Jettomero : Hero of the Universe est disponible de partout (PC, PS4, Switch et Xbox One) en démat’. Pour ceux qui ne connaitraient pas le jeu, vous incarnez un maladroit robot capable de voler dans l’espace et qui va de planète en planète à la recherche de sa mémoire, tout en annihilant quelques Kaiju au passage.
Le développeur unique du jeu, Gabriel Koenig, a pris le temps de répondre à quelques questions. Un entretien où ça parle d’existentialisme, de Kaiju, de la scène de Vancouver et bien d’autres encore. Pour les anglophones, l'entretien non traduit se trouve ici.
------------------------------

Salut, je suis Gabriel, le créateur de
Jettomero: Hero of the Universe.
Ca a été une belle aventure. Mon premier boulot dans l’industrie fut de travailler chez Electronic Arts à l’Assurance Qualité. J’ai fait ça plusieurs étés, lorsque j’étais étudiant en production vidéo. Lorsque j’ai obtenu mon diplôme j’ai continué à travailler là-bas un moment mais il ne semblait pas y avoir d’opportunités d’évolutions dans d’autres secteurs, et j’ai donc démissionné. Dans l’année qui a suivi j’ai obtenu un poste d’Assurance Qualité dans un beaucoup plus petit studio AAA,
Slant Six Games. Par chance, ce studio était beaucoup plus enclin à faire monter en compétence ses employés et j’ai donc eu la possibilité d’en apprendre beaucoup plus sur les outils, en particulier dans le domaine de l’audio, qui était mon principal intérêt. Au bout d’un moment j’ai fini par être promu designer sonore et ait commencé à mettre les mains dans
Unity, mais peu après le studio tout entier a fermé. Vu que je n’avais pas assez d’expérience pour trouver un poste similaire ailleurs, j’ai décidé de mettre à profit mon chômage pour apprendre Unity, et j’ai donc réalisé mon premier jeu en 6 mois. Ca a été un processus d’apprentissage rude mais aussi très amusant et gratifiant. J’ai publié sur mobile, PC et Ouya. Après ça j’ai réussi à décrocher un boulot auprès d’une personne, dans lequel je faisais des applications créatives pour enfants, ce qui m’a donné une belle opportunité d’accroitre mon expérience et mes capacités sur Unity. Je continuais à travailler sur mes projets personnels simultanément, et lorsque ce boulot s’est finalement terminé, je me suis mis à fond sur
Jettomero.
Jouer à des jeux est très important pour moi, à la fois pour ma santé mentale et professionnellement, j’essaie donc de le faire tous les soirs. Dernièrement je vous avouerais que j’ai juste beaucoup joué à
Rocket League, mais normalement j’essaie de varier. Sur les 6 derniers mois hum… J’étais accro à
Tharsis récemment, c’est en gros un jeu de plateau numérique mais extrêmement exigeant. J’ai fini
Humans Fall Flat la semaine dernière, qui était très amusant, surtout en co-op.
Donut County était aussi un postulat très bien réalisée.
Gorogoa était incroyable, avec des puzzles vraiment uniques et de belles illustrations. Et j’ai adoré
Prey, j’ai un faible pour la science-fiction.
C’est difficile à dire puisque je veux parfois un truc
casual et parfois vraiment me plonger dans un jeu pendant des semaines. Je ne suis pas très porté sur le jeu en ligne en règle générale mais j’adore les interactions plus uniques comme dans
Journey ou même dans un jeu comme
Dark Souls. Je pense que le jeu de mes rêves aurait un genre d’élément en ligne intéressant qui serait non compétitif ou coopératif d’une certaine façon, mais jouerait sur les idées d’interaction humaine. Je pense que les jeux permettent aux gens, d’une façon vraiment unique, de surpasser leurs différences à travers des interactions taillées sur mesure et j’aimerai voir ceci prendre de l’importance à l'avenir.
J’adore faire de la musique. J’ai un studio personnel avec une collection de petits synthétiseurs que je fais grandir petit à petit. Je trouve ça très relaxant de créer de la musique électronique en
live. J’adore aussi les jeux de plateau et les jeux de carte avec des amis. C’est une façon amusante de se socialiser. Et je crois qu’on peut dire que j’essaie de regarder beaucoup de films aussi, en partie pour le travail et en partie pour le plaisir.
Lorsque j’ai commence à travailler sur
Jettomero, je travaillais à plein temps, les débuts furent donc plutôt poussifs. Mais en gros, ça doit représenter à peu près 2 ans de travail, du concept à l’édition.
Dans le AMA de Reddit, vous avez dit que vos capacités artistiques étaient limitées, et pourtant votre jeu ne ressemble à aucun autre, a une simplicité bienvenue dans ses traits et une efficacité qui transforme quasiment chaque écran en une œuvre d’art. Est-ce que c’est de la fausse modestie, un manque de perspective pour s’auto-juger ou bien juste un objectif visé que vous n’avez pas encore atteint ? Dans le dernier cas, sur quoi travaillez-vous pour vous améliorer ?
Je ne pense pas que je serais capable de décrocher un boulot en tant qu’artiste, parce que je n’en ai ni l’expérience ni le talent technique. Je sais modeler en 3D, mais je l’ai fait en autodidacte et je ne suis donc pas très efficace. Je sais utiliser Photoshop plutôt bien, mais mes talents de dessinateur n’ont rien de particulier. Je vais dire que j’ai l’œil par contre, et que lorsque je bidouille et que j’ai trouvé quelque chose qui fonctionne, je le sais. Donc, si je limite la partie artistique à un ensemble de contraintes, je pense que ça peut faire l’affaire, c’est juste que je ne suis pas un artiste visuel solide.
Jettomero a fini par ressembler à ça parce que c’était la meilleure et seule façon que j’ai trouvé pour que l’ensemble tienne. Plus je travaille sur ces aspects plus je m’améliore, mais vu que je suis souvent en train de jongler entre la partie artistique, musicale, conceptuelle, la programmation et autres, je n’ai pas beaucoup de temps pour me concentrer sur mes capacités artistiques et j’essaie donc de trouver des approches qui me permettent de jouer sur mes points forts et la simplicité.
Quelles influences aviez-vous en début de projet? Est-ce qu’elles ont évolué durant le développement ? Votre jeu m’a rappelé (par certains aspects) La 4° Dimension et la science-fiction de cette période.
Initialement ce devait être un jeu mobile en 2D assez simple, où vous n’auriez jamais été en mesure de gagner et où vous auriez involontairement tué beaucoup de minuscules bonhommes. Mais ensuite j’ai voulu réaliser un jeu s’inspirant de
Proteus,
Hohokum et
Sound Shapes, et c’est donc devenu un pot-pourri de toutes ces influences. Quand la partie artistique et ludique a pris forme, j’ai commencé à élargir sérieusement le champ et la profondeur du projet initial. J’ai assurément beaucoup puisé dans l’histoire de la Science-Fiction, et lorsque ça a commencé à s’agglomérer en quelque chose d’assez distinctif, j’ai parfait tout ça à partir d’exemples similaires. C’était un processus très organique, et ça ne cessait de continuellement changer durant le développement, dans tous les secteurs, selon les nouvelles sources d’inspiration.
La dichotomie entre ce paisible robot plein de bonnes volontés, la tranquillité de l’espace et la destruction que le joueur peut entrainer est un aspect majeur du jeu. Qu’est-ce qui est apparu en premier dans votre tête ? C’était prévu ainsi depuis le début ?
La destruction tragi-comique fut le point de départ je pense. Mais dès que j’ai commencé à travailler sur le jeu, j’ai su que je voulais qu’il tourne autour d’un bel univers, musical et visuel, afin que
Jettomero puisse aussi être une expérience relaxante. Ca faisait un bon contrepoids à la nature triste du protagoniste. Ca m’a permis de plonger très profondément dans de sombres endroits tout en gardant un sentiment de calme et d’encouragement, d’inspiration positive.
Je ne pense pas que quoi que ce soit soit basé sur des expériences personnelles spécifiques, mais il y a eu de l’inspiration certaine de mes peurs et de mes anxiétés. Peut-être que d’une certaine façon écrire
Jettomero fut aussi thérapeutique. L’histoire est aussi définitivement inspirée par l’Histoire humaine.
La « subversion positive » pourrait être une bonne accroche pour décrire l’histoire de ce jeu. Est-ce que c’est quelque chose que vous ressentiez, que vous vouliez exprimer ? Ou bien je délire ?
Absolument. Je pense que je suis un existentialiste mais je n’apprécie pas le nihilisme. Ils sont d’un certain côté similaire, mais l’existentialisme responsabilise alors que le nihilisme tend plus vers le désespoir. Je trouve que c’est incroyablement libérateur de s’identifier à l’absence naturelle de signification de la vie, et ensuite d’être capable de choisir sa propre voie et de vivre selon ces propres règles. Ce n’est pas toujours facile, mais ça semble être le chemin de la plus grande liberté. Il y avait plusieurs choses différentes que j’ai essayé de subvertir avec
Jettomero mais j’ai essayé de ne pas m’appesantir sur trop de cynisme, et j’ai voulu donner aux joueurs le pouvoir de sentir qu’ils pouvaient surpasser leurs peurs et leurs échecs.
Quels enseignements vouliez-vous que le joueur retire du jeu lors de sa conclusion ? Des avis que vous certainement du lire depuis la sortie, pensez vous que votre objectif a été accompli ? Si ce n’est pas le cas, que feriez-vous différemment ?
Je ne voulais pas vraiment envoyer de messages spécifiques, mais je voulais créer un environnement philosophique et émotionnel dans lequel les joueurs puissent réfléchir à certains des thèmes de façon significative. C’est difficile de dire si ça a été accompli, vu que je pense que de nombreux joueurs n’ont pas cherché une telle expérience et ne l’ont donc pas trouvée, mais pour certains ce fut le cas, et ça me satisfait pleinement. Je ne sais pas si j’aurais agi différemment. Je pense que les jeux vidéo ont un long chemin devant eux avant de pouvoir créer des dialogues profonds tels qu’arrivent à le faire de nombreux films.
Quelle fut la partie la plus difficile du développement? La plus simple ? La plus amusante ? La plus fastidieuse? Et pour quelles raisons?
Je pense que la partie la plus ardue du développement est d’arriver à combiner toutes vos idées d’une façon efficace, tout en mettant de côté les concepts qui pourraient ne pas fonctionner et d’ajuster votre vision au fur et à mesure. Créer une expérience cohésive fut quelque chose avec laquelle j’ai du batailler étant donné le caractère non conformiste de nombreux éléments. La plus simple et plus amusante partie est probablement toujours la phase de prototype des nouvelles idées. C’est une opportunité de pure créativité et c’est uniquement une histoire d’ouverture à de nouvelles possibilités, d’arriver à laisser vos idées vagabonder. La partie la plus fastidieuse du développement est assurément la phase finale avant le lancement du jeu, surtout lorsque vous devez travailler sur des portages et régler les choses afin que tout tourne de manière correcte sur chaque plateforme. Il n’y a aucune créativité durant cette étape et vous voulez juste en terminer avec le projet au plus vite.

Par certains aspects je pense que
Jettomero était imparfait depuis le départ, mais si je compare ce que je voulais accomplir avec le résultat final, je ne pense pas que je changerais quoi que ce soit. Je suis encore très fier du jeu final, le processus tout entier m’a beaucoup appris et je pense donc que c’était une expérience d’apprentissage importante pour mes projets futurs.
Les Nindies n’ont pas mis Jettomero en avant, du moins en ce qui concerne les videos européennes. Avez-vous contacté Nintendo ? Si oui, avez-vous des conseils pour vos collègues développeurs qui souhaiteraient bénéficier d’une telle promotion ?
Je n’étais même pas au courant des Nindies à l’époque. J’aurais du essayer de les contacter, et peut-être que je le ferais. J’ai eu la chance d’avoir la BA du jeu sur
la chaine Youtube officielle de Nintendo lors de son lancement, ce qui a amené beaucoup plus d’attention sur le titre. Je ne pense pas que je sois particulièrement doué pour promouvoir mon travail, mais j’encourage les autres développeurs à toujours chercher chaque possibilité de mettre en avant leurs jeux.
Les chiffres de vente de votre jeu vous permettent-ils de vivre et de travailler sur votre prochain projet? Si vous avez les chiffres pour la version Switch, est-ce que « l’effet Switch » (à savoir des indés qui se vendent mieux sur cette plateforme) a fonctionné ?
Depuis que je suis pleinement devenu indépendant (environ 21 mois maintenant), j’ai perdu de l’argent, mais les ventes m’aident assurément beaucoup. Je ne pense pas que
Jettomero sera capable de me soutenir financièrement, mais j’avais de l’épargne de mon dernier boulot et je pourrais peut-être finir un autre projet avant que j’ai besoin de reprendre un boulot à temps plein. Après le weekend du lancement
[NdlR : 8/10/2018, soit 4 jours après la sortie du titre], sur Switch, les ventes ne sont pour l’instant pas exceptionnelles, il semblerait que j’ai vendu environ 350 exemplaires, ce qui couvre largement mes frais de portage mais seulement deux mois de loyer par la suite. Je reste optimiste sur le fait que la version Switch finisse par trouver un public plus réceptif.
Quels sont vos plans futurs? Vous avez un projet vidéoludique en cours ? Vous pouvez nous en dire plus si c’est le cas ?
Je travaille sur un nouveau prototype depuis mai, en espérant que je puisse le continuer à plein temps jusqu’à ce qu’il soit terminé. Je m’inspire de quelques idées de
Jettomero mais j’essaie cette fois-ci de créer quelque chose qui parlera à une plus large audience, tout en réglant une bonne partie des aspects de
Jettomero qui ont déplu. La base du jeu est d’élever et faire muter des monstres similaires à des Kaiju dans un labo puis de les envoyer en mission détruire des villes. Je suis assez excité par ce que j’ai réussi à en faire jusqu’à présent. Je pense que ce devrait être très amusant, mais complètement différent de
Jettomero.
Le plus gros avantage que vous aurez en tant que petit indépendant sera de pouvoir vous permettre de prendre des risques que les gros studios ne peuvent prendre. Donc, créez quelque chose d’unique. Ne vous tuez pas à la tâche, parce qu’il n’y a aucune garantie que le travail paie. Le plus important est de prendre du plaisir durant le développement, ca se ressentira dans l’œuvre finale si vous aimez ce que vous faites. Si vous créez votre premier jeu, n’essayez pas de faire quelque chose de trop gros direct. Lorsque vous finirez le projet, vous aurez appris tout un tas de choses que vous pourrez mettre à profit pour réaliser quelque chose d’encore meilleur la fois d’après.
Qu’est-ce qui se passe à Vancouver? Entre Klei, Red Hook et vous (sans compter ceux que nous oublions), il semble y avoir un secteur vidéoludique très actif et qualitatif. Est-ce que vous assassinez les mauvais développeurs ? Si oui, donnez-vous leurs cadavres aux requins du Pacifique ?
Oui il y a des studios incroyables et des petites équipes d’indés ici à Vancouver, j’ai été chanceux d’avoir pu faire leur connaissance ces dernières années. C’est généralement un superbe endroit pour réaliser des jeux en ce moment vu la taille de la communauté, et il y a beaucoup d’opportunités d’emplois dans le secteur ici, ce qui a contribué à me rassurer quant aux risques que je prenais avec mes propres jeux. Pour ce que j’en sais personne n’a servi de repas pour les requins, du moins pour l’instant.
Jettomero est techniquement indestructible, donc, quelque soit le déroulement du combat, je pense qu’il finirait par avoir le dessus, même si c’était par accident. Ceci en partant cependant du principe que vous parlez d’un combat. S’ils faisaient un concours de celui qui suit au mieux une ligne droite,
Jettomero n’aurait pas la moindre chance.
------------------------------
Peut-être que les lecteurs n'ont pu jouer au jeu, estiment qu'il n'y a rien de plus à dire ou que les questions ne sont pas pertinentes et ne méritent pas de perdre du temps à poster sur/discuter de quelque chose sur lequel on ne peut revenir.
Si ça t'a plu c'est le plus important en tout cas.
Super, merci pour l'article et l'opportunité d'envoyer nos propres questions
La prochaine fois, peut-être
J'aime bien l'humilité qui ce dégage de son discours, comment dirais-je, acidulée comme son œuvre en quelque sorte. Un beau message d'espoir quand il parle existentialisme et consorts !
Mention plus pour la mise en page/scène
J’essayerai de faire le jeu à l’occasion.