
Plus communément appelé casse-briques en France, les origines de Breakout furent longtemps assez inconnues et remontent à 1976. Et comme bon nombre d’innovations vidéoludiques d’alors, elle est du fait d’Atari. Mais commençons par le commencement. Entre 1972 et 1975, la société californienne est au beau fixe, Pong est un colossal succès et Atari ne cesse d’agrandir ses locaux pour accueillir des ingénieurs et des monteurs supplémentaires afin de fabriquer toujours plus de bornes de jeu. Mais à partir de 1975, cela devient plus compliqué. La législation du jeu vidéo en termes de plagiat et de piratage n’est pas encore très bien élaborée et des copies multiples de Pong pleuvent sur le marché, grappillant le terrain si fructueux d’Atari. Nolan Bushnell développe plusieurs affaires et conclue des contrats entre différents programmeurs pour créer de nouveaux jeux et ne pas se baser indéfiniment sur le succès de Pong, énorme, mais certainement pas infini. Kee Games et ses deux principaux collaborateurs créés ainsi pour le compte d’Atari un certain Grand Track 10, pionner dans le jeu de course automobile, en 1974. C’est un joli succès. Il est d’autant plus innovant qu’il s’agit du premier jeu à utiliser des sprites stockés dans une ROM, en plus des contrôles au volant et non plus au stick ou au bouton.
La même année, un certain Steve Jobs, 18 ans tout juste, entre au service d’Atari. Son j…job, à Jobs, c’est tout d’abord de tester les jeux pour s’assurer de leur qualité globale avant de les commercialiser, et éventuellement bidouiller un peu le code ou en tout cas donner des indications aux programmeurs si certaines retouches doivent être faites. Un peu le QA antique du jeu vidéo, voire même le bêta testeur primaire de l’industrie. Mais il convoite un poste d’ingénieur, c’est que déjà tout jeune, il débordait d’ambition, le natif de San Francisco ! Son ami, Steve Wozniak, avec qui il créera un peu plus tard Apple (mais si, vous savez, la marque là, avec les smartphones, toussa… rah informez-vous un peu, j’vais pas tout faire à votre place !

) travaille chez Hewlett-Packard comme assembleur et programmeur. Passionné d’électronique et de jeu vidéo depuis ses premières parties de Pong, il est surtout un pur génie. Très jeune, son entourage et les médecins étaient déjà formels, Steve Wozniak avait un potentiel cognitif bien supérieur à la moyenne. Mais malgré les encouragements répétés de Jobs, Wozniak ne quittera pas HP pour venir chez Atari. Bien qu’il soit très attiré par les jeux vidéo, il mesure la chance qu’il a de pouvoir travailler chez HP et pouvoir concevoir des outils électroniques. D’ailleurs, Wozniak a lui-même programmé un clone de Pong qui semble-t-il était suffisamment qualitatif pour qu’il soit remarqué par Nolan Bushnell en personne.
1: Steve Wozniak (à gauche) et Steve Jobs (à droite) travaillant sur le prototype d'un ordinateur Apple 1 en 1976, la naissance de la célèbre entreprise Apple s'en-suivra.
2: des bornes d'arcade dans une gare de trains régionaux près de San Fransisco en 1976. À gauche le jeu Tank, conçu par Steve Bristow, à droite le jeu de course LeMans (comme la célèbre course automobile française des 24h du Mans), successeur de Gran Trak 10 et Gran Trak 20.
En 1975, Bushnell et Steve Bristow (oui, il y a beaucoup de Steve dans cette histoire…), créateur de Tank pour Atari (jeu de 1974 où deux joueurs contrôlent chacun un tank dans un labyrinthe avec pour but de détruire l’autre) réfléchisse à des concepts pour redonner de l’élan à un Pong vieillissant. Bien que le succès du Home Pong (une version de Pong inséré dans un modèle de console de jeu domestique conçu et commercialisé en partenariat avec le groupe Sears), qui se vendra à 150 000 exemplaires à Noël 1975, garantisse une jolie plus-value à Atari, Bushnell continue de penser qu’il faut innover. Il craint toujours que le rythme et la popularité de Pong ne s’essouffle. Ainsi, Pong est reprit et retravaillé puis plusieurs nouvelles idées naissent. Une raquette, un mur sur lequel faire rebondir la balle, puis un peu plus tard et après s’être rendu compte que ce serait très vite ennuyant, le mur se désagrège… Le concept a l’air prometteur, les vœux de Bushnell sont tels que la physique de la balle devait être retravaillée pour la faire adopter un comportement encore plus réaliste et avec des rebonds toujours plus différents selon la façon dont elle vient taper telle ou telle partie du mur qui se détruit au fur et à mesure. Bushnell croyait beaucoup en ce concept et avait même assimilé ce nouveau jeu à l’idéologie d’Atari. ‘’Breaking news grounds’’, autrement dit ‘’dépasser les limites’’, atteindre de nouveau sommet, innover.
Malheureusement, et on l’a vu dans le premier retroportage dédié à Pong, tout ne se passe pas comme prévu. Ce n’est jamais le cas en fait. Plusieurs employés d’Atari quittent le navire. On n’aura jamais les raisons officielles et détaillées de cette manœuvre. Peut-être qu’ils avaient peur que le succès d’Atari ne soit qu’un feu de paille et que très bientôt la société devrait mettre la clé sous la porte : ou peut-être bien que ces employés-là avaient les dents qui rayaient le parquet et qu’ils voulaient leur part du gâteau du marché du jeu vidéo, de plus en plus florissant. Toujours est-il que les mecs n’y vont pas avec le dos de la cuillère, non content de claquer la porte d’Atari, ils chapardent au passage les quelques plans de conceptions du nouveau projet de Nolan Bushnell et Steve Bristow ! Oué, comme ça. Ils fondent leur start-up, nommée Fun Games, mais le fun s’évaporera bien vite, l’année suivante en fait, après qu’Atari les ai broyés dans un procès éclair. Ce petit contre-temps aura tout de même suffit à Atari pour enregistrer une perte financière certaine et repousser la sortie de Breakout d’un an. Rien de mieux pour que Nolan Bushnell soit convaincu qu’il faille continuer de développer de nouveau projet, car il sait que le seul succès de Pong ne pourra protéger Atari indéfiniment de ce genre de désagrément.
Pour éviter qu’une nouvelle sédition ne se manifeste au sein des employés, Bushnell et son acolyte de toujours, Al Alcorn décide de lancer un appel d’offre au sein même de leur entreprise. Ou plutôt un défi. En effet, Bushnell estime qu’à l’époque, une borne d’arcade coûtait environ 100 000 $ entre la production, la mise en service et l’entretien. Le prototype conçu par Al Alcorn est trop coûteux en composant. À l’époque, les ROM et les micro-processeurs n’étaient pas des outils très rependus et Atari préférait utiliser les TTL : Transistor-Transistor Logic. Confectionner toujours plus de bornes avec autant de transistor et autres composants revenait cher à Atari et le but du défi fut de créer un jeu à partir du concept de Bushnell et Bristow et d’en écrémer au maximum les circuits des composants indésirables. En plus d’une prime fixe, pas moins de 100$ par composant retirés étaient promis à celui qui réaliserait ce tour de force d’ingénierie électronique. C’est ici que Steve Jobs et Steve Wozniak entrent en scène.
Le premier est un hippie de retour d'un voyage initiatique en Inde qui se promène en jean et dont la tignasse mal coiffée n’a d’égale que la nonchalance. Le second est au contraire bien vêtu, chemise et barbe proprement taillée car chez HP, on se doit de respecter un minimum son hygiène corporelle et son aspect extérieur. Il est intéressant de noter qu’au fil des ans, la tendance s’inversera. Jobs délaissera la dégaine typique des années 70 pour adopter le costard-cravate et le sourire émaillé de vendeur de tapis propre sur soi. Tandis que Wozniak deviendra un bonhomme bedonnant et très affable, au contact humain facile et à la bienveillance légendaire.
Jobs convoque son ami Wozniak dès qu’il eut répondu à l’offre d’Atari en lui expliquant qu’une prime de 700$ serait à la clé (750 selon d’autres sources). Le deal étant que les deux hommes se partagent la somme une fois le boulot terminé. Naturellement, Jobs omettra volontairement les 100$ de bonus pour chaque composant évincé du circuit. Wozniak se met au travail avec un professionnalisme épatant, continuant le jour d’assurer son rôle chez HP, et se penchant sur le circuit de Breakout la nuit. Wozniak accompli son labeur en quatre jours et quatre nuits, ce qui est assez stupéfiant, même pour l’époque. Jobs lui ayant assuré que c’est Atari qui avait fixé des limites de temps aussi drastiques, en réalité il n’en été rien. Jobs avait en vérité un avion à prendre en fin de semaine pour partir en vacances dans l’Oregon et il tenait à tout prix à présenter le travail fini à Atari avant son départ…
Allan Alcorn, qui découvre la première version de Breakout, est ébahi. Mais très vite, face à la complexité de l’assemblage de la carte mère qui pourtant comporte tout au plus une quarantaine de composants (contre 100 à 200 pour les jeux d’époque), le chef ingénieur d’Atari comprend que Wozniak est derrière tout ça, lui qui a déjà eu l’occasion de le rencontrer et de constater son immense talent pour l’électronique. Le contrat a été rempli haut la main, les attentes des dirigeants d’Atari sont pulvérisées, même un peu trop. En effet, l’assemblage, aussi économique soit-il est le fruit d’un cerveau génial, mais le circuit ainsi créé est très difficile à reproduire à grande échelle à des fin commerciales. Les ingénieurs ‘’normaux’’ n’auraient jamais pu reproduire cet exploit pour lancer la chaîne de production des bornes Breakout. La décision est donc prise de faire machine arrière, Alcorn et son équipe prennent pour modèle la carte-mère de Wozniak mais remanie l’ensemble pour que l’architecture électronique du produit soit plus abordable et plus facile à fabriquer. Le nombre de composants augmente dès lors pour revenir au seuil de la centaine d’unités. Mais qu’importe puisque Atari tient son jeu et Jobs tient sa superbe prime de quelques cinq milles dollars, tandis que Wozniak, le héros de l’ombre, ne se contentera que de quelques 350 billets…
3: Breakout tel qu'on pouvait le trouver sur Atari 2600/VCS, avec ses jolies briques de couleur.
La version commerciale du logiciel est conçue par la société Cyan Engineering, avec laquelle Atari a déjà travaillée par le passé. Le jeu est un nouveau hit monumental dans les salles d’arcade et continue d’écrire la légende de la société californienne. La borne s’écoule à 15 000 exemplaires et c’est un des premiers jeux phares du nouveau projet de console domestique d’Atari, la fameuse 2600. Breakout, tout comme Pong propose un concept simple et divertissant comme le voulait Nolan Bushnell au tout début des activités d’Atari. Du premier coup d’œil, tout le monde est en mesure de comprendre ses règles. Si la balle tombe, c’est le game over. Il suffit donc de faire rebondir la balle sur le mur de briques constitué de huit rangés d’une couleur différentes toutes les deux lignes. Sur les bornes d’arcade d’origine, un calque en cellophane collé sur l’écran en verre colorait les briques et servait à indiquer au joueur le nombre de point empoché à chaque brique détruite. Tout comme pour Pong dont la physique de la balle fut travaillée par Alcorn, là, la physique est également surprenante. Si le joueur parvient à creuser un passage sur le côté du mur de brique, il se peut que la balle rebondisse frénétiquement dans ce petit conduit et se fraye toute seule un chemin pour aller exploser d’autres briques plus en profondeur dans le mur, creusant ainsi l’obstacle en fonction et de manière unique à chaque partie. Arrivé à la dernière rangé, les briques rouges, la balle accélère tandis que la raquette ralentie, ajoutant une difficulté supplémentaire !
Véritable père des casses-briques, à la base variante solo de Pong, Breakout donne naissance naturellement à une kyrielle de clone de plus ou moins bonne facture. Gee Bee en 1978 marque le premier jeu vidéo commercial développé en interne par la désormais célèbre entreprise Namco, et déjà à l’époque, c’était Tōru Iwatani qui était aux commandes, le futur papa de Pac-Man ! Traz en 1988 présente de l’intérêt car on peut y jouer avec plusieurs raquettes à la fois, obtenir des power-up divers et des ennemis peuvent même dévier notre balle pour nous rendre la tâche de plus en plus difficile au sein de 64 tableaux avec en sus d’assez joli graphismes ! Alleway, l’année suivante, constituera un des jeux de line-up de la Gameboy. Archi traditionnel, voire carrément antique sur l’écran monochrome de la console portable, les formations de briques en mouvement rappellent un peu Space Invaders et malgré sa simplicité, le jeu se vendra comme des petits pains. Même Kirby s’y mettra en 1995 avec le sympathique Kirby’s Block Ball ! Mais le clone le plus intéressant, du moins pendant la première vague de jeu du genre fut Arkanoid en 1986. Apportant moult subtilités au concept, comme des power-up ; des briques plus résistantes contre lesquelles il faut taper plusieurs fois ; des briques qui modifient la trajectoire de notre balle ; et même des warps qui téléportent la bille à divers endroits du tableau. Arkanoid est un véritable succès et plus qu’un vulgaire clone, il signera le début d’une juteuse licence pour Taito, autre grand nom du jeu d’arcade d’époque. Plus récemment, entre 2009 et 2013 est sorti sur différents supports (PS3, PC…) un certain Shatter, remarquable Breakout-like à l’esthétique néo-retro et à la bande-son époustouflante, servi en prime par un gameplay plein de subtilité et au challenge très progressif. Une vraie merveille de casse-briques moderne !
4: Steve Wozniak (le deuxième en partant de la droite), comme d'innombrables guest-stars, a fait une apparition remarquée dans l'épisode 2 de la saison 4 de la célèbre série TV "geek friendly" The Big Bang Theory, en 2010.
Quant au Breakout d’origine, il aura quatre suites officielles : Super Breakout en 1978, Breakout 2000 en 1996 pour la Jaguar, Breakout 3D en 2000 sur Playstation et enfin Breakout Boost en 2011 sur smartphone. Pendant plusieurs années, le mensonge de Jobs sera inconnu de Wozniak et même si plus tard il apprendra la vérité, il saura rester lucide, arguant le fait que l’argent récolté par Jobs aura de toute façon servi à fonder Apple. Professionnellement, concevoir la carte-mère de Breakout aura servi à Wozniak puisqu’en se servant de ses schémas et de son expérience, il fabriquera l’Apple I, ce qui lancera les activités d’Apple. Par ailleurs, les bonnes relations nouées avec Nolan Bushnell serviront à trouver des soutiens financiers pour mettre Apple sur les rails en début d’année 1977.
Comment je me rappel de mes parties d'Arkanoid sur mon AMSTRAD
J'ai toujours une cartouche GB d'alleyway aux chiottes
M'enfin visiblement Wozniak l'a plutôt bien pris
On n'imagine pas n'empêche qu'un "bête jeu de casse-brique" puisse avoir une telle histoire, et surtout ait pu nécessiter autant de talents réunis pour voir le jour, là où aujourd'hui n'importe quel programmeur amateur peut programmer un équivalent (certes rustique) en quelques heures. Ce qui nous rappelle que ce qui relève de l'évidence pour nous maintenant ne l'était pas à l'époque...
Comme d'hab, merci pour le dossier !
J'ai pensé pareil que randyofmana, petit enflure le Steve Jobs.