Moins récurrent que la violence, qui reste le premier vice dénoncé par les médias pour faire du jeu vidéo leur bouc émissaire favori, le domaine de la sexualité fait étrangement moins parler de lui, que cela soit dans les organes de diffusions grands publics ou spécialisés. La sexualité reste, de manière générale, un tabou dans notre société, bien moins banalisée que la violence, de surcroît, aussi moins de jeux sont enclins à dévoiler un caractère sexuel plutôt que violent, même s'ils concilient parfois les deux. Des préliminaires à l'épanouissement, nous allons au fil de ce dossier, effectuer une saine promenade non exhaustive parmi ces jeux qui dégagent une aura de sensualité, pouvant confiner jusqu'à l'érotisme. Parce que le monde tourne grâce à ça et que le jeu vidéo n'en réchappera pas, voici Sexe et jeu vidéo : florilège.
Préliminaires insipides
Dans sa représentation, on peut clairement délimiter dans le jeu vidéo, un avant et un après 3D. Chercher à distinguer de l'érotisme dans la période de l'avant 3D revient un peu à regarder Canal + en crypté en voulant comprendre ce qu'il s'y passe. A un tel degré d'archaïsme, c'est plus l'imagination qui est sollicitée qu'autre chose. Imaginatif, il fallait l'être pour se représenter sa partenaire dans
OutRun en 1986. Il a bien fallu attendre que
Sega nous sorte une suite, 18 ans après, pour pouvoir réellement constater la teneur en protéines de la blonde qui se trouve sur le siège voisin du fier conducteur, incarné par le joueur. Pourtant, à l'ère de la Protohistoire du jeu vidéo, fleurissent déjà toutes sortes de dérives 'vidéolubriques'. Mais, engoncés dans une esthétique et une technique minimaliste, ces
softs n'auront jamais choqué au-delà des habituelles ligues frigido/bien pensantes. Encore que, difficile de leur en vouloir d'avoir réagi devant les débuts du sexe façon pixel, lorsque l'on voit par exemple l'immonde
Custer's Revenge, dont les géniteurs Suédois de
Mystique, furent des précurseurs en la matière. Ce 'jeu' proposait tout simplement à un général défroqué de violer (il n'y a guère d'autre mot) une vierge indienne ligotée à un poteau. Nous sommes dans les années 80, et le jeu vidéo est encore jeune, mais déjà le temps de l'innocence semble révolu. Le jeu vidéo, ce n'est pas que pour les enfants !
Larry, l'ambassadeur occidental
Afin de réhabiliter un peu la place du sexe et de la limiter au principe de la drague, est née la série des
Leisure Suit Larry, jeux d'aventure de Al Lowe et publiés par
Sierra. Mais 6 ans avant le premier épisode, Larry, en véritable pionnier, apparut dans le
Softporn Adventure de Chuck Benton, en 1981, pour l'Apple II et publié par
Sierra (
On-Line System à l'époque). Si vous avez suivi l'actualité sur votre magazine de jeux vidéo préféré, vous n'aurez pas manqué de remarquer que même aujourd'hui Larry a subi les foudres des censeurs, de ce fait il s'est vu interdit de sortie en Australie avec le récent
Magna Cum Laude. Imaginez alors à l'époque.
Sierra a dû batailler ferme, l'état de Californie voulait notamment interdire toute allusion au sexe, mais aussi aux cigarettes ou bien à l'alcool, dans les jeux vidéo. Manque de bol pour eux, ceci s'appelle porter atteinte à la liberté d'expression, et le projet de loi fût avorté. Revanchard, le premier
Leisure Suit Larry sera même consacré 'Meilleur jeu d'aventure' par la
Software Publishers Association ! Le Larry en question est le héros d'escapades peu farouches, alors qu'il essaye de convaincre une flopée de jeunes femmes de coucher avec lui, avec plus ou moins de succès. Les thèmes abordés sont résolument adultes, mais le plus intéressant reste la distinction qui est faite entre le sexe masculin et féminin. Un coup d’œil sur le dernier épisode en date vous en convaincra, il y a une différence flagrante entre Larry et les femmes qu'il courtise. Alors que le pauvre mâle est physiquement trapu, aux traits simplets, voire grossiers, les femmes elles, sont toutes en beauté et en formes, à l'apogée de leur féminité. A croire que Larry inverse le sexe dit 'fort' et le sexe dit 'faible', ainsi celui qui se retrouve en position d'infériorité est bien notre (souvent) malchanceux dragueur. Féministe Larry ? Pas loin. De là à faire prendre du plaisir à Isabelle Alonzo lors d'une séance de streaptease avec une cow-girl...
De l'évolution technique et fantasmatique
Difficile de parler d'icônes érotisantes avant l'arrivée de la troisième dimension, et de l'évolution générale de la technique. Il fallait vraiment être un joueur prépubère à l'heure de ses premiers émois du bas-ventre pour apprécier les rebondissements mammaires d'une Mai Shiranui pourtant toute plate (hé ouais), bitmap oblige. Et pourtant, aujourd'hui, entre cette Mai en 2D et la nouvelle en 3D, laquelle préférez-vous ? Mis à part ce genre de cas, propre à l'attachement que l'on peut avoir pour les 'bonnes vieilles choses', la 3D a fortement contribué à renforcer le pouvoir érotique du jeu vidéo. Dans le fond, il est probablement aussi malsain de baver devant des polygones que des pixels, mais un homme reste un homme, âme grossière, sensible aux atours visuels les plus rudimentaires.
Tous des porcs !
Mais avant d'arriver à modéliser correctement certaines formes naturelles, il aura fallu un peu de temps et d'entraînement, alors bien avant ce stade, l'arrivée du support CD a fait passer du bon temps à tout joueur lubrique qui se respecte, à l'aide de la vidéo. Comment ne pas penser à
Night Trap ? Haaa
Night Trap... Il s'agit d'un film d'1h30, dont l'action se déroule en simultanée dans les huit pièces d'une grande maison, le joueur-voyeur peut ainsi visualiser chaque zone en passant d'une caméra à une autre. Le but principal étant d'activer des pièges au bon moment pour surprendre les vilains. Mais surtout, surtout, zapper au bon moment pour ne pas rater Dana Plato se déshabiller dans la salle de bain ! Le
soft regorge effectivement de nymphes pas très futées, qui déambulent en petites tenues. Les ingénues mourront d'ailleurs parfois cruellement à même leurs lingeries, ce qui a valu quelques remarques désobligeantes à
Night Trap, mais le jeu ne sera pas censuré et verra même le jour sur Mega-CD ou encore
3DO. Ne rigolez pas, nous sommes en 1993, et 1H30 de compression (hideuse) vidéo, avec des voix toutes doublées en français, ça tenait du grandiose.
Night Trap instaure donc dans le jeu vidéo un voyeurisme non négligeable. Ici, presque rien n'est ludique, le plaisir de diriger, d'être le maître de son objet ludique n'est pas présent, on zappe et on mate. Si
Phantasmagoria I et II, de
Sierra sont particulièrement réputés pour leur penchant gore, le deuxième épisode apporte aussi sa pierre à l'édifice d'Eros. Parce qu'à partir du moment où l'on cible un jeu pour adulte avec une bouffée de violence, qu'est ce donc que rajouter un peu de sexe ? A la même époque, le sexe apparaîtra sporadiquement dans notre industrie sous couvert de légèreté et de grivoiserie.
Sexy Parodius, version coquine d'un shoot déjà parodique en soi, n'offrira que quelques écrans de charmes finalement assez gentillets. Plus récent, l'histoire de
Conker est unique en son genre. Ne sachant pas où aller avec un énième univers niais et coloré dans lequel voguait le gentil mangeur de noisettes
Conker en toute quiétude, les Anglais de
Rare se sont bien lâchés en prenant l'univers enfantin de
Nintendo à contre-pied pour faire du rongeur un représentant tout en fourrure du non-conformisme et de la grossièreté sous toutes ses formes.
Conker possède également un côté pervers, le fait qu'il soit plein de poils ne l'empêche pas d'adorer et de se faire aimer de quelques créatures friponnes.
Conker, bientôt de retour en force sur Xbox, noyait ainsi une petite touche de sexe dans sa vulgarité ambiante, et s'il est aujourd'hui célèbre, il le doit à ce changement d'orientation.
Orientalement vôtre
Intéressons-nous maintenant à ce qui se passe de l'autre côté du pacifique. La réputation de pervers des Japonais ne semble plus à démontrer (un cliché qui en vaut un autre), surproduction de jeux coquins oblige. Mais distinguons immédiatement le jeu de drague classique (
dating simulation, ainsi que les
gyarugame au Japon, pour 'girl game') catégorie érotique (présente sur console), de la catégorie pornographique (présente sur PC, mais généralement censurée) à laquelle nous ne nous intéresserons pas ici. En tête de liste de la catégorie drague nippone, la série des
Sakura Taisen. Tactical-RPG entrecoupé de scènes de drague, le héros masculin, Oogami, se retrouve dans la plupart des épisodes au milieu d'un bataillon de cinq filles aux caractères bien trempés. Le mâle dominant que vous êtes évolue afin de tisser le fil des relations humaines avec ses camarades. Décevoir, complimenter, négliger... le but reste néanmoins de s'attirer les faveurs des belles, ceci n'ayant pas pour finalité des actes malsains ou indélicats mais seulement d'augmenter les capacités de vos alliées une fois les combats engagés ! Dans les années 80, les
dating sim étaient nettement plus débridés, la mouvance actuelle s'intéresse davantage aux sentiments. Cette révolution fût amenée par la série des
Tokimeki Memorial, brisant les conventions en instaurant davantage de romantisme que d'érotisme, celui-ci devenant alors latent. Suite au succès des TokiMemo, de nombreuses séries verront le jour, citons
Pia Carrot,
Comic Party, ou
Sister Princess. A noter l'existence de
dating sim pour filles ! Comme quoi le milieu du jeu vidéo, même érotique, n'est pas si macho que l'on pourrait le penser. En 1996
KOEI crée le
dating sim destinée à la gent féminine :
Angélique. Par contre il ne faudra pas être allergique au rose ou au
design shôjo car ici c'est du 100% pur jus de Candy ! Fort logiquement (?), cible féminine oblige, ces
dating sim versent encore plus dans le romantisme primaire que leurs homologues masculins. Pour terminer ce paragraphe, nous évoquerons très brièvement les produits sauce
N.UD.E @, élever une jeune fille cyborg qui sert un peu de femme à tout faire (donner des ordres, servir d'agenda) relève de l'otakuisme dans son sens premier (du japonais 'o-taku', la maison; comprenez par là cette notion de monomanie et d'absence de vie sociale qui se dégage du terme). Allez, cadeau, en cliquant
sur ce lien, vous arriverez sur le
dating sim francophone le plus connu du net. Réalisé par des fans, il fait l'unanimité, malgré son côté répétitif. Votre but est de réussir à draguer l'héroïne, Minami, en un temps limité. Amusez-vous bien !
Plus subtil, on peut aussi s'amuser à dénicher des relents de romantisme dans les jeux initialement non prévus à cet effet. Les Français de
Quantic Dream nous en ont fait une démonstration intéressante dans leur
Nomad Soul (2000, PC et Dreamcast). Le journaliste François B. De la Boissière relevait très bien la chose, en ajoutant qu'avec son cortège de héros courageux et de princesses à sauver,
'Les jeux vidéo sont encore très proches des contes de fées'. Soit, les
french-lovers se sont alors intéressés à faire transpirer l'univers de
Nomad Soul non seulement par la présence de quelques
night-clubs et autres
sex-shops par-ci par-là (
Duke Nukem l'avait cependant déjà fait) mais surtout par une relation fusionnelle entre le héros et sa douce dans une scène au début de l'aventure que l'on n’a pas oubliée. En rentrant chez lui, le joueur a la surprise de voir une jeune fille (sa petite amie) lui sauter au cou et le rouer de baisers tendres. Inquiète de sa récente disparition, elle exprime sa satisfaction et son soulagement en entraînant le mâle dans sa tanière pour une étreinte sans équivoque. À ce stade, la réalisation se floue volontairement, et s'évade pour laisser leur intimité aux tourtereaux, avant l'amertume d'un nouveau départ. Autres touches de romantisme, celle qu'on retrouve parfois dans les RPG. Par essence, ce style de jeu peut se permettre de faire durer une histoire de très grande envergure, chose pratique pour faire avancer et évoluer lentement et par étapes les éventuelles amourettes entre protagonistes. Comment ne pas penser à la scène qui préfigure l'assaut final du cratère dans
Final Fantasy VII ? La veille de leur dernier combat, duquel dépend le destin de l'humanité, et le leur, Cloud et Tifa se retrouvent seuls le temps d'une nuit. Aucune musique, juste le chant macabre du vent, sur une terre aride, sèche. Rien n'est simple, Cloud est tourmenté par la disparition d'Aeris, mais Tifa ne pense qu'à une seule chose, passer avec Cloud ce moment qui ne se représentera peut-être jamais plus. Que s'est-il passé cette nuit là ? L'attitude confuse de Tifa le lendemain devant ses camarades semble donner quelques éléments de réponse ! D'autres jeux du genre mêlent beaucoup plus directement la relation amoureuse.
Grandia II est plutôt riche de ce point de vue (Ryudo/Elena/Mileena),
Final Fantasy VIII en a fait son logo (Squall enlaçant Linoa, et interprétation pour l'occasion d'un thème chanté particulièrement fleur bleue,
Eyes on Me), ou
Final Fantasy X, dont le héros (Tidus) se fait également un narrateur confident nous livrant peu à peu l'évolution de ses sentiments envers Yuna.
Lara mène pas
Inévitable représentante grand public du
sex-appeal d'un personnage de jeu vidéo, impossible, que l'on aime ou pas, d'occulter le cas
Tomb Raider. Un rapide état des lieux, donc. 1996, Toby Guard et l'équipe de
Core Design mettent au point un jeu d'aventure en 3D à l'animation soignée et à la complexité admirable, et y place une héroïne donc le succès allait dépasser toutes les espérances. Lara Croft, en peu de temps, a complètement été extirpée de son cadre originel, le jeu, pour devenir tour à tour égérie de films (Angelina Jolie), hôtesses sur les salons (plusieurs mannequins se sont succédés pour jouer son rôle), apparaître dans des spots TV, voire pendant la tournée de U2 en 1997, et aura fait la une du quotidien
Libération, pour ne citer que quelques une de ses innombrables apparitions aux yeux du grand public. Infernale machine
marketing pendant de nombreuses années, avant de retomber dans un oubli mérité (la qualité de ses jeux dégringolant), Lara s'est distinguée de tout ce qui se faisait alors par une plastique avantageuse et une animation qui rendait le tout 'vivant'. Selon
Eidos, le succès de
Tomb Raider est dû à un personnage surprenant, inattendu dans le milieu très masculin du jeu vidéo. La période aurait également été propice : le mouvement
Girl Power faisait vibrer l'Angleterre, et les traits de caractère de Lara, hautaine, fière et courageuse aventurière, devaient concorder à merveille. Ainsi, comme par hasard, l'icône qui se sera affranchie de toutes les barrières du public et éliminée les frontières de la virtualité dans les années 90 fut une belle brune avantageuse à forte poitrine. Depuis
Pac Man (couverture du
Times en 1980) on peut dire que du chemin a été fait. Le déclin actuel de Lara (on attend le septième épisode avec un Toby Guard de retour aux commandes, pour le meilleur, espérons-le) montre en tout cas que le sexy ne légitime pas un mauvais jeu, sauf peut-être si on est prit par surprise comme il y a près de 10 ans. Mais de nos jours, qui se laisse encore avoir par une vulgaire paire de seins ?