L'histoire de Ekkusu est surprenante. Tout commence dans le courant de l'année 1989 en Angleterre, terreau particulièrement fertile de développeurs et éditeurs de jeux vidéo (Rare, Ocean, Probe, Psygnosis, Bitmap Brothers, Bizarre Creations, Team 17, Reflections...) où Jez San, fondateur d'Argonaut Software se procure un modèle de la Gameboy, nouvelle machine de Nintendo. Jez San ne fait pas comme tant d'autres producteurs occidentaux vis à vis du très modeste hardware Gameboy, il n'a pas la moquerie aisée. Au lieux de cela, il y voit plutôt un défi. Jez San et sa compagnie son de ce genre de bidouilleur informatique qui recherche la prouesse technique avant tout, si bien que dans les années 80, ils ont signés des jeux incroyablement évolués nommés Starglider I & II ou Day of Thunder. Des jeux dans une 3D fil de fer qu'on jugerait aujourd'hui archaïque, mais qui pour l'époque était époustouflante. Jamais on aurait put croire, en 1984, que de tels graphismes pouvaient naitre des entrailles d'un Commodore 64 ou d'un Apple II (le portage de Starglider sur cette machine est réellement épatant). Repousser les limites hardware des machines qu'ils ont à leur disposition, voilà le crédo d'Argonaut. Le patron du studio refile dès lors la Gameboy à un de ses plus talentueux (et très jeune) programmeur : Dylan Cuthbert en lui demandant de lui exposer ce qu'il pourrait tirer de plus spectaculaire avec un tel support.
Très vite, au terme de quelques manipulations et essais, Cuthbert produit une démo proprement époustouflante inspirée d'une autre démo nommée NESGlider, programmée sur NES, et qui donnera les bases primaires du futur hit Starfox... L'éditeur américain Mindscape qui a déjà distribué Day of Thunder et qui entend continuer son partenariat avec Argonaut se charge de couver le projet qui naitra de cette fabuleuse démo sur Gameboy. Lunar Chase sera le nom provisoire de ce jeu. On ne sait pas véritablement ce qui est passé par la tête de Jez San à ce moment là, mais le bonhomme ne manque pas d'audace. Au Consummer Electronic Show 1990 de Chicago, il y expose la démo qui impressionne bien des gens. Et comme si cela avait été écrit à l'avance, des employés de chez Nintendo, exposant également leurs nouveautés tombent sur le stand d'Argonaut...
Quelques semaines plus tard, Jez San est convié jusqu'au siège de Nintendo, au Japon ! Et par convié, j’entends évidemment qu'il serait très peu judicieux de refuser l'invitation. Jez San y emmène avec lui le jeune Cuthbert. Imaginez un peu dans une salle de réunion deux gaijin (terme japonais relativement péjoratif désignant les étrangers) se présentent avec un prodigieux programme de jeu développé sur un hardware que tous le monde sait ridiculement faible et modeste, en face d'eux, les parrains, les yakuzas, les big boss de Nintendo : Hiroshi Yamauchi, le vieux patron, intransigeant, exigeant et dont la réputation d'homme colérique fait frissonner chacun de ses collaborateurs ; Gunpei Yokoi, pour ainsi dire le bras droit du premier, concepteur de jouet à succès et directeur de la plus importante équipe de développement de jeux vidéo de Nintendo ; Shigeru Miyamoto, créateur des deux sagas les plus emblématiques et bankable de Nintendo à cette époque à savoir Mario et Zelda ; Yoshio Sakamoto, homme multi casquette (producteur, manager, scénariste) à l'origine de deux autres séries phares de la firme ; Metroid et Kid Icarus... C'est une véritable scène de film où un genre de conseil de guerre japonais fait face à deux pauvre inconnus audacieux et intrépides ne réalisant pas la portée de leur prouesse.
Le but premier de cette invitation pour les pontes de Nintendo était de vérifier de leurs propres yeux si on ne se fichait pas d'eux. Peu de gens chez Nintendo croyait une telle démo réalisable sur leur Gameboy et ils étaient près à mettre les petits plats dans les grands pour en avoir le cœur net. Une fois que le doute n'était plus permis, la seconde raison de cette invitation était qu'il était hors de question pour Nintendo de laisser s'échapper un tel jeu. Ceci pour diverses raisons : tout d'abord, avoir la primeur de labelliser un tel produit sous le sceau Nintendo aurait un impact marketing et technique énorme. De plus, Nintendo voulait s'assurer que le projet aboutisse et qu'il ne reste pas à l'état de démo oubliée dans une disquette poussiéreuse. Et enfin, c'était un moyen pour Nintendo, en quelque sorte, de garder la suprématie technologique sur leur propre machine. Car avouer que de ''vulgaire'' occidentaux étaient capables de prouesse technique comme fut Ekkusu alors que le plus beau jeu Gameboy sorti des laboratoires maisons de Nintendo était à l'époque Metroid II, ça aurait été une grave atteinte à leur honneur et un aveux d'échec cuisant. Oué, le business du jeu vidéo était vraiment différent, à l'époque.
Mindscape, qui de toute façon n'avait pas vraiment confiance en la Gameboy et qui ne voyait pas le succès potentiel de Lunar Chase ne tarde pas à céder les droits à Nintendo et Argonaut rejoint les locaux de Big N à Kyoto. Dylan Cuthbert s’investit énormément, découvrant une nouvelle culture et une façon de travailler qui lui plait beaucoup et apprend le japonais avec nuls autres professeurs que Miyamoto et Yokoi. Lunar Chase est renommé X par Hiroshi Yamauchi en personne (allez savoir pourquoi) et la partie conception du soft est prise en charge par Nintendo. Le créateur des Metroid seconde Cuthbert tandis que l'illustre (mais inconnu à l'époque) Kazumi Totaka (Super Mario Land 2: Six Golden Coins, Wave Race 64, Luigi's Mansion, Animal Crossing...) composera la bande son. X nous entraine, comme de coutume, en plein cœur d'une guerre contre une armée extra-terrestre. En effet, après avoir épuisé les ressources de la Terre, l'espèce humaine se voit contraint de migrer vers Tetamus II, une planète au profil semblable et dont le cœur renferme une source immense de cristaux d'énergie. Mais lorsque les aliens attaquent les installations et vaisseaux humains, vous embarquez dans le ''tank de l'espace'' VIXIV pour prendre part au combat...
Ce n'est évidemment pas au niveau du scénario que X propose ce qu'il a de meilleur. La première chose qui nous frappe au visage lorsqu'on insère la cartouche, hormis, naturellement, les graphismes en 3D fil de fer, c'est la liberté de mouvement. Qui dit environnement en 3D (qu'elle soit réelle ou simulée) dit possibilité de se déplacer beaucoup plus librement que sur un simple plan unique 2D. Au début, on commence au sol, mais on découvre vite qu'on peut décoller et se diriger librement. Au fil des minutes et des missions qui s'égrainent, le gameplay devient étonnamment complet. Le premier élément à prendre en compte lorsqu'on parcours les airs, outre le fait qu'il faille se défendre car l'ennemi occupe également les cieux, c'est la gestion de la jauge de carburant ! C'est assez inédit dans un shoot them up, peu importe à quelle époque on joue. En essayant quelques manipulations avec le pourtant très restreint panel de bouton dont on dispose avec une Gameboy en main, on constate qu'on peut avoir accès à une carte et à des armes secondaires ! Puis on découvre des objectifs de mission on ne peut plus variés, faisant de X bien plus qu'un shmup lambda. L'extermination pure et simple de l'escadron ennemi peut également s'accompagner d'une mission de sauvetage d'otage, de destruction de cible précise (unité ennemie ou bâtiment) ou protection rapprochée. Cerise sur le gâteau pour ne pas s'ennuyer, il arrive que les objectifs de mission changent en cours de mission comme sur un véritable champ de bataille où il faut réagir aux mouvements adverses. Enfin, des niveaux typés rail shooter dans un tunnel (un peu à la Starfox) sont également proposés et sont techniquement bluffants. Petit détail bien pensé : votre performance est récompensée par un certain nombre de petites étoiles que le général vous remet. Ces étoiles, hormis pour le score, vous servent comme vie supplémentaire si jamais vous encaissez un game over à la mission suivante. Si bien que pour surmonter les missions les plus ardues, on a tendance à réessayer quelques fois les missions précédentes pour voir si on est capable de grappiller quelques étoiles supplémentaires et constituer un confortable coussin de sécurité !
Tout comme Mindscape qui n'aura pas compris le potentiel de X, Nintendo of America (à l'époque dirigé par Minoru Arakawa, le gendre de Hiroshi Yamauchi...) ne croira pas en la réussite de la Gameboy. Pensant que cette console de poche était principalement destinée aux enfants (ah bon, parce que la Famicom et la Super Famicom était destinée aux adultes peut-être? ) et que seuls les puzzle game à la Tetris pourraient correctement se vendre dessus, NOA repoussera fermement la possibilité d'une sortie de X en dehors du Japon. Puisqu'au début des années 90, NOA avait largement l'aval sur chaque décision concernant l'Europe, nous en avons également fait les frais et X ne sortira jamais chez nous... Ce n'est pas la seule grossière erreur que la branche de Arakawa concèdera. En effet, pour l'anecdote, lorsque la NES fut importée (assez tardivement) en Europe et notamment en France, les fondateurs de la distribution de la machine dans l’Hexagone n'ont pas put sélectionner eux-même le panel de jeux à proposer aux clients, en dépit de leurs conseils avisés et de leur profonde connaissance du marché français. C'est le marketing américain, soutenu par Arakawa qui aura imposé de vendre des jeux comme Soccer, Popeye et autre Golf en 1987 en France, des jeux préhistoriques issus de la première année d'existence de la console. Alors que les petits joueurs que nous étions et les vendeurs, désespérés de ne pas pouvoir vendre facilement leurs produits réclamaient des jeux bien plus sophistiqués et déjà disponibles partout ailleurs, tels que Megaman, The Legend of Zelda ou Metroid. Pourquoi, me demanderez-vous ? Eh bien tout simplement parce que toujours selon le marketing de Nintendo of America, l'Europe n'était à l'époque pas perçut comme un marché viable, mais plutôt un marché vieux et hermétique aux nouvelles technologies de loisirs. Et puis parce qu'ils leur restaient des milliers de cartouches de Soccer et de Popeye endormies dans les entrepôts qu'il fallait à tout prix écouler pour éviter de perdre de l'argent. Ah, j'vous jure, ces américains...
X aurait donc mérité de faire un saut chez nous. Impressionnant quand on sait le remettre dans son contexte technique et historique, il n'en oublie pas pour autant de proposer une jouabilité travaillée avec des missions variées et une finition digne du soucis du détail de Nintendo. Mais au-delà de ses simples qualités, il est important de (re)découvrir ce jeu car il constitue le socle créatif d'une future licence emblématique de Nintendo et le point de départ d'une belle collaboration avec Argonaut pour donner naissance à ni plus ni moins que Starfox !
C'était très intéressant, j'aime beaucoup ta façon de romancer la création de ce jeu ^^ Un peu con qu'il ait changé le nom lunar chase bien plus stylé.
celesnot merci du compliment, ça fait grave plaisir !
Faut avouer que dans les faits, y'a pas forcément grand chose à dire sur ce jeu, à part que techniquement il est ouf pour de la Gameboy et qu'il a été conçu par des anglais et des japonais main dans la main. Donc j'ai brodé pour raconter un peu les coulisses sinon j'aurais fait un article de 3 lignes
anakaris celui-ci c'est une perle méconnue de la console pour moi, je l'ai découvert via l'émulation et quelle baffe !
De plus en loose il ne vaut rien du tout, foncez !!!
excellent article, et jeu historiquement important, derrière Argonaut développera le Super FX.
Mais honnêtement j'ai appris l'existence de ce jeu il y a une dizaine d'années à tout péter, aucun souvenir
Ah pour le Y, un petit YuYu Hakusho Megadrive ? :P
Waw, l'ancêtre de Starfox... tu m'apprends aujourd'hui son existence !
Le jeu a vieilli, mais il reste classe. Et les musiques sont top pour de la GB (bon, à part celle du tutorial XD), un point positif que tu aurais pu ajouter !
alexkidd je n'ai jamais joué ) un Yu Yu Hakusho, j'ai vu passé un jour un "2" sur Super Famicom en boite mint, à un prix complètement maboule (399€) dans une boutique à Paris, mais c'est tout
Je n'ai jamais lu le manga ni vu le moindre épisode de l'anime (vous pouvez me jeter des petits cailloux)
Mais pour la lettre Y, je voyais quelque chose dans le même genre, mais beaucoup plus "mainstream"
Faut avouer que dans les faits, y'a pas forcément grand chose à dire sur ce jeu, à part que techniquement il est ouf pour de la Gameboy et qu'il a été conçu par des anglais et des japonais main dans la main. Donc j'ai brodé pour raconter un peu les coulisses sinon j'aurais fait un article de 3 lignes
anakaris merci pour cet article ,et pour cet histoire incroyable!!
asakim Toujours un plaisir de lire ce que t'écris, on apprend pas mal de choses.
Venant de toi c'est particulièrement valorisant, merci beaucoup !
De plus en loose il ne vaut rien du tout, foncez !!!
Hâte de lire ça!
Mais honnêtement j'ai appris l'existence de ce jeu il y a une dizaine d'années à tout péter, aucun souvenir
Ah pour le Y, un petit YuYu Hakusho Megadrive ? :P
Le jeu a vieilli, mais il reste classe. Et les musiques sont top pour de la GB (bon, à part celle du tutorial XD), un point positif que tu aurais pu ajouter !
Comme toujours, merci pour la découverte
Je n'ai jamais lu le manga ni vu le moindre épisode de l'anime (vous pouvez me jeter des petits cailloux)
Mais pour la lettre Y, je voyais quelque chose dans le même genre, mais beaucoup plus "mainstream"
Merci tout le monde