Dans cette interview, accordée dans le cadre du salon arcade AM Show de 1988, le créateur de Makaimura / Ghosts'n Goblins Tokuro Fujiwara et le jeune pousse Hiroshi Yamamoto discutent de la réalisation de Daimakaimura / Ghouls'n Ghosts, la suite du jeu d'arcade à succès de Capcom en 1985 (Ghost 'n Gobblins), et comment à la fois un afflux de sang neuf et un nouveau matériel d'arcade ont permis à l'équipe d'aller au bout des concepts établis dans le jeu original.
Tokurou Fujiwara - Créateur
Hiroshi Yamamoto - Concepteur
- Pour commencer, veuillez nous dire comment le développement de Daimakaimura a commencé.
Fujiwara: Je voulais faire ce jeu depuis très longtemps. Puis, lorsque les circuits imprimés du système CPS sont sortis, le moment était enfin venu.
Les cartes CPS ont beaucoup de mémoire, cependant nous avons vu les choses en grand pour Daimakaimura, le titre exigeait encore plus de mémoire. Il y avait tellement de choses à la base - deux fois plus que ce qui a été ajouté au jeu là en ce moment. Même une fois terminé, je pense qu'on aura environ la moitié de ce que nous avions initialement prévu. Et pourtant, par rapport au Makaimura original (Ghosts and Goblins), c'est une augmentation massive du contenu.
—Yamamoto, de quelle manière avez-vous participé à la planification ?
Yamamoto: Je n’étais pas impliqué dans la phase de pré-prod. J'ai rejoint le projet environ 3 mois après le début de la planification. Un groupe de personnes a rejoint le développement pour aider ensuite. J'ai principalement travaillé sur les paramètres des ennemis et du joueur, et j'ai également ajusté l'équilibre général du jeu.
Presque aucune des idées n'était purement la mienne, cependant - il y avait toujours des contributions des autres développeurs qui avaient créé le Makaimura original. C'était plus comme si j'aidais dans une variété d'endroits, que je créais des choses uniquement par moi-même.
- Avez-vous joué au jeu original ?
Yamamoto: Je n’y ai pas joué quand il était sorti, non. Quand j'ai rejoint Capcom, les gens m'ont en quelque sorte grondé pour ça: «Quoi ?! Comment diable rejoignez-vous cette entreprise sans connaître Makaimura ?! Donc tout de suite je suis allé l'essayer, et à mon grand plaisir, c'était incroyable. J'ai été totalement aspiré. C'était difficile d'être performant dessus, mais je peux maintenant finir les 2 boucles du jeu.
Fujiwara : Dans nos bureaux, nos anciens jeux sont installés autour du bâtiment. Ce n’est pas super organisé ou quoi que ce soit, mais les armoires originales sont là pour que tout le monde puisse jouer. C'est un vieux matériel, donc ils deviennent bogués ou tombent en panne de temps en temps.

Tokuro Fujiwara (1988 )
- Je me souviens de la puissance de l'ennemi nommé Red Arremer dès le premier jeu.
Fujiwara : Il a été conçu pour être difficile - je voulais même le rendre plus difficile qu'un boss. Ses mouvements et ses patterns d'attaque sont trompeurs, non ? Nous lui avons fait faire le contraire de ce que le joueur normal attendait de lui.
—La version de Daimakaimura que vous avez montrée aujourd'hui au AM Show mettait en vedette un seul Red Arremer dans le premier niveau. Il était seul, et le sprite lui-même n’était pas si grand, mais il semblait poser comme pour dire «Faites votre meilleur tir».
Fujiwara : Si nous avions étoffé plus cet ennemi, les gens se fâcheraient probablement et diraient que c'était trop dur.
- C’est effrayant quand il vous court dessus!
Yamamoto : La plupart des développeurs de Daimakaimura, je m'inclus aussi dedans, n'étaient pas ceux qui ont fait l'original. Nous étions pour la plupart des fans énormes qui ont joué à cet enfer - et nous avons tous souffert face à Red Arremer.
Fujiwara : La plupart des membres de l'équipe ont changé depuis le premier jeu. En ce sens, je pense qu'il serait juste de dire que dans cette suite, les fans eux-mêmes sont devenus les développeurs.
Yamamoto : Le but était de prendre ces endroits que nous avons vu et nous connaissons pour les améliorer avec plus un regard de joueurs - "oh, cela aurait été mieux si cela avait été fait comme ça" - tout en ne s'éloignant pas trop du cadre d'origine du premier jeu.
- Pouvez-vous nous parler du monde de Makaimura ? C'est quel genre d'endroit ?
Fujiwara : Le cadre est l'Europe, mais je dirais qu'il s'inspire davantage du monde de la Bible que des mythologies traditionnelles.
- C'est de là que vient le nom de Makaimura ?
Fujiwara : Ouais. C'était une sorte de blague au début. «Makai» (Monde des démons) était cool en soi, et l'ajout de «Mura» (Village) lui a donné une atmosphère plus européenne. Je pense que cela transmet également l'idée que même si ce jeu contient des monstres, ils sont plus comiques qu'affreux et terrifiants.
Et le "Dai" (grand) dans Daimakaimura, bien sûr, est destiné à montrer que ce jeu n'est pas une "partie 2" - c'est plutôt une plus grande itération de l'idée originale.
- Quel est selon vous l'attrait principal de Daimakaimura ?
Yamamoto : C’est une bonne question. Je pense que pour le jeu original et pour Daimakaimura, l'aspect graphique "sprite art 2D" en est une grande partie de cet attrait. Je n’ai pas créé ces personnages, mais je pouvais ressentir la passion et l’esprit des créateurs en eux. Vous pouvez dire qu'ils ont passé beaucoup de temps à les travailler, à s'y employer très sérieusement, à ne pas s'arrêter avant d'avoir quelque chose dont ils étaient satisfaits.
Un autre élément important est le fait que vous ne vous ennuierez pas vite en jouant à Daimakaimura. Les attaques ennemies ne sont ni complètement déterministes ni complètement aléatoires. Ensuite, il y a les 6 armes différentes. Avec les armes à courte et longue portée, l'expérience de jeu change considérablement en fonction de ce que vous prenez. La magie est la même. Il y a de la magie qui se déclenche en diagonale, en forme de croix, et d'autres qui ont une durée d'effet limitée. Bien que chacun soit puissant et unique, je pense qu’en moyenne, ils sont tous efficaces et aucun n’est inutile.
Fujiwara : Nous avons mis une tonne d'emphase et d'efforts dans le sprite-art pour Daimakaimura. Nous nous sommes efforcés de rendre visuellement intéressants les mouvements des ennemis, même les patterns les plus simples. Même si la programmation elle-même décrit un mouvement simple, nous essayons de rendre cet art et cette animation de sprite vivants et variés, avec plus de personnalité que la programmation simpliste ne le suggère. Par exemple, normalement, un ennemi qui vole directement vers vous serait assez facile à gérer, mais en créant le bon sprite pour lui, nous pouvons le rendre *en terme de ressenti* difficile dans l'esprit du joueur.

Hiroshi Yamamoto (1988 )
- Je trouve tous les personnages et sprites de Daimakaimura très charmants, mais étaient-ils basés sur des mythes sous-jacents spécifiques ?
Fujiwara : Nous avons beaucoup de livres différents avec des images d'esprits et de démons, donc nous utilisons des trucs comme ça comme matériaux de référence, oui. Cependant, ces livres ne contiennent que des images statiques, nous devons donc encore imaginer et créer la façon dont ce monstre particulier se déplace, attaque, etc.
Que ce soit une faucheuse ou un dragon ou autre, vous réalisez parfois que certaines créatures ne peuvent pas se déplacer en tant que sprites comme vous le souhaitez. Il y a donc deux sortes de créatures: celles qui étaient basées sur quelque chose d'existant, et celles que nous devions créer à partir de rien. Nous utilisons les deux à Daimakaimura.
- Le Red Arremer était-il basé sur quelque chose ?
Fujiwara : Pas directement, non. Nous puisons dans une variété de sources et d'inspirations pour les artworks, donc d'une certaine manière, on pourrait dire qu'il est basé sur tout cela synthétisé ensemble. D'abord, nous avons une vue d'ensemble dans nos esprits - "ah ben voilà à quoi ressemblent les démons…" - et à cela nous ajoutons la touche plus légère de Makaimura.
Comparé au Makaimura original, ce qui a été plus difficile cette fois a été de faire face à tous les nouveaux RPG Famicom et autres, dont de plus en plus de démons ont un style occidental. Vous voyez quelque chose de cool et vous vous dites: "Oh, ça ferait un joli personnage" - seulement vous découvrez ensuite qu'il a déjà été présenté dans un autre jeu. Cela arrive souvent maintenant. Quand Makaimura est sorti, presque personne n'avait vu de créatures comme ceux du jeu, et ce dernier était du coup très frais et nouveau.
- C’est fou à quelle vitesse les jeux vidéo ont pris leur envol ces 3 dernières années.
Fujiwara : Je sais. Pour nous, cela a conduit à ce qu'un certain nombre de monstres soit retiré, et dans l'ensemble, cela a limité nos choix d'utilisation. Aujourd'hui, vous pouvez voir des zombies partout dans les jeux, mais lorsque Makaimura est sorti, il n'y avait pas un seul jeu qui mettait en vedette des zombies.
- Ouais, je me souviens à quel point j'ai été décontenancé la première fois que j'ai vu les zombies se lever et sortir de leurs tombes dans Makaimura. Je savais que je devais jouer ça.
Fujiwara : Nous parlions d’ajouter une licorne à Daimakaimura, mais elles sont si courantes sur Famicom et dans les jeux d’arcade maintenant que cela ne semble pas pertinent. Nous avons donc abandonné l'idée.
- Il y a des personnages uniques comme les "hommes-cochons" dans Daimakaimura, mais d'où vient l'idée de cette attaque de vomissements ?
Fujiwara : Vous pouviez affirmer que c'était du vomi ? C’est bien. Le joueur doit pouvoir savoir ce qu’il voit. Nous avons donc essayé de rendre l’animation facile à comprendre. Il incline la tête, avale un peu et ses joues gonflent… dans n'importe quel autre jeu, je pense que quelque chose de stupide comme ça aurait tendance à détruire l'atmosphère. Ce sentiment grotesque mais léger est quelque chose que vous ne pouvez obtenir que dans Makaimura, je pense.

Les mémorables ennemis Hommes-Cochon qui vomissent dès le premier niveau.
La façon dont vous utilisez les langues des statues démoniaques pour marcher dans le niveau 3 - il n'y a pas de sol dans ce niveau, vous devez utiliser leurs langues pour traverser le niveau - c'est aussi très caractéristique du style Makaimura. Il n'y a pas beaucoup de limites à ce que nous pouvons faire avec ce jeu, notre créativité a à peu près libre cours.
- Dans la version de Daimakaimura que vous avez exposée aujourd'hui au salon AM Show, il semblait que le tout dernier niveau n'était pas encore terminée. Comment ça se présente ?
Fujiwara : Ça va être féroce. Graphiquement, ce sera assez impressionnant aussi, contrairement au Daimaou (note d'alex kidd : boss de fin) un peu décevant du jeu précédent.
- Quand le jeu commence, il y a une cinématique qui montre la princesse en train de se faire tuer… est-elle morte ?
Fujiwara : Oui. À ce moment-là, du moins. Mais quant à la fin… eh bien, je vous laisse voir par vous-même. Quoi qu'il en soit, attendez avec impatience le boss final, nous misons gros sur lui. Le jeu est presque terminé - nous sommes maintenant dans la dernière ligne droite !
Yamamoto : Je suis convaincu que nous serons en mesure de présenter un jeu terminé aux joueurs qui ne les décevra pas, tant en termes de niveau de difficulté que pour les stages finaux.
D'ailleurs ils parlent beaucoup de l'aspect visuel, ce titre était fou à ce niveau. Oui c'est dommage que la difficulté soit très élevé, après c'est du die and retry des plus sauvages au bout d'un moment çà finit par passer.
Anecdote vite fait, le jeu a été développé sur la Sharp X68000, comme tous les jeux de la 1ère vague du CPS-1. Le X68000 c'était quand même très violent pour 1987 en terme de spec.
Merci pour ton intervention