Avec 2,6 millions de ventes sur Playstation, et un peu moins de trois millions si on compte les versions Dreamcast et PC, Dino Crisis est un joli succès commercial. Même si la première partie du développement ne s’est pas passé comme prévu, on est loin du fiasco coûteux en argent et en énergie de Resident Evil 1.5, si bien que Capcom rentre largement dans ses frais. D’autant que le jeu de dinosaure n’a pas eu besoin d’une campagne marketing dispendieuse pour se faire connaître. Cela conforte Shinji Mikami dans son rôle d’homme fort de Capcom à l’époque, et ceci malgré les nombreuses oppositions qui le mettra en scène lui et ses supérieurs durant le développement de tous les Resident Evil de la Playstation. Ce succès lui fera conserver son aura et lui donnera du crédit même lorsqu’il guidera Capcom vers des décisions qui ont fait énormément polémique, comme ce fameux partenariat d’exclusivité avec Nintendo ou le développement plus que chaotique qu’a subi Resident Evil 4.
Cependant, les déboires qu’il fera subir à ses équipes et les tracas dont il sera la source entre Capcom et Sony et à peu près tous les autres constructeurs par la suite finiront par entacher sa réputation jusqu’alors inattaquable. Peu importe puisque de toute façon, Dino Crisis continuera de vivre sans la présence du maître, est-ce réellement une bonne chose ?
Malgré les difficultés rencontrées par Dino Crisis sous la houlette de Shu Takumi, lorsqu’il est décidé d’en faire une suite, Shinji Mikami désigne de nouveau le jeune designer pour s’en occuper. Ce qui ne manquera pas de surprendre l’intéressé. Il déclarera "Je ne sais pas si le producteur (ND Anakaris : Shinji Mikami, donc) est très gentil ou alors s’il a une mauvaise mémoire". Je vous rassure Takumi-san, Mikami savait bien ce qu’il faisait et comme il l’a fait avec Hideki Kamiya en son temps, il vous a donné une seconde chance. Kamiya, dans tout cela s’en été aller vers d’autres horizons et commencera à travailler sur ce qui deviendra Devil May Cry, mais cela est une autre histoire. Ce dernier aura une déclaration surprenante à propos de Dino Crisis d’ailleurs, signe de son invariable goût pour la différence et son souhait véritable de prendre tout le monde à contre-courant, toujours : "J’étais jaloux qu’on ne me fasse pas travailler sur Dino Crisis. J’ai toujours aimé les monstres comme Godzilla ou Ultraman, depuis que je suis enfant. J’aimais aussi beaucoup les dinosaures.". On le savait, qu’il n’était pas forcément très emballé par le fait de travailler sur Resident Evil 2 (déjà par le fait qu’il n’aimait pas le gore ou ressentir le sentiment de peur, il préférait aller au cinéma pour voir un bon gros film d’action plutôt qu’un film d’épouvante), mais de là à cracher dans la soupe qui l’a propulsée au rang de star de la sorte…
Voyant Kamiya prendre les commandes du prochain Resident Evil qu’il veut cette fois-ci à tout prix façonner exactement comme il le veut (donc sans faire aucune concession sur l’action en dépit de l’aspect survie et horreur), Shu Takumi se dit qu’il peut en faire de même avec Dino Crisis et adapter la recette à ses désirs. Le Resident Evil sauce action de Kamiya s’éloignera tellement des bases de la saga qu’il en deviendra Devil May Cry, et les autres équipes sont concentrées sur Resident Evil 3 et Resident Evil : Code Veronica, Takumi sent qu’il a donc la voie libre pour s’exprimer plus ouvertement. Même les hautes instances de Capcom restent relativement floues sur ce qui est attendu de cette suite de Dino Crisis, Takumi allant même jusqu’à témoigner que pendant les mois de développement de Dino Crisis 2, le terme "horreur" n’a presque jamais été employé. De plus, Takumi est conscient que le modèle classique de Resident Evil arrive à saturation puisqu’en parallèle de tout cela se développe un énième projet annexe là aussi basé sur le socle de gameplay de la saga aux zombies : Onimusha. C’est une raison supplémentaire pour Takumi de s’éloigner autant qu’il le désire du Resident Evil-like classique. Il se souvient que Resident Evil 3, qui était de base un spin-off quasiment sans intérêt nommé en interne Resident Evil 1.9 devait mettre en scène un mercenaire du nom de Hunk avec un gameplay beaucoup plus orienté action et un rythme renforcé à grand coup de turbo. Une sorte de run’n gun dans l’univers Resident Evil, en quelque sorte. Le concept changera jusqu’à devenir ce que l’on connaît aujourd’hui du Resident Evil 3 final mais cette idée de run’n gun sera également conservée pour faire le mini-jeu Mercenaries du même RE3.
Takumi s’empare de cette idée pour construire son Dino Crisis 2 là-dessus. Le game designer met toutes les chances de son côté et décide de presque tout revoir. Il fait fi de la 3D intégrale de Dino Crisis et décide de revenir aux fondamentaux avec une 3D précalculée comme pour les Resident Evil. Les programmeurs de Capcom maîtrisent sur le bout des doigts ce procédé, ce qui facilitera grandement le développement du jeu. Cela à plusieurs avantages, les ressources hardware pour afficher les dinosaures en 3D sont donc concentrées sur moins d’élément à l’écran, ce qui donne des dino encore plus détaillés et plus finement modélisés que dans le premier Dino Crisis. De plus, l’extension scénaristique de la série et l’utilisation de la 2D permet de varier les décors, surtout en termes de couleur : le gris omniprésent de Dino Crisis se fait engloutir par une vague de vert pour les jungles, accompagnée de teintes bleutées et ocres.
La 2D prenant moins de place sur le disque que la full 3D, il est également possible à l’équipe de développement d’inclure un plus vaste bestiaire, chose qui fut visée par la critique et à juste titre pour Dino Crisis. S’ajoute alors au carnaval préhistorique ultra menaçant des Allosaurus, des Inostrancevia, ou des gigantesques Plésiosaures qui donneront une séquence absolument mémorable de DC2 ; sans oublier un monstre encore pire que le T-rex, car oui c’est possible, à savoir le Giganotosaurus, qui porte bien son nom… Takumi, qui n’y connaissait rien en dinosaure au début du développement de Dino Crisis a bien apprit sa leçon et savait que rafraîchir le bestiaire d’un jeu d’action tel que celui-ci serait une très bonne méthode pour susciter l’intérêt du joueur. Cependant, il ne suffit pas de vouloir se différencier d’un jeu du passé pour être légitime, il faut que les innovations, surtout si elles sont aussi drastiques que pour DC2 justifient d’une démarche claire et cela, les producteurs l’ont bien compris. Ainsi, ils ne désirent pas faire de Dino Crisis 2 un jeu d’action où il suffit simplement de tuer le plus de cible. Hiroyuki Kobayashi, autre homme fort parmi les équipes de Capcom de l’époque nous explique : "Ce n’est pas très intéressant de simplement tuer des dinosaures. Alors on s’est demandé comment rendre cela plus amusant, en le transformant en un des objectifs du jeu. C’est à partir de là que nous ai venu l’idée d’intégrer ce système à points.". Justifier l’orientation du jeu par son gameplay et son concept, à moins que ce ne soit l’inverse ? Peu importe, à partir de cette réflexion, l’équipe met tout en œuvre pour rendre leur jeu cohérent entre son objectif et les possibilités qu’on donne aux joueurs d’atteindre son but. Ben oué, parce que le game deisgn et le gameplay, c’est pas un truc à bidouiller au hasard, mon bon monsieur !
En parlant de se justifier, qu’est-ce qui justifie qu’on aille retâter de la canine de vélociraptor ? Vous vous doutez bien que la capture du savant fou Edward Kirk dans Dino Crisis n’aura pas suffi à stopper l’infernale machine qui était en route ? En effet, les expériences et recherches de Kirk se sont vu réapproprier par un organisme gouvernemental. La Tri-Énergie est une si belle aubaine en matière d’énergie et surtout une manne financière si énorme que la déontologie scientifique n’existe plus. Les tests sont repris, cette fois le gouvernement y met les moyens et fait construire des structures dans le Midwest américain pour y accueillir chercheurs et forces de sécurité (oué, dans la même région où se situe Raccoon City, décidément ils n’ont pas de chance ces gens-là…). Cependant, une nouvelle catastrophe survient, la technologie de la Tri-Énergie étant instable et incomprise de l’Homme. Une nouvelle faille spatio-temporelle, bien plus grande que celle qui a frappé l’île Ibis fait disparaître de nombreux complexes aux alentours, et même une petite ville des environs ! En lieux et place se trouve désormais une jungle dense et inhospitalière. Un groupe de secours est mis sur pied et un portail parvient à être ouvert, menant directement dans l’espace-temps où près de 1300 personnes ont disparues : le Crétacé ! Regina, étant donné son expérience traumatisante sur Ibis est de la partie, elle prodiguera son expertise à Dylan Morton et David Folk, membre des forces d’élites armées du Tactical Reconnoitering and Acquisition Team. Sur place, le groupe armé commence à installer un campement et à organiser l’exploration des environs pour retrouver les rescapés quand une horde de vélociraptor attaquent… suivi par un tyrannosaure face auquel Regina et Dylan sont obligés de fuir. Désormais perdus au beau milieu d’un enfer forestier, 65 millions d’années dans le passé, Regina et Dylan vont devoir se serrer les coudes pour trouver le moyen de revenir sain et sauf à leur époque…
Un véritable scénario de film de science-fiction de seconde zone, en somme. En quelque sorte, Dino Crisis 2 s’inspire également de Jurassic Park au-delà du fait qu’il y a des dinosaures, et plus exactement du second volet : Le Monde perdu. En effet, dans ce film comme dans Dino Crisis 2, on assiste de façon plus concrète à la perte de contrôle des Hommes face à la nature et surtout face à un prédateur bien plus sauvage et dangereux qu’eux. Le scénario se complexifiera et prendra des détours surprenants lorsque les joueurs découvriront qu’un plan nommé ‘’Arche de Noé’’ fut élaboré loin dans le futur afin de sauver d’une nouvelle extinction les dinosaures… Tandis que le scénario du troisième et dernier Dino Crisis en date, sur Xbox, fera complètement fi de toute l’intrigue et déploiera son histoire dans une toute nouvelle direction…
Dans Dino Crisis premier du nom, nous contrôlions uniquement la belle rouquine. Dans la suite, c’est une alternative entre elle et le blondinet Dylan qui nous est proposé, rappelant un peu le parcours parallèle entre Jill et Carlos dans Resident Evil 3. Quand l‘un se verra dans une impasse, l’autre viendra à son secours par un chemin dérobé, et vice-versa. Tous deux disposant d’armes et d’outils qui leur sont propres, l’appréhension des combats et de l’exploration n’en sera que plus différentes. Dylan par exemple dispose d’une machette ce qui lui permettra de déchiqueter les lierres et plantes grimpantes obstruant l’ouverture de certaines portes ; tandis que Regina, elle, possède une sorte de matraque électrique utile pour faire sauter les plombs d’un terminal de sécurité afin de déverrouiller – d’une autre façon – les portes. Dylan débute l’aventure avec un fusil à pompe (qui fait beaucoup plus de bruit que celui du premier, enfin ! ) et Regina s’équipe d’un fusil d’assaut secondé par un lance-grenade (ça change de son pistolet à bille du premier jeu). Et si chacun découvrira donc son parcours personnalisé, ils finiront invariablement par se rejoindre à des points communs de l’aventure.
Comme vous avez pu le comprendre en lisant ce qui est dit plus haut, Dino Crisis 2 opte pour de l’action pur jus, en témoigne l’arsenal conséquent déjà présent dans les mains de nos héros dès le lancement du jeu. La première confrontation jouable lorsqu’on incarne Dylan nous met face à pas moins de trois vélociraptors, chose impossible dans Dino Crisis premier du nom. Dès le commencement, le soft nous fait comprendre que plus rien ne sera pareil. Un rapide coup d’œil dans notre inventaire nous montre qu’on dispose de pas moins de … 100 cartouches de pompe ! On vise, on tire, le bestiaux est abattu sur le champ et la mention "200 points" apparaît au sommet de l’écran. Puis un combo sous forme de multiplicateur, comme dans les jeux de baston ou certains shoot them up lui prend sa place à mesure qu’on explose du dinosaure en rythme. On peut même obtenir des bonus en opérant un contre impressionnant (en explosant un vélociraptor à coup de lance-grenade au moment où il s’apprête à bondir sur nous par exemple). Le sentiment de peur qui nous pétrifiait dans Dino Crisis et cette sensation d’impuissance qui nous écrasait pendant la majorité du jeu devient ici tout autre. C’est une furie destructrice qui s’empare peu à peu du joueur, le soft offrant une fluidité et une facilité de mouvement accrue afin d’accomplir en toute impunité un véritable génocide saurien.
L’arsenal n’en finira pas de gonfler au fur et à mesure du jeu, les points accumulés en butant les dino servant de monnaie d’échange entre chaque section pour obtenir munitions, soins, upgrades d’armes (puissance de feu accrue, option de tir, chargeur plus volumineux…). On devient vite la cinquième extinction de masse à nous seul, la fameuse météorite dont on a appris l’existence à l’école en ayant étudié la préhistoire n’y est pour rien ! Pour répondre aux exigences d’un tel gameplay, le maniement de nos personnages gagne infiniment en souplesse. Un réel travail fut fourni pour ne plus avoir la sensation de guider un char d’assaut au beau milieu de la jungle. La volonté de Mikami de faire des personnages des lourdauds pour intensifier la sensation de malaise et d’impuissance du joueur face au danger n’est plus d’actualité. Dino Crisis 2 donne un gigantesque coup de griffe et déchiquette le joli tableau modèle établi par Resident Evil. Kobayashi dira que "la difficulté principale était de développer un jeu qui soit différent à la fois de Resident Evil et de Dino Crisis".
Pour autant, Dino Crisis 2 ne renie pas complètement son aîné, au contraire. Le chambardement quasi-total de la recette et le changement de méthodologie permettent à Dino Crisis 2 de réaliser certaines choses qui ont toujours été impossibles à Dino Crisis. Le fait de placer l’action dans des environnements extérieurs plus ouverts, notamment des environnements de jungle luxuriante, permette à une idée de Mikami de pouvoir enfin être intégrée. En effet, si vous vous souvenez bien, dans le premier article nous parlions du souhait de Mikami de mettre l’accent sur la traque. Il voulait que les vélociraptors puissent tourmenter le joueur, le prendre à revers et le piéger. C’est ce qui fut réalisé dans Dino Crisis mais en contraignant énormément les ambitions aux réalités des limites techniques de la Playstation. Dino Crisis 2 utilisant une 3D précalculée, beaucoup de ressources hardware purent être mis à contribution pour donner naissance véritablement à cette vieille idée. En résulte des dinosaures vifs, hargneux et qui vous pourchasse réellement d’un écran à l’autre. En sus, ils peuvent débarquer de plusieurs directions différentes, bondissant par-delà les grillages, les arbustes où les murets à droite, à gauche ou au-dessus de vous ! Traverser plusieurs fois un même écran ne vous donnera pas systématiquement droit à la même séquence d’apparition des ennemis ce qui donne un nouveau souffle à la mise en scène complètement sur vitaminée !
La dynamique des mouvements et l’explosivité des joutes armées respirent le sauvage. Si dans Dino Crisis, nous étions cloîtrés dans un sentiment de peur, dans Dino Crisis 2, nous explosons notre coquille pour déchaîner notre "moi" bestial intérieur. Le massacre de dinosaure devient une nécessité pour engranger les points et s’offrir du matos et des soins. Alors qu’avant, la fuite était une nécessité pour sauver sa peau, le propos est complètement bouleversé et la hiérarchie de la chaîne alimentaire est retravaillée par l’être Humain. Pour coller aux ambitions de gameplay des développeurs, les graphismes et la mise en scène doivent aller de pair. Ainsi, comme il est dit plus haut, on revient à la recette de la 2D traditionnelle pour des décors plus détaillés, plus chaleureux et surtout plus variés que dans le Dino Crisis d’origine. Aux bâtiments militaro-scientifiques s’ajoutent les jungles, les divers établissements industriels et le sempiternel laboratoire futuriste avec lumières blafardes et murs d’acier étincelants de coutume. Le jeu de couleur explose, le bleu se marie au vert, l’ocre et le gris s’entremêlent, rien n’est plus aussi monochrome que sur l’île d’Ibis. Mais plus important encore, c’est la mise en scène des cinématiques qui place le jeu trois crans au-dessus du premier en termes de cinématographie. Mikami aurait été fier, lui qui voulait sans cesse avec les Resident Evil rendre hommage à ses sources d’inspiration majeures : les films d’horreur.
Dans les scènes cinématiques en effet, les personnages sont souples, bondissent, brandissent leurs armes et court, ils ne sont plus ces espèces de pantins lourds de deux tonnes incapables de se défendre tellement ils ont la trouille devant un lézard géant. Roulade en avant, pas chassés de côté, la caméra pivote vers la gueule grande ouverte du tyrannosaure à nos trousses, et bam, on esquive des projectiles explosifs envoyés par deux mystérieux individus casqués avant de se réfugier dans un bâtiment. C’est fluide, dynamique, le sens de l’action a été revu de fond en comble. Dino Crisis imposait une lenteur exacerbée pour maintenir le suspense et la frayeur, Dino Crisis 2 libère les ardeurs du joueur à intervalle régulier et électrise son envie d’aller réduire en charpie du dino. S’ensuit des séquences désormais culte comme la course-poursuite à bord d’une jeep avec une tribu de Xpotes… pardon de tricératops en furie à nos fesses. Ou ce passage sous-marin, avec joli effet de distorsion de l’image pour simuler l’effet de l’eau devant nos yeux ; face à de terrifiants monstres aquatiques en prime. Comment oublier, en outre, ce fugace moment - qui s’insère dans l’aventure aussi naturellement qu’une microtransaction dans un jeu EA - lorsqu’on déambule dans la jungle, sur un tronc d’arbre mort en travers d’un précipice et qu’on voit passer en dessous de nous le T-rex à l’affût de sa prochaine proie. L’ambiance qui en résulte de ces astuces de mise en scène est superbement prenante, à condition de se faire au rythme boosté aux stéroïdes.
Dino Crisis 2 n’est pas moins bon ou meilleur que le premier, il propose simplement une vision bien différente de son aîné. Une démarche assumée qui a été si bien prise au sérieux que le soft est parvenu à proposer un gameplay cohérent avec son propos. Le jeu donne la possibilité au joueur de répondre aux exigences d’un nouveau genre d’action et pioche dans les acquis de ses aînés pour se construire sa propre identité. L’ensemble est étonnamment solide, plaisant à jouer. Il suffit de faire l’effort de se dire que Dino Crisis 2 raconte quelque chose d’autre, qu’il n’a pas les mêmes intentions et ne déploie pas les mêmes moyens que son prédécesseur mais qu’au final son but est le même : plonger le joueur dans un univers, une ambiance et le distraire.
Tout cela, ce n’est qu’une question d’affinité, de ressenti. Plus concrètement et plus objectivement, on pourra toujours lui reprocher une certaine imprécision dans le maniement pourtant bien plus fluide et simplifié du personnage. Se positionner et viser juste n’est pas toujours aisé dans la précipitation, surtout quand trois vélociraptors viennent de bondir juste devant vous. Sa durée de vie répond à l’exigence du rythme soutenu de l’action du jeu. Autrement dit, elle se fait aussi courte que le jeu est rapide. Cela dit, c’est un jeu parfait pour les speed runner car il y a des dizaines de façons différentes de grappiller des secondes et de vaincre les hordes de dinosaures plus efficacement par rapport à la partie précédente.
Quant à Shu Takumi qui aura su se servir de son expérience passée et s’émanciper, le résultat convainquant de Dino Crisis 2 lui servira. L’histoire vous a déjà été raconté par moi-même dans le test de Gyakuten Saiban (Ace Attorney) mais sachez qu’à la suite du développement de DC2, il pourra mettre à profit sa belle notoriété naissante et la confiance qu’il aura su s’attirer auprès des dirigeants de Capcom. Ainsi, il fera partie d’un programme au sein de Capcom au début des années 2000 qui consistait à donner quelques mois à plusieurs créateurs en herbe afin d’innover, d’expérimenter et de proposer des idées de jeu aussi personnelles qu’inédites. De là naîtra le projet Ace Attorney, genre de jeu auquel Capcom n’était pas habitué et qui deviendra une des sagas phares de l’éditeur à l’avenir. Son parcours est étonnant. Dire que durant le développement du premier Dino Crisis, l’homme ne se sentait pas à sa place et fut même rattrapé de justesse par son supérieur qui a dut refaçonner le produit tout entier pour éviter la noyade.
Le 21 janvier 1998 sort aux États-Unis Resident Evil 2, probablement le développement le plus douloureux et chaotique jamais assuré par Capcom. Au prix d’une conception qui se sera fait en deux temps avec un jeune Hideki Kamiya, inexpérimenté, qui aura frôlé la catastrophe en sus de s’être fermement opposé à son supérieur Shinji Mikami, Resident Evil 2 deviendra un hit historique. Il porte à lui seul la saga toute entière vers des horizons bien plus vastes que ne l’aurait fait seul le premier Resident Evil, Hideki Kamiya devient un des nouveaux espoirs du game design japonais tandis que Mikami a déjà son nom gravé au panthéon. L’histoire est en marche et les zombies sont inarrêtables. Les péripéties du développement de Resident Evil 2 auront monopolisés bien des ressources au sein de Capcom et causés bien des troubles en périphérie de la seule équipe en charge du second opus Resident Evil. En effet car dans l’ombre des morts-vivants se terraient une horde de dinosaures, sauvages et affamés, mais qui ont bien failli ne jamais sortir de leur état de fossile…
En effet, Dino Crisis était à l’état de projet à peine quelques mois après le début de l’aventure Resident Evil 2, quelque part entre juin et septembre 1996. Shinji Mikami, qui a refilé les clés de Resident Evil 2 à Hideki Kamiya donc, est à la tête du projet "panic horror" comme aime le designer son créateur. Il explique en effet aux journalistes d’époque que "les zombies de Resident Evil font grimper la peur lentement. Mais les dinosaures de Dino Crisis sont des ennemis plus rapides et surtout plus intelligents. Ils peuvent vous suivre d’une pièce à l’autre, franchir une porte ne signifie pas que le danger a disparu. Il est question ici de peur constante.". On sent dans le discours de Mikami qu’il fut grandement influencé par un film dont on devine absolument tous le titre très facilement : Jurassic Park bien évidemment ; et en particuliers la scène vers la fin du long-métrage où un vélociraptor parvient, à la grande surprise du spectateur à ouvrir la porte des cuisines où les deux enfants, Tim et Lex se cachent.
L’histoire ne dit pas réellement si c’est Capcom qui a soufflé l’idée d’exploiter le filon dinosaure à la suite de l’immense succès du film à son nouveau game designer star, ou si c’est Mikami lui-même qui a pris l’initiative. Cependant, nous savons que le Dino Crisis originel ne ressemblait pas du tout à ce que nous avons eu. En effet, l’idée de départ était assez aux antipodes de l’ambiance militaro-scientifique du jeu. Un mage probablement malintentionné qui invoque par rituel occulte des créatures d’un autre temps, des tyrannosaures et des ptéranodons qui envahissent les villes, une histoire de prophétie et un chasseur qui vient faire le ménage… oué, de loin on aurait pu croire à un scénario alternatif de Turok, sorti dans les mêmes environs sur Nintendo 64. Mais Mikami probablement autant que Capcom sent que le concept est assez bancal et ne tient pas la route. L’ébauche est rapidement mise à la poubelle et Mikami revient aux fondamentaux, quitte à s’inspirer, comme pour Resident Evil, avec plus ou moins de finesse de ses sources culturelles favorites : les films d’horreur et de science-fiction. Ainsi, on obtient le triptyque classique du scientifique aliéné, du complexe futuriste et de l’équipe de gros bras paramilitaire désignée pour subir tout ce bordel. Remplacez le complexe par un manoir, les gros bras par des flics d’élite, et vous voyez où cela nous mène.
Cela étant, il serait incroyablement faux et idiot de résumer Dino Crisis à une simple copie de Resident Evil avec des reptiles géants. En tout cas, Shinji Mikami n’avait aucunement cette idée en tête, pour lui, la comparaison n’était d’ailleurs pas sa priorité et il voyait le projet comme quelque chose de bien différent. Ses ambitions étaient renouvelées et d’autant plus démesurées qu’il ressentait le besoin, après le développement déjà éreintant de Resident Evil premier du nom, d’air frais et de changement. Shinji Mikami proclame un certain Shu Takumi comme directeur de son nouveau projet tandis que lui supervisera le tout. L’équipe déborde d’idée folle, peut-être un peu trop, et quand bien même l’ambition y est volcanique au sein de cette formation réduite, Dino Crisis reste dans l’ombre de Resident Evil 2. Tout d’abord et pour différencier les deux projets au maximum, la représentation graphique est chamboulée. De la belle 2D précalculée de Resident Evil 2 le jeu de dinosaure se sépare, et d’une 3D complète dès lors il se pare. Moins belle peut-être, mais plus impressionnante pour l’époque, la full 3D est un véritable pari pour l’avenir. Des expérimentations sur un moteur 3D de Dino Crisis entre 1997 et 1999 naîtra Resident Evil Veronica sur Dreamcast en 2000.
Pour construire convenablement son projet, Mikami étudie soigneusement chacun des composants de son nouveau jeu. Cependant, là où il pouvait bénéficier de documentation pour donner un sens à ses zombies, il ne le peut pas réellement pour les dinosaures, sujets encore assez énigmatiques même aujourd’hui. Comment simuler le comportement d’êtres ayant existé il y a plus de 65 millions d’années de cela ? L’imagination des développeurs fait en grande partie le travail, les animations des dinosaures sont basées sur des analyses empiriques et sur la gestuelle de certains animaux contemporains comme les reptiles, les gallinacées ou les fauves. Le principe de la full 3D pousse déjà la Playstation dans ses derniers retranchements mais il n’entend pas s’arrêter là. Il explique à Edge "je voulais donner à chaque dinosaure une intelligence artificielle unique afin de les rendre suffisamment intelligent pour s’adapter au style de jeu du joueur". Il détaille : "par exemple lorsqu’ils le prennent en chasse, je voulais qu’ils soient assez malins pour emprunter un chemin différent et lui tendre une embuscade !". Ce fabuleux projet se verra avorté par les limites évidentes du hardware de Sony mais aussi pour des considérations d’ordre conceptuelles. En effet, pour répondre aux attentes élevées de Mikami, il convient de mettre les petits plats dans les grands. Tout d’abord, la traque qui était le maître-mot du danger que représentait les dinosaures impliquait que plusieurs ennemis à la fois soient visibles à l’écran. Si tout cela est modélisé en 3D, jamais la Playstation n’aurait pu afficher plus de deux ou trois reptiles géants de façon détaillée et animé avec fluidité sans d’énormes concessions graphiques. Aussi, la traque implique une liberté de mouvement étendue. Les dinosaures sont censés avoir la possibilité de contourner les éléments du décor ou de prendre le joueur à revers, ce qui sous-entend que les environnements doivent être vastes, grands et à l’architecture complexe. Là encore, le hardware Playstation ne pouvait que partiellement permettre cela. Enfin, le sentiment de peur et de claustrophobie aurait probablement été impacté si la caméra, comme à son habitude, n’avait pas été si proche du personnage et si les décors n’avaient pas été si étriqués et cloisonnés que dans le jeu final.
D’autres éléments passent à la trappe comme un segment entier du jeu se déroulant dans une jungle toute de polygone faite. Mais pour créer le sentiment de claustrophobie, d’autres astuces sont utilisées, elles bien moins gourmandes en ressources hardware. Ainsi, il est décidé de faire du lieu de l’action principale une île isolée. L’océan, dangereux par nature, n’offre aucune possibilité de fuite. Les premiers instants du jeu nous rappellent que nous venons de mettre le pied en enfer car si vous tendez l’oreille sur les quelques écrans à l’extérieur du complexe scientifique, vous entendrez le bruit des vagues au loin… Nul doute, vous êtes désormais cerné en pleine nuit au beau milieu de nulle part. Une façon comme une autre de reproduire ce sentiment d’être prisonnier de Resident Evil qui encerclait son manoir d’une forêt ténébreuse peuplée de monstres carnivores et de laquelle on ne pouvait s’échapper vivant. Le jeu use régulièrement de ce genre d’artifice pour tarabuster la paranoïa du joueur et lui faire imaginer toutes les horreurs possibles hors de son champ de vision. Ainsi, dans certains couloirs du complexe scientifique avec des vitres donnant sur l’extérieur, il est parfois possible d’entendre des grognements de dinosaures. Sont-ils situés dehors, ou au contraire proviennent-ils d’une salle annexe toute proche ? On ne saurait le dire, on entend, mais on ne voit rien. En cela, l’ambiance glaçante et la profonde sensation d’isolation se fait extrêmement puissante.
Shinji Mikami maîtrise avec une rare éloquence l’art de mettre en scène et sait parfaitement bien mettre l’ambiance dans ses jeux.
À peine le concept finalisé et quelques lignes de code écrites que le développement de Dino Crisis est stoppé. L’équipe de Shu Takumi est réquisitionnée courant 1997 pour sauver le soldat Resident Evil 2 avec les déboires que l’on connaît. Une fois ce dernier sorti d’affaire, le développement de Dino Crisis reprend, mais là encore, rien n’est simple. Le jeune Takumi, pour qui c’est le premier projet de grande envergure avec lui à sa tête, ne parvient pas à guider sa barque. Le bateau coule, les limites techniques de la Playstation sont trop contraignantes et Dino Crisis bat de l’aile. Shinji Mikami est contraint d’agir et reprend le leadership après avoir revu et corrigé bon nombre de chose du projet, comme pour Resident Evil 2 en son temps. Le level design notamment est remanié pour donner naissance à des environnements beaucoup plus cloisonnés et restreints afin que la Playstation ne soit pas obligée de calculer l’affichage de décors trop grands et donc trop gourmands en ressource. Malgré cela et tous les efforts des programmeurs, les dinosaures ne sont malheureusement pas aussi bien modélisés que l’aurait aimé Mikami, mais qu’importe, ça tient la route. Ce problème persistant et vraiment déterminant sur le résultat final du jeu aura de lourde conséquence sur la conception de Dino Crisis 2, dont on parlera dans l’article suivant !
Nous verrons par ailleurs que le destin du sympathique Shu Takumi n’a pas été défini par ce seul chapitre malheureux de sa vie professionnelle.
Avant de continuer, on va tordre le cou à une idée reçue qui a la peau dure : oui, il y a des dinosaures dans Dino Crisis mais non, ce n’est pas une copie carbone éhontée du film de Steven Spielberg comme le proclamait bon nombre de tests mal renseignés de l’époque. Détaillons un peu le scénario. Nous incarnons Regina, un membre d’une force armée d’élite gouvernementale qui se voit envoyée avec ses camarades Gail, Rick, et Cooper sur l’île d’Ibis. Cette dernière renferme un complexe militaro-scientifique où un autre agent dormant du nom de Tom fut envoyé plusieurs mois auparavant pour enquêter et espionner les activités d’un groupe de chercheurs. Ces chercheurs - avec à leur tête un certain Edward Kirk - auraient trouvés le moyen d’utiliser une nouvelle sorte d’énergie pure bien plus dangereuse mais aussi bien plus performante que l’électricité ou le nucléaire. Seul bémol : Kirk est censé être mort dans l’explosion de son laboratoire trois ans auparavant. Nous savons que Kirk a eu maille à partir avec le gouvernement qui n’a pas voulu à l’époque financer ses obscures recherches. À notre parachutage sur l’île, Cooper est séparé du groupe et se fait sauvagement assassiner par une bête immense dans la jungle jouxtant le complexe cible. Sur place, Gail également se fait attaquer jusqu’au moment où Regina croise un de ces êtres venu du passé, violent, énorme, sanguin et impitoyable. Une nuit d’horreur commence alors…
Par la suite, nous apprendrons que le docteur Kirk est bel et bien vivant et que la Tri-Énergie, puisque c’est comme cela qu’on appelle cette fameuse nouvelle source d’énergie ultra puissante, est capable d’ouvrir des failles dans l’espace-temps. C’est ce qui s’est produit à la suite des expériences ratées du groupe de chercheur sur Ibis qui ont conduit des créatures issues du Crétacé à envahir notre monde.
Narrativement, Dino Crisis reprend les fondations de Resident Evil. Un grand environnement labyrinthique n’attend que d’être exploré, chaque coursive ou chaque salle détenant bien souvent clé, ordinateur et autre élément primordial pour la résolution d’une énigme. La première partie du jeu propose tout d’abord de faire en sorte de réalimenter le complexe en électricité, sans cela, les systèmes de sécurité ne peuvent être débloqués par l’informaticien du groupe : Rick. Une fois les voies presque intégralement libérées, la véritable mission qui consiste à se mettre à la recherche de Kirk peut débuter. Là où Resident Evil nous proposait deux chemins différents avec deux personnages jouables, Dino Crisis ne montre le destin que d’une seule héroïne mais dont l’aventure pourra se scinder en deux. En effet, lorsque le groupe recevra un message de détresse provenant de quelque part dans le complexe, Regina devra prendre une décision : donner la priorité à la mission et poursuivre Kirk ou bien aller au secours de son ancien coéquipier Tom, blessé et caché dans les entrailles du bâtiment. Quatre fins différentes seront consultables selon les choix que vous ferez tout au long de l’aventure.
Les thèmes scénaristiques de Dino Crisis n’ont probablement pas le même impact que ceux de Resident Evil ni de ceux de Jurassic Park pour plusieurs raisons. Comme longuement expliquer dans l’article sur Resident Evil que vous pouvez retrouver en cliquant ici, la vague de zombies est d’autant plus effrayante qu’elle s’intègre dans notre histoire contemporaine avec les tristement célèbres attaques bioterroristes qui ont secouées le monde durant ces années-là. En revanche, aucune attaque de dinosaure n’a été à déplorer depuis environ 65 millions d’années et à vrai dire, d’un point de vue purement scientifique, les êtres humains n’ont jamais côtoyé ce genre de monstre. Le seul concept de se faire rencontrer dinosaure et humain relève plus du fantasmagorique qu’autre chose. La peur est moins concrète. On se dit que "de toute façon, ça n’arrivera jamais". Jurassic Park est un film au message sous-jacent pro-vie (la fameuse réplique "la vie trouve toujours un chemin") qui tente de nous faire comprendre que peu importe ce que ferait l’être humain pour essayer de garder le contrôle, la vie et la nature parviendraient toujours à reprendre le dessus. Tandis que Dino Crisis ne s’encombre pas de ce genre de réflexion philosophique où les dinosaures sont relégués au rang de menace pure et dure. Des bêtes sans capacités de pensées, semble-t-il, face auxquelles il n’y a que deux choses à faire invariablement : attaquer ou fuir. Et c’est aussi en cela que la frayeur viscérale peut exister. Les dinosaures sont inarrêtables, on ne peut les raisonner ou converser avec eux, pas plus qu’avec un zombie dont le cerveau serait en putréfaction. Les dinosaures veulent se nourrir, c’est un besoin impérieux qui guide la vie des animaux sauvages depuis la nuit des temps. La loi du plus fort, manger où être mangé. Dino Crisis devient dès lors un véritable combat pour sa propre survie où l’être Humain est finalement confronté au plus grand danger qu’il n’a jamais eu – par chance – l’occasion de fréquenter : une famille de créatures plus méchantes, plus affamées et plus tyranniques qu’eux. Le seul et unique maillon qui leur a été supérieur au sein de la chaîne alimentaire dans toute l’Histoire de la planète.
Dans le paragraphe précédent, je disais que les dinosaures semblaient ne pas être doué de pensée, encore moins de conscience. On sait que Mikami aurait voulu les faire doués d’une sorte d’intelligence collective qui les aurait fait agir en groupe pour vous chasser, vous prendre à revers et vous acculer dans un piège. Les limitations techniques de la Playstation n’ont pas pu permettre de rendre possible ce genre d’idée très attrayante. Cependant, le gameplay qui prend comme fondation celui de Resident Evil s’articule tout de même autour des capacités très différentes du dinosaure par rapport au zombie. Le zombie est lent, mou, quasiment inoffensif s’il est seul, il est idiot en plus de cela. Le dinosaure est conduit par un instinct mille fois supérieur à celui de n’importe quel être Humain et son intelligence, mine de rien, n’a d’égal que sa cruauté. Première difficulté lorsqu’on rencontre un dinosaure dans ce jeu : ils sont diablement résistant. En mode normal, il sera nécessaire de balancer de sept à dix balles de pistolet dans les écailles d’un vélociraptor pour le voir mourir ! Les munitions étant excessivement rares, bien plus disséminés et disparates que dans Resident Evil, il convient de réfléchir à deux fois avant de défourailler sur le moindre sauropside qu’on croise. Seconde difficulté comme je le disais précédemment, ils sont malins, les bougres. Ok, on peut aisément leur barrer la route en activant des barrières de sécurité laser (qui ne leur cause aucun dommage mais qui au moins les empêche de vous atteindre, vous protégeant ainsi derrière un mur strictement infranchissable). Mais autrement, leur résistance et leur machiavélisme en font toujours des ennemis redoutables. Dans Resident Evil, il arrivait qu’un zombie chute après avoir encaissé une ou deux balles de pistolet mais ce dernier finissait par se relever et se rediriger vers vous jusqu’à temps que vous l’abattiez pour de bon. Au contraire, le vélociraptor fera semblant de s’avouer vaincu après quelques coups de feu et restera au sol jusqu’à temps que vous vous rapprochiez de lui, à portée de sa gueule dentelée ou de sa queue ! Surveillez le sol, si vous ne le voyez pas baigner dans une mare de sang, c’est que le danger est toujours présent.
Leur queue, parlons-en (et n’éloignez pas les enfants, ça ne sert à rien). La plupart du temps, vous croiserez le chemin d’un vélociraptor dans une coursive étroite du complexe, ce n’est déjà pas facile de s’en sortir avec une bestiole de trois mètres dans ces conditions. Alors en plus, s’ils ont l’amplitude d’un Dhalsim reptilien qui allonge ses bras comme eux allongent leur appendice, c’est mal barré. En effet, s’il est parfois préférable de fuir, le dino ne l’entend pas toujours de cette oreille. Prenez garde quand vous essayez de le contourner, il peut vous assenez au passage un violent coup de queue tel le fouet d’un des gars de la famille Belmont, ce qui aura pour effet de vous faire chuter et de vous paralyser pendant de très dangereuses secondes. Pire, il se peut que Regina lâche des mains son arme pendant la chute. Récupérer son flingue est capital car dans Dino Crisis, contrairement à Resident Evil, nous n’avons pas de couteau pour pallier momentanément le manque de munition. Pas de pistolet équivaut à se balader sans slip la nuit dans les pires quartiers pénitenciers de Gamekyo, avec les Negan, Diablo, Xboxsaga, Biboys et compagnie. Après faudra pas vous plaindre.
Contrairement au zombie, là encore, le dino est vivace et rapide. Il court, déjà, c’est quelque chose qu’il faut savoir. Et les environnements étant majoritairement assez étriqués, il se peut que l’animal en question soit déjà derrière vos fesses avant que vous ayez le temps de dire téraflops ! Le zombie, on pouvait le faire tourner en rond comme un abruti, suffisait de changer brusquement de direction ou de le faire tourner autour d’une table, d’un élément du décor qu’il ne pouvait pas franchir. Le dino, lui, il s’en fout des tables, il saute par-dessus et tant pis si vous n’êtes pas prêt ! Ah et aussi, le zombie, on pouvait lui éclater ce qui lui restait de cerveau, avec tout le reste, grâce à un bon coup de fusil bien placé, un one shot particulièrement pratique. Mais le dino ne se laissera pas avoir par ce genre de technique, impossible de l’abattre en un coup, sauf avec des toxicogives, des fléchettes empoisonnées extrêmement rares et qu’il convient d’utiliser qu’en cas d’urgence. Enfin et pour finir, certains zombies en était rarement capables, mais dans Dino Crisis c’est relativement plus fréquent et on sent tout de suite à quel point Shinji Mikami fut influencé par Jurassic Park : le dinosaure sait ouvrir les portes et le fera plus souvent que vous ne pouvez l’imaginer. Les salles de sauvegarde sont des havres de paix sans danger, mais autrement, il n’est pas impossible qu’un vélociraptor sache vous poursuivre pendant plusieurs écrans dans le complexe. Le concept de traque dont on parlait plus haut, même s’il fut en grande partie avorté dut aux limites techniques de la console, refait surface ici.
Shinji Mikami et son équipe n’ont pas pu donner une intelligence artificielle suffisamment satisfaisante à leurs dinosaures, mais force est de constater que c’est déjà pas mal du tout. Le danger qu’ils représentent est à mon sens bien supérieur aux zombies lambda.
Pour le reste, Dino Crisis implémente les dernières nouveautés issues de Resident Evil 2 et 3 dans sa recette et reprend les bonnes idées du premier opus pour servir tant son gameplay que son pouvoir d’immersion. Ainsi, il est possible de jouer les petits chimistes afin de concocter des objets de soin plus ou moins efficaces selon les mélanges (et surtout condenser certains éléments pour prendre moins de place dans l’inventaire, comme à son habitude très exigu). Aussi, il est permis de faire rapidement volte-face en pressant une touche afin de prendre la fuite, comme cela fut introduit dans Resident Evil 2. Globalement, Regina est dotée d’une souplesse comparable à celle de Claire et Léon dans Resident Evil 2, mais est légèrement moins facile à manier que Jill dans Resident Evil 3 qui bénéficiait d’une esquive très utile. La gestion de l’inventaire est un tantinet différent. Si dans Resident Evil il fallait souvent choisir car il était quasiment impossible de transporter plus de deux armes différentes (certaines prenant même deux emplacements dans l’inventaire), ici, on peut se balader avec l’arsenal au grand complet. En effet, l’inventaire se séparant en trois catégories : armes, munitions et soins et objets clés. La catégorie des objets de soin comporte huit slots différents dans lesquels on peut placer jusqu’à quatre objets d’un même type (des petites trousses de secours, des fléchettes anesthésiantes faibles, etc.), contrairement à Resident Evil où chaque herbe prenait invariablement une place unique dans l’inventaire. Si vous gérez bien votre capacité de transport, vous pouvez vous baladez avec une pharmacie complète sur le dos. Vous pouvez donc changer d’arme à la volée car vous avez tout à disposition sans restriction. Ainsi, la règle des coffres communicants dans lesquels on pouvait stocker notre surplus d’objet n’est plus valable. En lieux et place, nous trouvons disséminés dans le complexe des coffrets muraux qu’il faudra déverrouiller à l’aide de cheville. Leur contenu sera divers et varié et il sera possible d’entreposer quelques objets dedans, mais ils seront réellement utiles qu’en cas de coup dur et leur présence est finalement assez anecdotique.
Techniquement et graphiquement, Dino Crisis témoigne d’un vœu encore cher dans le cœur de Shinji Mikami qui est de rendre hommage à sa source d’inspiration principale, à savoir le cinéma. Ainsi, et parce que le système fonctionne toujours aussi bien, les caméras fixes varient les angles de vue à mesure qu’on déambule dans les décors pour créer de la tension et du suspens. En effet, le jeu prend un malin plaisir à ne pas nous faire voir grand-chose et nous forcer à, quoiqu’il arrive, bouger pour découvrir ce qui se cache derrière le virage d’un mur ou par-delà l’ombre d’une salle mal éclairée. Cela a été dit et répété mais c’est tout à fait vrai, la beauté pure qu’on perd avec la 2D précalculée très détaillée des Resident Evil, on la regagne d’une certaine manière avec la 3D innovante de Dino Crisis. La froideur déshumanisée du complexe scientifique qu’on visite dans le jeu est rendu avec brio par la 3D. De plus, d’audacieux travelling de caméra accompagnent désormais l’héroïne à certains endroits clés du décor, un pas de plus vers la cinématisation du jeu vidéo, vers le futur de ce média à la croisée des mondes.
Le level design tortueux, encore plus condensé que pour le manoir de Resident Evil qui en comparaison parait réellement immense, procure ce sentiment d’isolation. Pendant la première heure de jeu, on se surprend à déambuler dans environ une douzaine de pièces différentes seulement car les énigmes réclament des allers-retours incessants et concentrent l’action dans un petit périmètre. Pour autant, la mise en scène dynamique et surprenante nous évite l’ennui d’un tel cloisonnement. Ainsi, nous allons de surprise en surprise et à mesure qu’il nous arrive tout un tas de péripéties, on constate la dangerosité des dinosaures. Lorsqu’on repassait dans un couloir qu’on croyait sécurisé, quelle ne fut pas notre surprise de voir un vélociraptor passer à travers les baies vitrées pour nous agresser, procédé d’ailleurs déjà utilisé avec les dobermans de Resident Evil. Mais il y en a encore pleins d’autres de ce genre. Tel un xénomorphe dans Alien, un vélociraptor peut se déplacer (me demandez pas comment c’est possible) dans les conduits d’aération ou dans le faux plafond d’une salle afin de vous prendre par surprise. La mise en scène s’en voit dynamitée, les élans de panique et de frayeur extrêmement aiguës ne cessant d’empoigner les nerfs du joueur de façon régulière. Et cela sans compter sur l’apparition, point culminant de ce genre de scénographie au suspense insoutenable, du fameux tyrannosaure, invincible et impitoyable.
La première partie du jeu est ainsi maîtrisée de façon hallucinante. Comme dit plus haut, le level design est relativement dense au tout début et on explore une petite paire de salles très rapprochées les unes des autres. Mais les évènements étonnants et la mise en scène donne un énorme souffle à ceci avant que l’exploration ne devienne plus diluée dans l’espace. Les allers-retours se faisant un peu moins insistant à partir du moment où on parvient à rétablir l’alimentation électrique et où on commence à explorer un peu plus en profondeur le complexe à la recherche de Kirk.
La modélisation est satisfaisante également, on sent qu’on touche à ce qui se fait de mieux sur Playstation. Un soin tout particulier semble avoir été apporté aux visages des personnages, un peu comme dans Vagrant Story, où les yeux et les traits faciaux sont très bien définis. Pour autant, l’animation est parfois peu naturelle mais on s’en contente, tandis que les effets de lumière – 3D oblige – sont dynamiques. Si d’ensemble, la super grosse gifle ne nous est pas assénée par Dino Crisis qui préfère concentrer sa mise en scène sur le résultat plutôt que sur la forme (quoiqu’il arrive, nous somme stressés et effrayés par les dinosaures, peu importe qu’il y ait de grosses giclées de sang et des démembrements ultra visuels ou pas), on peut noter tout de même plusieurs séquences qui restent dans les mémoires. Ainsi, ce qu’on croit être la scène finale où l’hélicoptère se fait détruire par le T-rex et la scène de combat au beau milieu d’un incendie qui s’ensuit est remarquable de théâtralité.
Dramaturgie renforcée par une bande-son aux petits oignons, là encore outil d’une mise en scène soignée et très immersive voulue par Mikami. Si les musiques n’ont pas grand-chose de valeur d’un point de vue purement mélodique, elles sont en revanche d’une solidité incroyable lorsqu’on leur demande d’installer une ambiance morbide. Si la douce mélopée de la salle de sauvegarde ajoutait une touche de mystère lointain dans ses notes dans Resident Evil, celle de Dino Crisis préfère un halo vaporeux de froideur, une sensation de déshumanisation latente dans ce bâtiment scientifique gris et désert. Le principe de la save room est conservé, nous somme en sécurité dans son enceinte, mais un sentiment insidieux de solitude et de paranoïa lacère notre cerveau. D’autres musiques d’ambiance comme "The place is deserted through..." ou "Investigate the underground" installent un suspense psychologiquement lourd à supporter du fait de la lenteur de leur rythme.
Que peut-on reprocher à ce Dino Crisis, à ce propos ? Oh, bien des choses. Tout d’abord, la 3D c’est bien joli, et après tout ce genre de graphisme, fort heureusement, répond au besoin de la mise en scène et de l’immersion. On ne pourra pas reprocher aux environnements d’être trop gris ou trop froids, puisque c’est le propos du jeu. On ne visite pas un parc d’attraction ou un manoir au style gothique, mais bel et bien un centre scientifique. Cependant, là où la 3D pêche, c’est quand elle refile Parkinson à notre personnage. En effet, ne la faite plus bouger, faite là se tenir immobile, et vous verrez que la notion d’immobilité dans Dino Crisis est toute relative tant Regina semble prise de spasmes incontrôlés. Ça encore, ce n’est rien, mais quelques bugs d’affichage sur les objets en 3D peuvent survenir et certains éléments du décor font n’importe quoi lorsque la caméra opère un travelling dans les cutscene. Le moteur 3D est innovant pour une production de ce genre chez Capcom, mais il est d’ores et déjà poussé à son paroxysme et ça se voit.
Niveau bruitages et sons, si j’ai fait l’éloge de la musique qui contribue à une immersion totale et à une ambiance à mon sens encore plus glaçante que dans Resident Evil, tout n’est pas parfait pour autant. En première ligne, le bruit de pistolet en plastique que fait notre arme de base. En fait, ce n’est pas un pistolet, à entendre les "poc, poc" qui en sorte mollement à chaque fois qu’on fait feu. C’est un pistolet à bouchon en liège de la foire à la saucisse de Bourecq dans le Pas-de-Calais. Son bruit va de pair avec son efficacité face au dino, vous me direz. Et la détonation étouffée du fusil à pompe n’est guère mieux, quel dommage ! D’ailleurs, le modèle de flingue que Regina se trimbale au début du jeu est étrange. Il s’agit d’un modèle 34 de la marque autrichienne Glock. Très bonne marque dans le domaine au demeurant. Seul souci c’est qu’en 1998, le Glock 34 fut introduit sur le marché à destination du tir sportif, et en aucun cas pour l’utilisation militaire ou policière. Autant dire que la pétoire est à peine plus efficace pour buter un putain de dinosaure de 300 kilos que le pistolet à bille de Bryan, 14 ans, adepte amateur de l’airsoft depuis qu’il a vu John Wick au cinoche. Choix étrange de la part de l’équipe de conception du jeu alors que dans Resident Evil, on trouvait du bon matos comme le Beretta 9mm ou le Remington 1100.
En contrepartie, les feulements menaçant des dinosaures sont bien rendus. Le bruitage roi restera à jamais le hurlement du tyrannosaure auquel on a le droit dès le menu de début du jeu, lorsqu’on sélectionne ‘’nouvelle partie’’. Légendaire, incroyablement puissant et épouvantable, il donne parfaitement le ton du périple qui nous attend. Un peu à l’instar du ténébreux "Resident Evil" déclaré dans le menu du jeu du même nom ; ou comme le sinistre "STAAARS" du Némésis qui résonne dans les rues en ruine de Raccoon City.
Peut-être que vous l’aurez constaté, et peut-être que vous vous en ficherez car vous pensez pareil que moi, mais il est clair que je manque d’objectivité concernant Dino Crisis. Autant vous le dire sans détour, je considère ce projet annexe de Shinji Mikami comme supérieur aux Resident Evil en termes d’atmosphère anxiogène. Le level design complexe et étriqué ; le sound design incroyablement inquiétant ; l’intelligence perfide des vélociraptors qui les place à mille lieux des zombies en termes de dangerosité ; les apparitions aussi rares qu’effroyables du T-rex ; la confiance qu’on ne peut accorder que de façon très partielle à ses compagnons (Gail en tête de liste, le docteur Kirk ensuite…) ; tout ça font de Dino Crisis un jeu à l’ambiance et au scénario extrêmement pesant et passionnant. Ce léger côté grand guignolesque que peut avoir la peur de Resident Evil se transforme ici en horreur viscérale, paralysante, froide et impitoyable tels ces immenses lézards préhistoriques.
Son ambiance se parachève avec un gameplay soigneusement équilibré et qui pioche autant dans les racines du genre que dans quelques innovations qui ouvre des portes vers l’avenir. La technique, à mi-chemin entre deux époques montre que le Capcom de ce temps avait de l’ambition à revendre et préfigure à d’autres titres de légende tel que Resident Evil : Code Veronica. Autant dire que Dino Crisis, à la croisée des chemins, est d’une importance cruciale pour la suite. Autant respectueux des traditions établies par Resident Evil en 1996 que désireux d’évoluer et de regarder vers l’avant.
Il n’empêche que la recette appliquée à ce Dino Crisis sera unique et ne sera plus appliquée par la suite. Le côté survival-horror extrêmement exigeant disparaîtra avec Shinji Mikami qui s’envolera vers d’autres projets tandis que la franchise tombera aux mains d’autres game designer. Ce que nous verrons dans l’article suivant, consacré à Dino Crisis 2 !
Dans le microcosme du jeu de combat, on connaît tous le fratricide duel entre les anciens piliers du genre que sont les jeux de combat 2D (les Street Fighter à l’ancienne, Darkstalkers, King of Fighters…) contre ceux en 3D (Tekken, Dead or Alive…). Mais au sein même d’une de ces branches, il y avait une autre guerre, celle des jeux de combat 3D qui se voulaient réalistes et techniques, comme Virtua Fighter, et ceux qui frôlait la limite du cartoonesque, rempli de personnage haut en couleur capable de savater très brutalement son adversaire à grand renfort d’effets sonores tonitruants et de technique d’art-martiaux particulièrement acrobatiques. La rigueur martiale d’un Virtua Fighter concentre son gameplay sur le timing et les contres, tandis que celui de Tekken par exemple se base sur les combos interminables nous présentant des enchaînements de folie et des attaques qui mettent aisément la tête à l’envers, digne des meilleurs films de kung-fu Hong-kongais. Bloody Roar fait partie de ces jeux où les combats sont autant de chorégraphies à la gloire des cabrioles improbables et des punchs foudroyants. Et encore, s’il n’y avait que des punchs foudroyants. Mais le soft de Eighting/Raizing propose aussi des colossaux coups de griffes, des sauvages coup de pattes et des incroyables lacérations sanguinolentes. Ah oui, parce que Bloody Roar, ce n’est pas que des artistes-martiaux qui se tapent dessus, ce sont également des bêtes avides de chair fraîche appelées ici Zoanthropes.
C’est la particularité primordiale de toute la saga. Les Zoanthropes, qui font l’objet de bien des convoitises, sont des êtres surnaturels de nature diverse qui ne cessent de se combattre en se transformant en bête féroce. Loup, lion, gorille, tigre, mais aussi quelques espèces un peu plus étonnantes comme le caméléon ou le pingouin, le bestiaire est varié et a ratissé large pour nous proposer un casting aussi féroce que cool tout au long de la série. On regrettera peut-être que sur la fin de la saga, (Bloody Roar Primal Fury/Extreme, Bloody Roar 4…) le concept se soit légèrement perdu pour proposer en sus des animaux des sortes de monstres mythiques plus proches des chimères que de véritables bêtes sauvages (dragons, créature hybride recouverte d’une armure argentée qui me fait plus penser à Guyver qu’à autre chose…), mais je m’égare.
Ce Bloody Roar II, qui fait suite au premier (non, sans blague ? C’est juste une occasion pour moi de vous inviter à lire le test que Docteurdeggman en a fait il y a longtemps !), fait s’affronter une partie du casting qu’on connaît déjà en y accueillant quelques nouvelles têtes. Lorsque la rumeur qui disait que certains humains avaient en eux le formidable pouvoir de se transformer en bête sauvage, la multinationale maléfique Tylon chercha à accaparer leurs pouvoirs et à les réduire en esclavage. Mais ceux-ci ne l’entendirent pas tous de la même oreille, des clans se formèrent, certains voulurent exterminer Tylon, d’autres prirent parti pour le conglomérat criminel en échange de forte récompense. Quelques-uns ont préférés rester indépendants afin de régler leurs affaires privées, tandis que Tylon parvint même à cloner un des Zoanthropes pour donner naissance à un redoutable guerrier : Shenlong, le tigre ténébreux …
Comme vous pouvez le constater, le roster est relativement concis, seulement 9 personnages au départ, et deux à débloquer. 1999 était l’année suivant le monstre Tekken 3 et ses huit millions de ventes supportés par son casting de 23 personnages, ceux étant secrets inclus. L’année suivante, Tekken Tag Tournament enfoncera le clou avec un joyeux melting-pot sans aucun sens scénaristique. À vrai dire, Ultimate Mortal Kombat 3 se plaisait déjà à l’époque à lancer la mode du fourre-tout afin de gonfler sa galerie de combattant à l’excès ; c’était à celui qui aurait le plus de tronche à afficher sur son écran de sélection, quitte à faire des clones et des personnages tellement fantaisistes qu’ils en deviennent injouables et inintéressants en jeu. Bloody Roar II, lui, se concentre sur l’essentiel et opère un renouvellement quasi complet par rapport au premier opus. En effet, trois anciennes têtes disparaissent (Greg le gorille, Mitsuko le sanglier et Fox le…renard) pour se voir remplacer par pas moins de cinq nouveaux challengers : Jenny, Stun, Shina, Busuzima et Shenlong.
Mais qui dit roster restreint ne veut pas nécessairement dire manque d’intérêt. C’est même relativement complet. On a l’éternel héros (malgré lui), un peu badass sur les bords, avec une technique de combat qui pourrait plaire à tout le monde en la présence de Yugo. Une sorte de Jin gonflé à la testostérone, un peu plus brute et moins policé, en somme. Shina serait à mon sens son équivalent féminin, puissante, facile à manipuler, au design relativement simple mais au charisme aussi singulier que son paternel (Gado), elle est un des meilleurs protagonistes pour débuter dans Bloody Roar II. Le jeu comporte également ses petits cadors de la technicité et du combo tels que Bakuryu qui, via quelques manipulations de bouton, pourra se téléporter dans le dos de l’adversaire et réaliser des esquives impressionnantes ; tandis que Long, s’il est bien employé, peut ratatiner son ennemi à l’aide d’enchaînements de coups interminables façon Kenshiro bien vénère ! Enfin, on a les personnages lents et lourds, comme Stun, et exotiques, à la manipulation un brin discordante avec le reste mais plutôt fun à jouer, comme cet hurluberlu de Busuzima. Gado, qui n’a, selon moi, rien à envier au roi des rois Kazuya Mishima, et le maléfique Shenlong, ferme la marche pour un panorama de combattants vraiment intéressant.
En termes de gameplay, même s’il faut un petit temps d’adaptation pour maîtriser le rythme particulier des combos et les esquives, rien n’est vraiment très sorcier. Bloody Roar II est fait pour en foutre plein la face et pour apporter du fun brut de façon immédiate. Si on voulait résumer ça grossièrement, on pourrait dire qu’il y a assez peu de tactique et que la victoire appartiendrait à celui qui serait le plus agressif, car clairement, Bloody Roar II favorise l’assaut effréné au zoning ou à la défense. Bien que certains personnages puissent retourner la situation par le biais de quelques roublardises bien senties, l’ensemble du casting est taillé dans un bloc de brutalité où mandales qui pèsent le poids d'un char d'assaut et charges monstrueuses se côtoient. Le principal atout du jeu étant bien évidemment la transformation des protagonistes, déjà bien violent sans cela, en animaux sauvages. Et il faut avouer que voir un loup (garou ?) de deux mètres de haut savater sauvagement un lion tout aussi bourru après avoir fait sa fête à une sculpturale chauve-souris, ça en jette.
Pour se transformer en monstre à fourrure ou à écaille, rien de plus simple qu’une pression sur le bouton rond une fois que la jauge prévue à cet effet est suffisamment remplie. Mais attention, car si en état bestial on prend trop de dégât, on peut retomber sous sa forme humaine. La gestion de cette jauge est donc primordiale dans les plus hauts niveaux de difficulté. Un joueur avisé ne balancera jamais sa transformation dès les premières secondes du round sous peine de se voir à poil (à poil, quand on se transforme en léopard, c’est cocasse…) face à un ennemi gonflé à bloc et prêt à en découdre. Un combattant sous forme humaine aura bien moins de puissance de frappe et d’endurance qu’un ennemi transformé et pire, il n’aura pas accès à son attaque ultime. Les furies des protagonistes transformés sont littéralement monstrueuses, de véritables boucheries de mise en scène bourrées d’éclats lumineux, d’éclairs, de gerbes d’hémoglobine et de rugissements. On déchiquette, on écharpe, on pulvérise et on écrabouille tout sur notre passage une fois qu’on déclenche cette furie extraordinaire, barbare et souvent fatale. JOUISSIF.
À noter que la barre de santé de nos personnages se séparent en deux partiez. D’abord la jaune, qui est notre santé actuelle. Et la bleue qui apparaît à mesure qu’on se fait frapper. Elle représente en réalité la somme de santé qu’on peut retrouver si on se transforme en animal et à condition qu’on arrive à contrer ou échapper aux coups adverses durant un petit laps de temps. Les dégâts affichés en rouge sont ceux trop insurmontables, irréversibles et qu’on ne peut soigner. Ainsi, savoir se défendre et prendre ses distances quand on vient de subir un énorme enchaînement peut sauver un round car il est toujours possible en se transformant de regagner un peu de vie ! Croyez-moi, face à l’intraitable Gado ou contre l’agressivité hallucinante de Shenlong, cette petite astuce sera salvatrice. Par ailleurs, le jeu ne gère pas les étourdissements comme dans un Street Fighter II, mais il est possible d’exécuter un recover express aérien afin de se remettre sur de bon rail et éviter de se faire enchaîner les gencives comme un chiffon.
J’ai toujours trouvé que les capacités de Kazuya ou de Jinpachi à nous envoyer des rayons lasers ou des boules de feu dans la figure avaient quelque chose de sacrément dissonant avec l’ensemble du gameplay à la Tekken, très orienté combo et arts-martiaux purs. Une touche Dragonballesque légèrement hors propos. Mais dans Bloody Roar II, puisque tous les personnages sont doués de transformations et de furies surnaturelles, le gameplay reste très cohérent. L’impact des coups n’a jamais été aussi palpable. Manette en main, on ressent profondément toute la force et la dureté de chacun des personnages, les joutes sont très dynamiques et globalement, le système est assez simple d’accès pour qu’on s’amuse très vite. Bloody Roar II répond donc très bien aux exigences d’un jeu de combat typé arcade.
Visuellement, Bloody Roar s’oriente vers le manga et l’anime. Les couleurs sont pétantes, les poses des personnages sont évocatrices et leurs designs brassent un assortiment d’inspiration allant du Ken le survivant à Dragon Ball Z en passant par d’autres œuvres, vidéoludiques elles, telles que Tekken et King of Fighters. Un soin tout particulier est assuré à l’enrobage graphique du soft. On sent que l'une des têtes pensantes derrière le jeu (et du premier) est avant tout un graphiste de métier. Shinichi Ōnishi a en effet officié sur bien des aspects visuels (chara-design, graphiste, directeur artistique…) sur des jeux tels que Robo Aleste, Super Bomberman: Panic Bomber W, Naruto : Clash of Ninja, et même Castlevania Judgment sur Wii ! Ainsi, Bloody Roar II présente de jolis atours comme des artworks, nombreux et très bien fichus signés de l’illustre Naochika Morishita, alias Caramel Mama, ayant travaillé sur une tonne de produits dérivés Gundam et Rangers Strike. Le mode story est ainsi conté via des saynètes fixes du plus bel effet, souvent sombres, mettant en scène les protagonistes avec des ombrages très appuyés et des émotions faciales flagrantes. Le cachet est là, l’ambiance y est pesante et on ressent parfaitement l’animosité que certains combattants se portent l’un envers l’autre. Le jeu se paye même le luxe de varier les artworks en fonction du mode de jeu choisi, entre arcade et story, par exemple.
D’un point de vue purement technique, Bloody Roar II ne tient peut-être pas la dragée haute à Tekken 3 car il ne nous abreuve pas copieusement de séquence en CGI comme le hit de Namco. Hormis l’introduction du mode histoire, effectivement, tout le reste est fait avec le moteur du jeu ou les artworks 2D. Mais en jeu, la performance de Eighting/Raizing reste très solide. La modélisation est de qualité, la fluidité est carrément époustouflante, et les effets spéciaux sont nombreux, surtout lorsqu’on se transforme en animal. On peut néanmoins reprocher les arènes parfois un peu faibles en termes de résolution ou de texture, mais elles ont le mérite d’être assez variées et surtout de proposer une feature qui assure une plus-value certaine au fun de Bloody Roar II : leurs murs destructibles. À la fin du combat, si vous portez un coup exagérément puissant à votre adversaire pour le mettre KO, vous pouvez le projeter violemment à travers les barrières du ring et ainsi l’envoyer ramasser ses dents à vingt mètres du tatami dans une explosion sonore monumentale. C’est gratuit, mais bordel que c’est bon. Une jouissance rarement vue dans un jeu de combat qui traduit toute l’ardeur et la fureur qui hante littéralement le moindre polygone du jeu !
Bloody Roar II est manifestement possédé d’une âme et d’un charme bestial qui provoque un état de plaisir intense. Libérateur, jubilatoire, tout est fait pour faire déborder la jauge de fun.
Le caractère tonitruant du jeu est également garanti par sa bande-son, au sens large du terme. Et ça passe par des éléments basiques comme par de petites trouvailles uniques et bienvenues. Tout d’abord, les bruitages sont pêchus, ça claque, on sent que ça tape pour de vrai. Je ne parle même pas des grognements en tout genre que les personnages libèrent dès qu’ils se transforment. Les personnages ont d’ailleurs tous des voix (anglaises), ça ne parait pas grand-chose dit comme ça, mais certaines tirades balancées avant ou après match font souvent leur effet. D’autres petites choses, qu’on finit par remarquer au bout de plusieurs heures de jeu ou au contraire dès la première partie sont également présentes pour renforcer la déferlante d’énergie que nous assène la bande-son ; comme par exemple le cri de douleur avec un effet de réverbération qui retenti lorsqu’une de nos victimes passe à travers les barrières de l’arène avec violence.
Mais le gros du morceau auditif, on ne va pas se le cacher, ce sont les musiques. On va passer rapidement par-dessus les musiques de la version arcade du jeu, plus soft, plus nuancées, quoiqu’elles aussi assez rythmées, pour s’attarder surtout sur les pistes de la version Playstation. Elle vous foute des prunes rien qu’à l’écoute, alors si elles sont couplées à ce gameplay du tonnerre décrit plus haut, autant vous dire que vous pouvez dire adieu à votre brushing (sauf Shanks, qui s’en bat la rate).
Le heavy metal semblait déjà être à la mode dans le jeu vidéo à l’époque, outre les quelques Lords of Thunder (1993, PC-Engine) et autre Battletoads in Battlemaniacs (1993, Super Nintendo), il y avait bien entendu un des pionniers du ‘’tout metal’’ en ce qui concerne l’OST : Guilty Gear, sorti en 1998 sur Playstation. Bloody Roar II se réclame de cette tendance où chacune des musiques ne sont en fait que distorsions de guitares électriques mélodieuses et tambourinages endiablés de batterie en feu. La musique d’introduction, intitulée "Roaring Supreme" et s’accompagnant d’un menaçant rugissement léonin nous écrase le crâne de son riff proche d’un thrash metal lourd et féroce. Pour autant, Bloody Roar II ne se compose pas de metal brut et méchant. N’ayez crainte, nous ne sommes pas en présence du pire des death metal suintant de noirceur et de malveillance. Non, ici, le metal de Bloody Roar se fait groovy, limite dansant et très entraînant, de quoi donner du pep aux bastons et électriser les esprits.
Bref, un très bon travail de Takayuki Negishi (qui n’a pas participé à l’OST version arcade) mais qu’on n’entendra guère plus après Bloody Roar 3 en 2001, dommage. Cette OST est si culte pour moi (et c’est certainement très subjectif) qu’elle est régulièrement en écoute sur mon ordinateur ou dans la voiture, c’est dire.
"Ok, il a encore craqué son slip, le Anakaris", vous direz-vous après avoir vu la valeur nostalgique que j’attribue à Bloody Roar II. Ou peut-être pas. Mais pour comprendre, il faut y avoir joué à l’époque, assurément. Encore que, même dans ces conditions il se pourrait que vous n’ayez pas du tout le même ressenti que moi, qu’à cela ne tienne, j’assume entièrement. Pour moi, Bloody Roar II est carrément un des meilleurs jeux de l’immense ludothèque Playstation, rien que ça. Plutôt beau, visuellement plein de petites intentions pour faire plaisir aux yeux, le soft pêchu et rugissant édité par Hudson dispose d’une vibe éclatante. C’est de la dynamite sur CD-ROM. Il constitue une véritable amélioration de Bloody Roar premier du nom et ceci dans absolument tous les domaines.
Manette en main, son explosivité et son accessibilité sont ses atouts principaux. Il délivre un plaisir de jeu rarement égalé dans un soft de combat 3D, tout simplement. On peut ajouter – et ceci est un jugement encore plus subjectif que tout ce qui vient d’être cité dans cette conclusion – des personnages charismatiques (Long, Shenlong, Shina, Gado…) et des musiques du feu de dieu et on obtient un mastodonte de fun. Le genre de jeu décomplexé (sans pour autant tomber dans l’ultra violence qui n’a ni queue ni tête comme ce vulgaire Succubus) avec une réelle personnalité qu’on ne voit que trop rarement, de nos jours.
De très nombreuses fois, et régulièrement, bons nombres d’entre vous sur Gamekyo vantaient les mérites de The Legend of Dragoon. Lorsqu’un article believe du genre ‘’quelle suite souhaiteriez-vous ?’’ ou encore ‘’Sony prépare plusieurs annonces secrètes’’, c’est infaillible, The Legend of Dragoon (un second opus ou un remake du premier) montrera le bout de son nez aux côtés d’autres fantasmes vidéoludiques comme Resident Evil 2 remake (ah bah non, on l’a déjà lui), Final Fantasy VII remake (ah, on l’a aussi…) ou encore Half-Life 3 (ah, lui c’est sûr on ne l’a pas, hein Shanks ?!). C’est vraiment un des immanquables qui prend souvent rendez-vous lorsqu’il s’agit de titiller la fibre nostalgique et qui cristallise bien des utopies. Mais alors que l’on sait très bien qu’un Final Fantasy VII ou un Resident Evil 2 mérite haut la main ce genre d’insistante petite lubie de fanboy en manque, qu’en est-il de The Legend of Dragoon ? Mérite-t-il vraiment qu’on réclame autant à cor et à cri un remake ou une suite de ce jeu produit par Sony, qui semble depuis perdu dans les limbes des productions uniques n’ayant jamais eu la chance de voir quelconque descendance arriver dans nos magasins de jeux vidéo favoris ? La question mérite clairement d’être posée !
On ne le répétera jamais assez, mais quand Final Fantasy VII est sortie en 1997, c’était un séisme dans le monde du jeu vidéo et plus particulièrement dans le domaine du RPG japonais. Il me faudrait un article complet (et très long) pour parler de l’impact qu’a eu FFVII, d’un point de vue symbolique autant que commercial et créatif sur toute l’industrie. Aussi, là n’est pas tout à fait le sujet. Toujours est-il qu’à l’instar d’un Super Mario Bros., qui dès 1985 commençait à faire beaucoup d’envieux qui tentèrent de créer leurs petites mascottes rigolotes/anthropomorphes/cartoonesques pour essayer de rafler la mise, beaucoup de studios (et parmi les plus renommés) ont flairé la bonne affaire très en vogue à la fin de la décennie 1990, à savoir le RPG. Capcom avait déjà pris le train en route il y a plusieurs années avec Breath of Fire ; Konami et Namco un peu plus tard avec respectivement Suikoden et Tales of Phantasia ; SEGA avait déjà financé un vaste programme de ‘’réarmement’’ en matière de J-RPG de sa Megadrive, désavantagée dans ce secteur face à la Super Nintendo. Même Sony, qui pourtant avait déjà de nombreux gros titres tiers dans son giron mettait la main à la pâte et n’hésitait pas à éditer des projets en occident (Final Fantasy VII, justement) ou carrément les produire (Wild Arms, Arc the Lad). De là à dire qu’à la fin des années 1990, la tête de Squaresoft, roi du monde, avait été mise à prix, il n’y a qu’un pas. Tout le monde voulait se payer une part du gâteau. Il n’y a guère que Nintendo, comme d’habitude, qui allait à contre-courant avec leur Nintendo 64 assez peu pourvue en J-RPG.
D’ailleurs, The Legend of Dragoon, dont le développement débute en cours d’année 1996 est dirigé par un ancien de chez Squaresoft : Yasuyuki Hasebe, ayant déjà tenu quelques rôles mineurs sur Super Mario RPG et Final Fantasy VI. Cet homme, à la tête d’une petite équipe verra rapidement ses effectifs croître jusqu’à atteindre la centaine d’employés. Pour l’époque, c’est assez exceptionnel, y compris chez un éditeur/constructeur tel que Sony. Encore une fois, seul Squaresoft été capable d’une telle démesure pour produire un J-RPG en ces temps. D’ailleurs, l’analogie avec les jeux de Squaresoft ne s’arrête pas là. Et quand on a connaissance de ce qui fait les éléments constitutifs de The Legend of Dragoon, on comprend pourquoi il fut tant apprécié par un noyau dur de fans, occidentaux en particulier. Pour commencer, le scénario ne tarit pas de moments épiques, il garantit un rythme de tous les instants et dissémine un joli lot de scènes cinématiques en images de synthèse toujours très impressionnantes. Le total en minute n’est pas à la hauteur de l’heure de cinématique d’un Final Fantasy VIII ou IX, mais la qualité cinématographique est au rendez-vous. Le scénario, dans les grandes lignes, est particulièrement convenu et là encore, on n’a aucun mal à faire le parallèle avec presque n’importe quel Final Fantasy sorti entre 1991 et 1999. Shana, la meilleure amie du héros, Dart, est enlevée par l’empire Sandor, qui a tout d’un empire puisqu’il est totalitaire, tyrannique et mené par des êtres assoiffés de pouvoir prêts à toutes les destructions pour assouvir leurs fantasmes. J’en veux pour preuve qu’ils n’ont kidnappée qu’elle, mais qu’ils n’ont tout de même pas omis de foutre le feu au village de Dart en guise de cadeau bonus, totalement gratuit. Dart, qui possède une relique renfermant les pouvoirs du dragon aux yeux rouges (non, non, rien à voir avec Yu-Gi-Oh !) et n’écoutant que son courage décide de voler au secours de son amie. Sur le chemin, il devra bien entendu découvrir jusqu’à six autres artefacts pour réunir les dragons de la légende et vaincre l’empire maléfique.
Tout y est, ou presque. Les méchants contrôlés par un méchant encore plus méchant (comme Vador qu’on découvre guidé par l’Empereur, ou Golbeze dont l’ombre ne cache que Zeromus, le véritable mal absolu de Final Fantasy IV) ; le village en feu qui marque le point de départ de tout voyage initiatique (manquerait plus que Dart soit amnésique) ; le protagoniste dont on attend le ‘’je suis ton père’’ (ou en l’occurrence le grand-père, avec Haschel et Dart) à tout moment ; l’ami qui se sacrifie en plein milieux de l’aventure à la manière d’une Aerith… Cependant, force est de constater que The Legend of Dragoon fait bien les choses. Les enjeux sont régulièrement renouvelés et l’aventure demeure tout à fait palpitante. C’est une grande épopée, plein de poncifs mais dont le sens du rythme a de quoi toiser du regard même les plus grands.
La représentation graphique reprend le même schéma que celui établi par la saga au double F. Des personnages en 3D dans des décors en 3D précalculée (ou 2D si vous préférez). La Playstation en a fait son fer de lance pour beaucoup de jeux très ambitieux qui en 3D auraient été beaucoup trop lourds et coûteux à modéliser. Les Resident Evil notamment ont très bien sut tirer parti de cette technique. Tandis qu’Enix s’essayait à la full 3D avec son Dragon Quest VII, à ses risques et périls. Outre une mise en scène grandiose, The Legend of Dragoon propose des décors vraiment soignés et une modélisation tout à fait honorable. Sony maîtrise son sujet et sa console, l’exigence d’un visuel fignolé, digne d’un AAA (même si à cette époque, le terme n’était pas employé) était déjà présente. Malheureusement, la technique de haute volée ne côtoie hélas qu’un gameplay sympathique, abordable, mais relativement creux sur la durée et plein de fausses bonnes idées.
Qui dit RPG dit combat, des tonnes de combat en l’occurrence, dans un J-RPG, c’est la norme. Les combats se déroulent au tour par tour sans aucune jauge qui se rempli au fur et à mesure du temps qui passe, on est sur du Final Fantasy X avant l’heure si vous préférez. Deux choses vont vous sauter quasi immédiatement au visage dès les premiers combats. Tout d’abord, l’absence d’une option magie. En effet, aucun personnage ne peut en maîtriser d’ordinaire. En lieux et place, vous pourrez balancer des objets offensifs qui utiliseront les éléments (eau, feu, vent, terre, lumière, ténèbres, foudre et néant), mais de véritables magies pourront tout de même être utilisées, j’y reviens un peu plus tard. La seconde chose qui frappe et qui offre un peu de saveur à ce système de combat simpliste, ce sont les combos. En fait, en choisissant l’option d’attaque classique, vous ne resterez pas passif tant que l’animation d’attaque se fera, sous peine d’occasionner des dégâts assez minimes à votre adversaire ! Au lieu de cela, le jeu vous demandera d’appuyer au bon moment sur les touches adéquates de votre manette pour valider un enchaînement de coups qui gonflera le montant des dégâts réalisés. C’est simple et efficace, ça donne lieu à de belles animations rappelant le furieux Renzokuken de Squall dans Final Fantasy VIII. Plusieurs combos, de 3 à 7 selon les protagonistes seront à débloquer au fur et à mesure du gain d’expérience et ceux-ci se feront plus complexes en fonction de leur puissance. Expérience qu’il faudra d’ailleurs collecter principalement via les boss, en général relativement aisé à appréhender mais généreux en xp, plutôt qu’avec les monstres ordinaires qui ne donnent que peu de récompense. Les monstres faibles servent en revanche à autre chose et là entre en compte une autre petite singularité du système de jeu : le mode défense. Ce n’est pas tout à fait inédit car les FF ou Breath of Fire le font déjà, mais pas de la même façon. Se placer en mode défense dans The Legend of Dragoon divise les dégâts reçus par deux, invariablement, et en plus régénère une petite somme de point de vie. Utile lorsque vous êtes à cour d’objet curatif et que vous devez recharger les batteries. Cette tactique est à utiliser contre des monstres faibles, donc, puisque le boss vous occasionnera généralement trop de dégâts pour que le petit soin soit réellement efficace.
Le dernier morceau du système de combat qui a clairement fait son effet à l’époque, ce sont les transformations en Dragoon, ces chevaliers mythiques habités par les infernales puissances magiques de dragons ancestraux. Dès lors qu’on opte pour cela, notre combattant se meut en une entité tout en armure du plus bel effet, la direction artistique est encore aujourd’hui agréable à l’œil. Ça leur donne l’air de véritable chevalier d’Athéna en armure divine, ou en tout cas, on se plaît à le croire. Revêtu de cette armure, Dart, Rose et consort obtiennent une puissance dévastatrice et maîtrisent enfin de véritables magies, malheureusement en nombre très limité. Les magies épuisent vite les réserves d’énergie du personnage et au bout de deux ou trois sorts, il faudra donc se rabattre sur les attaques physiques.
The Legend of Dragoon désire en foutre plein les mirettes. D’abord avec des graphismes haut de gamme et un déluge d’effets spéciaux de tous les instants (bordel, les transformations en Dragoon, ou les super magies qu’on peut balancer sous cette forme…) mais aussi avec un système de combat facile à assimiler, avec quelques commandes claires et surtout un éventail d’action qui dynamisent énormément les combats. En soi, l’idée des combos est bien pensée, ça contribue à donner une sorte de chorégraphie aux joutes qui s’en sortent électrisées et visuellement épatantes. Mais dans le fond, et après quelques dizaines d’heures de jeu, on déplore quelques couacs. Ce sont les fausses bonnes idées dont je vous parlais plus haut. D’abord, les nouveaux combos s’apprennent à mesure que vous maîtrisez et répétez les anciens. Si bien que si vous ne parvenez pas à correctement enchaîner les touches qu’on vous demande, vous ne verrez jamais le combo suivant. Certains combos parmi les plus complexes peuvent donc être pénibles à réaliser à répétition pour avoir le droit d’utiliser le suivant, et après avoir utilisé 25 fois le même enchaînement, on comprend qu’on puisse être lassé. La solution la plus évidente aurait été de rendre disponible au moins deux ou trois combos différents par pallier, histoire de ne pas tourner sur le seul et unique combo du niveau pendant des heures. Heureusement, chaque personnage aura sa manipulation et son rythme propre, ce qui casse la monotonie des enchaînements.
Cependant, et on s’en rend compte bien vite, c’est presque l’intégralité du système de combat que je vous ai décrit dans ces quelques derniers paragraphes. The Legend of Dragoon repose sur ses combos et ses Dragoon. Plutôt faibles comme panel d’option. Les armes upgraderont vos statistiques de façon très classiques et seront à acquérir régulièrement au marchand du coin, mais ne comptez pas sur une forge ou tout autre moyen de craft pour vous procurer une épée qui sorte un peu de l’ordinaire : ça n’existe pas dans The Legend of Dragoon. De plus, étant donné que les personnages ne maîtrisent aucune magie hormis avec un objet et leurs capacités de Dragoon, il n’y a aucun sortilège de soutien ou de défense. Pas de bouclier, ou de maléfice pour rendre confus ou aveugle le monstre d’en face, ce qui réduit considérablement l’approche tactique de tous les combats du jeu, surtout ceux contre les boss. D’ailleurs, souvenez-vous, je vous ai dit que les magies qu’on pouvaient utiliser s’utilisaient comme des objets. Autre idée qui brille par son incohérence et la frustration qu’il évoque en nous : l’inventaire extrêmement restreint. 32 objets au total pourront être transportés à la fois, si bien que les objets de magies côtoieront une paire d’objets curatifs (qui seront naturellement prioritaires, puisqu’il n’y a que comme ça qu’on peut se soigner efficacement entre deux combats). Le manque de place inexplicable de l’inventaire se fera bien souvent en dépit des objets magiques si bien que vous ne risquez pas réellement d’utiliser les magies très souvent, vraiment dommage !
Le soft de Sony ne comporte pas non plus d’attaques combinées, alors que cela aurait été de bon ton puisqu’on dénombre dans notre équipe beaucoup de protagonistes partageant des pouvoirs de même nature (les Dragoon). Puisqu’il n’y a pas réellement de magies ou de compétences, il n’y a guère d’option d’exploration non plus. Pire, l’open world cher à bon nombre de puristes du RPG n’est en fait ici qu’un tracé en pointillé qu’on nous impose entre deux lieux clés. Autant dire qu’on n’est jamais perdu, guidé de façon machinale d’un évènement à un autre sans possibilité de découvrir en profondeur le monde qui nous entoure. Particulièrement frustrant car on sent que le jeu aurait pu nous offrir des quêtes annexes foisonnantes et intéressantes si ce point de détail avait été convenablement abordé par l’équipe de développement. The Legend of Dragoon propose un système de combat en phase avec ses graphismes : époustouflants sur la forme, mais creux dans le fond, sans évolution et sans aspect stratégique suffisamment profond pour tenir le joueur en haleine durant soixante heures. Quand il passe après Final Fantasy VII et ses combinaisons de matéria, nombreuses et intelligentes pour obtenir des effets étonnants ; ou quand il passe après Final Fantasy VIII et son système ultra complet d’association de magie aux statistiques couplé à la foultitude de compétences passives fournies par les G-Force, The Legend of Dragoon fait office de jouet pour enfant.
Un J-RPG simplifié pour plaire à l’occident ? C’est insultant mais on ne peut s’empêcher d’y penser. Le constat est brutal mais réaliste !
Dans l’introduction du test, on se posait la question de savoir pourquoi The Legend of Dragoon était tant aimé, surtout par une fanbase occidentale encore vivement présente sur l’Internet. Désormais, je comprends. Dans sa mise en forme, le soft de Sony est de loin la meilleure réponse aux stars qu’étaient les Final Fantasy de la Playstation. Dans son intention, The Legend of Dragoon répond de façon idoine aux avalanches de CGI et de scénario grandiloquents des œuvres de Squaresoft. Et pour cause, puisqu’il utilise les mêmes armes, les mêmes topiques. Un empire du mal, une troupe de valeureux héros aux pouvoirs mystiques dont ils héritent via une prophétie antique, quelques retournements de situations savamment distribués tout au long de l’aventure – quand bien même aucun d’entre eux n’est inédit ou avant-gardiste -, le tout enrobé dans un écrin graphique qui flatte la rétine. C’est beau, mais, comme je l’ai longuement expliqué dans ce test, ça manque un peu de fond. Une sauce béchamel un peu farineuse quoi.
Dès lors, on comprend pourquoi ce jeu a tant plu au Ponant. Les Etats-Unis étaient déjà un peu plus habitués à recevoir des J-RPG que nous à cette époque. Certains parvenaient à franchir les frontières en étant traduits, comme Vagrant Story, au système de combat bien plus élaboré que ce TLOD, mais d’autres demeuraient malheureusement en anglais comme l’excellent Front Mission 3 (à noter qu’il s’agit là encore de jeux de Squaresoft). Si bien que cette pénurie de J-RPG dont les européens et français commençaient à devenir particulièrement friand me fait penser que TLOD est arrivé au bon moment pour bénéficier de la popularité du genre afin de gonfler un peu son chiffre de vente. Ce n’est pas totalement immérité puisque le jeu est bon, quand bien même il a des défauts et a mal vieilli sur certains aspects, mais nul doute que si le jeu n’a pas si bien fonctionné que cela au Japon, c’est que le public cible de l’archipel du Soleil Levant détenait un degré d’exigence nettement plus élevé que nous en la matière à la fin des années 1990. Eux ont été nourris au sein du J-RPG pendant une décennie et demie et de très nombreux prétendants ont tenté de bousculer les codes pour innover dans son système d’exploration ou de combat, tandis que nous en Europe manquions cruellement de point de comparaison. Un The Legend of Dragoon, aussi simpliste soit-il, qui débarque dans ces circonstances aura donc eu toutes les chances de plaire à la masse mal informée et peu sourcilleuse que nous étions en 2000.
Ce n’est pas insultant que d’y consentir, et au fond, ce n’est pas un problème puisqu’encore une fois, The Legend of Dragoon reste un jeu très correct et qui garde un charme tout à fait appréciable même avec vingt ans dans la figure !
(Quand j'vous dis que le believe est puissant autour de The Legend of Dragoon sur Gamekyo )
Au début des années 1990, les relations entre Namco et Nintendo ne sont pas au beau fixe. Le sanguin président Nakamura de Namco s’est chiffonné avec le non moins volcanique président Yamauchi de Nintendo. En cause, le fait que Namco fut soudainement rétrogradé d’éditeur privilégié à partenaire lambda lorsque la Super Famicom était sur le point de voir le jour. Les termes particulièrement préférentiels des contrats d’édition liants Namco à Nintendo ne furent pas renouvelés, poussant Nakamura à dénoncer la situation de monopole dangereuse et déloyale qu’occupait la firme Kyotoïte. Pour montrer son mécontentement, Namco tente tout d’abord de favoriser la PC-Engine de NEC et Hudson en éditant ses meilleurs soft d’arcade dessus dans des portages impressionnants. Mais Namco est malheureusement contraint de suivre la file des éditeurs qui doivent se plier aux lois du patron. Ils collaborent également avec SEGA pour éditer des jeux comme la trilogie Splatterhouse sur Megadrive mais globalement, Namco se sent prit à la gorge. Quand l’avènement de la 3D pointe le bout de son nez, Nintendo a quelque peu du retard, son Ultra 64 traine la patte et SEGA demeure un concurrent écrasant en salle d’arcade pour Namco. La firme cherche alors un nouveau support domestique pour faire briller ses hits d’arcade, la Nintendo 64 n’est pas disponible lorsque la guerre des 32-bits est déclarée et Namco ne peut se résoudre à aller vendre ses jeux sur la machine de son plus fervent concurrent, SEGA. Vient alors un challenger dans la danse qui n’hésite pas à directement aller faire les yeux doux à Namco, on parle bien entendu de Sony et de leur Playstation.
Le 27 octobre 1993 se tient une conférence de démonstration de la part de Sony qui désire montrer ce que son hardware a dans le ventre. À Tokyo face à des centaines de représentants d’au moins autant de studios japonais, la fameuse démonstration du tyrannosaure en 3D est faite et ébahi son monde. Le mois d’après, Namco est le premier éditeur majeur du Japon à signer un contrat en béton pour développer un paquet de jeu sur Playstation, et notamment des portages de ses fers de lance d’arcade. SEGA, indirectement, aura été le ciment de cette association fructueuse pour deux raisons. La première, déjà évoquée plus haut donc, étant que la société au hérisson bleu était le rival le plus imposant de Namco et que ces derniers cherchaient à s’imposer au-delà des salles d’arcade pour étendre son influence. La seconde étant que SEGA a eu les cojones de parier sur un jeu full 3D précurseur et incroyablement novateur pour l’époque en la présence de Virtua Fighter, sorti en arcade dans les mêmes eaux que la démonstration de Sony. Virtua Fighter sera la preuve éclatante et concrète que la 3D est l’avenir du jeu vidéo (même si toute l’industrie ne sera pas tout à fait convaincue de cela au départ). Fort de ce constat imparable, Namco est résolu à poursuivre Sega dans la folle course à la 3D. Dès lors, qui mieux que Sony et la Playstation aux capacités exceptionnelles pour produire de bons jeux 3D peuvent les accompagner ?
Bref, les astres semblent s’aligner et le partenariat entre Namco et Sony tombe à point. L’un avait besoin d’un support fort pour valoriser ses futurs jeux 3D ; l’autre avait besoin d’un éditeur intarissable pour accaparer une tonne de jeux exclusifs et de qualité afin de faire briller son hardware. Namco est d’autant plus enthousiaste à l’idée de travailler avec Sony qu’ils ont déjà de l’expérience dans le domaine de la 3D. En effet, ils ont produit auparavant des jeux comme Winning Run (1989) et Air Combat (1993), respectivement jeu de course automobile et jeu de dogfight (avion de chasse) via leur système d’arcade Namco System 21, spécialisé dans l’affichage de 3D polygonale. Mieux encore, ils ont de l’avance sur SEGA en ce qui concerne le texturing de polygones. Car là où Virtua Fighter pouvait impressionner par sa modélisation polygonale rarement vue à l’époque, le soft pêchait par une totale absence de texture. Ce qui donnait aux polygones formant les personnages l’apparence de vulgaires blocs de plastique qu’on aurait empilé pour donner la vague image d’un être humanoïde. Une certaine épuration du visuel qui déjà à l’époque avait déplu à quelques personnes. La froideur de ce genre de 3D avait créé ses détracteurs, préférant des sprites 2D finement détaillés et plus représentatifs. Tekken, quand le projet fut réellement lancé en tout cas, fit de la carence de Virtua Fighter un de ses plafond de verre à franchir en priorité. Car de tout temps, pour asséner une grosse claque à son rival, rien de mieux que de le ridiculiser sur le champ de bataille des graphismes et de la technique.
Tekken, à l’origine, n’aurait même pas dut être un jeu. Dans l’optique d’expérimenter et de travailler sa légère avance sur la maîtrise de la technologie des textures sur polygones 3D, le projet n’était qu’un amas de tests et de bidouillages. Un gros dossier cloîtré dans les ordinateurs de Namco servant à une équipe de R&D qui créait de nouveaux outils pour d’autres jeux de la firme. Deux hommes feront du projet intitulé Rave War un ambitieux jeu de combat désirant repousser les limites de la 3D et rivaliser avec SEGA : Katsuhiro Harada et Seiichi Ishii. Le premier est un étudiant en psychologie à l’université de Waseda (établissement que fréquentera également Tomonobu Itagaki, plus tard créateur de Dead or Alive), il est passionné de jeu vidéo et n’hésite pas à sécher les cours pour s’adonner à sa passion. Son orientation professionnelle sera un sujet de discorde dans sa famille. Né de parents travailleurs et un brin conservateurs, Harada leur cachera pendant plusieurs années son véritable métier au sein de Namco. Fort de connaissance dans la psychologie humaine, il se dit que ce serait un atout pour avancer les arguments chocs utiles à la vente et au démarchage, ainsi, il se fait tout d’abord embaucher par Namco dans la branche commerciale. Très vite, il bat des records de vente et les bornes d’arcade estampillées Namco pleuvent sur le marché. Cette prouesse lui donne suffisamment de légitimité pour obtenir ce qu’il désire réellement : être reclassé au sein d’une équipe de développement !
Au début, rien n’est très clair ni très bien définit à ce sujet. Harada prend la tête d’une équipe de recherche qui essaye diverses techniques pour améliorer notamment la modélisation, l’animation et le texturing de polygones 3D. Parmi les gens de cette équipe se trouve plusieurs ex-employés de SEGA ayant travaillé sur Virtua Fighter. D’autres membres de l’équipe se trouvent être des programmeurs et concepteurs responsables d’un certain Knuckle Heads (ナックルヘッズ), sorti en arcade en 1992, un jeu de combat à deux contre deux assez ennuyeux et peu intéressant de l’aveu même de Harada. Cependant, le second personnage sus-cité aura encore plus d’importance pour le premier Tekken. On ne sait pas si son recrutement vient de l’ambition de créer un jeu de combat pour rivaliser avec Virtua Fighter, ou au contraire si c’est son recrutement qui après coup a déclenché une subite envie à Namco d’aller tacler SEGA sur son terrain. Toujours est-il que Seiishi Ishii est déjà un patron dans le domaine, et pour cause. Game designer convoité, âgé d’à peine 25 ans au moment des faits, il n’est nul autre qu’une des têtes pensantes (avec le légendaire Yu Suzuki) à l’origine de Virtua Fighter, le fameux. Autant dire qu’avec un tel élément dans ses rangs, il aurait été dommage pour Namco de ne pas tenter le coup.
De simple projet de recherche, Rave War devient un véritable jeu qui sera très vite renommé Tekken. Tekken, littéralement poing de fer en japonais, conte l’histoire mouvementée de la famille Mishima, se livrant une guerre sans merci et intergénérationnelle. Tout commence (ou presque, les prochains Tekken nous en dévoilent toujours plus sur le passé des Mishima) par le mythique Heihachi, patriarche et chef craint de la Mishima Zaibatsu, une multinationale aux allures de véritable mafia qui trempe dans des affaires louches. Entre production d’armes et trafic en tout genre, la Mishima Zaibatsu tient le Japon d’une main de fer et Heihachi ne recule devant aucune cruauté pour asseoir sa domination. Avec Kazumi, sa femme, il a un enfant nommé Kazuya. Malheureusement, cette dernière décède en mettant bas et Heihachi gardera une haine tenace envers son fils à cause de cela. Il l’entraîne néanmoins au karaté du style de la famille Mishima mais plus les années passent et plus Heihachi est acerbe et intraitable envers son fils. Un jour, alors qu’il était âgé de dix ans, tout au plus, Kazuya subit une véritable tentative de meurtre de la part de son père qui l’avait emmené loin du domaine familial pour ce qui devait au début n’être qu’un simple entraînement. Le féroce Heihachi blesse le jeune Kazuya et le précipite dans un ravin escarpé. Kazuya est à l’agonie, plus mort que vif, et se vide de son sang des dizaines de mètres en contrebas tandis que Heihachi rebrousse chemin. Cependant, Kazuya parvient à rester en vie grâce à un démon venu accomplir un pacte avec lui. Le démon lui donne sa puissance surnaturelle et l’aide à survivre, en échange de quoi, Kazuya deviendra diabolique et devra accomplir les pires atrocités pour contenter la soif de destruction de l’entité qui vient de prendre possession de son corps et de son esprit. Kazuya jure ainsi la mort de son père, un jour prochain. Conscient que son fils brûle d’un désir de vengeance qui ne s’estompera pas avec le temps, Heihachi décide d’en finir une bonne fois pour toute et organise un tournoi d’arts-martiaux où les meilleurs combattants au monde vont se réunir. Au terme de ce tournoi, Kazuya, devenu adulte et un puissant guerrier croise de nouveau la route de son père. Un combat légendaire s’ensuit alors où Kazuya prend l’ascendant sur Heihachi pour à son tour le jeter dans un précipice sans fond…
Voilà, c’est ça Tekken. D’emblée, on évacue tout le côté réaliste et profondément respectueux de l’art-martial traditionnel de Virtua Fighter pour faire baigner le jeu dans une ambiance bien plus proche du manga avec tout son lot d’absurdité et de grandiloquence shakespearienne. Tekken est au jeu de combat ce que Star Wars est à la science-fiction, pas seulement parce qu’on y voit un père et son fils se défier du matin au soir, mais aussi parce qu’il y a des retournements de situations en pagaille, des alliances qui se font et se défont, et si on devait résumer cela grossièrement, on pourrait dire (dans les premiers softs de la série du moins) qu’il y a clairement une bande de gentils face à une bande de méchants. Ou du moins un gros méchant central qui reste pour à peu près tout le casting du soft Heihachi. Tous on leur grief contre le daron à la coupe de cheveux symbolique. Kazuya cherche vengeance, meurtrière de préférence ; Yoshimitsu veut rafler un paquet de pognon à Heihachi pour nourrir les pauvres du village qu’il protège ; Michelle Chang cherche à se venger, elle aussi, du meurtre perpétré sur son père par Heihachi qui cherche à s’emparer du pendentif familial, relique sacrée censée donner bien des pouvoirs à son possesseur ; Nina est embauchée comme tueuse à gage pour tuer Heihachi mais on sait que ce n’est probablement pas Kazuya qui est son commanditaire puisque dans Tekken 2, c’est au fiston qu’elle va devoir s’en prendre ; Wang Jinrei, vieillard expert du Xing Yi Quan est également un ami du père de Heihachi, à qui il a juré de surveiller son fils et de le remettre dans le droit chemin s’il le fallait. Étant témoins de la recrudescence de cruauté de Heihachi au fil des ans, Jinrei s’est juré de faire cesser son ascension dans la folie… Etc.
C’est un véritable imbroglio de mélodrame que Tekken nous propose dans sa première itération, et cela ne fera qu’empirer pendant les vingt cinq et quelques années que vivra la saga. Ce parti pris et cette liberté scénaristique assumée par les développeurs (d’autres qualifieront cela de grand guignol, ce qui n’est pas forcément irrecevable en fait) garanti une liberté au moins égale lorsqu’il s’agit de garnir le jeu d’un casting de personnage très éclectique. Si éclectique qu’on y trouve pêle-mêle un lutteur mexicain de deux mètres qui porte un masque de jaguar en permanence, un ninja cybernétique aux techniques de combats particulièrement acrobatique ; un ours, garde du corps personnel de Heihachi (oui, oui), un colossal robot de guerre à visage humain manifestement inspiré d’un certain Arnold Schwarzenegger, ou encore un resucée de la tête au pied de ce bon vieux Bruce Lee, mimiques hyper accentuées et combinaison jaune en cadeau. C’est clairement le cirque, il y en a pour tout les goûts et Tekken fait immédiatement montre de beaucoup plus d’imagination et d’extravagance que son modèle Virtua Fighter. On aime ou on n’aime pas, mais c’est pour sûr ce genre de chose qui donnera son identité à la série et qui lui permettra de traverser les âges. Tekken n’aura pas à se cantonner aux personnages trop terre-à-terre et pourra s’en donner à cœur joie dans l’impertinence et la fantaisie de son roster de combattant, au bon vouloir des designers et surtout de Katsuhiro Harada, de qui vient l’idée de faire combattre un panda et un démon ailé, par exemple.
Une variété de personnages qui n’aura d’ailleurs pas été sans conséquence et qui malheureusement échoue à esquiver quelques écueils. Avec une telle galerie de protagoniste, il était en effet quasiment impossible de nous épargner quelques fautes de goûts et quelques étrangetés malvenues. Nina qui se bat à pied nue dans un horrible Spandex violet, par exemple. Tout sauf sexy. Ou Michelle qui dans son costume secondaire ne porte qu’un haut noir et un jean blanc. Une simplicité assez triste que Harada n'aura pas manqué de soulever dans une interview en disant "C’est une amérindienne mais son costume n’est qu’un pantalon blanc et une chemise noire. Il n’y avait pas vraiment de concept sur ça, ça manquait de consistance.". Comme si l’équipe avait ajouté un costume alternatif par obligation plutôt que par choix créatif. Harada ayant d’ailleurs évoqué le manque de cohérence globale du design des personnages au fil des années (à l’époque de Tekken 1, il n’avait malheureusement pas le droit de décision sur absolument tout le développement de la série) et avoue que s’il le pouvait, il retravaillerait en profondeur et personnellement certains personnages.
Reste que Tekken premier du nom propose néanmoins et d’ores et déjà quelques protagonistes charismatiques et avec qui on prend plaisir à jouer. Le biker au poing fulgurant Paul Phoenix (dont Masamichi Abe, un designer de chez Namco, a influencé le design) partage quelques similitudes avec Jean Pierre Polnareff du manga Jojo’s Bizarre Adventure (et pour cause, Abe en est fan). Kazuya est une sorte de Ryu en un peu moins fréquentable, moins porté sur l’équilibre spirituel et le respect de l’adversaire au combat pour se concentrer plutôt sur la soif de vengeance, mais il n’empêche qu’il présente déjà quelques mouvements qui feront date dans la saga Tekken. Le super uppercut accompagné d’un bruitage brutal renfonce l’impact de la puissance du personnage ; tandis que son coup de pied tournoyant s’apparente au Tatsumaki Senpukyaku de Ken et Ryu mais reste tout de même un enchaînement sacrément classe à réaliser. Heihachi se présente comme un parfait boss de fin, imposant, aux techniques dévastatrices, il s’impose naturellement comme le grand expert en arts-martiaux bourru, aux nerfs d’acier et aux frappes titanesque. Son doublage réalisé par Banjō Ginga (dont on a déjà eu l’occasion de parler car il s’agit aussi du doubleur de Cracker Jack dans Street Fighter EX ; mais aussi Liquid Snake dans Metal Gear Solid ou Astaroth dans Soul Calibur) lui donne vraiment du caractère à chaque frappe. Dommage que ses samples de voix soit partagés avec Jack (qui d’ailleurs les gardera par la suite, tandis que Heihachi profitera de doubleurs différents dans Tekken 2 et 3).
Tekken a trouvé quasiment du premier coup les quelques piliers sur lesquels la saga allait se reposer. Même s’il y a encore besoin d’affinage par-ci, par-là, Heihachi, Kazuya, Paul, Marshall Law, Nina et Yoshimitsu sont déjà là. C’est également le cas du gameplay qui dès la première mouture de la série se présente comme une référence, magnifié par le pad Playstation que l’on croirait taillé pour ce jeu en priorité. En effet, Tekken se sépare nettement du carcan du gameplay de jeu de combat installé par Street Fighter II en 1991. Ici, pas de coup faible ou de coup fort mais un bouton pour chaque membre du corps de votre combattant. Pied droit et gauche, idem pour les poings. Ce qui donne une sensation de fluidité et de simplicité de prise en main quasi immédiate. Cette configuration de touches favorise l’enchaînement de coups afin de créer d’incroyable combo à huit ou dix frappes, chose qu’on arrive à faire après un peu de pratique mais qui impressionne toujours autant. Les quarts de cercle sont inexistants étant donné que les touches directionnelles servent à se mouvoir dans l’espace tridimensionnel, et cela à son importance. Car contrairement à Street Fighter EX déjà chroniqué sur Retro Gamekyo, Tekken fait le choix de se servir réellement de la 3D pour construire son gameplay autour. Ce n’est pas pour faire joli et impressionner les foules. Ainsi, des coups inédits peuvent être porté selon comment vous vous placez par rapport à votre adversaire. Et si vous parvenez à vous faufiler sur son flanc en esquivant une de ses attaques, la punition peut être explosive !
Là où Virtua Fighter se basait sur un système à trois boutons (poing, pied et parade) qui réclamait un timing précis pour pouvoir déclencher des contre-attaques fulgurantes, Tekken se veut plus nerveux. L’offensive est encouragée par la facilité à sortir quelques combos et par la souplesse qu’a la plupart des personnages à se déplacer sur les côtés. Une double pression très brève de la flèche directionnelle choisie les fait bondir en avant ou latéralement. La fluidité avec laquelle on parvient rapidement à déclencher quelques techniques enhardies d’autant plus le joueur. Moins technique dans la gestion du timing et des distances que Virtua Fighter, Tekken se montre abordable pour le néophyte. Mais il n’en oublie pas pour autant l’adepte du challenge avec des combos dévastateurs et parfois aux manipulations de bouton saugrenues pour être maîtrisé. En résulte un panel de coup varié pour chaque personnage qui adopte chacun un style parfois très personnel et la plupart du temps calqué sur des arts-martiaux ou sports de combat réels (judo et karaté pour Paul, catch pour King, taekwondo pour Baek Do San, aïkido pour Nina, etc.).
Cependant, tout n’est pas parfait, et encore moins à la première tentative. Oui, Tekken est facile d’accès, nerveux, impressionnant et enthousiasmant, on avait à l’époque l’impression de visualiser un super ballet d’experts en arts-martiaux qui s’échangeaient des prunes et des tatanes avec classe. Mais le jeu manque cruellement d’équilibre. Jack est capable de déclencher un enchaînement de coup sans interruption, par exemple. Oui, oui, vous avez bien lu, si vous arriver à faire la manipulation idoine et à appuyer en rythme sur le bouton de frappe correspondant, Jack ne s’arrêtera plus de frapper son ennemi jusqu’à ce que vous soyez victorieux. Et comme de bien entendu, le CPU a tendance à user et abuser de ce genre de technique crispante au possible dans les seuils de difficulté supérieur. Il suffit de laisser passer le premier coup par manque de réflexe pour vous bouffer dans les dents les dix ou quinze prochains sans pouvoir réagir. Frustrant ! Dans un autre ordre d’idée, certains personnages comme Paul ou Heihachi sont capables de vous abattre d’une seule et unique frappe. Le vieux à la coupe de cheveux Dragonballesque peut par exemple vous choper par le col et vous briser la nuque, comme ça, clac, rideau, round terminé, game over. Paul, si vous lui laissez le temps (trois à cinq secondes) de concentrer son énergie vous enverra un gigantesque coup de poing qui vous repoussera dix mètres en arrière et fera voler en éclat l’intégralité de votre barre de vie. Un détail qui a son importance et que Harada, là encore, aura noté durant toute ses années. Il raconte : "On n’a presque pas équilibré le jeu. À l’époque on faisait les choses à l’instinct. Ont réglé la puissance des coups manuellement et on n’établissait pas vraiment de cohérence et de rapport entre tous les personnages. Ce n’est qu’à partir du 2 qu’on a commencé à équilibrer la puissance des coups par ordinateur, avec un calculateur qui fixait des données numériques précises et en cohésion avec le reste du jeu.".
Ce genre de détail aura son importance dans le cycle de vie du jeu en arcade. Car les joueurs d’arcade adeptes des jeux de combat sont exigeants, en plus d’être bien souvent de véritables experts. Ils repèrent bien vite les failles du système et savent comparer avec les autres jeux disponibles sur le marché. Tekken est pour ce genre de raison prit moyennement au sérieux par les amateurs les plus critiques de jeu de combat, préférant l’universalité et l’équilibre d’un Street Fighter II ou la technicité et la précision d’un Virtua Fighter. Tekken n’est dès lors vu en salle d’arcade que comme une belle démonstration technique et un jeu plutôt fun à défaut d’être un bon jeu de combat. Ouille !
Heureusement pour lui, c’est surtout sur Playstation, lors de son portage sur la console de Sony, trois mois plus tard, qu’il va se faire remarquer dans le bon sens du terme. La technologie CD permettant de stocker convenablement une bonne partie des données du jeu, la conversion est optimale quasiment en tout point. Pour reprendre la comparaison avec Street Fighter EX qui n’utilise la 3D que partiellement (uniquement pour la modélisation de ses personnages, alors que leur déplacement ne se fait que sur une seule ligne, façon 2D), Tekken ose la full 3D. L’un des points d’orgue avec le travail sur les textures de polygones, c’est l’animation. Bien vite, l’équipe se rend compte qu’il est différent d’animer un personnage dans un environnement entièrement en 3D et un personnage sur une simple ligne d’horizon 2D. Lorsqu’on décompose un mouvement en 2D, il suffit généralement de dessiner deux sprites différents et de les assembler selon une suite logique. Les jeux à l’animation plus léchée peuvent décomposer le mouvement d’un personnage avec d’avantage d’animation intermédiaire, afin de délier le geste et ainsi rendre le tout très proche d’un dessin animé (au risque de mettre à mal la fluidité des mouvements du personnage car plus il y a d’animations intermédiaires, et plus le personnage mettra du temps à revenir à sa position initiale pour que le joueur puisse lancer une nouvelle action). Pour un personnage 3D, on peut modéliser des animations intermédiaires à l’envie, mais ce qui compte c’est la façon dont l’impact avec un autre modèle 3D est retranscrit. L’équipe de Namco voulait faire l’effort sur la façon dont le joueur ressentirait l’impact des coups, elle voulait qu’on ait l’impression de cogner sur un corps solide, un autre combattant, plutôt que sur un sprite léger et virtuel. Pour cela, de nombreuses animations secondaires furent créées pour simuler le coup reçu pour la victime, et donné pour l’agresseur.
Dans Street Fighter II, si Ryu donne un coup de poing gauche, le bras droit ne bouge pas car seul son bras gauche est animé, le reste du sprite de son corps est immobile. Cela convient très bien à un jeu 2D de cette époque. Mais dans Tekken, lorsqu’un combattant donne un coup de poing, il faut que le reste de son corps se positionne avec réalisme, il est impensable d’animer que son bras et de laisser le reste des polygones de son corps totalement immobiles. Cela rendrait le tout visuellement très grossier, donnant des airs de pantin rigide et rouillé aux combattants. Pour se faciliter la tâche et aussi répondre à une des exigences de l’équipe de développement, qui était de retranscrire des mouvements issus d’arts-martiaux réels, de la motion capture fut donc utilisée. Les mouvements les plus complexes furent réalisés par des cascadeurs avec un système de motion capture rudimentaire (bien que déjà révolutionnaire, pour l’époque) et le reste fut travaillé à la main. La masse de travail fut telle que lorsque les concepteurs se sont rendu compte de la complexité du processus visant à créer un panel complet d’animation pour un seul personnage, ils durent recruter du renfort. De vingt employés, l’équipe derrière Tekken passa à près de cinquante ! La qualité et la variété des animations est d’autant plus bluffante que les hitbox ont été conçues en conséquence et sont somme toute assez précises. On a rarement la désagréable impression d’avoir été frappé alors que notre personnage est vraisemblablement hors de porté du coup de pied adverse.
Pour les décors, les développeurs ont eu la bonne idée de ne pas recourir aux limites d’un ring ou d’une arène de combat. Le champ de bataille est virtuellement infini. Exit donc les ‘’ring-out’’ frustrant, souvent désigné comme solution de facilité par les experts qui pestent dés qu’un néophyte arrive à repousser leur combattant en dehors du ring à force de spammer la même touche comme un idiot. Mais ceci à ses quelques inconvénients. Par exemple, il est indéniable que dans certains décors on ait la forte sensation de vide, aujourd’hui comme en 1995. Heureusement, les décors, qui ne sont en fait qu’une image collée en fond d’écran et qui s’étire ou se rétracte en fonction de vos déplacements, sont assez jolies. Les décors nous font voyager et certains comme Angkor Wat ou Monument Valley ont leurs charmes. D’autres comme le Stadium dispose en revanche de couleurs criardes de très mauvais ton. On notera aussi que les décors sont on ne peut plus statiques, contrairement à ceux des jeux de combat 2D qui sont souvent bourrés de petites animations pour rendre le tout vivant. C’était probablement le prix à payer au début de l’ère Playstation pour avoir un jeu en full 3D.
Côté son et musiques, Tekken répond aux ambitions à la fois de Namco et de Sony. En effet, Namco voulait un jeu de combat réaliste et percutant, presque cinématographique. Sony voulait des jeux cool et ‘’jeune’’ pour garnir sa console. Alors, les compositeurs Yoshie Takayanagi et Yoshie Arakawa ont produit une série de musique entre la techno, la dance et l’électro. Globalement, c’est très pêchu et rythmé. Les sonorités sont souvent aiguës et donnent des effets de pulsation insistante à l’ambiance sonore du jeu, comme pour contribuer par le son à l’impact des joutes et des coups qu’on s’échange. D’autres musiques se parent de sons un peu plus tribaux pour installer une ambiance exotique ou dépaysante, comme celle d’Angkor Wat. Une en particulier se dote de sons lents et sombres, portant une ambiance de mort rampante et de solitude crépusculaire : la musique de Monument Valley. Elle détone véritablement avec le reste de la bande-son tant elle distille une ambiance à la limite de l’horrifique, une piste qui aurait parfaitement eu sa place dans un Resident Evil ! Bref, du bon travail, ou en tout cas une proposition qui colle bien avec l’identité et les ambitions du soft. Même si aujourd’hui, les samples ont vieillis et certaines musiques sont clairement passées de mode (on mix ici le dubstep, l’électro, le RnB très discothèque des années 1990… quand même), la BO contribue à faire de Tekken un jeu très bien ancré dans son époque. Un jeu "cool", "à la mode", pari remporté par Namco et Sony donc.
Pour en finir avec les qualités du titre (celle-ci est intemporelle, contrairement à la technique qui elle, inévitablement, a souffert des affres du temps), la durée de vie est conséquente pour un simple jeu de combat. Outre le fait que son accessibilité garantisse à bon nombre de joueur d’y revenir régulièrement et qui font que Tekken a réuni de nombreux amis le temps d’une soirée castagne sur le canapé, le jeu de Namco bénéficie de nombreux personnages. 8 dans la version arcade, mais pas moins de 17 dans sa version console ! En effet, Tekken comporte une impressionnante galerie de combattants (pas toujours d’un très bon goût, on vous l’accorde) qu’il faudra débloquer au fur et à mesure des parties. Chaque combattant de base devra affronter un sous-boss qui est propre à son histoire avant de se confronter au boss commun à tous : Heihachi. Une fois vaincu, ce sous-boss deviendra un personnage jouable, autant d’occasion de découvrir ou redécouvrir le jeu avec un protagonistes tout neuf qui pourrait bien devenir notre main character. Les huit combattants initiaux ont d’ailleurs l’honneur de voir leur périple se terminer par une séquence en image de synthèse assez belle pour l’époque, et bien mieux mise en scène que celle de Street Fighter EX, trop sommaire.
Seulement voilà, tout n’est pas parfait, et si à l’époque cela ne s’est vu qu’à partir du troisième volet environ (ou quand d’autres concurrents ambitieux sont arrivés sur le marché comme Bloody Roar ou Dead or Alive), aujourd’hui, plus de vingt ans après, il est impossible de ne pas voir l’évidence. Oui, Tekken premier du nom a pris un sacré coup de vieux dans la poire. Hé, c’est aussi ça, le retro gaming ma bonne dame. Il est de notoriété publique qu’un jeu en 3D vieilli d’ailleurs beaucoup moins bien qu’un jeu en 2D. Tekken est là pour nous prouver de façon incontestable que c’est vrai pour la plupart des cas. Désormais, la rigidité du déplacement des personnages ne ressemble plus du tout à ce qu’on pensait être de la nervosité et de la fluidité en 1995. Certains décors sont d’autant plus grossiers que d’autres bien plus jolis ont rejoint les panoramas de la série au fil des nouveaux épisodes. Comme cité plus haut, le design de certains personnages sont cheap à souhait (Jack et ses petites guibolles supportant un gigantesque tronc totalement disproportionné… Nina et son Spandex violet, Ganryu, Wang Jinrey qui est le cliché du vieux maîtres d’arts-martiaux chinois sans aucune once d’inventivité ou de charisme…). On peut aussi reprocher aux portraits 3D des personnages sur le menu de sélection des combattants d’être parfois bien laids, mal modélisés, ou tout simplement doté d’un style assez peu conventionnel (Law est vraiment… étrange, avec ses mimiques). Définitivement nous avons à faire à un jeu qui est la victime du progrès inarrêtable et rapide de la technologie 3D.
Mais il serait injuste de se souvenir de Tekken par le prisme de ses défauts d’ancienneté. Car replacé dans son contexte, il demeure le point de départ d’une petite révolution dans le jeu de combat et le jeu vidéo tout entier, avec quelques autres élus, dont Virtua Fighter justement. Celle de l’arrivée de la 3D qui a sut se rendre populaire et accessible au plus grand nombre. Avec la Playstation et la Saturn, puis un peu plus tard la Nintendo 64, il n’était en effet plus nécessaire de posséder un ordinateur hors de prix, avec carte accélératrice et tout le toutim, ou squatter inlassablement les salles d’arcade enfumées pour profiter d’un jeu en 3D. Les consoles étaient bon marché et les softs étaient de qualité. Premier jeu de la Playstation à franchir le cap symbolique du million d’unités vendues, Tekken s’inscrit immédiatement dans l’ADN de la marque Playstation et signe le début d’une collaboration fructueuse pour Namco et Sony. Au-delà de la rivalité Namco-SEGA dans le domaine de l’arcade, de la 3D ou du jeu de combat, c’est le duel qui oppose la Saturn à la Playstation qui fera de Tekken une production extrêmement importante pour le catalogue de jeu de la PS1.
La folle histoire de Tekken est ainsi lancée. Et si je peux reprocher certains manques de goûts dans la conception des personnages à ce Tekken, force est de constater que cela ira en s’arrangeant dans les suites. Nina, peu attirante ici, deviendra une femme fatale particulièrement attrayante, adepte des clés de bras et autres craquements d’os ; tandis que Lee Chaolan par exemple gagnera au fil du temps un look et un style de combat qui lui sont propre et qui en feront un personnage agréable à manier. Un jeu qui n’était qu’un projet de recherche technologique, finalement mal équilibré et parfois même mal dégrossi a sut se créer une place dans le cœur des joueurs. Aujourd’hui, Tekken existe encore et est une des séries de jeu vidéo les mieux vendu de tous les temps, rien que ça. Katsuhiro Harada, qui ne prendra le pouvoir à la tête de la franchise, véritablement, qu’à partir du troisième opus sait relativiser sur la situation. Il déclare : "Dans le secteur du jeu vidéo, la technologie évolue à toute vitesse. Les modes naissent et se défont, et parfois je me demande comment je peux perdurer et rapporter aussi longtemps. Quand vous regardez en arrière, il y a eu des tas de jeux de combat, surtout dans les années 1990. Mais qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Bien peu. Les jeux sortent et tombent dans l’oubli, je n’aurais jamais cru que Tekken durerait si longtemps. Personne ne l’aurait cru."
Et effectivement, bien des jeux de combat sont tombés dans l’oubli. Mais nous les gardons encore au fond de notre cœur de gamer car hier comme aujourd’hui, ils nous ont tant passionnés malgré tout : Bloody Roar, Battle Arena Toshinden, Darkstalkers, Fatal Fury, Rival School, Tobal…
Et bien entendu, Virtua Fighter, le grand et respectable rival de Tekken, mort bien trop jeune.