j'ai pu échanger quelques mots me disait : « Resident Evil m'a beaucoup inspiré, surtout pour Dead Space 2 où les bases de notre série étaient posées mais où on voulait en faire beaucoup plus. La gestion du rythme et de la peur que procure Resident Evil a été un modèle pour moi car je ne voulais pas que le joueur soit lassé de trop de combat, trop de jumpscare ou trop de phase passive. J'ai dû mettre de côté une tonne d'idée pour essayer de respecter un bon rythme de jeu, il fallait alterner correctement entre des énigmes, des combats et des scène choc comme lorsque les dobermans éclatent les vitres du couloir étroit dans le manoir. C'était un véritable choc pour moi à cette époque ! ».
Il est aisé aujourd'hui de témoigner de l'apport majeur qu'aura fait Resident Evil au jeu vidéo. Mais peut-être pas à l'époque. À tout le moins, si on le remet dans son contexte, on pouvait lui reconnaître un impact non négligeable. Le service marketing de Capcom manipulant l'opinion publique et faisant œuvre d'audace utilisera dès lors le terme de survival-horror, ce qui finira d'écrire définitivement la légende de la saga. Resident Evil était indubitablement joli, en son temps, même si aujourd'hui on peut juger que les modèles 3D des personnages ont vieilli et que l'ambiance horrifique s'est étiolée (surtout en face de son remake sur Gamecube, beaucoup plus sombre et aux décors infiniment plus détaillés). Mais Resident Evil premier du nom est un monument, un pilier. Il jette les bases, la mythologie : Chris Redfield, Jill Valentine, Barry Burton, Albert Wesker, quatre des personnages centraux qu'on reverra mainte fois durant les vingt années à venir. Le manoir hanté, déjà élément de langage essentiel dans le genre de l'épouvante devient une base pour Resident Evil qui même lorsque la série se réinvente n'hésite pas à s'en servir (le château dans Resident Evil 4...). Un subtil mélange entre séquence d'action sous haute pression à coup de compte à rebours et des phases de réflexion avec énigmes filandreuses ; des sauvegardes contraignantes et un maniement du personnage qui fait presque aussi peur que ces zombies puants, et le tour est joué. Resident Evil est archi innovant, c'est un coup d'éclat, objectivement comme subjectivement, on ne peut nier l'importance de son rôle dans la ludothèque Playstation et dans la grande histoire du jeu vidéo tout entier.
Maintenant, la question est comment Capcom, Mikami et Resident Evil vont-ils négocier la suite des opérations ?
INTERVIEW EXCLUSIVE DE KOJI ODA, CAMERA WORKER
Anakaris: Bonjour Koji Oda-san, vous avez travaillé sur la série Resident Evil, pouvez vous vous présenter un quelques mots ? Koji Oda: Je m’occupais du planning et des caméras sur Resident Evil en 1996, nous étions plusieurs. J’ai ensuite réalisé Resident Evil 0 puis je suis devenu producteur pour Capcom.
Anakaris: Les termes liés au cinéma comme ligne de fuite, cadrage ou encore plan fixe étaient donc votre lot quotidien dans votre travail sur Resident Evil ? Koji Oda: Oui, Mikami-san était passionné par le cinéma et plus particulièrement par le genre de l'horreur, du fantastique et de la science-fiction. Il voulait donner à son jeu un aspect cinématographique, c'est lui-même qui a expliqué et appris quelques notions de base à environ la moitié de l'équipe de production lorsque nous travaillons sur Resident Evil. L'équipe était très jeune pour la plupart, peu d'entre nous avions de l'expérience, pas même sur des technologies 2D, alors avec l'aspect cinématographique et 3D que Mikami-san voulait donner à Resident Evil, nous avions dut apprendre beaucoup de chose sur le tas.
Anakaris: Vous vous occupiez des placements de caméra sur Resident Evil, c'est ça ? Avez-vous rencontré des difficultés lors de votre travail sur Resident Evil ? Koji Oda: Oui, c'est moi qui devait établir les placements de caméra pour faire les plans fixes des décors du jeu dans certaine partie du manoir. Mikami-san tenait absolument à ce que le joueur voit les décors du jeu et le personnage qu'il dirige de certaine façon afin d'augmenter l'angoisse car il voulait jouer sur la peur du joueur qui ne voit pas le danger qui le guette. Le détour d'un couloir peut être caché car la caméra est placé à tel ou tel endroit, Mikami-san voulait que les bruitages accompagnent ce que le joueur voyait à l'écran pour qu'il puisse se servir de tout ses sens et comprendre avec son ouïe ce qu'il ne pouvait pas voir avec ses yeux. La principale difficulté était que d'un plan fixe à un autre, la position de la caméra devait changer. Mais la liaison entre les deux écrans devait être cohérente pour ne pas désorienter le joueur, il fallait la plupart du temps une ligne de fuite claire pour que le joueur sache immédiatement où il devait se diriger et pour que son champ de vison soit dirigé facilement vers les éléments importants du décors. C'est pas si compliqué à faire quand le décors n'est qu'un couloir avec un départ et une fin. Mais quand il s'agit d'une grande pièce avec beaucoup d'élément décoratif et des angles de caméra différents, maintenir une cohérence dans le tout peut devenir compliqué. D'un plan fixe à un autre nous tenions à ne pas proposer strictement le même angle de vue au joueur. Sur un plan fixe la caméra devait donc se placer en vue plongeante, tandis que sur le plan fixe d'après elle devait venir face au joueur, par exemple.
Anakaris: C'est un peu comme le travail d'un storyboarder au cinéma, vous imaginez des positions de caméra afin de donner un angle de vue particulier au joueur/spectateur avant que tout cela ne soit modélisé par les graphistes. Koji Oda: On peut dire ça comme ça, il m'arrivait de gribouiller des semblants de décors avec une perspective un peu bizarre (rires) pour montrer mes idées plus clairement à l'équipe, Mikami-san validait et les graphistes s'occupaient de dessiner les décors 2D en plan fixe selon les documents que je leur fournissais.
Anakaris: Comment été Mikami-san au travail ? Koji Oda: Incroyablement exigeant, presque maniaque (rires), mais ça, je crois que c'est de notoriété publique. Il faisait attention à chaque détail et avait une collection entière d'idée avant tout le monde, il pensait à tout toujours très vite. Et même quand quelqu'un d'autre avait une idée avant lui, il trouvait toujours le moyen de rendre l'idée meilleure !
Anakaris: Vous rappelez-vous d'une anecdotes à ce sujet ? Koji Oda: Par exemple, à l'époque c'était Takeuchi-san qui était en charge des monstres du jeu. Je crois qu'il s'occupait de les concevoir et que parfois, il les modélisait sur ordinateurs également mais pas toujours. Mikami-san nous avait demandé d'imaginer des monstres différents des simples zombies, en s'inspirant des animaux et de la nature par exemple. Quand Takeuchi-san est arrivé avec son idée du Hunter, il était tellement content, il pensait avoir une bonne idée, et son idée était réellement bonne, mais selon Mikami-san il manquait quelque chose. Nous étions quelques personnes réunies dans un bureau lorsque Takeuchi-san discutait des monstres avec Mikami-san et ce dernier reprochait au Hunter de Takeuchi-san de ne pas être très différent des zombies. Il voulait bien sûr dire que d'un point de vue gameplay, il n'y avait presque aucune différence, les Hunter n'étaient pas plus forts ou plus dangereux. Mikami-san a trouvé une idée d'amélioration en quelques minutes. Il a dit à Takeuchi-san ''Et si tu lui ajoutais des griffes, des énormes griffes, il pourrait décapiter le joueur en un seul coup, par surprise !'', et le Hunter était soudainement devenu un monstre ultra dangereux et ultra effrayant, beaucoup plus que les simples zombies (rires).
Anakaris: Resident Evil 0 a malheureusement été parfois maltraité par les fan et la presse. Quel était votre but avec cette préquelle, pourquoi ce projet est-il né et pas un autre autour de Resident Evil ? Koji Oda: Notre but n’était pas de révolutionner la série. Mikami-san a commencé à demander à ses collaborateurs s’ils n’avaient pas des idées pour faire des jeux, Resident Evil ou pas, après la sortie du premier jeu. Au départ, rien n’était encore décidé mais Capcom voulait continuer les Resident Evil et les choses se sont tassées un moment pendant le développement de Resident Evil 2. Mais une fois que le jeu fut sorti, on s’est rendu compte que la série pouvait avoir un vrai avenir, alors plusieurs personnes ont eu des promotions (rires) (ND Anakaris : en effet, de simples programmeurs sur Resident Evil sont devenus réalisateurs et/ou producteurs sur Code Veronica ou plus tard Revelations, tandis que Hideki Kamiya devenait réalisateur de Devil May Cry. On peut dire que Resident Evil fut un véritable tremplin à la carrière de beaucoup de personnes). Notre but était surtout de travailler sur le personnage de Rebecca et de trouver le bon moyen de lier l’histoire de 0 à 1 en restant cohérent.
Yu-Gi-Oh! était un diamant brut de puissance commerciale, taillé et affiné par les meilleurs experts en marketing dans le but d'en faire une machine à imprimer les billets infatigable. Pensez donc, tout commence avec un manga publié dès 1996 qui dispose déjà de quelques éléments clés pour faire marcher la folie du merchandising, comme un jeu de carte à collectionner qui ne sert pas de vulgaire prétexte mais qui au contraire constitue véritablement le cœur du scénario. Très vite, une série animée est lancée, comme il est de coutume, même des manga bien moins populaires y ont eu droit. Pas tout à fait conçu dés le départ comme une licence multimédia, l'auteur du manga, Kazuki Takahashi est tout de même passionné de jeu de carte comme Magic the Gathering (1993) ou Spellfire (1994) et s'investit dans le développement et la cohérence des règles de son jeu de carte autant que dans la complexification du scénario de son manga. Mêlant joyeusement les mythologies égyptienne, viking et japonaise avec énormément de surnaturel et de fantaisie, de quoi nourrir un background qui s'étoffe à vue d’œil au fil des chapitre, Yu-Gi-Oh! est du pain béni pour toute société de jouet et autres produits dérivés.
Lorsque Konami acquiert les droits pour le Japon et Upperdeck pour les USA et l'Europe en 1999, le projet prend beaucoup d'ampleur et l'auteur prend l'expansion de son manga très au sérieux, à tel point que c'est lui qui s'occupera du design du jeu de carte qui en découle. Au fil des années, Yu-Gi-Oh! deviendra, en France notamment, le second jeu de carte à collectionner le plus populaire derrière l’indétrônable Magic the Gathering, et ceci quand bien même un tas de concurrents ont toqué à la porte du succès depuis (Pokemon, Star Wars, Harry Potter, Duel Masters, Warhammer, Beyblades, Dinosaur King, Final Fantasy …).
Konami ayant déjà des billes de bien placées dans le domaine du jeu vidéo et est également une des sociétés japonaises les plus ambitieuses en terme d'exploitation multimédia. Non content de gérer des salles d'arcade et de détenir des chaines de production de jukebox et autres pachinkos, ils entendent bien se diversifier vers les jeux de carte, les jouets, les mangas, les séries et films d'animation et même la production de drama (aussi appelé tokusatsu, autrement dit des mangas adaptés avec de véritables acteurs, très populaire au Japon). Dans un immense plan marketing de conquête du monde, Konami ne traine pas pour produire une volée de jeu vidéo à destination de nos machines favorites. Forbidden Memories n'est pas tout à fait le premier jeu de la licence mais il sera en tout cas le premier à être commercialisé (et traduit) en France, et c'est probablement celui qui sera le plus connu également.
Le jeu se place plus ou moins dans une réalité alternative au manga dans le sens où les évènements semble s'intégrer parfaitement à la continuité de l’œuvre d'origine sans pour autant tout chambouler. Si bien que dans les chapitres du manga parut après l'année de sortie du jeu, aucune mention n'est faite de tout ceci, un peu comme un épisode filler proprement intégré. Yugi Muto, un jeune lycéen frêle et d'ordinaire timide est en réalité un expert du jeu de carte Duel de Monstres. Accompagné de ses amis Anzu Mazaki (Téa Gardner en France), Katsuya Jonouchi (Joey Wheeler) et Hiroto Honda (Tristan Taylor, notez les noms américanisés particulièrement dégueulasses que les génies de 4Kids nous ont proposés...), ils s'adonnent à leur jeu favoris en affrontant de grands champions comme Seto Kaiba et Pegasus Jr Crawford. Mais ils découvrent bien vite que le jeu de carte est un puissant outil magique dont se servaient les pharaons et sorciers de l’Égypte Antique pour guerroyer et maitriser les forces du Mal ! Quand Yugi arrive à maitriser les pouvoirs de son artefact, le puzzle du Millénium, il découvre en lui l'esprit d'un ancien pharaon, expert dans le jeu de carte et détenant bien des secrets. Il découvrira par la suite d'autres élus comme lui, possédant des artefacts différents leur conférent d'incroyables pouvoirs et une lutte pour la domination du monde débutera à coup de monstres légendaires, de dimensions ténébreuses, de pouvoirs magiques et d'esprits démoniaques... Le jeu nous propose un parti intéressant qu'est celui de nous faire découvrir la vie d'Atem, alias Yami Yugi, l'alter-égo sombre et ''adulte'' du jeune Yugi cinq mille ans avant le début du manga, en plein cœur de l’Égypte Antique. En parallèle de la quête d'Atem visant à empêcher Nitemare de revenir (un diabolique sorcier), Yugi, dans son époque, participe à un tournoi de carte organisé par le champion du monde Seto Kaiba. D'autres personnages bien connus de la série y font leur apparition comme Insector Haga et Pegasus (qui dans la série a déjà affronté Yugi, d'où le fait qu'il semble s'agir d'une histoire alternative qui se passe peu après les évènements du manga), de quoi ravir les fan et remplir le cahier des charges !
Ce qu'on peut retenir de ce scénario est qu'en 1999, le manga n'en est qu'à ses débuts. D'ordinaire, un jeu aurait énormément brodé autour d'une intrigue pauvre déjà existante pour proposer une durée de vie convenable, mais ici ce ne fut pas tout à fait le cas. En effet, l'auteur même du manga s'étant pas mal investit dans l'élaboration du jeu, on y explore un pan entier de l'univers Yu-Gi-Oh! qui s'accorde très bien avec le matériaux d'origine. Mieux encore, tout le côté Égypte Antique du background est un préface à ce que deviendra le manga (le délire des pharaons commencera réellement qu'aux environs du volume 8 ). Autant dire que pour tout fan de la série, c'était un véritable rêve éveillé. Imaginez si dans un jeu Dragon Ball Z sur Super Nintendo, on avait eu les prémices de l'arc Majin Buu ou même la première apparition du légendaire Super Saïyen face à Freezer. Les mômes que nous étions seraient littéralement devenus fous de joie ! Les nombreux dialogues offrent plusieurs embranchements et si dans les faits, cela garanti une progression intéressante nourrit par des enjeux et un suspens sans cesse renouvelé, force est de constater que ça s'imbrique mal dans la narration que veut proposer Forbidden Memories. En effet, on regrette par exemple qu'il nous ai impossible d'effectuer des retour en arrière à certains embranchements de scénario ou de sauvegarder à certains points clés du cheminement. Le soucis étant que la difficulté est très variable et surtout très mal calibrée car on peut passer d'un duel relativement simple à un duel impossible avec un adversaire qui détient des cartes abominables. Les monstres affreusement puissants, avec pas moins de 4000 points d'attaque, vont se faire un plaisir de laminer votre armée au grand complet car le jeu n'offre pas la possibilité suffisante de s'entrainer, d'obtenir des cartes de haut niveau, et encore moins d'indice sur la puissance réelle de votre prochain adversaire.
Au début de la série animée, notamment, les règles du jeu se base énormément sur beaucoup d'éléments subjectifs. Un duelliste psychopathe qui utilise des lance-flammes installés dans l'arène, ce n'est pas une stratégie au jeu de carte, c'est juste une tentative de meurtre ; de la même façon, une carte qui comme par hasard gagne une seconde fonction miracle au moment où le scénario le réclame alors que ça fait quinze fois qu'un personnage l'utilise, c'était de coutume au début de Yu-Gi-Oh! ; et Pegasus qui use d'une carte qu'il est le seul à détenir au monde car c'est lui qui l'a créé, ce n'est toujours pas de la stratégie, c'est de la triche. Mais je divague.
Comme dit plus haut, l'auteur a tenu à affiner son jeu au fur et à mesure. Mais Forbidden Memories ne profite pas vraiment de cela. Ici, le jeu repose sur la force brute principalement. Les pièges et les magies n’ont pas beaucoup d’utilité, l’aspect stratégique passe donc à la trappe. Par exemple, la règle qui dit qu'un monstre puissant peut être placé en jeu en échange d'un sacrifice d'un ou deux autres monstres plus faibles n'existe pas au début du manga, elle sera introduite que plus tard. Ainsi, dès le début du jeu, les duel se terminent à grand renfort d'attaques apocalyptiques, de Dragon Blanc aux Yeux Bleus et de pluie de météorites comme s'il s'agissait de la bataille ultime de Final Fantasy VII … La finalité des duels se résument bien souvent à celui qui aura la chance de caser en premier ses monstres les plus forts sur le terrain pour pulvériser les points de vie de celui d'en face.
Dans un autre ordre d'idée, les monstres dit de rituel ne sont pas intégrés dans le jeu. Ce sont souvent des monstres très puissants comme le Magicien du Chaos Sombre ou le Seigneur du Rouge qui réclament la présence de cartes spéciales sur le terrain et qui répondent à des règles d'utilisation très spécifiques. Si bien que le noyau du gameplay repose quasi entièrement sur une autre façon d'invoquer les monstres les plus forts du jeu : les fusions. Et très vite dans le jeu, vos adversaires auront tendance à fusionner avec une facilité indécente les pires créatures pour former de véritables cheat ambulants, de quoi provoquer la fureur et l'amertume du joueur. Même en se servant de la petite astuce des rapports de force respectant les symboles des monstres (chaque monstre est rattaché à un symbole : Lune, Soleil, Mars, Venus, Saturne, Uranus, Pluton, Jupiter et Mercure) qui confère un bonus d'attaque si votre monstre a le bon symbole, il n'est vraiment pas aisé de prendre le dessus.
De prime abord, le système peut paraître complexe et le jeu ne propose aucun tutoriel. À l'heure du tout numérique, de Youtube et de Netflix, ce n'est probablement plus si grave. On se dit qu'il suffit de regarder le premier épisode de l'anime ou de télécharger un document pdf qui résume les règles de base du jeu. Il y a une tonne de let's play qui trainent également sur Youtube. Mais en 1999, rien de tout cela n'existait et les gosses ou adolescents que nous étions devaient se débrouiller. Il n'y a rien de pire et de plus contradictoire que l'absence de tutoriel dans un jeu dont le gameplay se base... justement sur un jeu ! Dans un jeu comme Castlevania ou Super Mario Bros., il n'est pas franchement nécessaire de suivre un tutoriel pour apprendre à sauter et à bouger son personnage, on est d'accord. Mais dans un jeu qui propose d'assembler des cartes aux effets variés pour élaborer une stratégie, bloquer les coups de l'adversaire et déjouer les pièges parfois retors de l'ordinateur, c'est absolument essentiel !
Donc, histoire de faire les choses bien, et puisque le jeu ne le fait pas à ma place (je suis forcé d'envisager le fait que mes lecteurs peuvent potentiellement ne pas connaître du tout Yu-Gi-Oh! ), je dois résumer le fonctionnement typique d'une partie de carte Yu-Gi-Oh!. Les duels se déroulent au tour par tour avec l'objectif, pour chaque duelliste, de réduire les 8000 points de l'adversaire à zéro. Les cartes de créatures seront donc les principales atouts pour remplir cet objectif. Mais contrairement à Magic, les chiffres accompagnant les monstres représentant non pas leurs points de vie mais leur force de frappe. L'adversaire peut se défendre en plaçant ses propres créatures en mode de défense, ce qui les feront encaisser les coups et épargnera ses précieux 8000 points de vie.
Outre les combats importants pour le scénario, on peut tester notre nouveau deck (paquet de 40 cartes) dans des matchs d'entrainement. Mais le véritable axe d'amélioration se trouve être celui de la boutique où bon nombre de carte sont disponible à l'achat. En gagnant des duels, on remporte une petite poignée d'étoiles qui servent de monnaie, de une à cinq généralement. Mais très vite, on constate avec effroi que des cartes réellement utiles comme le légendaire Dragon Blanc aux Yeux Bleus coûte le prix effarant de 999 999 étoiles. Il nous faudrait dés lors remporter des milliers de duels pour pouvoir en acquérir ne serait-ce qu'une seule. Et dire qu'il ne s'agit même pas du monstre ultime de Forbidden Memories, et que nos adversaire, via la fusion, peuvent nous imposer des créatures encore plus redoutables … !
C'est chiant. Car avec de nombreux paramètres à prendre en compte (alignement stellaire, types élémentaires des créatures qui donnent des bonus face à certains monstres précis comme dans Pokemon, fusions, pièges, magies...), on aperçoit lors de nos premiers duels une étendue de possibilité vraiment très intéressante. Mais avec des couacs comme celui des prix prohibitifs de la boutique ou des adversaires cheatés qui semblent piocher leurs meilleures cartes un peu trop facilement tandis que nous, on galère avec des monstres de merde pendant trois quart d'heure... ben ça gâche tout. Car sans la règle des sacrifices pour faire naître les monstres les plus forts, les petites merdes qui culminent à 800-1000 points d'attaque ne servent à rien. Ah si, ça peut servir, à faire des fusions par exemple. Mais comme le jeu ne répertorie aucune fusion possible (tout comme il n'indique pas quel signe astral est plus fort que l'autre), on y va un peu au pif et on en revient au constat de base : Forbidden Memories est chiant, très peu ergonomique, frustrant et mal calibré malgré une idée de fond qui a l'apparence d'un diamant brut.
Visuellement, Yu-Gi-Oh! n'est pas forcément l'apôtre du bon goût mais a toujours eu le mérite d'avoir un minimum de personnalité. Hormis les personnages qui ont parfois des coupes de cheveux absolument fantasques, le gros de l'intérêt de la série réside dans le design des créatures, très imaginatif. On dispose d'un panel assez vaste, de la simple petite boule de poils (Kuribo), au viking en armure (Axe Raider) en passant par une large collection de dragons (noir, bleu, démoniaque, squelettique, plus ou moins divin, y'en a pour tous les goûts ! ). Certains monstres comme le superbe Exodia, faisant appel à l'identité visuelle de la mythologie égyptienne sont devenus des icônes. D'autres comme Obelisk le Tourmenteur ou le Renoncé aux Mille Yeux offrent également leur lot de monstres titanesques. Konami a bien compris qu'avec un matériaux de base aussi imaginatif, il serait dommage de ne pas tenter d'en foutre plein les yeux aux joueurs. C'est une mission en bonne partie réussi puisque chaque monstres sont modélisés en 3D lors de leurs assauts. Nul doute que les développeurs ont été inspirés par les époustouflantes cinématiques des invocations de Final Fantasy VII et VIII sorti précédemment, même si dans Forbidden Memories, tout est fait de façon beaucoup plus modeste, naturellement. N'est pas Squaresoft qui veut. Les éclats lumineux divers et le jeu de couleur sont agréables à voir mais on déplorera tout de même un certain vide sur l'arène de jeu et une modélisation parfois vraiment primitive.
Malgré son succès retentissant, il semblerait que Yu-Gi-Oh! souffre d'une mauvaise réputation dans l'Hexagone. Pour les gens situés entre vingt et trente ans, il n'est pas rares que vous aillez put voir de près ou de loin un paquet de carte Yu-Gi-Oh! dans la cours de récréation. Primaire comme collège, un peu moins au lycée, probablement. Une large proportion d'enfant et d'adolescent ont été touché par le phénomène. Mais il n'était également pas rare qu'on se moque du petit camarade qui jouait à Yu-Gi-Oh! (alors que paradoxalement, c'était classe de jouer à Pokémon, celui qui avait la chance d'avoir la dernière version en date sur sa Gameboy devenait la coqueluche de la cours de récré …). Sans même trop savoir pourquoi on raillait les fan de Yu-Gi-Oh!, on le faisait, on suivait le mouvement, et pi c'est tout. D'ailleurs, selon les témoignages que m'ont donné plusieurs personnes d'horizon divers et variés, il semblerait que ce genre d'habitude soit bien de chez nous. Cocorico !
Mais alors, pourquoi Yu-Gi-Oh! jouissait d'une réputation de bidule pour môme quand bien même si on prenait le temps de creuser son système de jeu, on constaterait qu'il s'agit d'un jeu de carte à l'aspect stratégique très intéressant ? En grande partie à cause d'un anime qui a semé les graines de la discorde, en fait. Pour commencer, diffuser un anime dans une émission jeunesse, le matin principalement, avant que les enfants ne partent à l'école (M6 Kid, Canal J...), c'est donner une certaine image de marque à son produit. On s'adresse dés lors à une cible très précise de spectateur, les 6-12 ans. La fourchette peut sensiblement varier, mais globalement, ça reste le cœur de cible. L'anime en lui-même débute immédiatement son intrigue autour du jeu de carte alors que dans le manga, il faut attendre plusieurs volumes pour voir ce jeu se développer et prendre une place prépondérante.
Dans les premiers volumes du manga, une ambiance particulière est mise en place où le jeune Yugi agit sous l'impulsion de son double maléfique, égo qu'il ne semble d'ailleurs pas contrôler ni réguler. Cet égo se montre cruel et impitoyable et n'hésite pas à punir les personnages qui auraient portés préjudices à Yugi ou ses amis en leurs faisant connaître d'atroces souffrances physiques ou mentales. Sur un simple coup du sort, avec un jet de dés ou selon son bon vouloir, le double maléfique décide donc d'enfermer sa victime dans une dimension ténébreuse parallèle dont lui seul à le secret, tout cela instille une ambiance surnaturelle et obscure. Les expressions d'effroi sur le visage des victimes ou les promesses d'éternelles tortures de Yami Yugi tranchent littéralement avec la nature chétive et amicale de Yugi. Dans l'anime, tout cela est bien entendu édulcoré et Yami Yugi est présenté comme un personnage charismatique, sûr de lui, héroïque et disposant de pouvoirs magiques mais qui n'est en aucun cas sadique ou vindicatif. Globalement, bon nombre de personnage deviennent lisses et n'offrent aucune ambiguïté hormis quelques exceptions.
Les scénaristes ont également abusé de ficelles narratives grossières classant immédiatement l'anime Yu-Gi-Oh! dans la catégorie des show pour enfant. La morale à deux sous à base de ''l'amitié vaincra'' ou encore ''tu as perdu car tu es très méchant, tu utilise tes cartes pour faire du mal aux gens'' est le socle scénaristique d'une bonne partie du début de l'anime. Sans compter quelques personnages récurrents très peu élaborés qui se contentent de scander le nom de Yugi quand celui-ci livre un duel de carte un peu tendu ; et qui sont sciemment placés au-dessous du personnage principal de part leur profonde méconnaissance des enjeux et des règles d'un duel de carte. À cela s'ajoute des pirouettes scénaristiques feignantes qui conclut un duel où le héros s'est réellement mis dans la panade via un artifice plus que bienvenu. Du genre : ''Saperlipopute, je n'ai plus que 200 points de vie, et mon adversaire semble invincible, il a des monstres super forts et déjoue tout mes pièges. Ah, si seulement je pouvais piocher ma carte ultime, je serais sauvé ! Oh mais que voilà donc, je viens de piocher ma carte ultime, je vais pouvoir écraser mon adversaire d'un seul coup dans un improbable retournement de situation complètement pété. Que c'est pratique !''.
Les producteurs de la série, la société américaine 4Kids sont connus pour des pratiques de censure souvent abusives et Yu-Gi-Oh! en aura fait les frais. Les duels à mort et les véritables menaces de sévices mentaux accompagnées d'insultes disparaissent de la version française aux profits d'une avalanche de petites provocations plus ou moins agaçantes et ridicules, histoire de bien faire comprendre que les méchants sont très méchants et que les gentils sont très gentils. 4Kids a déjà subit de grosses polémiques notamment aux USA pour avoir censuré généreusement les scènes de combat de Shaman King, les détails à connotation érotique d'un dessin animé G.I. Joe, ou encore les éléments culturels de One Piece (un personnage qui mange une boulette de riz au Japon mangera un hamburger 100% américain une fois que 4Kids aura corrigé le tir, par exemple...). Bref, disons le clairement : 4Kids produit des dessins animés pour enfant, mais là où ça dérange, c'est qu'ils ont tendance à prendre les enfants pour des demeurés. Faire un dessin animé pour enfants ne veut pas dire faire des dialogues plats avec des blagues pas drôles toutes les deux minutes, des personnages sans envergure et de la censure à tout les étages.
Les jeux du genre étant encore assez rares, tant sur Playstation qu'ailleurs, et Yu-Gi-Oh! ayant la chance de bénéficier du concept parfait, Forbidden Memories aurait put facilement devenir un indispensable. À défaut d'autre chose, il reste le mètre étalon mais n'en reste pas moins un produit mal conçu. Il dispose d'un fond qu'on devine sans mal intéressant et riche de possibilité, mais tout est gâché par des soucis d’ergonomie et de logique. Les ennemis sont guidés par une difficulté très mal dosée qui fait plus penser à de la triche que de la stratégie pure, et le jeu est impitoyable envers le joueur. Ne comptez pas sur lui pour vous refiler un petit bonus ou une astuce afin d'apprendre les règles du jeu de carte. Forbidden Memories propose néanmoins un enrobage graphique séduisant grâce à une direction artistique inspirée de la part de l'auteur du manga : Kazuki Takahashi. De ceci découle une ambiance charmante qui mène le joueur vers le cœur d'un scénario si pas très original au moins plutôt bien construit, servit par une galerie de quelques personnages charismatiques.
Mais bon, si c'est le charisme des personnages et l'histoire de sorciers égyptiens et monstres enfermés dans des cartes qui vous intéresse, autant lire le manga, car le jeu lui, est mal fichu.
On ne le répètera jamais assez mais l'arrivé des 32-bits, et plus particulièrement de la Playstation fit pour de bon gagner ses galons de média tout public au jeu vidéo. Aussi, l'apport d'un certain réalisme était permis avec les capacités des machines nouvelle génération. Des jeux voulus ''cool'' destinés aux adolescents vinrent secouer un jeu vidéo qui restait jusqu'à présent relativement sage comme WipEout et Destruction Derby, et la course au réalisme put réellement débuter dés lors que les consoles étaient capables de générer des mondes en 3D. Le jeu vidéo n'était définitivement plus fait pour les enfants, si tant est qu'il le soit, et les gamer, comme l'industrie mais aussi le public extérieur pouvaient s'en rendre compte avec la proposition software des consoles 32-bits. Dans la course au réalisme, de nombreux concepteurs ont utilisé les capacités 3D des machines à des fins diverses. Dans Resident Evil par exemple, la mise en scène, le cadrage et les textures ou lumières sophistiquées avaient pour but de véhiculer une ambiance effrayante. Dans les différents jeux de sports, une modélisation des athlètes de plus en plus fines permettait une identification plus efficace tandis qu'au niveau sonore, l'apport de voix enregistrées (CD oblige) ajoutait une plus-value d'authenticité à l'ambiance. Les jeux de course automobile ont eux aussi largement bénéficié des apports de la 3D. Par opposition au fun instantané et au côté surréaliste des jeux de course des années 80 et 90 (Out Run, Power Drift, Mario Kart …), des jeux qui prenait en compte la physique des bolides, l'influence de la météo et la qualité du terrain sur lequel on roulait virent le jour. Gran Turismo devint rapidement la star de ce genre de jeu exigeant autant pour les joueurs que pour ceux qui le développait. SEGA, grand nom du jeu de course automobile depuis toujours ne s'est pas fait prier pour apporter sa contribution avec SEGA Rally ou F355 Challenge dont on a déjà parler sur Retro Gamekyo. Et V-Rally qui nous intéresse aujourd'hui fut d'ailleurs conçu en parallèle de l’œuvre de Tetsuya Mizuguchi.
Tout commence par le désir d'un homme de revenir aux affaires pour mettre les mains dans le cambouis (quand on parle d'un jeu de voiture, ça tombe plutôt bien) après quelque temps passé en tant que producteur, derrière un bureau. En effet, Stéphane Baudet, après avoir participé aux succès commerciaux et critiques des adaptations de bande dessinés chez Infogrames comme Astérix, Tintin et les Schtroumpfs, avait constaté de son propre aveux tenir un rôle de producteur et de superviseur. Une position qui lui semblait trop passive, trop distante de ce qu'il aimait faire véritablement : designer et imaginer des jeux. Aussi, avec les nouvelles consoles qui arrivent sur le marché, durant l'année 1995, l'homme reçoit quelques propositions intéressantes. Activision, notamment, désire le faire venir aux USA pour travailler avec lui. Mais Infogrames et son patron charismatique, Bruno Bonnel ne l'entend pas de cette oreille et on promet à Baudet de lui laisser le champ libre pour mettre sur pied un projet qui lui tient à cœur, peu importe de quelle manière il s'y prendrait. Stéphane Baudet savait précisément ce dont il avait besoin. De liberté, tout d'abord. De changement ensuite, il voulait marquer une scission nette avec ce qu'il avait déjà fait auparavant. Et enfin, il voulait faire parler sa passion. Si bien qu'il s'orienta vers un projet de jeu de Formule Un, en grand amateur de course automobile. Son équipe avait déjà travaillé sur des prototypes de moteur 3D et Sony avait déjà prospecté de nombreux éditeurs européens pour se munir en software afin de supporter sa Playstation. Tout commençait à bien s'imbriquer.
« Je voulais profiter de ce que Bruno Bonnel me proposait pour faire une véritable rupture avec ce que je faisais avant. Et cela comprenait également le fait que je m'éloigne un peu de la ''grosse boite'' qu'était devenue Infogrames (ND Anakaris : entre 1988 et 1995, le nombre de salariés avait plus que doublé pour atteindre largement la centaine de personnes). Je voulais plus d'indépendance, je voulais donc fonder un studio de plus petite dimension autour de ce projet de jeu de Formule Un mais je n'en avais pas les moyens. Bruno m'a beaucoup aidé en me permettant de devenir plus indépendant tout en restant salarié d'Infogrames. J'ai ainsi put monter une équipe avec les gens avec qui j'avais le plus d'affinité pour fonder Eden Studio, une équipe de développement sous ma direction mais interne à Infogrames. »
VF-1, pour Virtua Formule Un est donc lancé. Le projet est rapidement présenté à Sony Europe qui se montre enthousiaste. Les tractations vont bon train et il semblerait que de belles promesses soient faites à Eden Studio quant à la valorisation publicitaire de son jeu, considéré très vite par Sony comme un des fers de lance de son catalogue Playstation. Seulement voilà, en parallèle, un autre studio, britannique celui-ci, prépare également un jeu de Formule Un. Stéphane Baudet apprend plus ou moins par la force des choses que le dit studio, Bizarre Creation de son nom (Metropolitan Street Racer, Project Gotham Racing...) est en pour-parler avec Sony depuis très certainement plus longtemps que Eden Studio, si bien que leur jeu, Formula One, en est à un stade plus avancé. Il semblerait même que des moyens ai été très sérieusement mis en place afin de supporter le développement du jeu du studio de Liverpool. C'est la douche froide, Stéphane voit cela d'un mauvais œil et Bruno Bonnel trouvait déjà que cela pouvait être un coup délicat à jouer. Tout d'abord car obtenir la licence officielle du championnat de F1 coûtait cher, et c'était un vœux important de la part du chef de projet. Désormais, un solide concurrent se profile à l'horizon, les promesses d'avenir radieux se fragilisent nettement. Qu'à cela ne tienne, VF-1 ne verra pas le jour mais Stéphane et son équipe avait déjà prévu une suite aux opérations, ou au moins un plan de secours. Pour amortir les coûts de recherche et de développement, perfectionner le moteur physique du jeu et proposer une expérience inédite aux joueur après VF-1, il était en effet prévu de produire un autre jeu. Toujours dans le domaine de la course automobile, mais avec une autre discipline un peu moins grand public que la Formule Un : le rallye. Le jeu d'Eden Studio sera donc un jeu de rallye.
Pour autant, le jeu d'Eden Studio reste un projet très pris au sérieux par la direction d'Infogrames et la liberté créative de l'équipe est garantie. L'équipe se permet de faire du repérage, notamment dans plusieurs pays d'Europe afin de récolter des photographies pour modéliser les décors, rendre réaliste des types de routes pour les circuits et transposer l'ambiance d'une campagne traversée par des bolides de rallye, bien différente d'un circuit proprement bitumé. Le dépaysement est assuré car Eden Studio a bien compris que ce qui faisait la force d'un rallye, hormis ses voitures de sport et ses dérapages dans les gravillons visuellement impressionnant, c'est la variété des décors visités. Un championnat de rallye se passe à travers les panoramas du monde entiers. 8 pays sont à découvrir (7 si on considère que la Corse est rattachée à la France), de la savane poussiéreuse du Kenya aux pistes verglacées de la Suède en passant par les gravillons d'Angleterre. Les environnements, fruits des travaux d'un studio annexe spécialisé dans les graphismes du nom de Étrange Libellule sont superbes. Correctement texturés et présentant un panel de couleurs vaste, certains panoramas couplés avec des effets météorologiques bienvenues sont tout bonnement bluffant. Le lens flare (l'effet d'éblouissement lorsqu'une source de lumière est en face de la caméra) ou la pluie qui change d'angle ou de force selon l'accélération et l'orientation de la voiture apporte une immersion sensationnelle à V-Rally.
Tout comme pour le projet avorté VF-1, l'équipe désire acquérir la licence officielle du championnat (qui n'existait pas à l'époque) de rallye. L'accord avec les différents constructeurs automobiles stars de la discipline à l'époque n'a pas été très compliqué à conclure car contrairement à la F1, cela ne coûtait pas très cher. Au contraire, Nissan, Mitsubishi, Škoda, Lancia et compagnie y voyait un très bon moyen d'augmenter leur visibilité auprès d'un public jeune afin d'élargir leur propre potentiel de vente et populariser leur discipline. Grâce à cela, Eden Studio put modéliser pas moins de onze bolides avec un niveau de détail là encore surprenant. Bandes de couleurs, stickers de sponsor, calandres et ailerons aux formes typiques de ce genre de véhicules, la modélisation des voitures est très satisfaisante. C'est un joli coup quand on sait que peu de détails étaient fournis par les constructeurs automobiles eux-même et que, tant sur l'aspect du design que des performances, Eden Studio dut se débrouiller avec des photographies et des articles de magasines spécialisés pour concevoir les voitures de V-Rally.
Le retro gaming est passionnant car il n'est pas rare d'apprendre que l'équipe a eu recours à différentes petites astuces afin d'embellir leur jeu et lutter contre les limitations techniques. C'est ce qui fait le sel de beaucoup de dossier et d'article sur le sujet. Concernant V-Rally, qui ne fait pas exception à la règle, les véhicules ont été réalisés en trois modèles différents. Selon la proximité du bolide avec la caméra dynamique qui l'accompagne, un modèle de voiture fut établi ceci dans le but de soulager le travail de calcul de la Playstation. Plus le véhicule se trouvait éloigné du point de vue du joueur, sur une portion de circuit en ligne droite par exemple, et plus le niveau de détail était moindre afin que la console puisse continuer à générer les incroyables environnements tout en garantissant une frame-rate stable.
Seulement un an et demi sépare V-Rally de la version Saturn du ténor du genre de l'époque, SEGA Rally, et pourtant, la générosité du travail des gens d'Eden Studio renvoi illico le jeu d'AM3 au garage !
En corrélation avec l'aspect visuel du soft qui se voulait réaliste, l'enrobage sonore de V-Rally a été soigné. La volonté de l'équipe partait d'un constat difficilement contestable qui est que le rallye est une discipline faisant bien plus voyager qu'une vulgaire course de Formule Un. Dans le sens où les tracés de courses se situent bien souvent en pleine cambrousse, à travers forêts et plaines, montagnes et vallées, on ne peut nier l'environnement qui entoure les pilotes. Outre les quelques stands aménagés et les bolides aux moteurs bourdonnants, le reste du décors n'est que nature. Étienne Saint-Paul, qui supervise la partie sonore et musicale du soft a réalisé un travail méticuleux afin de reproduire des bruitages qui paraissent anodins mais donnent un surplus d'ambiance bienvenu à V-Rally. Les oisillons qui chantent en Indonésie, c'est lui, l'idée d'avoir recours à Hervé Panizzi (célèbre co-pilote de rallye français) pour faire la voix du co-pilote dans la version française du jeu vient également de Saint-Paul. Ce dernier a sut réutiliser des enregistrements audio de moteur et de mécanismes divers (boite de vitesse, turbo...) capté sur un modèle de F1 de marque Renault en les modifiant afin de retranscrire avec précision les bruits d'une voiture de rallye. Panizzi constitue la garantie d'authenticité du côté sonore du jeu puisque c'est lui qui a en quelque sorte coaché le reste des acteurs engagés pour faire les voix des co-pilotes dans les différentes langues selon les pays où V-Rally serait commercialisé. Tout était affaire de ton, de rythme à respecter, ou de vocabulaire technique à maitriser selon les situations rencontrées par le joueur et Panizzi a joué le jeu à merveille.
Signe que V-Rally était un projet bénéficiant de beaucoup d'attention et de bonne volonté de la part des développeurs, la musique fut également une portion du jeu qui réclama de l'investissement. Surmontant les difficultés, Stéphane Baudet raconte une anecdote intéressante à ce sujet : « Je voulais des morceaux aux sonorités rock pour faire la bande-son du jeu, je trouvais que ça collait plus à l'esprit rallye que les musiques électro dont on avait l'habitude dans d'autres jeux de course. Ça n'a pas été facile de convaincre Infogrames et le budget était très limité. Nous n'avons pas put nous offrir les musiques de groupes reconnus alors j'ai décidé de contacter des touts petits groupes de la région lyonnaise, limite amateurs. Mais très vite, les résultats n'étaient vraiment pas à la hauteur de nos espérances et nous avons été forcé de contacter des groupes plus sérieux, plus professionnels, mais aussi plus chers. » Cette façon de faire et de travailler avec des talents locaux, non seulement dans le but d'alléger la facture mais aussi de favoriser la créativité française fut également reproduite pour V-Rally 2. L'excellente bande-son de metal industriel de ce dernier fut réalisée par le groupe Sin, originaire de la région parisienne.
Corroborant avec les graphismes et le son réaliste du jeu, le gameplay se devait d'offrir aux joueurs autre chose qu'une simple course. Sur console de salon, les jeu de course étaient souvent limités en matière de sensation et grâce à l'arrivé des moteurs 3D, les concepteurs ont put pousser l'expérience à son paroxysme. Finit les savonnettes qui pouvaient réaliser des drifts interminables comme dans un Mario Kart, dans V-Rally, il fallait conjuguer sa conduite avec l'asphalte lisse, les gravillons, la glace et la boue ! De nombreux calculs et essais furent nécessaires pour programmer le comportement des différentes voitures selon la puissance de leur moteur, le réglage de leurs amortisseurs et d'autres options variées. Malheureusement, un écueil viendra ternir le tableau d'Eden Studio. En effet, le moteur 3D, relativement limité (il faut relativiser, nous nous trouvons en 1996-1997 et les consoles de salon découvrent à peine la véritable 3D, tout reste à faire en la matière ou presque ! ) montre vite ses limites. Si bien que les voitures demeurent légères, peut-être un peu trop, ont tendance à patiner trop facilement et à perdre en adhérence de façon incontrôlable à la moindre broquille subit sur la route. Les sauts en haut d'une petite butée deviennent dès lors un peu capricieux et lorsque nous ne connaissons pas certaines portions de circuits par cœur, les dérapages hasardeux sont légions.
La dynamique des véhicules est donc un réel soucis de gameplay qui a fait grand débat au sein du studio à l'époque. Cependant, il convient de tempérer notre jugement. V-Rally reste un jeu de qualité en dépit de ce problème. Il ne s'agit en aucun cas d'un jeu injouable, bien au contraire. On constate juste que le souhait de le rendre réaliste et révolutionnaire est quelque peu réduit à néant par un moteur physique qui, aussi bon soit-il, date de 1997 sur une Playstation pas encore tout à fait maitrisée. Si pour l'époque, la performance de V-Rally pouvait être impressionnante, aujourd'hui, le gameplay est cabossé, un peu comme la carrosserie d'une Subaru Impreza après un rallye de Monte-Carlo.
Avec d'autres titres du début de l'ère 32-bits comme Rayman, Tomb Raider et autres Resident Evil, V-Rally fait parti des soft de qualité disposant d'un caractère propre et octroyant de facto une belle identité à la Playstation. Pourtant relativement discret dans les médias au tout début de son développement, ce n'est qu'un peu plus tard qu'il sera visé notamment par les journalistes français, devenus soudainement bien chauvins. Le processus de développement ne souffrant de quasiment aucun incident notable se verra un brin chamboulé trois à quatre mois avant le bouclage de la production lorsque Infogrames se rendra compte que son V-Rally possède un réel potentiel. Les producteurs auront dès lors à cœur de vouloir finir le développement du jeu afin qu'il entre dans le planning fiscal de l'éditeur avant la fin juin 1997. La pression sera gérée de façon efficace par les développeurs et V-Rally sortira sans soucis. Deux millions de jeux vendus plus tard, c'est un succès retentissant qui fait écho au véritable gain de popularité qu'obtient les jeux vidéo à la fin des années 90.
Si c'est la Playstation qui, dans un premier temps a eu le privilège d’accueillir le soft d'Eden Studio, son succès mènera à des portages. La version Nintendo 64, nommée V-Rally '99 est selon les propres dires de Stéphane Baudet à prendre comme une version intermédiaire entre V-Rally et V-Rally 2. Bénéficiant d'un affinage des modèles 3D grâce aux capacités certaines de la N64 en la matière, c'est un portage de qualité. Dû au manque cruel de concurrence dans le domaine, le jeu s'est très bien vendu sur la machine de Nintendo. Les versions Gameboy et Gameboy Advance seront quant à elle programmées par deux petites mains indépendantes originaires de Dijon et ne sont pas à ignorer tant leur qualité est honorable pour de simple jeu sur console portable !
That's very strange. According to my calculations,
you don't need a bra...
Grandia manque cruellement dans le paysage vidéoludique actuel. Et Grandia mérite de revenir au meilleur de sa forme.
Grandia, et le studio Game Arts plus généralement, c'est une histoire de passion. L'amour du travail bien-fait, à la manière artisanale, patiemment et en gardant en tête des idées conductrices simples : créativité, générosité, audace...
Avant d'être reconnu pour ses J-RPG de qualité, Game Arts s'est adonné à plusieurs genres différents, tel un artiste qui chercherait encore sa signature. Jeu d'action/shooter sur micro-ordinateur (Thexder, 1985), shoot'em up (Silpheed, Mega-CD, 1993), action/beat'em all (Alisia Dragoon, Megadrive, 1992) et même mah-jong avec Gyuwanburaa Jika Chuushinha toujours sur Megadrive en 1990. C'est d'ailleurs de là que va naitre l'association fructueuse et fidèle entre SEGA et Game Arts. Le studio va dès lors fournir bon nombre d'exclusivité de choix à la firme au hérisson bleu. Le studio est la preuve même que le travail paie. Les gens de chez Game Arts prennent du galons, de la bouteille, s'améliorent et font sans cesse parler leur goût du perfectionnisme pour rendre des produits fort bien travaillés. La progression se fait nettement sentir au début des années 90. Le début de la consécration vient avec Lunar sur Mega-CD en 1992, véritable pierre angulaire dans la vie et l'ambition du studio. Déjà le studio fait montre de son intérêt pour les intrigues bien ficelées et surtout les personnages travaillés, attachants. Le scénariste et romancier Kei Shigema sera en effet embauché pour bâtir l'histoire du jeu. Cette tendance se retrouvera nettement dans Grandia (nous y reviendrons plus tard). Lunar II en 1994 viendra confirmer la nouvelle stature du studio mais la venue de Grandia sera le pinacle de cette ascension de rêve.
Dans l'optique de faire les choses soigneusement, avec du temps et de l'envie, les prémices de la création de Grandia remonte à 1992. Le travail de recherche (notamment graphique, la post-production etc) a débuté peu de temps après la sortie du premier Lunar. Mais le succès de ce dernier a poussé les développeurs à proposer une suite, repoussant la croissance de Grandia en conséquence. Lorsque le studio put retravailler sérieusement sur Grandia, le jeu était tout d'abord prévu sur Mega-CD. Naturellement, le studio avait eu un bon feeling avec le support et les deux Lunar avaient été bien accueillis dessus. Mais l'arrivé d'une certaine Playstation et la pente glissante dans laquelle commençait à s'engager SEGA avec ses périphériques couteux et inutiles poussèrent la société américano-japonaise à dégainer une console de nouvelle génération : la Saturn. Grandia fut donc avorté sur Mega-CD, très vite rangé au placard par SEGA eux-même et Game Arts commença à se pencher sur la Saturn. À partir de là, bien des choses durent être repensée, comme l'implémentation d'une petite part de 3D dans un Grandia initialement tout en 2D. Toutes ces péripéties justifient que le jeu soit pendant si longtemps en gestation et ne sorte qu'en 1997. mais l'attente en valait largement la peine.
Justin est un jeune garçon de quinze ans, dynamique et rêveur. Il s'imagine chasseur de trésor et n'a d'admiration que pour le plus grand aventurier du monde, malheureusement aujourd'hui disparu, son propre père ! Dans le petit village de Parm, qui gagne en ampleur grâce au développement économique qu'il subit et les accès ferroviaires qui se multiplient aux alentours, il vit avec sa mère Lilly et sa meilleure amie Sue. La seule chose qu'il lui reste de son père est un artefact qui va le mener à un site de fouille archéologique, du pain bénie pour l'apprenti aventurier qu'il est. Là, il va croiser le chemin de l'esprit de Liet, qui va lui confier la tâche de retrouver la cité perdue d'Alent. Ni une ni deux, il s'en va en vadrouille à travers le monde pour assouvir sa soif de voyage et d'aventure ! Très vite, Justin se verra confronté à l’armée de Garlyle. À la tête de cette force massive, le général Baal a pour objectif de récolter des indices visant à lui permettre de découvrir la cité perdue des Icariens, source d’une puissance incommensurable. Les Icariens sont le fruits de bien des convoitises, et pour cause, puisqu'on raconte que c'est le peuple sacré qui a sauvé l'Humanité des siècles auparavant face aux forces des ténèbres, et que leur civilisation emplie de sagesse et de savoir renferme des trésors inestimables.
Mais si vous croyez qu'on va se contenter d'adieu larmoyant au début du jeu en laissant la pauvre mère à ses fourneaux, horriblement esseulée et inquiète pour son rejeton, c'est bien mal connaître Game Arts qui a à cœur de surprendre le joueur ! En effet, Lilly, gérante d'un restaurant n'est pas du genre à faire un tendre bisou sur la joue de son gamin en lui disant de faire attention à lui et de ne pas parler aux étrangers sur la route. Non, elle, elle est plutôt du genre à vous coller un coup de rouleau à pâtisserie dans les gencives pour se faire entendre. Ancienne pirate de son état, Lilly a du caractère à revendre. Et c'est précisément là que Grandia brille, il dépeint une galerie de personnages truculents. Le jeune scénariste Takahiro Hasebe en est à son coup d'essai dans le jeu vidéo, et il ne s'est pas attardé sur une trame trop complexe où une foultitude de questionnement philosophique vienne alourdir le propos. En revanche, il s'est amusé à créer beaucoup de liens entre les personnages afin de leur donner des échanges et des dialogues pétillants, aux mordants indubitables. Les dialogues font véhiculer beaucoup d'émotion et des petites scènes du quotidien animées par des personnages parfois à l'opposé l'un de l'autre font l'équilibre avec une histoire d'ordinaire grandiloquente et aux proportions homériques. À ce titre, on gagne quelques une des cutscene parmi les plus drôles, ou au contraire parmi les plus émouvantes du J-RPG. Comment ne pas se souvenir, par exemple, de Justin, étouffé par la culpabilité et incapable d'assumer ses choix, se faufilant hors du cocon familial pour partir à l'aventure sans rien dire à sa mère. Le jeune garçon préférant fuir la réalité, quitte à faire du mal à ceux qu'il aime plutôt que de devoir affronter en face l'autorité de sa mère probablement un brin trop protectrice.
La façon qu'a Grandia de présenter son scénario résulte d'une réflexion d'un des deux fondateurs du studio, Takeshi Miyaji qui raconte : ''Quand nous avons choisis de réaliser un jeu de rôle, la première pensée que nous avons eue, c'est que dans la plupart des jeux du genre, le personnage n'est rien d'autre qu'un curseur pour le joueur (ND Anakaris : aujourd'hui, c'est probablement moins vrai, mais il faut garder en tête qu'à la genèse du développement, en 1992-93, rares encore étaient les personnages de RPG à avoir une personnalité distincte, un nom, une histoire...). Le curseur peut pleurer et rire, mais il ne reste qu'un curseur. On s'est alors dit que nous allions faire un RPG qui ''vit'', avec des personnages plus théâtraux et dramatiques.''
L'accent est mis sur l'empathie, il faut déclencher le sentiment d'attachement envers le héros et ses principaux compagnons. Miser sur une riche compagnie de personnage loufoque multiplie les chances de créer des interactions qui donne de l'énergie et du rythme au récit. C'est infiniment plus drôle et intéressant d'être le spectateur d'une relation mère-fils comme celle de Justin et Lilly plutôt que des échanges plats et sobres comme si le jeune homme s'adressait à une princesse indolente.
Dans l'optique de donner de la vie au monde qui entoure Justin, le processus créatif ne laissa rien au hasard. Signe que Game Arts avait réellement à cœur de produire un jeu et une histoire de qualité, Miyaji explique : ''Dans la recherche d'une époque qui serait appropriée à un monde dynamique et vivant, nous avons eu l'idée d'un âge portant sur l'exploration (ND Anakaris : cela fait sens, les voyages vous font rencontrer des gens, l'exploration est synonyme d'aventure et de découverte). Les grands voyages maritimes et aériens du début du siècle nous ont inspirés. La révolution industrielle était une période de bouleversement, d'évolution, de changement, tout le contraire de l'immobilisme et de l'ennuie dont nous ne voulions pas pour Grandia. Même s'il y a des histoires tristes et de douloureux passages dans Grandia, nous voulions que les joueurs gardent en tête ce coin de ciel bleu qui représentent la paix et la joie.''.
Toujours partant du souhait de mettre les personnages sous les feux de la rampe pour valoriser leurs relations et les rendre attachants, le soft se sépare plus ou moins distinctement en deux parties. La première, que certains joueurs ont peut-être considéré comme la plus ennuyeuse et difficile à lancer se focalise sur la rencontre des personnages. Les villes et villages du monde s'offrent à nous au fur et à mesure qu'ont lieux notre pérégrination et les saynètes de feu de camp et de diner auprès de ses compagnons. Le volubile Miyaji commente : ''Dans les jeux de rôle, les nouveaux membres intègrent votre groupe au fil de l'aventure. Avant qu'ils se joignent à vous, il y a généralement différents évènements dramatiques. Mais dès qu'ils entrent dans votre escouade, ils s'apparentent à de nouveaux pions sur l'échiquier. Vous ne pouvez même pas parler avec eux. On a pensé que ce serait intéressant d'offrir au joueur la possibilité de connaître chacun des compagnons de route et de créer des interactions entre eux. Et la meilleure occasion pour le faire n'est autre qu'un bon repas ! Voilà pourquoi nous avons conçu les scènes de feu de camp.'' Une notion dans le développement du scénario et des personnages qui rend le tout indubitablement plus vivant et que même les plus grands (Final Fantasy, Tales of …) reprendront à leur compte.
Miyaji de compléter : ''Dès le début, nous avons fait en sorte que chaque villes ou villages dispose de sa propre culture et de ses coutumes. Notre designer Osamu Kobayashi a créé des lieux qui pourraient être réels. Selon les endroits, vous tomberez sur des habitants qui adorent les grenouilles, d'autres qui collectionnent les ossements comme des trophées... Le design des costumes vont de pair avec tous ces détails pour donner une identité aux gens du monde de Grandia.''
Game Arts est créatif, cela ne fait aucun doute. Les principaux concurrents préfèrent opter pour le séculaire, mais facile à utiliser tour par tour qui a déjà fait ses preuves (Final Fantasy VII, Dragon Quest VII, Suikoden, Wild Arms...). Game Arts juge bon d'exploser les conventions en donnant à Grandia un système de combat bien plus nerveux mais qui ne manque pour autant pas de profondeur. Sur une grande jauge commune se disposent autant nos personnages que les ennemis. Chaque unités progressent sur cette jauge au fil des secondes qui s'écoulent jusqu'à arriver à la case ''action'' où ils peuvent enfin agir. L'intérêt est véritable car avec cela, le joueur peut anticiper et s'attaquer à un monstre qui est sur le point de voir son tour arriver. S'il s'y prend bien, le joueur peut contrecarrer toute tentative d'assaut ennemie ou préparer ses défenses efficacement. Cette jauge aura une importance capitale de bien des manières. Sur la worldmap, la plupart des monstres sont visibles, il est donc possible d'esquiver certains combats. Mais attention, si vous décidez de fuir sans y parvenir, un monstre pourra vous attaquer dans le dos. Dès lors, la jauge sera complètement chamboulée et les monstres pourront bénéficier de l'initiative de l'attaque pour vous en mettre plein la face ! L'inverse est d'ailleurs possible en abordant un monstre dans le dos pour vous donner un sacré avantage.
Le déplacement dans l'arène de combat est là aussi essentiel, il faut être vif et prévoir un minimum les trajectoires a effectuer avant que votre personnage soit en mesure d'attaquer car une fois qu'il arrive à l'endroit adéquat sur la jauge, il ne pourra plus se mouvoir. La distance entre votre personnage et l'ennemi est importante car d'elle découlera la somme de dégât que le monstre encaissera. Deux types d'attaques basiques seront à votre disposition : Danger ou Combi. La première option est une attaque puissante mais lente, à utiliser avec parcimonie car elle aura des chances de mal se caser sur la jauge et les ennemis auront le temps de vous attaquer plus rapidement. En revanche, l'option Combi est plus rapide mais a moins d'impact. Idéal pour une contre-attaque dans le but de stopper un monstre sur le point de passer à l'acte. Chaque personnages disposent de sa capacité spécifique et les magies respectent le principe des quatre éléments : feu, eau, terre et vent. Pour les faire progresser en efficacité, rien de plus simple, utilisez-les en combat ! Et pensez à varier les éléments utilisés, à prendre des risques pour découvrir de nouvelles magies car vous pourrez faire des associations. En effet, si vous faites progresser suffisamment le feu et le vent par exemple, vous obtiendrez des magies de foudre, introuvables autrement que par l'entrainement en combat.
Pour ajouter un peu plus de difficulté et éviter de rendre les personnages beaucoup trop puissants, ce qui à terme détruirait toute notion de challenge ou de progression, les concepteurs ont pensé à cloisonner les réserves de MP (points de magie nécessaires à l'utilisation des magies). Séparer en trois compartiments, les réserves de MP correspondent aux trois niveaux de puissances des magies. Chaque magies de niveau un consommera des MP de la réserve de niveau un, et ainsi de suite. Sachant que la réserve de niveau deux a moins de points que celle de niveau un, et pareillement avec la réserve de niveau trois qui dispose d'un total de MP très maigre, cela force le joueur à disposer de ses magies avec soin pour ne pas se retrouver à cours d'attaque puissante face à un monstre coriace. Au même titre que les magies, les armes pourront être améliorées dans leur maitrise à mesure que vous combattrez avec, débloquant en conséquence des capacités spéciales. Tout cela donne à vos personnages un panel d'attaque et de capacité de combat très étoffé qui peuvent démultiplier les approches et les stratégies.
Vous l’aurez compris, le système de combat est d’une efficacité à toute épreuve et en maitriser toutes les subtilités fera de vous un guerrier accompli. Mention spéciale également à la clarté de l’interface tout simplement exemplaire.
Graphiquement également, Game Arts ne cache pas son ambition. Les développeurs ont fait le choix d'une 2D pour représenter les personnages couplée à une 3D pour modéliser les environnements. C'est l'inverse de ce que pouvait faire le grand chouchou des médias du J-RPG de l'époque, à savoir Final Fantasy VII, mais Game Arts a véritablement pensé sa démarche. En effet, la 2D permet de transmettre aux protagonistes plus d'émotions, notamment avec des vignettes lors des dialogues type manga très éloquentes. Le chara-design des personnages étant plaisant, varié et coloré, l'attachement se fait tout simplement. La 3D quant à elle a permit aux développeurs de rendre plus sophistiquée la mise en scène de leur jeu, en jouant avec les angles de caméra à l'envie. En 1997, le jeu avait de quoi impressionner même si avec le recul, il s'avère que Grandia a plus de charme artistique que de solidité technique à proprement parler. Et heureusement, car sans cela, il s'en serait moins bien sorti. Parce que oui, il faut définitivement se le dire, Grandia avait quelques soucis de chute de frame-rate, décors 3D oblige, et l'aliasing parfois conséquent avait de quoi piquer les yeux. D'ailleurs, la version Playstation du titre, sortie deux ans après l'initiale sur Saturn souffre de problèmes similaires même si un léger lissage a été effectué au niveau des couleurs pour les rendre moins baveuses. Ainsi, Game Arts a prouvé qu'un studio éminemment talentueux pouvait faire mentir l'adage comme quoi la Saturn n'était pas aussi à l'aise avec la 3D que sa concurrente de Sony (d'autres jeux comme SEGA Rally Championship ou Burning Rangers prouveront qu'une belle 3D est possible sur Saturn).
S'il y a bien une chose qu'il faut mettre en valeur, c'est la générosité de Game Arts qui même s'il n'ont pas rendu une copie parfaite ont vraiment mit du cœur à l'ouvrage. Car l'étendu de certains environnements est étonnante, la somme de détails et d'interaction avec les décors est surprenante (PNJ à interpeller, bénéficiant tous de plusieurs animations qui leur sont parfois propres, élément du décors à examiner …) et les différents effets lumineux lors des combats offrent à Grandia un excès d'énergie communicatif. Le jeu déborde, explose, balance des tonnes de paillettes et d'étincelles au visage du joueur et le pari de créer un monde vivant est remporté haut la main. Enfin, les superbes séquences vidéo (malheureusement bien trop peu nombreuses) marient habilement dessin et 3D pour un résultat des plus efficaces. Un résultat globalement bien plus favorable que l'inverse, même s'il convient toujours de modérer le constat (c'est très compliqué d'être pleinement objectif dans ce genre de situation car Grandia ne mérite pas de se faire descendre, mais pourtant on ne peut pas occulter certaines choses).
En revanche, il est difficile de reprocher quoi que ce soit aux sons et plus particulièrement à la musique du soft. L'utilité d'un long et patient travail d'amont fait encore ses preuves ici puisque les concepteurs avaient des idées très précises de l'accompagnement musicale de certains passages, ce qui a contribué à rendre le tout cohérent et de qualité. Aussi, le compositeur, Noriyuki Iwadare, déjà responsable des OST de Langrisser, Wing Commander et Lunar n'aura probablement jamais eu meilleure occasion de faire parler son art. Il a varié les instruments en utilisant un panel d'une richesse incomparable pour donner une saveur unique à beaucoup de ses pistes : cuivres, cordes, flûtes, basses, il y a de tout ! S'intéressant à la nouvelle tendance de la musique assistée par ordinateur lorsqu'il est à l'université, Iwadare est aussi devenu un des meilleurs techniciens son du milieux du développement de jeu vidéo japonais. Il utilisa ses connaissances pour ainsi mieux harmoniser et arranger ses partitions. Cela lui servit également pour utiliser le ADX, technologie de compression audio qui permet de faire s'enchainer plusieurs pistes musicales sans décalage ni temps de silence entre chaque morceau, définitivement indispensable pour une immersion réussie. L'OST de Grandia véhicule un florilège d'émotion délicieux. Gaieté, mélancolie, héroïsme (le thème de Mullen, inoubliable)...
Mais alors, que peut-on reprocher à Grandia ? Mis à part ses faiblesses techniques qui sont nées des affres du temps et qui sont dut avant-tout à une audace certaine (il est facile de ne jamais commettre d'erreur quand on innove jamais et quand on a aucune ambition ) et les traductions françaises boiteuses d'Ubisoft sur la version Playstation du titre. Les quêtes annexes, peut-être, très peu nombreuses bien que ne mettant pas en cause la durée de vie, puisque celle-ci reste très conséquente. Là où Final Fantasy VII nous entrainait dans une foultitudes d'aventures subsidiaires (les boss cachés redoutables, les invocations secrètes à dénicher aux quatre coins du monde, les mystères du Gold Saucer, les armes et attaques finales de chaque personnages...) tout en proposant un scénario principal fascinant, Grandia préfère nous offrir un chemin plus linéaire mais aussi beaucoup plus balisé. Dommage, on aurait tellement aimé gagner un peu plus de liberté pour explorer ce monde haut en couleur !
Point de départ d'une saga mémorable qui prendra fin malheureusement avec un troisième opus (selon la série principale en tout cas) sur Playstation 2, Grandia est un jeu d'une qualité rare. Pour certains, il a sut se hisser au-delà des stars du J-RPG de l'époque Final Fantasy VII et consort, ou à tout le moins au même niveau que les aventures de Cloud. Pourtant, la concurrence était rude dans les années 90, des noms tels que Suikoden II, Tales of Destiny, Wild Arms, Breath of Fire III ou encore Star Ocean : The Second Story bataillaient pour la part du lion. Mais Grandia a clairement sut tirer son épingle du jeu et est devenu le J-RPG incontournable sur la console de SEGA. Encensé par la critique, le jeu se construit un noyau de fan fidèle et Grandia s'écoule à quelques 350 000 unités rien qu'au Japon. Game Arts tient son chef d’œuvre, le jeu qui peut résumer à lui seul l'histoire et le talent du studio. Outre Final Fantasy VII qui eu la chance de jouir du soutient de Sony Computer Entertainment et de son budget localisation faramineux, Grandia fut probablement le seul J-RPG de la seconde moitié des années 90 a être autant soutenu par les joueurs au-delà du Japon. En effet, c'est aux USA que naitra une vague de soutient sans précédent, et c'est à coup de pétitions et de réclamations que les joueurs américains réclameront la traduction de Grandia dans leur langue. Grandia ne parviendra jamais aux USA ou nul part ailleurs sur Saturn mais une fois n'est pas coutume, c'est grâce au succès indécent de la Playstation en occident qu'un RPG de plus pourra s'exporter hors des frontières de son Japon natal.
Quant à Takeshi Miyaji, le génial concepteur du jeu et co-fondateur de Game Arts avec son frère Yoichi, il est décédé en juillet 2011 des suites d'une tumeur au cerveau. Avant de fonder une petite société de production de jeux mobiles au début des années 2000, son dernier gros jeu aura été le merveilleux Grandia II (Dreamcast, Playstation 2). Plus jeune et plus imaginatif que son frère, il était le côté créatif du duo tandis que Yoichi se plaisait plus dans le domaine de la gestion des ressources et du personnel. Ensemble, ils ont sut installer une ambiance familiale au sein de Game Arts afin de donner au studio cet aspect de fabricant artisanal, authentique créateur de rêves et de belles aventures. On ne sait pas réellement si Game Arts a tenté de relancer Grandia sur consoles modernes, le studio restant globalement très discret ; mais une chose est sûre, c'est que la triste disparition de Takeshi Miyaji aura sonné le glas de Grandia, aphone depuis 2005...
On a déjà parlé vaguement de Probe Software dans le retro test d'Alien 3 sur Super Nintendo. C'est une société d'édition et de développement de jeux vidéo fondée en 1984 à Croydon, au Sud de Londres en Angleterre. Probe jouit d'une assez bancale réputation auprès des ''true gamer'' car très vite, la société se fait connaître pour ses portages entre les micro-ordinateurs et les consoles de salon ou inversement. Une méthode de travail très mercenaire qui leur garantie une rentrée d'argent conséquente. À cela s'ajoutent les jeux ''budget'' peu ambitieux, développés en quelques semaines et vendus à bas prix ; et les compilations de vieux jeux dont ils rachètent les droits pour une bouché de pain afin de les porter (bien souvent tel quel) sur les machines plus récentes. Puis lorsque la manne des jeux à licence se dévoile, Probe s'infiltre dans la brèche et tout explose. Le studio devient une véritable usine à gaz. Entre 1984 et 1994, période où le studio britannique est de loin le plus prolifique, Probe estime ses fonds propres à 1,4 milliards de dollars sur près de 400 titres (en comptant des versions de jeux édités sur plusieurs consoles). Le chef d'orchestre de tout cela se nomme Fergus McGovern, hélas décédé en 2016.
Les méthodes de travail de Probe étaient en phase avec l'époque où le milieux du développement de jeu vidéo n'était pas aussi professionnalisé qu'aujourd'hui. Carl Muller, un ancien programmeur de Probe explique : « Vous pouviez travailler sur un jeu pendant des semaines, puis découvrir que vous ne possédiez pas la licence car les termes du contrat n'avait pas été bien définis entre Probe et l'organisme qui faisait la commande du jeu. Ça nous obligeait souvent à mettre plusieurs semaines de travail à la poubelle. Nous avons alors appris à sauvegarder ce qui pouvait l'être dans ce genre de situation pour le réutiliser, avec quelques modifications au préalable, sur d'autres jeux. Sinon c'était du gâchis en permanence et Probe n'aurait jamais put sortir le moindre jeu. ». Un procédé qui de nos jours ferait certainement couler un petit studio, et même un gros éditeur. Muller poursuit : « Parfois, Fergus allait parler à ceux qui nous avait passé commande et quelques jours plus tard, il revenait au studio pour nous annoncer qu'on avait définitivement les droits, le travail pouvait alors continuer. Mais il avait aussi l'habitude de compter sur un coup de fil et une prière. Ce n'était pas rare d'apprendre que pendant plusieurs semaines, toute une équipe de développement produisait un jeu sur les fonds personnels de Fergus avant de seulement obtenir un financement de la part d'un éditeur ou d'un commanditaire. ».
David Perry, le futur fondateur de Shiny Entertainment et créateur de Earthworm Jim, MDK, Mesiah ou encore le très mal vu Enter the Matrix a commencé sa carrière chez Probe Software. Il raconte : « Chez Probe, on s'est transformé en usine à jeux. Il (Fergus McGovern) nous présentait un projet et il voulait avoir un jeu prêt à être vendu le plus vite possible. Au début des années 90, les temps de développement d'un bon jeu n'étaient pas aussi élevés qu'aujourd'hui, mais même à l'époque, notre temps de gestation d'un projet chez Probe était bien en dessous de la moyenne. Ça a vachement compté dans ma carrière, notamment sur Teenage Mutant Hero Turtles (ND Anakaris : un bon portage du hit Arcade de Konami transposé sur micro-ordinateur). ».
Même si plusieurs productions de Probe Software, et la politique éditoriale bariolée du studio ont de quoi faire grincer des dents (sans compter leur rachat par Acclaim en 1995, autres éditeurs dont la qualité de production est très variable), force est de constater que beaucoup de joueurs ont compté un jeu Probe dans leur collection un jour ou l'autre. Batman Forever, Alien Trilogy, Extreme-G, Primal Rage, Judge Dredd, Forsaken, Stargate... et bien entendu Die Hard Trilogy. Parmi ces jeux, tous ne sont pas exceptionnel, je vous l'accorde, mais ils faisaient partis de ces jeux extrêmement bien vendus envers et contre tout parce qu'ils étaient étrangement populaires malgré leur qualité parfois douteuse. Comme ces jeux qu'on a tous eux dans notre chambre même si ils nous faisaient hurler de rage à cause d'un gameplay cruel et d'une difficulté innommable (Tintin au Tibet, Pit-Fighter, Pac-Man 2 : The New Adventures...). Pas de doute, Probe Software savait vendre ses jeux. Tous les employés de Probe étaient des passionnés. Fergus McGovern lui-même aimait les jeux vidéo d'amour, mais il avait bien vite compris que le microcosme du jeu vidéo était sans pitié et était voué à devenir une véritable industrie. McGovern gérait donc Probe Software comme un homme d'affaire. Fantasque, certes, mais résolument génial.
D'ailleurs, l'histoire du développement de Die Hard Trilogy part d'une décision d'homme d'affaire déterminé à placer ses billes sur le projet qui lui semble le plus rentable. Le ''yes studio'' ami des grands du cinéma a déjà des contacts avec la 20th Century Fox (Alien 3) en 1994. À l'aube de l'ère 32-bits, la Playstation et la Saturn sont sur toutes les lèvres. Deux projets et la promesse d'un joli coup marketing s'offrent alors à Probe et la Fox. Alien Trilogy est lancé, regroupant les trois premiers long-métrages de la saga initiée par Ridley Scott. Pour le second projet, Fergus explique : « Fox propose alors de développer un jeu sur leur nouvelle série TV de science-fiction : Scavengers. On avait commencé à travailler sur le projet et j'ai vu le premier épisode. C'était épouvantable. Quand ils ont découvert les critiques sur la série la semaine suivante, ils ont décidé d'annuler le jeu. ». Qu'à cela ne tienne, la Fox a de la suite dans les idées et souhaite que l'argent investi dans l'adaptation de Scavengers soit transféré sur un jeu adapté de Die Hard with a Vengeance (Die Hard 3) qui doit sortir à l'été 1994. Ça ne laisse que quelques mois à Probe pour développer un jeu ambitieux pour les nouveaux hardware. Mais voilà, en parallèle, les négociations entre Probe et Acclaim pour le rachat du studio avancent bien. Si bien qu'en octobre 1995, Probe devient propriété d'Acclaim (Probe se fera nommer Acclaim Studios London en 1999). Electronic Arts obtient les droits de distribution du jeu Die Hard (le film quant à lui prendra du retard et sortira finalement en mai 1995). Contractuellement, beaucoup des retombées financières du jeu Die Hard reviendront donc à EA, Acclaim et Probe devront se contenter d'une partie minime des dividendes. Probe est absolument tenu d'assurer la commande et doit finir de développer le jeu Die Hard. Fergus décide alors de séparer l'équipe en deux. Les programmeur d'expérience et la plupart des gens de Probe s'occuperont de Alien Trilogy, Acclaim ayant gardé tous les droits d'édition et de distribution dessus. Tandis qu'une petite équipe de débutant est allouée à Die Hard avec un budget bien moindre. L'équipe B sera menée par les game designer et programmeur Simon Pick et Dennis Gustafsson.
La Fox revient vers Probe quelques temps plus tard. Le géant Hollywoodien est mécontent de ce qui a été fait sur l'adaptation de Die Hard with a Vengeance entre 1994 et 1995. À la décharge de la petite équipe chargée du développement du jeu, il faut savoir que le script du long-métrage ne leur a été rendu disponible que quelques mois avant la sortie du film sur grand écran. Difficile dans ces conditions de produire une adaptation de qualité. La Fox exige de tout revoir en profondeur, le prototype du jeu est mis à la poubelle. L'équipe se réunit pour trouver de nouvelles idées de game design. Simon Pick explique: « Un jour, en réunion, j'ai demandé "Et si nous faisions trois jeux en un ? Ce serait difficile selon vous ?", nous étions encore très naïfs. ». Développer un 3-in-1 comme pour Alien Trilogy avec une équipe de vétérans bien rodés, c'est faisable. Le faire avec une petite brochette de débutant, ça devient compliqué. Pick de rajouter à propos de cette idée saugrenue: « Avec le recul, je crois que je voulais juste impressionner Fergus ! ». N'empêche, cela suffit pour remotiver les troupes et repartir au travail. Le concept de Die Hard Trilogy était né.
Mais reprenons dans l'ordre. Die Hard expose la vie instable d'un lieutenant de police maladroit en ce qui concerne les relations amoureuses. Obnubilé par son boulot, sa famille en pâti, si bien qu'il passe son temps à tenter de se faire pardonner par sa femme. John McClane est un homme d'action et est probablement le flic le plus populaire du cinéma (bon, ok, avec Axel Foley, peut-être). Lorsque ce dernier rejoint sa femme à Los Angeles pour essayer de recoller les morceaux de leur histoire sentimentalement désastreuse, il se fait embarquer dans une folle prise d'otage au sein d'un building appartenant à l'employeur de la donzelle: le Nakatomi Plaza. La tour, toute de verre vêtue, le fameux Piège de Cristal est un endroit rêvé pour un jeu d'action explosif. Le but primaire de cette partie du jeu est de descendre tout les terroristes qui croiseront votre route à l'aide d'un arsenal digne d'un Rambo urbain. Le jeu prend l'apparence d'un furieux shoot 3D où le rythme et le tempo n'ont rien à envier à un run'n gun sur borne d'Arcade. Le jeu n'a rien d'un chef d’œuvre technique, mais son gameplay fun et sa cadence très proche du film en fait un jeu vidéo agréable à jouer. Globalement, la première partie du jeu à un bel impact en plein milieux de la mode des blockbuster d'action hollywoodien. La Playstation et sa 3D à portée de tous permet ce genre de folie, ce qui contribue à rendre le jeu vidéo de plus en plus populaire auprès du grand public. L'animation des personnages - ennemis aussi bien qu'otages - est assez étrange mais dans le carnage ambiant, on n'y fait pas réellement attention. Gustafsson explique: « C'était des sprites multicouches, pas de véritables modèles 3D. C'était moche, mais avec cette technique, nous pouvions afficher environ 16 personnages en même temps, contre 2 si ça avait été de vrais modèles 3D plus gourmands en ressource. » Bonne pioche. L'explosivité de l'action est garantie avec le nombre d'ennemis à dézinguer à la minute et leur rythme d'apparition soutenu. On se serait bien vite emmerdé avec deux pauvres criminels à combattre à la fois, aussi beau soient-ils. À la place, on fusille une troupe entière de méchant vraiment pabô pour le coup, et c'est amusant ! L'essentiel est là.
Techniquement, l'équipe rivalise d'ingéniosité pour palier au manque de moyen. L'équipe principale, les nabab de Alien Trilogy surnomment Pick, Gustafsson et les autres les "Try Harders". Pour améliorer la clarté des environnements de Die Hard 1, certaines parties du décors sont rendues transparentes dès qu'on s'en approche. Ceci afin de voir si des terroristes survivants se planquent ça et là. La transparence des décors ne se fait pas sur la Saturn mais uniquement sur Playstation, réputée plus à l'aise avec la 3D. De plus, l'équipe ne dispose pas des fonds nécessaires pour se payer Bruce Willis himself. Gustafsson raconte: « Je crois qu'on a été les premiers à faire de la motion-capture en Europe. Il n'y avait pas de studio fait pour à l'époque, alors on a pris nos balles de ping-pong, une caméra, et on a été tourner quelques trucs dans une église du quartier. Les animations étaient très bugguées, alors on a engagés deux gars de la BBC, ils étaient ravis de pouvoir travailler sur un jeu vidéo. Ils ont bossés plusieurs heures par jours dans un bureau minuscule sans fenêtre pour débugguer au mieux les animations. Les pauvres. » Les ''meatball men'' (homme-boulette de viande) comme les appellent l'équipe de Probe, les personnages curieusement animés du jeu, sont si moches que les programmeurs décident de coller leurs propres visages sur leurs têtes. Encore une ingéniosité technique que Gustafsson explique: « Un jour, Fergus est revenu du Japon avec un des premiers appareils photos numériques au monde. En vérité, c'était une brique, ça faisait très amateur. On est tous passé par des séances photos sous huit angles différents. C'était franchement moche, mais on s'en fichait, c'était génial de se voir dans le jeu ! Pour modéliser le personnage principal, on a prit ma tête avec les cheveux du programmeur Greg Modern. Greg avait plus de cheveux que moi, et John McClane en a dans Die Hard 1. Au fur et à mesure, il devient chauve dans les films, alors on a fait pareil dans les jeux. »
Le second film mène John McClane dans l'aéroport de Washington-Dules où il doit déjouer le plan d'autres terroristes (c'est un terme fourre-tout pour désigner ceux qui pètent les couilles) en tout juste 58 minutes. 58 minutes pour vivre. L'avion d'un général de guerre Sud-américain doit atterrir d'ici là, ce dernier doit être jugé pour trafic de drogue. Ainsi s'engage une terrible bataille entre le flic le plus teigneux des USA et des criminels toujours aussi moches mais toujours aussi fun à bousiller. Cette partie prend la forme d'un jeu de tir en vue subjective, un rail shooter. Un an après la sortie de Time Crisis (Namco) en Arcade, Die Hard n'a pas à rougir. L'action débute dans l'aéroport avant de se poursuivre dans la campagne enneigée environnante jusqu'à l'église de fin du film. C'est toujours aussi explosif et aussi bien rythmé et là encore, même si on dénote quelques faiblesses techniques (les voitures qui ont des roues plates comme des pizzas...), Die Hard Trilogy s'en sort remarquablement bien. Ça a le mérite de proposer des décors variés. Avec une équipe de développement dont la moyenne d'âge est de 22 ans, la production de Die Hard Trilogy vire rapidement au joyeux n'importe quoi. Une idée évoquée le matin se retrouve le soir même implémentée dans le jeu. Comme les films, le jeu s'évertue à ne laisser aucun répit au joueur. Encore une fois, les prouesses révolutionnaires de la Playstation permettent de briser les chaines des concepteurs de jeu. Les terroristes prennent feu. Les otages prennent feu. Et même les pigeons se transforment en boules incandescentes si vous parvenez à leur balancer quelques cartouches. James Duncan, 19 ans à peine, et modélisateur 3D de son état se justifie en disant: « Souvenez vous qu'on était qu'une bande de jeunes qui avaient l'opportunité de faire ce qu'ils voulaient avec un blockbuster hollywoodien. La Playstation a brisée des tabous, aussi bien sur le plan technique que culturel. On pouvait faire ce qu'on voulait. C'était libérateur, personne n'est venu nous calmer et nous dire d'y aller mollo. ». Toujours avec un seul et unique mot d'ordre: amusement, le carnage Die Hard Trilogy continue. Et la troisième partie du jeu est probablement la plus représentative de tout cela.
Le troisième film, le fameux Die Hard with a Vengeance pour lequel Probe a été initialement mandaté, raconte toujours les folles aventures de John McClane. Ça se passe cette fois-ci à New York, en 1995. Un magasin est soufflé par l'explosion d'une bombe. L'attentat est revendiqué par un inconnu se faisant appeler Simon. Celui-ci exige que le lieutenant John McClane se livre à un périlleux "Jacques a dit" à travers toute la ville, à défaut de quoi d'autres bombes exploseront. Mais McClane ne tarde pas à découvrir qu'il est en fait le jouet d'une vaste machination. C'est un prétexte de plus pour s'offrir un nouveau terrain de jeu cette fois-ci bien plus vaste que les précédents. Die Hard 3 ou Une Journée en Enfer vous propose de débusquer des véhicules piégés à travers la ville de New-York reconstituée pour le coup (avec en prime le quartier de Central Park), et ceci à toute allure. La sensation de vitesse y est grisante, et parfois, des courses-poursuites avec les autorités se déclenchent. C'est difficile. Très difficile. Mais bordel que c'est défoulant. Cette troisième partie de jeu est un summum d'extravagance et d'explosivité manette en main. Rarement un jeu aussi débridé n'aura fait vibrer le monde du jeu vidéo. En Allemagne, le jeu est interdit à la vente principalement à cause de la violence affichée dans cette troisième partie, où les piétons éclatent en gerbes de sang sur votre pare-brise si vous les percutez au volant de votre taxi. Petit détail qui a son importance - signe que les jeunes développeurs de Probe ont joué le jeu à fond -, les essuie-glaces s'activent pour dégager l’hémoglobine de votre champ de vision ! C'est outrageusement amusant et le concept rappelle furieusement un certain Driver, qui ne sortira pourtant que trois ans plus tard. Pick confirme « Ils ont largement affiné le concept, et Driver est un jeu époustouflant, bien mieux maitrisé techniquement que ne l'a jamais été Die Hard Trilogy. Mais je crois que notre influence est bien visible... ». Gustafsson est un peu plus modéré en ce qui concerne la première partie du jeu, celle dont le gameplay fut supervisé par lui-même. « Je ne pense pas que Die Hard Trilogy a eu un impact sur les shooters à la troisième personne qui ont suivis. Le jeu lui-même n'est pas vraiment original, c'est en gros un shooter isométrique. Tomb Raider est sorti quelques mois plus tard. Mais on ne le savait pas à l'époque, chacun travaillait dans leurs petits bureaux bien à l'abri des regards, comme des artisans. Tomb Raider a incontestablement été plus marquant, dans le monde des jeux vidéo et dans le monde des shooters. En tout cas, j'étais fier de ce qu'on avait fait. ».
Et sincèrement, il y a de quoi être fier. Car toute cette avalanche de fun et de prouesse technique n'a pas été gratuite. Le développement de Die Hard Trilogy fut un véritable sacerdoce pour les jeunes recrues de Probe. Simon Pick raconte ses craintes au tout début du développement: « On ne comprenait pas vraiment ce qu'impliquait de faire un jeu en 3D. On n'avait fait jusque-là que des jeux en 2D avec sprites. On a eu la Playstation à peu près un an avant sa sortie. On avait vu aucun autre jeu tourner sur ce support et on n'avait pas la moindre idée de ce à quoi on allait se frotter. C'était flippant. ». Quand Gustafsson parle d'ambition quand il évoque le 3-in-1, Pick parle de stupidité: « Trois fois plus de travail, trois fois plus de code, trois fois plus d'emmerde. On a eu les yeux plus gros que le ventre et on a surestimé nos capacités... ». Pire encore, Pick rajoute: « J'ai littéralement fais une crise de nerfs. On travaillait tellement, c'était horrible. Je détestais Die Hard Trilogy, je voulais tout balancer par la fenêtre. ». Mais il tempère ses propos en ajoutant: « Ça aurait put être pire. Ça aurait put être catastrophique, mais Die Hard Trilogy a un bon fond. C'est un peu limite sur certains aspects, parce qu'on a eu les yeux plus gros que le ventre, mais je crois que le jeu reflète notre passion. ». Pour rendre une copie un minimum ambitieuse faite avec les moyens du bord, il faut accepter quelques compromis. Pour Die Hard 3, la ville était trop grande pour être entièrement modélisée. La Playstation n'était pas capable de générer l'ensemble du terrain de jeu en une seule fois. Alors, Duncan, Pick et les autres ont simplement modélisé la ville par petite section et ont programmé un outil qui devinerait par de savant calcul dans quelle direction le joueur se rendrait seconde après seconde afin de générer la section de ville correspondante. Une sorte de niveau en streaming, si l'on peut dire. C'était efficace mais ça engendrait des erreurs comme des portions de ville qui se dédoublaient (rendant ainsi les rues et avenues atrocement identiques pendant des heures ! ) qu'il fallait corriger manuellement.
Au final, que retenir de ce Die Hard Trilogy ? Un jeu moche, techniquement instable, avec plusieurs bug de collision notamment, des animations étranges et une modélisation 3D qu'il ne vaut mieux pas contempler dans les détails. Mais un gameplay varié, fignolé et dont le seul mot d'ordre lors de son élaboration fut le fun. Il n'a peut-être pas le patronyme de l'autre jeu Die Hard a être sorti dans la même période sur Saturn (le Die Hard Arcade de SEGA, renommé Dynamite Deka au Japon), mais il a assurément toute la simplicité et l'explosivité d'un soft Arcade. Bien que sorti six moi avant, Alien Trilogy n'aura pas sut laisser un aussi bon souvenir que l'exubérance jouissive et sans prétention de Die Hard Trilogy dans la tête des joueurs. La folie de la jeunesse bouscule un jeu certes de qualité mais probablement un peu trop sage et un peu trop traditionnel pour marquer durablement les esprits, surtout en plein milieux de la vague Doom-like des années 90.
Les ventes de Die Hard sont bonnes, surtout au vu de l'investissement dérisoire. Mais Probe n'en profitera guère. Tout d'abord, comme expliqué plus haut, Electronic Arts prendra une bonne part sur l'édition et la distribution, contractuellement. Puis Acclaim se verra mettre dans l’embarras. Il fut révélé que l'éditeur ne versait pas de royalties (pourtant garantis par des contrats) à ses commanditaires divers et variés. La Fox réclamera plusieurs millions de dollars pour des jeux à licence tels que The Simpsons: Bart's Nightmare sur SNES, True Lies sur SNES et Megadrive ou le fameux Alien Trilogy. Fer de lance du catalogue de Probe qui leur coutera cher. Le peu de dividende que Probe arrive donc à se dégager avec Die Hard part immédiatement en fumée pour éponger les dettes de l'éditeur américain. Autant dire que quelques mois après leur rachat, les relations entre Probe et Acclaim n'étaient déjà plus au beau fixe, et le studio londonien aurait certainement mérité mieux que cela...