Le plus dur avec les colocs de merde, c'est qu'il n'existe pas de contrepartie. Pas de coloc de rêve pour compenser. Il y a bien les colocs "normaux", ceux qui ne font pas trop chier, qui sont même parfois sympa et carrément solidaires avec vous au quotidien...

Mais même avec ceux-là, parfois, sans crier gare, comme un volcan éteint depuis des millénaires, jaillit un flot de connerie pyroclastique qui carbonise tout espèce de bon sens et dont la bassesse vous fige sur place.

La connerie humaine sublimée. Le degré zéro du compromis, le déni de la vérité la plus élémentaire... Et aucune considération pour la préservation d'une entente cordiale, si fragile et si nécessaire entre colocataires qui vivent dans ces conditions par obligation et non par choix.

"J'ai un torticoli".

En me levant un dimanche pour faire le ménage, je me suis fait un torticoli. Je ne me suis pas levé avec le torticoli, non, j'ai eu le torticoli en portant un seau rempli d'eau par l'anse. Coincé. Douleur. Aïe. L'horreur.

Alors j'ai demandé au coloc s'il pouvait s'occuper du rideau de douche pour moi, tout en continuant à briquer l'appart. Le rideau de douche, ça nécessite de grimper sur le rebord de la baignoire, de lever les bras et de tourner le cou dans tous les sens...

Notez que je ne lui ai pas demandé par principe pour qu'il fasse quelque chose. Il ne s'agissait pas de lui dire de bouger son gros cul pour m'aider pour une fois.

Simplement que le rideau de douche puait la pisse. Après, je ne dirai pas si c'est une odeur de pisse ou d'humidité rance. M'en fous.

Je n'ai pas ce genre de reproche à lui faire, je n'ai pas de ressentiment à son égard concernant le ménage. L'appart est très vivable dans l'état des choses.

Mais il pouvait bien bouger son gros cul pour m'aider pour une fois...

"Je ne sais pas comment faire".

La réponse-type du trou du cul qui ne veut pas lever le petit doigt. On l'apprend en CE1 quand on n'a pas fait son devoir de maths et qu'on dit : "mais je n'ai pas compris l'exercice alors je l'ai pas fait".

"C'est pas grave, tu vas apprendre".

"Il faut défaire les anneaux ?"

"C'est ça..."

"Mais je suis trop petit..."

"Monte sur le rebord de la baignoire ou prends une chaise. Sois créatif. Démerde-toi."

"Ah non ! Ca va pas la tête, je grimpe pas sur le rebord de la baignoire !"

Remarquez à quel point il vous mène en bateau. Plaider l'incompétence pour ne pas avoir à faire. Prétexter l'incapacité physique devant une tâche trop ardue. Le but final est que vous lui montriez comment faire pour qu'il puisse observer le maître en action.

La flatterie n'est que de deuxième moment de sa réaction épidermique à toute forme de contrainte morale. D'abord vient l'incrédulité. Surtout, il n'imagine pas que si VOUS vous le faites tout le temps, c'est que ça doit être FAISABLE. ENSUITE, il commence à insinuer que vous pourriez le faire vous-même.

"Si t'es pas content, hein... T'as qu'à le faire toi-même."

"Non, ça va, j'ai un torticoli, je ne peux pas."

Une fois que vous l'avez forcé à décrocher le putain de rideau, il fera en sorte de vous faire perdre votre temps et ne sachant pas comment laver ledit rideau. La régression en est alors à un stade avancé. Les commandes de la machine à laver se changent en hébreu à ses yeux, il ne sait plus lire une étiquette de conseils de lavage sur une pièce textile.

"Quoi ? Il faut le repasser ?"

Le rideau de douche devient hydrophobe grâce à la chaleur du fer. C'est écrit sur l'étiquette et c'est vrai, ça marche.

"Je ne saurai pas comment faire."

"Tu ne sais pas comment faire pour repasser ? C'est un jeu de mot de merde ?"

"Mais j'ai peur de le brûler."

"La encore, tu regardes l'étiquette et tu repasses normalement, c'est fait pour."

"Mais si je le brûle tu vas gueuler donc autant pas le repasser."

"Mais il faut le repasser..."

C'est ce qu'on appelle un dialogue de sourds. Le connard cherchera à vous présenter la chose comme un paradoxe insolvable alors que les choses sont très claires.

Les appels à l'aide constants sont une forme de harcèlement visant à vous épuiser moralement pour que vous décidiez que finalement, c'est moins fatiguant de le faire vous-même. Ne cédez pas.

"Euh, la machine est finie, hein, si tu veux mettre autre chose dans la machine, tu peux."

Traduction. Le harcèlement et les complaintes du mec qu'on oblige à se sortir les doigts du fondement évoluent. Il en arrive à la stratégie de la suggestion subliminale.

"Il y a la place pour une autre lessive dans la machine si tu veux."

Traduction, donc : "La machine a fini de laver le rideau de douche, viens."

Le but étant de vous faire venir, un peu comme un bébé hurle après avoir poussé du Galak dans sa couche, pour que vous vous occupiez de lui.

1) Cela suppose que j'ai forcément quelque chose à laver et mettre en machine (pourquoi supposer que j'ai du linge à faire ?)

2) C'est une forme de chantage : "Si tu ne viens pas mettre autre chose dans la machine, alors ça ne sert à rien de la vider tout de suite."

Je l'ignore royalement.
La vraie motivation vient plus tard.

Je par au cinéma, puis je rentre vers minuit. Je trouve la table à repasser avec le rideau de douche dans le séjour. Il est allé jusqu'à sortir et déplier la table à repasser, à sortir (enfin) le rideau de la machine et à me les poser sous le nez pour quand je rentre.

Je m'allonge dans le canapé et je lis mes messages. Il sort de sa chambre en pyjama pour me dire

"T'as vu j'ai sorti le rideau de douche de la machine".

*Aucune réaction de ma part*

"ll n'est pas repassé il est juste posé comme ça."

*Aucune réaction de ma part*

"Demain je commence à 7 heures - 8 heures..."

*Toujours aucune réaction de ma part mais intérieurement, je me dis que 7 heures - 8 heures n'est pas une heure ultra précise et qu'il doit commencer à 9 heures, réellement.*

Donc demain il se douchera sans rideau, bon courage.

Au menu des explications que je n'ai pas voulu avoir ce soir, à minuit, parce que moi aussi je suis crevé et j'ai une vie, je compte bien le mettre devant sa puérilité et son machisme déplacé, vu que bon, je reste quand même un bonhomme et que y a pas marqué "bobonne".

Je raccrocherai le rideau pour prendre ma douche puis le décrocherai tous les jours jusqu'à ce qu'il le raccroche lui-même. Je lui mettrai la table à repasser debout sur son lit avec le rideau de douche et un mode d'emploi le 3e jour s'il ne s'est pas décidé, pour lui faire comprendre que ce genre de comportement passif-agressif ça peut aller dans les deux sens, puis enfin je lui couperai Internet.

Je pense éventuellement à appeler sa mère que je trouve super sympa et avec qui on a pris l'apéro l'autre jour, et qui a bien vu que j'avais nettoyé le rideau de douche vu qu'elle est arrivée quand j'étais en équilibre pour le remettre en place (et accessoirement j'avais briqué l'appart parce que j'avais honte de la saleté ambiante.)

Que faire d'autre pour le faire chier ?