Si mon
COTY (
Chill-Game Of The Year) 2021 ne faisait aucun doute en l’objet de
Celeste &
Haven, 2022 fut marqué par une production plus discutable avec
Sable - principalement à cause de qualités techniques difficilement acceptables.
Des jeux profondément sincères dans leur proposition et parvenant à creuser, tels des
tunneliers de l’amour, leur petit bout de chemin vers mon cœur. Chose que n’aura pas fait
SEASON. Car
SEASON se place sur une autre ligne, celle d’un facteur avec la volonté de délivrer une lettre à destination d’un autre lieu : l’âme du joueur. Ma propre âme (oui, rien que ça).
Il ne sera donc pas étonnant que je le consacre comme une perle en haut de mon podium 2023 (et je doute aussi que l’on aura un concurrent à cette même proposition).
Puis il faut le dire, les petits artisans montréalais de
SCAVENGER STUDIO (née en 2015 et géniteurs de Darwin Project) ont mis les petits potages dans les grands en se dotant de ce titre décerner qu’à un nombre réduit d’élus dit « Indé AAA ». Par-là, j’entends ces jeux aux moyens modestes voire ridicule mais aux ambitions vidéoludiques bien élevées. On pensera à
Dead Cells, Hades,
Tunic, Edge of Eternity,
Hollow Knight, Tinykin,
Stray et j’en passe. Une telle consécration pour un jeu passé sous les radars, comment le justifier ? Déjà en expliquant en quelques points en quoi
SEASON est une source intarissable d’épiphanies.
UNE HISTOIRE « AU-PRINTEMPS » PLUSIEURS CHEMINS
Estelle est ce que l’on pourrait qualifier d’ethnologue de l’éphémère, d’anthropologue existentielle ou encore de légiste des sociétés en stade terminal voire des dépouilles civilisationnelles. Ladite jeune femme quittant sa bourgade perchée dans l’autarcie la plus complète afin de garder une trace du passage de ces « autres », armée de son appareil photo instantané, un carnet saillant, son magnétophone noir, un vélo et un talisman protecteur face aux « maladies de l’esprit » (on en parlera avec détails plus loin). Forgé par les contes de son enfance, sa curiosité comme legue d’un père alpiniste mort dans des circonstances obscurs et les sacrifices fait par sa mère pour préparer le voyage d’une vie, elle décidera de battre le pavé afin de capturer ce qui est déjà par essence diffus.
A savoir que les
"Saisons" dans le jeu correspondent à des époques, des ères pour une civilisation sur le point de s'éteindre et dont on sait qu’elle sera vite remplacer par une autre déjà naissante la plupart du temps. Et le tragique de cette situation est que l’on assistera ou retrouvera des stigmates des conséquences de cette extinction à commencer par le choix migratoire consenti ou forcé, l’obligation de l’assimilation à une culture, un mode de vie inconnu, la perte d’une terre investie - agrégat puis extension d'une multitude d'identités. On comprendra très vite que le rôle que l’on occupera sera entre celui de spectateur(rice), témoin, accompagnant(e), prisme de conscience-confiance mais rarement levier au changement.
UNE TASSE D’« ETE » POUR LES CRAFTEURS
« Okay c’est joli tout ça… mais c’est quoi le principe du jeu manette en main ? »
Bah de récolter pour crafter. Cela passera par l’action de photographier des paysages picturaux, des statues déformées, des visages humains aux expressions contrastés, des moutons en train de paitre, des carte postale laissant réveur ou encore des guirlandes et amulettes, ingrédients de coutume et cultes en voie de disparition. On nous donnera des petites options coquettes tel que choisir le niveau de focale, les filtres de couleurs à appliquer avant de prendre un cliché. On nous offrira aussi la possibilité d’enregistrer ce que l’on souhaite même si l’on est fortement indicé par la vibration de la dualsense (sur PC je ne sais pas comment ça fonctionne) et enfin le dessin qui se fait généralement automatiquement lorsque l’on découvre un paysage dirons-nous « unique » (un peu à la manière des panoramas cachés dans les Xenoblade Chronicles).
Le tout trouvera une place limitée dans un carnet divisé en différentes zones-thématiques. Certaines optionnelles et d’autres obligatoires à remplir afin de faire avancer l’intrigue.
ET QUEL PLAISIR de passer des dizaines de minutes pour agencer les éléments obtenus (photo, dessin, audio) afin d’agrémenter ces doubles pages blanches pour augmenter une mini jauge d’accomplissement. La triple récompense étant la satisfaction de la personnalisation, et y a du choix avec la taille, le positionnement, l’obtention de tampons/vignettes pour décorer davantage le tout et le droit à une pensée de la part « d’Estelle Confucius » ou une sorte d’Haïku improvisé servant de conclusion à ses investigations. Le volet « enquête » sera réellement prégnant sur les 3 divinités de la Vallée de Tieng bien que léger et sans prise de tête dans les déductions.
DES TEMOINGNAGE A L’« AUTOMNE » EN EMPORTE LE VENT
Alors que l’on nous placera dans des espaces délimités au départ, on pourra utilisé le vélo dont les contrôles sont particulièrement agréables (une pédales pour chaque gâchette – L2/R2 – qui donne plus ou moins de la résistance sous le doigt selon la déclivité, la vitesse du vélo) afin d’explorer la grande zone ouverte de la Vallée de Tseng ou Tieng pour profiter pleinement de décor tout droit sorti d’une galerie d’art où fusain et pinceaux se rencontrent dans une farandole de couleur vraiment prononcé et presque évocateur des productions GHIBLI sous certains aspects.
D’ailleurs, les personnages que l’on rencontrera auront pour certains des proportions voire une typologique faisant douter du caractère humanoïde de ces derniers. Et les rencontres seront peu nombreuses et à dessein afin de rendre chacune inestimable car facilitant l’investissement émotionnelle. Il n’y a pas de PNJ ou de personnages secondaires, tous les personnages rencontrés sont centraux dans leur histoire et donc chacun de leur propos, utile, anecdotique, lyrique, emprunt de regret ou d’espoir étouffé donnera le « LA » à la rythmie du voyage d’Estelle volontaire et aidante malgré son statut d’étrangère de passage.
D’ailleurs, les mots ont une place déterminante dans les maux de ces sociétés, des individus liés les uns aux autres dans l’union comme dans la séparation et très souvent dans la malédiction.
N.B - Cela n’était pas sans me rappeler le série littéraire/light novel/manga des Monogatari de Nishio Ishin enseignant qu’il faut tourner 7 fois sa langue dans sa bouche avant de formuler un vœu – Fin N.B
Car les paroles et les vœux adressés aux divinités se métastasent en quelque chose de néfastes tel que : le sommeil infini, l’oubli de ce que l’on s’était interdit d’effacer, le temps maltraitant dans sa dilatation ou sa compression. Le folklore et les contes qui côtoient la magie donnent des fragrances d’africanité dans ce que l’on saisit via l’oralité, des traditions sonores qui s’incarnent dans des témoignages, des objets résonnants et des chants d’un instant. On nous donnera plusieurs fois le choix de juste laisser Estelle apprécier ce moment condamné à s’évanouir dans les méandres de l’instantanéité une fois le rebours écoulé ou en garder la substance dans des archives (Le Musée des mémoires – ultime étape de son voyage) à but de transmission grâce entre autres à son magnétophone. Enregistrer ou juste apprécié le moment présent, cela est une question terriblement actuelle quand on pense à la place qu’à prise les réseaux sociaux dans notre quotidien.

UNE EXPERIENCE « HIVER » ET CONTRE TOUS
En conclusion,
SEASON parle avant tout de culture, de transition civilisationnelle, de deuil d’une vie établie et de pathologies existentielles. L’oubli, la perte de repères temporels, le coma teinté d’onirisme et la quête obsessionnelle de maturité à travers les voyages éprouvés et éprouvants. Le propos général est fort et demande notre attention comme par exemple, le fait que Estelle catalyse l’effort de neutralité dans le refus d’ingérence pendant une grosse partie de son périple, là on les Mains Grises (organisation bénévole et para-gouvernementale type Casque Bleu de l’ONU) incarnera l’opposition philosophique dans la fausse neutralité et la volonté artificielle de créer de l’assimilation chez des populations « étrangère ».
Pour réussir à lister ce que j’ai pu interpréter (et ce n’est que mon interprétation), le jeu réclame du temps, de notre temps que l’on donnera volontairement ou non selon ce que l’on cherche. Comme une pause dans le torrent des sorties vidéoludiques qui parfois s’accélère parfois ralenti mais n’est jamais véritablement absent de notre calendrier de vie. Et peu de jeux à ma connaissance attire notre attention sur l’action de voir, photographier, enregistrer et compiler comme une fin en soi. Avec en prime le libre choix de juste contempler et mettre une halte à cette « cartographie de la vie ». On est purement dans l’eudémonisme Aristotélicien. Le jeu se permet d’évoquer, montrer via une lorgnette une simple illustration d’un ensemble plus grand, de régions plus vaste tractées à notre esprit via un témoignage, une lettre perdue en chemin, une affiche publicitaire sur la promesse d’une citée de bétons lumineuse mais lointaine, un archipel paradisiaque que l’on ne verra sans doute jamais.
Je dois avouer avoir été déçu de savoir qu’il n’y aurait pas de suite (du moins c’est peu probable au vu de la fin) et c’est peut-être pas plus mal. Car c’est sans doute là une leçon méta quant à notre manière de consommer, d’arriver à satiété. De corps et d’esprit.