Shigeru Miyamoto n’a jamais été un simple créateur de jeux. C’est un constructeur de mondes, un conteur d’expériences, un artisan qui a toujours mis le jeu au service d’un imaginaire ouvert, simple à comprendre mais riche à explorer. Quand il évoque ses débuts, on sent chez lui la même flamme que dans les années 80, quand
il dessinait Donkey Kong et Mario à la main, sans se douter un seul instant que ces personnages deviendraient un jour les symboles d’un empire culturel mondial.
Aujourd’hui, à 72 ans, c’est un Miyamoto toujours souriant, toujours joueur, qui accueille les visiteurs du Super Nintendo World d’Orlando, le tout dernier parc à thème entièrement dédié à l’univers Nintendo. Et au-delà de l’exploit industriel ou du pari marketing, ce que retient
Miyamoto, c’est le regard des familles.
« Quand j’ai commencé, les jeux vidéo étaient perçus comme quelque chose de suspect. Les parents regardaient ça avec inquiétude. Aujourd’hui, ce sont eux qui y jouent avec leurs enfants. C’est devenu un langage partagé. »
Cette évolution, il la vit comme une revanche douce. À ses débuts,
Nintendo était un outsider, souvent moqué, parfois ignoré, même attaqué en justice (comme lors du procès de
Donkey Kong contre
Universal, ironiquement devenu aujourd’hui son partenaire de parc à thème). Pourtant, le temps a fait son œuvre.
Nintendo n’a jamais cédé à la course à la puissance ou au conformisme technologique. Elle a construit sa propre voie, avec une philosophie centrée sur le plaisir, l’accessibilité, la créativité... Des mots que
Miyamoto incarne mieux que quiconque.
Et aujourd’hui, cette vision prend vie dans le monde réel.
Le parc d’Orlando n’est pas juste un décor géant, c’est une extension tangible des mécaniques de jeu : blocs interactifs, quêtes secrètes via bracelet connecté, musiques iconiques, pièces à collecter… On ne regarde pas l’univers
Nintendo de l’extérieur, on y plonge. On y joue avec son corps.
« J’ai voulu créer un endroit où l’on peut vivre nos personnages avec tout son être. Pas juste avec une manette, mais avec des gestes, des rires, du mouvement. »
Pour
Miyamoto, c’est aussi un tournant. Pendant longtemps,
Nintendo a refusé que ses licences sortent du cadre du jeu vidéo. Pas de films, pas de parcs, pas de séries. Le but : ne pas contraindre l’imaginaire des développeurs. Mais aujourd’hui, il l’admet :
cette stratégie avait ses limites.
« Si on se limite aux jeux, on restreint la portée de nos personnages. Il y a des pays où les consoles sont moins présentes. Passer par d’autres médias permet de toucher un public nouveau, tout en gardant notre esprit. »
Le film Super Mario Bros (plus d’un milliard au box-office),
le Nintendo Museum fraîchement ouvert à Kyoto, les parcs à thème, tout cela fait désormais partie de l’ADN de la firme. Pas pour remplacer le jeu vidéo, mais pour l’enrichir, l’accompagner, l’étendre dans le monde réel.
Et surtout, pour transmettre. Car ce que
Miyamoto voit aujourd’hui dans les yeux des visiteurs, ce sont des souvenirs qui se créent. Des parents qui expliquent à leurs enfants qui est
Bowser, pourquoi
Peach est toujours à sauver, comment on saute sur un Goomba. Des anecdotes qui circulent, des gestes qui se répètent, des émotions qui se partagent.
« Voir ces familles réunies autour de nos univers, c’est quelque chose qui me touche profondément. C’est aussi ce qui me rappelle que le temps a passé. »
Mais le regard est toujours tourné vers l’avant. Avec l’ouverture d’un troisième parc,
Nintendo affirme une nouvelle fois son ambition : ne pas seulement être un acteur du jeu vidéo, mais un créateur d’expériences au sens large, fidèle à ses valeurs, et capable de parler à tout le monde.
Et si l’on en croit les cris de joie dans les wagons de la mine
Donkey Kong ou les enfants qui tendent les bras vers Peach, il semble que le monde entier comprenne désormais le langage de
Miyamoto.