Selon les rumeurs, Square Enix aurait approché Lorne Lanning pour un caméo dans FF15...
Source:
Gamesindustry.biz, un article de
James Brightman.
Le capitalisme tue, et les jeux et le monde
Le fondateur d'Oddworld méprise les modèles de croissance mais est rassuré par la scène indépendante et la montée de la distribution dématérialisée.
Dans les presque deux décennies qui ont suivi la sortie de l'Odyssée d'Abe par Oddworld Inhabitants sur la première Playstation en 1997, le monde et l'industrie vidéoludique ont traversé des changements substantiels. La quatrième Playstation est maintenant la plateforme de choix pour de nombreux développeurs qui n'étaient peut-être alors que des gamins en train de jouer à L'Odyssée d'Abe, mais le développement de type AAA est devenu plus difficile que jamais avec la montée en flèche des budgets et la disparition des jeux intermédiaires. Le fondateur d'Oddworld, Lorne Lanning, qui vient de raviver l'amour des joueurs pour sa Propriété Intellectuelle via un
remake haute définition dématérialisé, décèle cependant de l'espoir, alors que de plus en plus d'indés ont investi le tout numérique et se sont écartés d'un modèle de croissance auquel tant de gros éditeurs ont adhéré.
En se penchant sur l'évolution de l'industrie, Lanning observait que le fossé entre les GTA, les Call Of Duty et le reste des plus petits projets n'a fait que s'agrandir avec chaque génération de console successive. Et au cœur même du problème, il pense que se trouve le capitalisme (Il faut remarquer que l'Odyssée d'Abe en lui même était déjà une critique du capitalisme).
« Ce problème a été une tendance, vraiment, depuis que j'ai commencé. Je dirais que c'est plus une tendance du capitalisme, ce qui signifie que toutes ces compagnies ont besoin de croissance. Si vous êtes une société cotée [en bourse], vous avez besoin d'une croissance constante et vous avez besoin de conquérir plus de marchés, et le jour où vous ne le faites pas, vos actionnaires se barrent. C'est tout » nous décrit-il.
« Et après vous êtes rachetés ou vous êtes virés. Dans ce cadre donc, ce qui se passe est qu'inévitablement quelqu'un commence à faire un jeu à 100 millions de dollars, il déchire tout et après quelqu'un d'autre se dit « Et bien. Nous devons être là l'année prochaine parce qu'on sait qu'un certain nombre de personnes va acheter un jeu de course, un certain nombre un jeu de foot américain et/ou européen, un certain nombre un jeu de tir, ce sont des cartouches majeures. Quelqu'un va mettre la main sur le milliard et demi de dollars de ces secteurs. Nous devons aller les chercher. » La compétition devient plus féroce. »
« Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? Ca a tant changé ? »
« La plupart des développeurs ne se faisaient jamais vraiment d'argent. Ils pouvaient rester dans les affaires. Mais ils étaient pratiquement morts avec la façon dont les accords étaient structurés. »
« Alors que de plus en plus d'argent était investi dans les projets et alors que les grosses compagnies sont devenues de plus en plus réticentes au risque, les développeurs se sont fait baisés. » nous dit Lanning.
« Les conditions ont empiré pour les développeurs. Les budgets ont donc grossis, et maintenant [les éditeurs] disent : « Maintenant nous dépensons 20 millions de dollars sur un titre et pas 5 millions, et à 20 millions nous avons besoin de meilleurs accords. Vous allez bosser 10 fois plus, mais vous obtiendrez un cinquième des miettes parce que nous risquons tout cet argent ». Selon le degré de connaissance [des développeurs] quant à ces accords, ils ne se faisaient jamais d'argent en règle générale. La plupart des développeurs ne se sont jamais vraiment fait d'argent. Ils pouvaient continuer à développer. Mais vu comme les accords étaient structurés, ils étaient de facto morts. » se lamente Lanning.
Lanning fait une comparaison avec le marché du rock'n'roll, en faisant référence à un film documentaire nommé
Artifact.
« Il y a donc Jared Leto, et avec son groupe 30 seconds to Mars ils ne sont pas de bons esclaves envers EMI, qui les poursuit donc en réclamant 30 millions afin de les déchirer et les paralyser pour qu'ils ne puissent plus rien faire. [Le message c'est]« Jusqu'à ce que vous nous léchiez le cul, vous n'allez nul part ». De bien des façons le marché des jeux a commencé à devenir comme ça. Ce n'est pas [dû] aux personnalités et sociétés. C'est le capitalisme. Vous arrivez donc à ce niveau là et ça devient sans pitié. Ce sont des sociétés côtées en bourse. C'est Wall Street ».
Pas du genre à tenir sa langue dans sa poche, Lanning ne s'arrête pas là : le capitalisme n'est pas seulement mauvais pour les jeux, il est mauvais tout court.
« Je pense que c'est en train de tuer le monde. Je pense que quelque élément de raison scientifique que ce soit, c'est un fait prouvable. Nous avons beaucoup de problèmes. Il se trouve que je me suis concentré sur ces problèmes un grand nombre d'années. J'ai beaucoup d'amis qui sont scientifiques, des biologistes marins et des personnes de l'aérospatiale. Et nous en sommes à la phase « L'Empereur est nu » n'est-ce pas ? Mais dès que les gens ne pourront pas se nourrir, nous dépasserons ce stade très vite, quant ils verront les dégâts. Et avec un peu de chance nous pourrons surmonter ça. Mais nous devons d'abord nous réveiller.»
Le modèle de croissance qui dirige la plupart des sociétés dans un système capitaliste ne va pas faire la moindre faveur aux créateurs de jeux. Pour Lanning, les développeurs et sociétés de jeux vidéo doivent simplement se concentrer sur l'obtention de la durabilité.
« Qu'est-ce qu'un modèle durable alors ? Et bien, ne prenez pas d'investisseurs. Ne prenez pas d'IPO. N'allez pas en bourse. Ensuite peut-être qu'il pourra y avoir un modèle durable. Mais pouvez vous vous concentrer sur des niches plutôt que les grosses productions ? Si vous continuez à vous concentrer sur les blockbusters, vous allez donc être en compétition avec les acteurs principaux. Maintenant vous devez passer un demi milliard de dollars dans le développement... Comme les films. Qui peut donc se permettre de jouer [ce jeu] ? Mais lorsqu'on parle aux indés aujourd'hui, j'avais l'habitude [de dire], et bien, si je vends un million et demi d'exemplaires, nous serons perdants. Mais aujourd'hui, si nous en vendons 150000, on est dans le vert. »nous dit-il.
« Commencent à nous péter les couilles ces indés... »
« Je vois donc ça comme ça : si je vais chez un éditeur, il voudra un retour avec un coeff. de 5. Si vous êtes un capital-risqueurs, vous voulez un retour avec un coeff. de 10. Si vous êtes un indé, pouvez vous doubler votre argent ? Maintenant si vous étiez dans l'immobilier et que vous pouviez doubler votre argent vous seriez excités. Pourquoi pas dans le divertissement ? Et voilà où notre opportunité se trouve. En tant qu'artisans, notre opportunité se trouve dans la découverte des niches où nous connaissons notre audience. Nous nous concentrons dessus, nous l'écoutons, nous la respectons, nous la traitons avec élégance et...Si vous pouvez continuer à mobiliser cette audience, à l'informer, combien ça vaut alors ? »
Dans le marché actuel, Lanning signale les victoires indés auxquelles nous avons assisté avec des titres comme
Octodad ou
Monument Valley. Oui, il y a besoin d'argent pour faire de l'argent, mais ça ne réclame pas forcément des dizaines de millions.
« Je me souviens de Martin Scorsese déclarant : « tout le monde veut me faire faire des films avec 60 ou 70 millions de budget. Je fais des films pour 15 millions ou moins parce que je connais mon public. Donc à 15 ou en dessous je suis un héro. Mais si je dépense 60 millions, je suis un perdant...Peut-être parce que ça ne rentrera que 60 millions. Là personne ne se fait de profit. Mais si je l'ai fait pour 15 millions, ils ont quadruplé leur argent ». Je regarde donc ça comme ça, puis je doubler mon argent ? Si vous pouvez doubler votre argent, et bien vous pouvez avoir une activité durable. Vous n'avez même pas besoin de le doubler pour avoir une affaire durable. Vous devez juste rester en course. Mais si vous pouvez doubler votre argent, alors vous pouvez développer une activité durable. Tout ce truc de croissance est seulement en train de tuer tout le monde. Regardez ce qui s'est passé avec THQ ».
En ayant une activité durable, non seulement vous n'êtes pas un esclave pour des actionnaires mais vous pourriez aussi être en mesure d'innover.
« Maintenant, qu'est-ce que ça leur permet de construire ? Voilà ce qu'ils peuvent absolument faire : ils peuvent garder leur personnel employé, construire plus de produits, continuer sur cette franchise ou commencer à faire d'autres choses. Ils peuvent prendre quelques risques. Et ils ont bien plus d'argent maintenant qu'auparavant » selon les déclarations de Lanning à propos des créateurs d'Octodad, Young Horses, et de Monument Valley,
Et une fois que vous êtes durable, vous pouvez vous permettre d'avoir du retard sur un produit. Vous n'avez pas d'épée de Damoclès en cas de retard. Un modèle durable apporte aussi l'avantage d'être capable d'expérimenter avec un peu moins de risque.
« La possibilité des indés est qu'ils peuvent réellement trouver leur public. Plus ils peuvent réaliser leur produit avec peu de moyens, plus ils ont d'opportunité créative. Plus vous êtes « cheap », plus vous pouvez prendre de risques. Ma nouvelle devise est « se planter plus vite, moins cher »... Si vous voyez que ça ne mène à rien, jetez [le projet] et aller de l'avant» nous dit Lanning.
L'autre aspect important du modèle durable est d'influencer la distribution dématérialisée. Dans l'ancien temps, les magasins étaient les gardiens du temple et avaient un impact direct sur le nombre de copies que vous pouviez vendre nous explique Lanning :
« Ils nous disaient donc : « Qu'est-ce que vous avez ? Comment je vais le vendre ? Quelles bannières placez vous dans mon magasin ? Quelles publicités? Parce que j'ai cet espace en rayon et dès l'instant où ces copies ne se vendent pas, je mettrais quelque chose qui le fera. C'est mes affaires. Je paie pour les rayons. Vous placez le produit là. Vous me faites faire des pré-commandes. Tout ce que je place ici est au détriment d'une autre chose que je pourrais vendre. Vous avez intérêt à vendre cette merde rapidement, je veux être convaincu que vous y croyez vraiment et que vous allez la vendre rapidement ».
« Je veux faire de nouveaux trucs. Mais je pense qu'avec les attentes du public quant à ce que doit être un nouveau produit Oddworld, c'est quelque chose que nous ne pouvons pas encore nous permettre. »
Avec des magasins dématérialisés comme Steam et d'autres, cette pression de l'espace de distribution disparait bien sûr.
« Ce jeu peut rester là 20 ans et tout le monde s'en fout. Ca prend un peu d'espace données. Mais si quelqu'un le recherche, ils peuvent le trouver. Et ça n'existait pas chez les détaillants. Tout d'un coup vous commencez donc à voir des niches sur lesquelles les revendeurs ne se concentreraient jamais car elles sont trop petites. En conséquence, cet argent commence à rentrer, vous commencez à pouvoir le faire. D'autres changements ont eu lieu, mais c'est le vrai joyau de la couronne » s'enthousiasme t'il.
« L'indépendant peut maintenant atteindre le consommateur directement en utilisant son réseau en toute transparence, avec remontée d'informations, et si ils peuvent trouver un public (c'est leur défi de faire ça, le réseau ne va pas les exposer) alors ils ont une chance de vraiment réussir et de continuer à réaliser des trucs. »
Inutile de le dire mais les marges sont aussi bien meilleures avec le dématérialisé. Lanning avait l'habitude de se faire 7$ sur un jeu à 60$ et maintenant il peut s'en faire 7 sur un jeu à 10. Lanning suit aussi ses propres propos. Plutôt que de se jeter à bras perdus dans le développement d'une nouvelle propriété intellectuelle, il a ressorti les vieux jeux Oddworld sur les plateformes numériques (New'n'Tasty est sorti sur Steam en Février pour 20$) pour se constituer le capital dont il a besoin pour soit réaliser un tout nouveau Oddworld soit quelque chose de tout autre.
« La partie onéreuse d'un nouveau jeu est tout ce qui concerne la nouveauté créative. Maintenant, si j'essaye de faire un nouveau jeu avec Oddworld, je n'ai pas l'argent (je devrais tout engager) pour faire une nouvelle P.I. (c'est à dire un nouveau titre dans Oddworld), pas simplement « Nous allons utiliser le moteur Unity et construire un autre jeu à défilement latéral ». C'était il y a 20 ans, je veux faire de nouvelles choses. Mais je pense que les attentes du public quant à ce qu'un nouveau Oddworld devrait être ne nous le permettent pas. »
« Lorsque j'aurais la confiance nécessaire pour voir sortir un nouveau Oddworld, je pense que nous aurons plusieurs millions de dollars pour le réaliser. Et à ce moment là, je pense que j'aurais besoin d'un certain type de partenaire promotionnel à un autre niveau parce qu'actuellement nous ne dépensons pas pour la publicité. Nous nous reposons vraiment sur l'image de marque. Nous faisons donc plus du marketing social » ajoute t'il.
En fin de compte, Lanning est toujours aussi passionné quant au monde et personnages d'Oddworld : dans son esprit c'est l'engagement d'une vie.
« Je conçois Oddworld comme le travail de toute une vie. Je le vois comme Dr. Seuss, comme Walt Disney, comme Hanna Barbera, comme Georges Lucas. Je veux créer un truc auquel je crois vraiment et sur lequel je peux passer toute ma vie... Mais je ne veux pas le faire d'une façon qui entraîne une acquisition. »
En terme d'investissement requis pour un nouveau jeu Oddworld, nous avons mentionné à Lanning que ce serait bien moins onéreux sur téléphones ou tablettes. Et bien que Lanning se soit associé avec Square One pour quelques adaptations mobiles de jeux Oddworld, ce ne sont pas des plateformes qu'il affectionne pour lancer de nouveaux contenus.
« Bien qu'il y ait des opportunités mobiles et dans le domaine, ce n'est pas des choses sur lesquelles je suis expert pour concevoir. Après vous commencez à rentrer dans le free-to-play et vous vous retrouvez économiste. Je ne suis pas dans l'économie, je suis allé en école d'art. Je pense donc plus comme un directeur de films, moins comme un MBA de Stanford » nous dit-il.
Dispo sur PS4, PC, XboxOne et normalement bientôt PS3, Vita, Wii U