Ces interviews de Trip Hawkins (PDG de 3DO Compagny) et de Akifumi Kodama (un développeur nippon qui a réalisé pas mal d'adaptions de jeux occidentaux sur les consoles et micros japonais comme Kick-Off, PowerMonger, ou encore Populous) autour de la 3DO réalisée à priori dans le cadre d'une campagne promotionnelle orchestrée par GameStop nous ramène à la veille de la guerre des consoles dites "nouvelle génération" en 1994. Jaguar, 3DO, Amiga CD32, Playstion, Saturn, MD 32X,Ultra 64, PC F-X... Ca fait forcément beaucoup, et très vite certains tomberont sur le champ de bataille.
Il est tout de même intéressant de voir l'enthousiasme, et confiance affiché par les patrons d'un futur grand perdant de cette guerre, perdant mais bardé de bonnes intentions.
A la fin de la traduction, vous verrez le PDG de NIS (Sohei Niikawa) évoqué cette époque en 2011, une époque où beaucoup hésitait sérieusement à investir le standard 3DO.
Origines et fonctionnalités Hawkins : Le développement de la 3DO a duré environ 3 ans. Les deux premières années ont été consacrées au matériel, l’année suivante au développement de la partie logicielle. Au cours des six derniers mois, nous avons mis au point le système d'exploitation. La 3DO sera environ 50 fois plus rapide en termes de rendu et de vitesse de calcul, par rapport aux systèmes 16 bits actuellement sur le marché. C’est pourquoi les jeux sur la 3DO auront des animations plus fluides que tout ce qui existe aujourd’hui et seront plus réalistes. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles Matsushita appelle son système 3DO « R.E.A.L. »
Kodama : En plus de prendre en charge les animations fluides, le hardware est capable d'afficher plus d’un million de couleurs. C’est aussi une fonctionnalité importante. Le son est également excellent. Il offre un son numérique de haute qualité et un son surround. Et comme il utilise des CD-ROM, il n’y a pas de soucis d’espace mémoire, et les films interactifs et la vidéo numérique seront possibles.
La 3DO excelle également dans le rendu polygonal et le mappage de textures, ce qui permettra de produire facilement des simulateurs de vol. Elle peut rapidement restituer des objets 3D sous n’importe quel angle, ce qui permet aux joueurs de profiter de mondes 3D plus réalistes.
Hawkins : En fait, nous avons déjà des accords de licence de matériel avec trois grandes entreprises : Matsushita, Sanyo et AT&T. Nous sommes également en négociation avec d’autres entreprises qui souhaitent fabriquer du matériel 3DO. Cependant, nous voulons maintenir la qualité du matériel à un niveau élevé. C’est pourquoi nous ne signons des contrats qu’avec des entreprises qui ont une expertise technique et de fabrication supérieure.
Trip Hawkins, président de 3DO Compagny dans le texte « Le 3DO est une machine de nouvelle génération ! »
Kodama : Nous ne le savons pas encore avec certitude, mais je pense qu’AT&T se concentrera principalement sur le marché américain.
Matsushita vendra certainement nos consoles au Japon, cependant. Leur matériel devrait être mis en vente au printemps prochain, mais il est possible qu’une autre marque (Sanyo) soit également disponible à ce moment-là.
Multimédia vs. Console de jeu Hawkins : Ce qui est très important pour nous, c'est que nous considérons le multimédia, les consoles et les ordinateurs comme trois activités distinctes. Chacune d’entre elles a un format de média différent : les ordinateurs utilisent des disquettes, les jeux sur console utilisent des cartouches et le multimédia utilise des CD-ROM.
Ces différences ont des implications sur la façon dont la machine est utilisée : par exemple, prenez une famille américaine moyenne. Si cette famille achète une console de jeu, le garçon l’utilisera probablement beaucoup ; si elle achète un ordinateur, le père finira inévitablement par l’utiliser très fréquemment. Cependant, lorsque cette famille achète une machine multimédia, c’est quelque chose dont ils peuvent tous profiter ensemble, un peu comme l’expérience d’acheter une télévision.
Les CD-ROM sont très bon marché et peuvent stocker beaucoup de données. Ils nous permettent de produire des logiciels qui intéresseront toute la famille : jeux, CD de musique, CD vidéo, CD photo… une variété de genres sont possibles. La possibilité d’utiliser tous ces différents logiciels est un autre argument de vente pour la 3DO.
Kodama : En d’autres termes, même si le principal argument de vente de la 3DO reste le jeu vidéo, nous souhaitons faire du multimédia un domaine à part entière.
Hawkins : Le fait que la 3DO utilise des CD-ROM est également essentiel. Les cartouches sont bien trop chères et ne peuvent pas avoir beaucoup de mémoire. Avec ces deux limitations, il serait très difficile d’installer un vrai marché des logiciels multimédia à destination du grand public. C’est pourquoi nous avions absolument besoin de CD-ROM.
Cependant, les CD-ROM impliquent que le système ait besoin d’un lecteur CD et de beaucoup de mémoire, ce qui signifie que le coût du système augmente considérablement. Pour inciter les consommateurs à dépenser autant d’argent pour le matériel lui-même, il faut une bonne incitation ; c’est pourquoi notre concept de « multimédia » devait inclure une diversité de logiciels : jeux, musique, logiciels éducatifs et vidéos.
Kodama : L’année prochaine, lorsque la 3DO sera commercialisé au Japon, nous aurons besoin de développeurs de logiciels japonais qui comprennent ce que nous visons avec la 3DO et qui comprennent la base d’utilisateurs nippons que nous essayons d’atteindre. Bien sûr, les logiciels fabriqués en Europe et en Amérique exercent également un attrait sur les consommateurs japonais, je pense. Néanmoins, nous savons que nous devons également réfléchir à un développement de logiciels qui réponde aux besoins spécifiques du marché japonais.
Akifumi Kodama, qui travaille maintenant pour Dolby.
Hawkins : De plus, le développement de logiciels liés à la télévision par câble américaine et à la télévision interactive en général est très important pour la 3DO. Les marchés sont cependant très différents, pour le système de câble japonais et le système de câble américain. C’est probablement un domaine dans lequel la 3DO se développera selon des lignes légèrement différentes, en Amérique et au Japon.
En Amérique, la 3DO sera lancé avec 10 titres. D’ici Noël, il devrait y avoir environ 20 titres disponibles dessus.
Kodama : Cette deuxième série de logiciels sortira également au Japon, je pense donc qu'il y aura beaucoup de titres disponibles. De plus, nous avons actuellement signé des accords de licence pour des logiciels développés au Japon avec 52 sociétés. Plus de la moitié de ces sociétés sont déjà en cours de développement, donc d'ici juillet prochain, 20 à 30 titres devraient être en vente au Japon.
Éducation et divertissement Hawkins : Peut-être le philosophe le plus célèbre d’Amérique, lorsqu’il menait des études sur la télévision, a dit un jour que « ceux qui voudraient séparer l’apprentissage et le plaisir ne comprennent rien à l’un ou à l’autre ». Selon lui, l’éducation et le divertissement étaient des concepts liés. Une éducation vraiment efficace ne se produit que lorsque vous avez le désir d’apprendre, et le désir lui-même ne se produit que lorsque vous vous amusez. Un divertissement de qualité est donc très utile lorsque vous essayez d’apprendre quelque chose. Nous essayons de combiner les deux concepts : nous appelons ces logiciels « ludo-éducatif ».
Contrairement à la lecture d’un livre ou au visionnage de la télévision, avec des médias comme 3DO, vous pouvez réellement obtenir un retour d’information de l’écran, il est donc plus facile de susciter l’enthousiasme des gens pour ce qu’ils essaient d’apprendre. Quel que soit le sujet que vous essayez d’étudier… que ce soit l’Histoire, des histoires célèbres ou n’importe quoi d’autre, il aura désormais un sens plus réel et sera plus facile à comprendre. C’est vraiment ce que l’on appelle le « multimédia », je pense : combiner la présentation visuelle de la télévision avec les capacités d’« accès aléatoire » et la profondeur des livres et des médias imprimés traditionnels.
Par exemple, nous développons actuellement un logiciel de cartographie du monde qui combine en quelque sorte l’expérience d’un simulateur de vol avec celle de la lecture/navigation sur une carte. Nous sommes également en train de créer une encyclopédie des animaux. Elle est accompagnée de divers clips vidéo préenregistrés de différents animaux. Donc oui, la 3DO est un peu comme regarder la télévision, mais aussi un peu comme lire un livre.
Prévisions futures Hawkins : Nous considérons le secteur des jeux sur console et le secteur multimédia comme deux sphères totalement différentes. Par exemple, si j’étais à la place de Sega ou de Nintendo, mon objectif actuel serait de développer un système à cartouche 32 bits. La raison qui explique cette stratégie, est que pour que Sega batte Nintendo, ou que Nintendo batte Sega, ils doivent développer une console de jeu à cartouche de nouvelle génération le plus rapidement possible. Ensuite, je développerais une Gameboy 16 bits. C’est ainsi que Sega et Nintendo doivent se faire concurrence, mais nous, nous considérons le multimédia comme un marché complètement différent.
Je prédis que d’ici cinq ans, les logiciels de divertissement seront principalement basés sur des CD-ROM. Et pour qu’une famille puisse profiter de ce divertissement, je pense qu’elle aura besoin d’un système multimédia. Cependant, les offres actuelles de CD-ROM de Sega et Nintendo ne sont pas vraiment assez polyvalentes pour être qualifiées de « multimédia ». Comme vous le savez, la 3DO vise à devenir la norme mondiale du multimédia domestique. Ce n’est que plusieurs années après avoir obtenu cette reconnaissance que le défi avec les fabricants de consoles comme Sega et Nintendo commencera vraiment.
Ils devront se rappeler que la compétition au niveau d’une console de jeu « jouet » à cartouche ne tiendra pas sur la longueur ; c’est le domaine du multimédia, qui nécessite une technologie différente et le soutien de nombreux développeurs tiers qui s'imposera à terme. C’est pourquoi je dis que le multimédia est une perspective totalement différente du simple jeu conventionnel. À l’avenir, je pense que ce seront Nintendo et Sega qui devront entrer dans la course. (rires)
Publicité japonaise pour 3DO.
Prévisions pour 1994 (extrait d’un article « PDG de jeux vidéo 1994 » dans Famicon Tsuushin) Kodama : À l’origine, les jeux vidéo étaient principalement destinés aux enfants de 8 à 10 ans. Mais cela fait 10 ans que les jeux vidéo sur console de salon ont fait leur apparition, ce groupe d’âge s’est donc fragmenté et, naturellement, cette fragmentation a entraîné une diversification des intérêts du marché. Il ne suffit plus de concevoir des logiciels uniquement destinés aux enfants. Nous avons vendu 100 000 unités de 3DO R.E.A.L de Matsushita, qui a fait ses débuts en mars de cette année, et si l’on considère la tranche d’âge des acheteurs, on constate que de nombreuses personnes ont entre 10 et 20 ans. Il est temps de repenser le concept même de jeu : un changement de paradigme est nécessaire.
La 3DO a été conçue à l’origine comme une machine multimédia plus que comme une console de jeu en soi. Si l’on considère également ses capacités matérielles, elle est plus proche d’un téléviseur que d’une console de jeu. Nous faisons beaucoup d’efforts pour améliorer la qualité et, dans un avenir proche, nous prévoyons de créer un modem qui permettra aux utilisateurs de se connecter par vidéo et par téléphone.
Quant à l’augmentation des capacités 3D, l’ajout de puces plus dédiées rendrait le tout trop cher, nous n’y pensons donc pas pour le moment. De plus, au-delà du problème du coût, avec la technologie 3D actuelle, si on essaie de la pousser au maximum, elle finira par paraître moins réaliste.
Le format CD-ROM permet bien sûr de meilleurs visuels, mais il nous a aussi résolu les problèmes de coût et de mémoire. Nous pouvons également produire des CD par incréments minimum de 1000, ce qui nous permet de prendre des risques sur des logiciels plus expérimentaux. La console 3DO n’est pas sortie depuis longtemps : son matériel a encore beaucoup de potentiel inexploité. Mais à la fin de cette année, deux ou trois titres avec de grandes ambitions commerciales devraient sortir. Ce ne sont pas des jeux de type shooting games qui testent les réflexes, mais des jeux qui peuvent plaire à tous, enfants et adultes.
Outre les jeux, nous pensons aussi aux logiciels de musique, au cinéma interactif et, pour une idée très décalée, aux catalogues numériques. Par exemple, un catalogue de maisons. Lorsque vous envisagez d’acheter une maison, ce logiciel vous permettrait de visualiser la taille et la décoration intérieure. Vous pourriez y placer différents objets et, simplement en manipulant la manette, voir une image réelle de la maison de vos rêves.
Nous savons qu’il y aura inévitablement des jeux pour adultes qui tireront parti des fonctionnalités du CD-ROM. Les CD-ROM ont la capacité d’afficher de vraies images, donc pour éviter que la situation ne nous echappe, nous devrons établir des règles à ce sujet. Il y aura beaucoup de variété dans les logiciels publiés sur la 3DO, comme vous pouvez le constater. En termes de prix, les jeux bon marché coûteront environ 3 000 yens, et les jeux de haute qualité pourraient dépasser les 10 000 yens ; c’est comme pour les livres, où le prix dépend de la qualité de la publication.
En ce qui concerne nos développements futurs, Sanyo devrait sortir en août une autre console 3DO avec les mêmes spécifications que la R.E.A.L. Elle sera distribuée par l’intermédiaire de distributeurs de jouets, vous pourrez donc l’acheter dans les magasins de jouets généraux. Le modem dont j’ai parlé devrait également sortir à la fin de l’année. Pour les ventes, notre objectif est de dépasser le million d’unités, ce qui devrait être possible d’ici septembre si les ventes restent soutenues. Nous préférons éviter une concurrence féroce, mais nous pensons également que si un concurrent apparaît, cela pourrait nous offrir de bonnes opportunités.
Nippon Ichi et la 3DO
extrait d’une interview de 2011 avec le président Sohei Niikawa
— Le 12 juillet 2012, Nippon Ichi fêtera son 20e anniversaire. Félicitations. Pouvez-vous commencer par me raconter comment le logiciel Nippon Ichi a été lancé ? Niikawa : J’ai personnellement rejoint Nippon Ichi en 1996, donc la plupart des éléments que je vais vous révéler vient des discussions que j’ai entendu de son fondateur et ancien président, Koichi Kitazumi. A l'origine, Nippon Ichi était une société appelée Prism. Elle a été fondée par Kitazumi et d’autres membres de Sunsoft en 1991. Ils faisaient principalement de la sous-traitance pour les titres Super Famicom. C’était il y a plus de 20 ans.
— Pourquoi cette société a-t-elle changé de nom pour devenir Nippon Ichi ? Niikawa : D’après ce que j’ai entendu, Prism a été créée en tant que coentreprise. Certes, cela signifiait qu’il y avait beaucoup d’égalité dans l’entreprise, mais il s’est avéré que l’absence de hiérarchie fixe a fini par freiner l’entreprise. Comme tout le monde avait le droit de s’exprimer, rien ne pouvait jamais être décidé et le travail se déroulait de manière très irrégulière et hésitante. Il y avait bien sûr un président chez Prism, mais il n’avait pas l’autorité pour mettre tout le monde d’accord.
Sohei Niikawa, président de NIS.
Kitazumi a vu cette situation, y a réfléchi et a décidé que la joint-venture empêchait la société de fonctionner correctement. En 1993, il a restructuré la société en « Prism Kikaku », qui est devenue plus tard Nippon Ichi Software.
— À l’origine, vous faisiez du développement en sous-traitance. Comment avez-vous fini par publier vos propres titres ? Niikawa : Même après avoir créé Prism Kikaku, notre travail de sous-traitance a continué. Mais Kitazumi a ressenti les limites de la gestion d’une entreprise qui ne faisait que du travail en sous-traitance et a commencé à chercher une bonne plate-forme matérielle sur laquelle développer nos propres jeux. À cette époque, la ruée vers les consoles de nouvelle génération avec la Playstation et la Sega Saturn avait commencé, et Kitazumi a décidé de surfer sur cette vague.
— Oui, il y a eu beaucoup de nouveaux hardwares sortis en 1994, c’est sûr. Le 20 mars, la 3DO est sortie, puis le 22 novembre la Sega Saturn et le 3 décembre, la Playstation. Au milieu de cette « ruée vers la nouvelle génération », pourquoi avez-vous fini par choisir la PlayStation ? Niikawa : Le choix du hardware était vraiment difficile. C’était encore l’âge d’or de la Super Famicom, et quelle que soit la nouvelle console que vous choisissiez de soutenir, il y avait des risques, mais c’était aussi une période de grandes opportunités pour l’entreprise. Parmi les différents choix, les conditions contractuelles de 3DO étaient si attrayantes que nous avons failli finir par les choisir.
Mais finalement, en raison de leur réseau de distribution et de la facilité avec laquelle ils acceptaient les petits développeurs, nous avons finalement choisi la PlayStation. Avec le recul, on peut dire que nous avons fait le bon choix ! C’est à peu près à cette époque que nous avons changé notre nom de Prism Kikaku à Nippon Ichi Software, d’ailleurs. Je pense que si nous avions choisi la 3DO à l’époque, Nippon Ichi n’existerait peut-être plus aujourd’hui. (rires)
A cette époque je jouais sur megadrive et je rêvais de la saturn (que je n est jamais eu d ailleurs) , j ai étais conquis par Sony meilleurs prix, nouvelle licences...
La 3DO, la jaguar étais de magnifique console mais inaccessible pour beaucoup.
Les années 90 et la transition 2D/3D, je suis tellement heureux d'avoir connu cet âge d'or C'était comme si nos rêves les plus fous devenait réalité. Aujourd'hui, tout est "banal".
J'ai toujours ma 3DO Panasonic FZ1..payée 80€ il y a plusieurs années ^^
La 3DO, la jaguar étais de magnifique console mais inaccessible pour beaucoup.