A l'heure où l'indiepocalypse rôde (Voir le CPC#326 de mi-Octobre 2015 ou cette émission chez le grand Satan), petit tour chez des indés cachés, qui doivent bien croûter avant de parfois pouvoir réaliser le jeu de leurs rêves, et un phénomène forcément en développement vu l'ampleur de certains projets récents ainsi que les phénomènes économiques actuels.
Un article de Matt Leone pour Polygon (Recherches additionnelles par Yara Elmjouie ).
En Juillet 2015, le développeur Comcept, dirigé par Keiji Inafune, lança une campagne
Kickstarter infructueuse pour son jeu
Red Ash.
Malgré une levée de fonds supérieure à 500 000 dollars, la campagne n'atteignit pas ses objectifs et des critiques descendirent son approche, en soulignant que Comcept l'avait lancée avant même d'avoir fini sa précédente (
Mighty N° 9), qu'un portage console avait été annoncé sans préciser les machines concernées et que le
Kickstarter avait continué même après avoir trouvé des financements externes.
Pour le studio de production Hyde, allié avec Comcept pour le développement du jeu, la campagne mit à jour un nouveau problème.
Hyde existe depuis 2002, a travaillé sur plus de 200 jeux dont certaines des plus grosses franchises japonaises, comme Final Fantasy, Persona et Yakuza. L'entreprise ne peut simplement communiquer dessus. L'équipe travaille souvent dans le secret, en faisant son boulot sans apparaître dans les crédits ou sans mentionner publiquement sa participation. Le président d'Hyde, Kenichi Yanagihara, lors d'une conversation avec Polygon, estime qu'il ne sera jamais en mesure de parler d'environ 70% des travaux de la société. Et ça fonctionnait très bien tant qu'Hyde ne demandait pas au public de les soutenir financièrement.
2 séries ayant fait appel à la sous-traitance d'Hyde
« Il y a définitivement eu un retour de flamme, je pense qu'on peut le dire, avec l'annonce et Hyde, vu que les gens ne savaient pas qui ils étaient » selon l'assistant production de Comcept,
Josh Weatherford. Il cite un commentaire Tumblr avertissant les fans d'être prudents parce que, selon ce dernier, Hyde n'avait pas d'expérience avec les jeux d'action. Weatherford déclare qu'avec la position d'arrière-plan d'Hyde, l'équipe n'était pas libre de répondre aux reproches.
« Je pense que c'est principalement un manque d'informations. Vous ne pouvez en parler et les gens vont donc imaginer le pire. »
Hyde est l'un des nombreux studios travaillant régulièrement dans l'ombre. Certains nomment cette méthode « développement sous label neutre», « développement fantôme » ou « équipe secrète ». Cette pratique existe quasiment depuis le début des JV.
Kickstarter et les médias sociaux ont rendu plus important que jamais les réputations des développeurs. Polygon s'est récemment penché sur quelques unes de ces raisons ainsi que des bénéfices et problèmes inhérents. Yanagihara dit apprécier de travailler en secret, et qu'il est satisfait des avantages et inconvénients de ce système. Pour d'autres ce peut être une source de frustration, un manque de choix ou la seule façon de continuer dans le secteur.
Un silence institutionnalisé
La reconnaissance a longtemps été un sujet sensible dans l'industrie du JV. Des carrières sont affectées. C'est le genre de choses dont les gens se plaignent en soirées. En 2015, un jeu à gros budget peut demander des centaines d'employés et de multiples studios externes pour être réalisé. En gérant un projet de cet ampleur, ou même des plus modestes, des erreurs arrivent, tout comme des désaccords internes. Des gens sont mis de côté. Des gens se disputent leur reconnaissance.
Lorsqu'une équipe entière s'accordent dès le départ pour ne jamais mentionner leur travail cependant, de nombreux développeurs déclarent que ça devient un problème tout à fait différent.
« Ca a généralement tendance à survenir parce que de nombreux studios de développement, et même des éditeurs, ne veulent pas être perçus comme devant compter sur des sociétés externes » commente Alexander Fernandez, le patron du studio
Streamline, spécialisé dans la sous-traitance.
« Ils ne veulent pas retirer le côté mystérieux de leur travail. Leur but effectif est donc d'essayer de s'assurer que les gens pensent que tout est fait au même endroit. »
Fernandez n'a pas conclu d'accord anonyme ces dernières années et remarque qu'il en voyait plus il y a une dizaine d'années. Il pense que c'est nocif de limiter ce que les développeurs peuvent dire puisque les gens dépendent de leurs CV pour leurs futurs emplois.
« Dans ce métier, en gros c'est ''Vous ne valez que ce que vaut votre dernier projet'' » déclare t il.
« Et si vous ne pouvez en parler, c'est extrêmement difficile de le faire ressortir».
Il y a souvent une ligne floue quant à ce que peuvent exprimer les développeurs, même sur les projets non anonymes. Des représentants de plusieurs gros studios de sous-traitance déclarent qu'il est courant d'avoir une clause de promotion dans les contrats limitant leurs expressions par exemple, et ces restrictions disparaissent souvent lorsque le jeu est publié. Mais le client a généralement la liberté de choisir quant est-ce qu'elles sont levées.
Par exemple, Streamline fut l'une des nombreuses équipes qui travaillèrent en externe sur
Kinect Star Wars, et bien que le nom du studio apparaisse dans le générique, Fernandez déclare qu'il n'a pas eu l'autorisation de mentionner librement ce travail avant que 8 mois ne se soient écoulés depuis sa sortie.
« C'était juste implicite que personne ne devait commencer à en parler » dit t'il.
« Je ne dirais pas que c'était interdit, mais plutôt qu'il était évident que nous ne devions pas en parler ».
Verboten / Zugelassen
L'inverse se produit parfois.
Snowed In Studios est une équipe indépendante qui travailla sur la version Director's Cut de
Deus Ex : Human Revolution. Le président
Jean-Sylvain Sormany déclare qu'il eu tout d'abord l'impression que ce serait un travail anonyme, jusqu'à ce qu'il apprenne un jour que l'éditeur du jeu, Square-Enix, prévoyait d'inclure le nom de son équipe au générique. A partir de cet instant, il sût qu'il pouvait en discuter publiquement.
Les interlocuteurs peuvent aussi être en désaccord quant à la signification d'en « parler publiquement » : parle t'on de discussions entre amis ou en famille, de références dans des réunions d'affaire, sur LinkedIn, de publications de photos et logos sur leurs sites internet ? Ce silence est parfois mentionné noir sur blanc dans le contrat ; dans d'autres cas c'est un accord tacite.
Selon le guide des crédits de l'Association Internationale des Développeurs de Jeux [NdT : IGDA en VO], quiconque travaille un certain montant de temps (30 jours) ou de pourcentage d'un jeu (5%) devrait être mentionné au générique et ainsi être libre de référencer son travail à sa sortie. Mais ce n'est qu'une recommandation. L'AIDJ n'a pas les moyens de faire appliquer quoi que ce soit.
Et lorsqu'un accord demande un silence total, les sociétés impliquées ont tendance à ne pas participer.
Suivre les règles des autres industries
Ces 3 derniers mois, Polygon s'est penché sur les travaux anonymes au sein de l'industrie, et l'une des situations rencontrées les plus courantes sont celles de développeurs devant rester silencieux parce qu'ils travaillent avec des sociétés d'autres industries, des sociétés qui ont leur propre règlementations quant aux génériques.
Certains d'entre vous connaissent peut-être
Fuel Industries, basée à Ottawa, pour son travail sur le jeu de plateformes
Sideway : New York (2011, PC/PSN) ou avec son implication dans l'obtention des droits pour
déterrer les cartouches d'E.T. dans le désert d'Alamogordo au Nouveau Mexique (E.U.) [NdT : ils
n'ont pas trouvé que ce jeu enterré].
Sideway : New York (PSN-PS3, PC) et un jeu pub sorti à l'occasion de la sortie d'un DVD American Dad
Selon le directeur de production
Nick Tremmaglia, qui se décrit comme un
« directeur artistique au fait de la réalité », environ 80% des jeux de Fuel sont des travaux anonymes. Ils proviennent souvent de marques grand public extérieures à l'industrie du JV : ces dernières les emploient pour créer des jeux promouvant leurs produits tout en gardant l'attention sur elles-mêmes.
« Habituellement elles essaient de simplifier les choses. Par exemple, la société de jeux de plateau avec laquelle nous travaillons actuellement a des développeurs, qui travaillent sur à peu près une demi-douzaine de produits pour eux. Et je pense qu'afin que les choses restent simples pour l'utilisateur final... Je ne crois pas qu'elle a quoi que ce soit contre nous en tant que développeurs. Je ne crois pas qu'elle essaie de se garder les lauriers. Elle essaie de simplifier les choses pour les gens qui pourraient voir ces marques accolées au jeu. »
« Lorsque le produit sort et qu'il ne rencontre pas de succès, vous ne subissez pas d'exposition négative non plus. »
Tremmaglia déclare qu'il préfère que le nom de Fuel apparaisse sur ses jeux dès que possible puisque c'est une aide pour la promotion de l'équipe et la négociation des futurs contrats, bien qu'il perçoive aussi des avantages à l'omission du nom de Fuel sur certains produits.
« Je pense que ça nous protège n'est-ce pas ? Lorsque le produit sort et qu'il ne rencontre pas de succès, vous ne subissez pas d'exposition négative non plus. Comme chaque studio, nous avons eu des jeux distribués qui n'étaient pas aussi bons que ce nous pensions lorsque nous avions débuté leur développement, et c'est cool de voir que le nom de Fuel n’apparaît pas lorsque vous faites des recherches dessus. »
Alors que Fuel se définit comme « un studio de divertissement et une agence numérique », travaillant souvent sur des projets à cheval sur le jeu et la communication, la société a aussi réalisé des travaux anonymes pour des entreprises de jeux traditionnelles, telles que E.A. et Zynga, sur des jeux mobiles.
Et Fuel n'est pas la seule société à travailler pour des clients situés dans ou en dehors de l'industrie traditionnelle du JV. Deux studios de développement états-uniens relativement connus pour leurs travaux sur des jeux consoles ont aussi déclaré à Polygon qu'ils leur arrivaient parfois de faire des petits boulots anonymes pour combler les trous entre les projets. Les deux ont demandé à rester anonymes cependant, puisqu'ils veulent que les joueurs et clients potentiels les reconnaissent pour leurs jeux renommés plutôt que leurs projets secondaires.
Dissimuler le travail aux investisseurs
Parfois l'objectif n'est pas seulement de garder les travaux à l'abri du regard des joueurs mais aussi des investisseurs du client. De nombreux contrats de développement incluent des éléments pour empêcher la sous-traitance directe sans la mentionner préalablement aux investisseurs pour leur validation. Certaines équipes ignorent cependant ces éléments selon Ed Dille, agent de l'industrie, et des projets plus petits ne les intègrent pas.
SuperGenius, basé à Oregon City, est un « studio d'art et une équipe de soutien » selon son directeur Paul Culp. Il fonctionne donc comme une équipe sous-traitante mais travaille de manière plus rapprochée du client. La plupart du temps il aide sur des jeux comme The Walking Dead, Broken Age et la série Skylanders. Mais Culp déclare qu'une ou deux fois par an, SuperCulp a tendance à prendre un travail anonyme, ce qu'il appelle le travail de « l'équipe secrète ».
Culp déclare que ces boulots n'arrivent pas aussi souvent que prévu, en remarquant qu'ils concernent généralement les premiers jeux mobiles de développeurs ou sociétés plus orientés technologie que jeux vidéo plutôt que les jeux console traditionnels.
Plus particulièrement, il remarque que ça provient souvent d'autres développeurs ayant des investisseurs externes et ne souhaitant pas que ces derniers apprennent qu'ils ont besoin d'aide : « rassurer les investisseurs et faire croire que leurs productions sont meilleures, meilleures que ce qu'elles auraient été si ils avaient garder ça en interne. »
« Je pense que c'est en partie dû aux investisseurs » déclare t'il plus tard. « C'est aussi purement pour l'égo. Les gens croient que faire appel à des entreprises spécialisées pour produire un jeu leur donnera une mauvaise image d'une certaine manière. »
SuperGenius est aussi le seul studio qu'a trouvé Polygon pour cet article facturant plus cher les travaux anonymes que les autres. Culp dit qu'il augmente de 25% la facture pour de tels accords.
« Des studios comme nous, nous dépendons de notre CV pour décrocher plus d'affaires » poursuit t'il. « Et si nous ne pouvons y mentionner quelque chose, cela a un coût. Dans ce cas donc, lorsqu'ils ne veulent pas que les gens en parlent, nous signons simplement un accord supplémentaire, et nous leurs facturons un certain pourcentage additionnel pour cette raison. »
Auto-censure
Pour beaucoup d'occidentaux, les travaux anonymes sont quelque chose qu'ils souhaitent éviter mais qu'ils font parce que ça paie bien ou que c'est un porte d'entrée chez certains clients. Pour le président d'Hyde, M. Yanagihara, c'est quelque chose qu'il apprécie. Il aime l'idée d'être un soutien plutôt qu'une personnalité publique : ça lui permet de se concentrer sur le travail.
Basé à Tokyo, Hyde emploie 50 personnes et travaille sur 8 à 10 jeux par an, dans de nombreux domaines (programmation, création artistique, conception du jeu). La société travaille avec de gros éditeurs tel que Konami, Bandai Namco et Square-Enix. Et contrairement à la plupart des studios occidentaux avec qui Polygon s'est entretenu pour cet article, Hyde ne signe généralement pas de clauses limitant sa liberté de communication : elle a simplement un accord verbal avec le client.
Hyde s'est récemment retrouvé sous les feux des projecteurs à l'occasion du Kickstarter RedAsh
Yanagihara déclare que, vu que de nombreux gros éditeurs japonais ont récemment stoppé les embauches ou réduit leurs effectifs, ils ont besoin de pouvoir compter sur des studios comme Hyde pour boucher les trous. Il dit aussi que, particulièrement en ce qui concerne les franchises japonaises de longue durée, ces éditeurs préfèrent garder hors du regard du public les détails quant aux créateurs des jeux.
Pour Yanagihara, ça peut se résumer à ce qui est le plus profitable pour le produit. Il pense que c'est courant pour les joueurs américains d'acheter un jeu parce qu'ils suivent l'équipe de développement dessus, alors qu'au Japon il est plus courant pour les joueurs d'acheter un jeu pour leur familiarité avec l'éditeur.
« Par exemple, avec Call of Duty, beaucoup de personnes [aux E.U.] ne penseront pas : ''Je vais acheter ce jeu parce que c'est d'Activision''. Ils pourront dire ''Je vais acheter ce jeu parce que c'est d'Infinity Ward''... Au Japon, c'est très commun de dire ''Je vais acheter ce jeu parce que ça vient de Square-Enix. Je vais acheter ce jeu parce que ça vient d'Atlus. Je vais acheter ce jeu parce que c'est du Nintendo. »
« Si vous passer à l'étape suivante et déclarez ''Eh bien en fait, c'est créé par cette personne'', ça atténue ensuite l'attente du joueur parce que c'est quelqu'un qu'il ne connaît pas, ou un développeur auquel il ne s'attendait pas. Et il y a toujours un peu de crainte que si vous allez aussi loin et parlez de tout ça, le titre ne se vendra ensuite pas aussi bien et qu'il sera plus dur à commercialiser. »
Il voit de nombreux autres avantages à cette approche aussi.
Sur un plan pratique, ça permet à Hyde de travailler sur deux produits concurrents simultanément. Yanagihara donne un exemple d'il y a quelques années, lorsque Hyde travaillait sur un jeu de foot pour Sega (Sans titre anglais mais qui peut se traduire par « Créons un club de football professionnel ») [NdT : le jeu est sorti en 2006 en Europe] tout en bossant sur un autre jeu de foot qu'il ne peut nommer. En omettant Hyde de l'attention du public, ces éditeurs n'ont pas eu à s'inquiéter de la confusion des joueurs.
Let's make a soccer team ! (PS2, 2006)
« C'est une sorte de stratégie marketing » commente t'il. « Nous ne voulons pas que tout le monde pense : ''Hé, ces gars font tous les jeux de foot. Pourquoi celui-ci est meilleur que celui-là ?''. »
Rester dans l'ombre permet aussi à Hyde de pouvoir travailler sur de grosses franchises, ce qui ne serait pas autant le cas sous d'autres circonstances selon Yanagihara. Il ajoute aussi que cette méthode lui permet d'avoir des retours honnêtes lorsqu'il parle de jeux avec ses amis, ces derniers ne sachant pas qu'Hyde a travaillé sur eux.
Yanagihara croit tellement en l'approche d'Hyde qu'il est parfois hésitant à sortir des noms même lorsqu'il a l'accord du client. Hyde a par exemple dernièrement travaillé sur la programmation d'un jeu Final Fantasy numéroté récent, mais Yanagihara refuse de rentrer plus en détails sur le sujet parce qu'il ne veut pas diluer le message envoyé aux joueurs.
« Je ne peux pas en parler précisément, parce qu'après les gens vont dire : ''Attends, Square-Enix n'a pas fait ça ? Je pensais qu'ils s'en occupaient''. J'ai l'autorisation d'en parler, mais je ne veux empiéter sur les plates-bandes de quiconque. »
Yanagihara dit que les racines de cette approche proviennent de la culture profonde japonaise, dans laquelle de nombreuses personnes ne recherchent pas les projecteurs et où de nombreuses activités traditionnelles fonctionnent ainsi. Il établit un parallèle avec les compagnies automobiles, en déclarant que certaines voitures produites aux Etats-Unis mentionnent l'usine spécifique où elles ont été montées, ce qui n'est pas le cas au Japon. La principale différence avec Hyde est que son travail implique souvent de la créativité, ce qui n'est pas le cas pour une ligne d'assemblage.
A l'avenir, Yanagihara souhaite qu'Hyde continue à travailler sur des projets anonymes : il déclare que l'équipe retire de la fierté d'être capable de contribuer à de grosses franchises. Il veut aussi faire plus de boulots reconnus, en partie pour que les membres les plus jeunes de l'équipe aient une chance de briller. Hyde est actuellement en train de travailler avec Atlus sur un jeu de rôle original non annoncé et avec Comcept pour réaliser Red Ash, entre autres.
Des différences culturelles
Hyde est loin d'être unique. Il y a de nombreux développeurs travaillant sur de gros jeux consoles au Japon qui n'obtiennent de reconnaissance. Comme toujours, ces situations arrivent au cas par cas.
Matt Smith est un programmeur né en Occident qui travaille pour le studio Friend & Foe, basé à Tokyo. Avant son travail actuel, il faisait partie de l'équipe éditrice chez PopCap Japon [NdT: qui appartient à EA], et travaillait avec des studios locaux pour porter ses franchises sur Nintendo DS. Pour la version DS du jeu de tower defense Plants vs Zombies, il dit que le studio avec lequel il a travaillé ne voulait pas être mentionné bien que ce lui ait été proposé.
Plants vs Zombies (DS, 2011)
« Nous avons présupposé qu'ils voudraient être crédités, et lorsque nous avons commencé à en parler avec eux, ils étaient du genre : ''Non non non, vous ne pouvez pas nous mettre au générique''. Et on était surpris, genre ''Euh.. Ok...''. On en a discuté et j'ai du en parler à mon patron japonais à l'époque [pour comprendre cette réaction] : ces sociétés veulent tout simplement être le plus inexistante possible auprès du public. Vu qu'ils ont de gros clients comme Nintendo ou d'autres entreprises, lorsqu'ils font un jeu au nom de cette société, ils veulent que ce dernier ressemble à un jeu Nintendo, Capcom ou à la société qui publie ce titre. »
Smith déclare qu'il ne voyait pas le moindre avantage à garder hors générique les studios. En poussant la réflexion, il trouvait avantageux le fait d'avoir un partenaire local, étant donné que Popcap pouvait en bénéficier si les clients japonais savaient que le jeu était développé par un studio japonais (Bien qu'au final, le jeu ne fut pas distribué au Japon).
« On a essayé de négocier avec eux. Nous tenions ce type de discours : ''Ok et bien mettons votre équipe au générique. Nous ne mentionnerons pas votre société, mais nous mettrons les noms de vos salariés dedans''. Et ils répondirent du genre : ''Ok, mais toute à la fin''. »
L'exemple de Smith concerne un petit projet mais de nombreuses plus grosses productions sont faites en secret aussi. Le développeur Tose, basé à Kyoto, pourrait bien être le plus gros producteur de travaux anonymes vidéoludiques [mondial], et gère des projets de toutes tailles.
Avec environ 600 employés au Japon et plus ou moins 400 supplémentaires en Chine et aux Philippines, Tose travaille sur 30 à 50 jeux par an, parallèlement à ses autres activités telles que des réfrigérateurs connectés. Elle ne demande presque jamais de reconnaissance à moins qu'un client étranger ne le leur demande (Voir MySims, Disney Planes sur 3DS et plusieurs jeux WWE). Le site officiel de Tose définit la société comme une ''force silencieuse dans les coulisses''.
Koji Morosawa est le responsable du bureau de marketing international de Tose. Quotidiennement, son travaille consiste à faire connaître la compagnie auprès de potentiel clients internationaux. Il ajoute que c'est un défi vu le modus operandi de la société.
« C'est très difficile de se faire connaître puisque les gens veulent toujours savoir ce que nous avons fait, quelles sont nos expériences passées. Et vous [le] savez, ça complique tout » déclare Morosawa. « Ils veulent voir des titres. Des listes. Des démos. Mais nous sommes contractuellement interdits de le faire... »
« Ce que j'essaye de faire en tout cas, c'est de les inviter au Japon, dans nos locaux. Nous avons une bibliothèque de jeux non complète mais comprenant une bonne partie des titres sur lesquels nous avons travaillé. Je ne sais pas si je peux en dire plus. Et bien nous faisons ça : nous les invitons à notre bureau de Kyoto, dans notre réserve. On fait style de regarder ailleurs et les laissons regarder ce qu'il s'y trouve. Ils ne peuvent pas prendre la moindre photo. Nous ne pouvons pas en parler. Mais ils voient à peu près ce sur quoi nous avons travaillé. Ca leur donne une idée de notre histoire et de sa profondeur. »
Quelques images de Kyoto, pour le plaisir des yeux
« Les sociétés de Kyoto sont connues pour leur travail et rôle de soutien »
Morosawa, comme Yanagihara d'Hyde, voit aussi certains des mêmes bons côtés au travail anonyme, mais à plus grande échelle. Il dit qu'avec la réputation et la taille de Tose, la société peut travailler avec de nombreuses sociétés concurrentes à tout moment, ce qui lui donne une connaissance privilégiée de la direction que prend l'industrie. Tose peut ensuite utiliser ce savoir pour façonner ses plans d'entreprise et de production.
Bien qu'il reconnaisse qu'une certaine facette de la culture japonaise favorise le travail anonyme, il souligne l'emplacement des locaux principaux de Tose à Kyoto comme un facteur plus déterminant.
« C'est sans aucun doute la culture de Kyoto. Les sociétés de Kyoto, pas uniquement celles du JV, sont connus pour leur travail et rôle de soutien. »
Les intermédiaires
Dans certains cas, les développeurs acceptent du travail anonyme uniquement parce que c'est le seul qu'ils peuvent obtenir.
Un développeur en Iran, qui a accepté de s'entretenir avec Polygon à la condition que nous ne révélions pas son nom ou celui de son entreprise afin que son équipe ne soit privée de futurs contrats, travaille actuellement sur un jeu mobile pour une marque grand public populaire sous un accord de confidentialité. Il déclare que son équipe accepte le boulot parce qu'elle n'a pas d'autres choix.
Avec un petit marché iranien, et vu que son équipe n'est pas en mesure de vendre ses jeux à l'international, développer des titres originaux est risqué. Son équipe accepte des travaux anonymes parce que ça lui permet d'obtenir de l'argent d'avance et ainsi pouvoir utiliser une partie de ces fonds pour financer une partie de ses jeux originaux.
Son équipe travaille souvent avec un intermédiaire qui se fait passer pour un studio de développement auprès de clients potentiels. Ce dernier leur sous-traite ensuite le travail au fur et à mesure des contrats décrochés, sans indiquer à ses clients que les jeux sont réalisés en externe.
« Ce n'est pas question d'être en accord avec cette pratique mais plutôt de se faire de l'argent » poursuit il. « C'est évident que ça me pose problème, étant donné que c'est mon produit, qu'il va être acclamé dans des cérémonies de remises de prix et que notre studio ne va pas être mentionné. Et tous nos efforts ne l'auront été que pour des raisons financières. »
Il ajoute que les deux tiers des jeux du studio sont anonymes, et qu'il ne voit pas le moindre avantage à ces travaux si ce n'est le paiement en avance et le peu de risques.
« En fin de compte, en tant que studio, nous essayons de réduire le nombre de projets commandités autant que possible afin de se concentrer sur les nôtres. Mais en ce moment, vu que nous avons besoin de l'argent, nous les acceptons. »
A Buenos Aires, une société appelée ZenStation Studio joue à l'intermédiaire bien particulier, en reliant les développeurs latino-américains avec les clients occidentaux.
Co-fondateur et directeur commercial, Mauricio Morea dirigeait précédemment l'un des plus gros studios de développement en Argentine, Games & Web. Après l'avoir revendu il décida qu'il ne voulait plus gérer au même niveau de supervision. Il lança donc ZenStation, en partenariat avec un associé aux E.U. ayant des contacts dans diverses agences de divertissement. Ensemble, ils signent régulièrement avec des clients américains recherchant du travail à bas prix sur de petits jeux mobile et internet franchisés, pour des marques comme Ben 10 et Scooby-Doo.
Morea déclare qu'en termes pratiques, c'est logique de décrire ZenStation comme un agent ou un courtier, mais qu'il voit ça comme un studio de développement puisqu'il travaille de manière rapprochée avec les studios qu'il emploie, à l'instar de sa façon de travailler chez Games & Web. Il ajoute qu'il établit des accords anonymes avec ces studios parce qu'il ne veut pas embrouiller les clients avec la présence de multiples noms.
« Le client pourrait dire : ''Eh mais attendez. Qui travaille avec moi ?'' … C'est plus compliqué pour le client et c'est moins sérieux. Ils sont déroutés si ils vous voient puis [apprennent] qu'une autre équipe a réalisé le jeu : ils voient le jeu dans un magasine qui ne mentionne pas ZenStation et [ils disent] ''Et mec, tu m'avais dit que t'étais le patron et je parle avec toi, et pourtant d'autres gars récoltent la reconnaissance''. C'est bizarre. »
La plupart du temps, Morea indique que ses clients ne se soucient pas des véritables développeurs du jeu et sont simplement plus intéressés par une liste de ses précédents travaux.
« Si quelqu'un vient et me dit ''Hey c'est quoi ta stratégie ? Comment tu gères les contrats ? Qui contactes tu ? Avec qui travailles tu ?'', [je réponds] ''Et mec, attends une minute. Je fais ça depuis 10 ans. Je vais pas te donner la recette.'' » poursuit il en riant. « Parce que c'est cool de partager et tout ça, mais les barrières à l'entrée ne sont pas très hautes. Ce n'est pas non plus comme si c'était un gros mystère de faire des affaires. C'est en gros aller taper aux portes et dire ''Hé, on fait ça...'' ».
« Je ne cache pas l'information mais je ne la donne pas tout le temps... »
« Si [un client] se fait vraiment du souci quant à l'identité de l'équipe, je deviens suspicieux. Parce que vous me faites confiance [étant donné] que vous travaillez avec moi. Je suis l'interlocuteur. Je signe les contrats. Pourquoi donc voudriez vous [savoir qui est l'équipe] ? Vous voulez des références ? Vous voulez des CV ? Pas de souci. Voilà un dossier des expériences passées. Voilà leur références. Voilà tout. Mais si [vous] souhaitez leur numéro de téléphone, c'est plutôt bizarre. »
Morea admet qu'une partie de la raison de cette discrétion est qu'il ne veut pas que ZenStation soit mis hors jeu si un client choisit de travailler en direct avec un développeur.
« Ca pourrait arriver, c'est sûr. C'est évident que ça coûte moins cher. Si ils travaillent directement avec une équipe, notre marge disparaît. Mais je ne veux même pas y penser. »
Morea poursuit en déclarant que ZenStation offre aussi à ses clients occidentaux des avantages que les équipes de développement individuelles d'Amérique du Sud ne sont pas capable de fournir : avoir du personnel sur le même fuseau horaire, des anglophones dont c'est la langue maternelle, des devises correspondants au pays du donneur d'ordres, des contrats standardisés, des avocats locaux, une communication cohérente. Ces éléments inspirent la confiance aux clients, facilitent leur travail et sont des raisons [valables] pour garder l'intermédiaire déclare t'il.
Selon Morea, ZenStation est aussi souple avec certaines de ces pratiques, et dès qu'il connaît bien un client, il lui mentionnera parfois les développeurs impliqués. Il déclare aussi qu'en de nombreux cas, le client ne veut pas que les jeux fassent apparaître le nom de ZenStation non plus.
Surveiller le travail
En 2015, des studios de jeux se font et se défont sur leur réputation publique.
Les équipes embauchent des personnes pour gérer leur image. Des accords peuvent dépendre de la popularité d'un développeur. Et les références sont l'un des outils marketing les plus courants pour une campagne de relation publique ou de financement participatif.
Cette approche n'est pas partagée par tous les développeurs, et pour de nombreux présents dans cet article, ce type de marketing est une préoccupation secondaire. Mais pour certains dans l'industrie, le travail anonyme est une sorte de trou noir aspirant la reconnaissance, ce qui rend la recherche des futurs travaux plus difficile. Et pour de nombreux joueurs, le nom d'un développeur peut être une sorte de coup de pouce les aidant à se décider si ils apprécient un jeu ou non. Comme pour les films ou la musique, c'est parfois difficile de séparer l'artiste de l'art.
Le travail anonyme est synonyme de défis pour les studios essayant de se construire une réputation ainsi que pour les joueurs essayant de suivre les développeurs qu'ils aiment et de trouver des jeux qu'ils apprécient. Pourtant, vu l'absence de législation officielle à ce sujet, c'est un problème qui risque d'exister tant que des personnes auront quelque chose à en retirer. Comme pour de nombreuses choses, c'est souvent une question de subtiles négociations, où un individu ou une petite équipe n'ont pas toujours le pouvoir.
« C'est plutôt dur de suggérer à quelqu'un de refuser un boulot »
« C'est plutôt dur de suggérer à quelqu'un de refuser un boulot » selon
Thomas Allen, ''patron'' du pôle d'intérêt commun des
crédits de jeux de l'IGDA.
« Les employeurs devraient être encouragés à ne pas le faire, mais le gros morceau est d'arriver à les inciter là-dessus ».
Allen travaille sur le Programme de Certification des Crédits en tant que plan à long terme pour standardiser les mentions aux génériques, ce qui permettrait aux studios de gagner des badges à afficher sur les sites de recrutement si ils révèlent leurs [véritables] références et permettent des évaluations de la communauté. Il pense cependant qu'il est peu probable que les développeurs soient aussi ouverts sur le programme qu'il le souhaiterait. Et même si ils le sont, ce ne permettrait la transparence qu'avec les entreprises volontaires.
C'est un pas dans ce qu'il estime être la bonne direction. Et bien que ce soit peut-être impossible pour l'industrie d'atteindre la pleine exactitude, étant donnée la culture du secret à différents niveaux, il voit ça comme un objectif agréable à viser.
Du moins, pour les studios et clients prêts à jouer le jeu.