A l’occasion des récentes soldes G.O.G., une grossière erreur a été faite, à savoir acheter des jeux PC et se relancer dans le maelström de bonnes sorties exclusives à ce type de machine, ou du moins non disponibles chez nos vendeurs de hype préférés. Alors que l’année 2017 aura vu les consoles accueillir des hits en pagaille avec un calendrier toujours aussi surchargé pour l’année à venir, il aura donc fallu que je sois faible et remette les doigts dans cet univers.
Mal m’en a pris quant à la durée de mes nuits, mais bienheureux celui qui accède à tous ces « petits » jeux (en taille, configuration requise et prix) d’une richesse réconfortante. Aujourd’hui, retour sur une pépite du visual-novel, le bien nommé 80 Days, soit l’adaptation libre du Tour du monde en 80 jours où vous incarnerez, comme dans le roman de Jules Verne, Passepartout au service de Philéas Fogg.
Vous allez voir du pays : 169 destinations réparties sur toute la surface du globe sont possibles
Développé par
Inkle, jeune studio créé en 2011 par deux
gentlemen, et d’abord sorti sur téléphone,
80 days est donc un jeu narratif sobrement illustré comme vous pouvez le constater sur les captures d’écran de cette page. La simplicité apparente est heureusement trompeuse, car la véritable richesse et profondeur du titre se situe dans ses textes, la liberté accordée au joueur et sa rejouabilité.
Très simple de prime abord (le joueur visite des villes où il pourra commercer, retirer de l’argent à la banque, passer le temps à l’hôtel, explorer la ville et enfin choisir son prochain voyage parmi les trajets débloqués), facile à prendre en main quelques soient les situations (4 icônes explicatives seront présentes sur l’écran au maximum), le joueur va vite découvrir que la principale difficulté qu’il aura à affronter sera le temps, et la planification de son itinéraire.
Vous débutez en effet l’aventure avec une ligne Londres-Paris comme seule solution proposée. Vos conversations lors des trajets, dans les villes visitées ou l’achat de cartes ferroviaires débloquent différentes options de voyage et informations. Pour les premières, leur rapidité est parfois contrebalancée par une attente de plusieurs jours pour les emprunter (à moins que vous ne puissiez soudoyer ou payiez un départ plus précoce) tandis que des plus lentes peuvent devenir avantageuses, que ce soit en raison d’une possibilité de départ immédiat, de tarifs modestes ou de contraintes physiques plus faibles.
Les transports empruntés diffèrent en effet fortement d’une ville ou zone à l’autre : si les trains tel que l’Orient Express sont plutôt rapides et fiables, l’utilisation de caravanes de chameaux dans la péninsule arabique vous condamnera à une avancée aussi lente que l’érosion sableuse des déserts environnants.
A vous de débloquer les itinéraires possibles, par l’achat de cartes, la discussion ou l’exploration des cités.
En tant que valet de Fogg vous devrez bien évidemment veiller au bien-être de votre maitre et s’assurer que son état (exprimé sur une échelle de 100 points) soit compatible avec l’effort physique imposé par votre voyage. Si les zeppelins des zones tempérés n’ôtent pas un poil de vigueur, ce n’est pas le cas des transports plus expérimentaux ou des zones à conditions climatiques extrêmes. Il sera possible de nuancer ces influences en ayant dans ses bagages différents objets vendus sur les marchés de vos arrêts, bagages qui demanderont parfois un supplément tarifaire ou leur abandon pur et simple si votre transport ne permet pas de les accueillir intégralement.
Vous pourrez converser à bord des engins que vous utiliserez pendant vos voyages, suivre l’actualité ou bichonner Phileas Fogg.
Vous serez aussi limité par vos capacités pécuniaires : vous débutez l’aventure avec une bourse de 5000 livres et hors commerces entre différentes villes (le vin acheté à Paris sera par exemple revendu très cher à Copenhague mais pour une poignée de pièces à Delhi) ou attente couteuse en temps d’un virement de la banque, certaines options seront hors de portée de vos capacités financières. Une traversée directe de l’Atlantique pourra ainsi demander ainsi cinq fois plus qu’une autre composée de 3 escales.
Ces contraintes sont renforcées par la variété des situations rencontrées lors de vos pérégrinations : alors que certaines villes ou voyages seront des havres de paix, d’autres vous soumettront à divers événements, parfois bienheureux, parfois beaucoup plus malheureux. Cette belle ville tropicale où vous avez pu revendre avec bénéfices gargantuesques et gain de temps apparemment avantageux pour votre tour du monde peut se révéler être un piège à retardement… Cet itinéraire direct vers le Pacifique ? Votre nationalité pourrait vous forcer à un séjour derrière les barreaux en fin de compte, à moins que vous ne disposiez d’objets vous garantissant une protection ou que vous sautiez du train en marche et fassiez un long détour dans les plaines de l’Asie.
3 modes de transport (Aérien, terrestre, aquatique), chacun divisé en de multiples appareils
Vous l’aurez compris, votre voyage sera soumis à toute une foule d’évènements, sur lesquels vous pourrez influer par vos choix. Ces derniers modifieront grandement votre fortune et d’une partie à l’autre, même si vous repassez par les mêmes endroits, vous aurez une expérience différente en changeant vos réponses initiales. Là où un combat de boxe avait eu lieu suite à un caractère un peu trop commode, vous pourrez très bien orienter vos réponses afin d’y échapper.
Il sera cependant possible de radicalement modifier votre expérience lors d’une nouvelle partie car avec ses 169 villes et sa liberté de déplacement, le jeu ne vous permettra pas d’épuiser ses innombrables possibilités à moins de partir sur un tour du monde bouclé en 800 jours.
L’écriture occupe 80% du jeu
Ma première partie m’a par exemple vu remonter l’Europe vers la Scandinavie, en rencontrant au passage des artificiers, une exposition universelle, un tableau de Rembrandt inestimable, une jeune russe manipulatrice et divers personnages pittoresques, avant de repiquer vers la mer caspienne, traverser Istanbul en pleine émeute générale et s’enfoncer dans la péninsule arabique. Après un long voyage éprouvant jusqu’à la pointe sud du golfe persique, où les locaux étaient bien plus accueillants que l’aristocratie coloniale, des pirates ont permis à mon Passepartout et mon Phileas Fogg de rejoindre la côte occidentale indienne. Le territoire méridional du sous-continent fut longé sans trop de souci mais lors du voyage vers Singapour, ville dans laquelle nos achats promettaient de couvrir le restant de notre aventure, une mutinerie conduisit à une avarie fatale. La mort sembla proche jusqu’à ce que la future femme du capitaine ne vienne nous sauver d’une asphyxie imminente.
Le temps pressait, plus d’une cinquantaine de jours s’était déjà écoulée et il fut donc décidé de couper au plus court par les Philippines jusqu’à Hawaï avant de rejoindre la côte américaine. Décision fatale à posteriori, mais ce ne fut qu’au milieu du Pacifique que ses effets se firent sentir, pour une raison qu’il convient de cacher au cas où votre partie la rencontrerait elle aussi. S’ensuivirent 10 jours d’immobilisation forcée le temps que Fogg se remette de cette décision. C’aurait pu être plus tragique que ce ne le fut cependant, mais le pari du tour du monde fut perdu.
Il fallait pourtant bien rentrer au bercail, et la traversée du Mid-West fut plus rude que ce que laissait présager les déclarations enthousiastes des locaux, la faute à un pari avec l’ingénieur de notre engin. Les machines de ce monde sont en effet parfois expérimentales, et il est toujours imprudent de pousser des moteurs au-delà des limites éprouvées. Après une nuit torride à la Nouvelle Orléans, que la pudeur impose de ne pas divulguer, la remontée vers New York se fit sans encombre. Victime d’une pickpocket dans les rues de la Grosse Pomme, Passepartout pu découvrir la corruption de la police locale de première main. Malgré les sommes dérobées, il restait suffisamment d’argent pour une traversée directe vers Londres, où les journaux titraient déjà sur la défaite de Phileas Fogg, sa ruine et son honneur bafoué.
Ce résumé, pourtant déjà conséquent, laisse de côté une dizaine d’évènements mémorables. Ma seconde partie emprunta un chemin tout à fait différent et les situations, personnages et accidents rencontrés furent nouveaux. Il serait trop long de la conter mais malgré des mécaniques apprivoisées, l’étonnement narratif ne fut pas moindre.
Les points Orient Express:
- La grande variété des situations rencontrées
- La liberté totale laissée au joueur
- Ecriture efficace
- Enorme rejouabilité
Les points rafiot de bananes:
- Uniquement en anglais
- Dessins des personnages mwouif

Au final, le jeu, sorte de Livre dont vous êtes le héros numérique, est à faire pour tous ceux que les textes en anglais et un univers fin du 19° à la légère sauce steam-punk ne rebuteront pas. La DA et l'IU font l’affaire : hors transports utilisés, rien de mémorable mais le jeu reste sobre et lisible en toutes circonstances. L’écriture, succincte, décrit astucieusement les situations et réussit à nous plonger rapidement dans les différentes ambiances et caractères des personnages.
Bien qu’initialement un jeu mobile, sa richesse vous permettra de passer de bons moments devant votre écran de PC. Un gros roman interactif qui a pour effet, eu égard à sa qualité, de susciter beaucoup d’intérêt quant au prochain jeu du studio, à savoir Heaven’s Vault, annoncé sur consoles, PC et téléphones sans date de sortie connue à ce jour.
predagogue