Enfin. J'ai enfin eu le temps de découvrir et finir The Last Guardian, dernier rejeton de Fumito Ueda, sorti en décembre 2016 après une interminable gestation. Un chef-d'oeuvre ? Un jeu sorti trop tard ? Trop tôt ? Autant le dire tout de suite, je n'oublierai pas l'expérience, mais pas forcément pour de bonnes raisons...
The Last Guardian, je l'attendais énormément. J'avais dû faire
Ico 3 ans après sa sortie (
funny fact : joué entièrement avec la manette slime Dragon Quest... pourquoi ? parce que). Et j'avais adoré, que ce soit pour son univers, son histoire, ses musiques ou ses mécaniques de jeu. Un an plus tard j’enchaînais avec
Shadow of the Colossus qui, sans atteindre l'aura de son prédécesseur, était vraiment cool pour ses combats de boss gigantesques. Du coup, je l'ai attendu ce
The Last Guardian. On va pas revenir sur les péripéties du développement, tout le monde en a assez parlé, mais c'est toujours resté - depuis son annonce - un des jeux que j'attendais le plus.
Figure 1 & 2 : Evolution du design du gamin au cours du développement du jeu.
Puis vint l'E3 2015. L'époque où il était encore accepté (voire même très apprécié) de présenter un jeu avec pour seul matériel un trailer CG ou à peine plus qu'un logo. C'est durant cet E3 que Yoshida sortit The Last Guardian de l'ombre, avec une sortie confirmée pour l'année suivante. Malgré sa technique quelque peu datée, le jeu semblait avoir le potentiel pour égaler
Ico.
ET ENFIN. La sortie. Le jeu lancé, on découvre un univers comparable aux anciens. Les ruines d'une ancienne civilisation explorées par un enfant, seul, qui va découvrir un compagnon qu'il va apprendre à connaître, et les mécaniques de jeu seront justement basée majoritairement sur la collaboration entre les deux personnages ; un que l'on contrôle (l'enfant) et l'autre à qui l'on va donner des ordres (le chat-aigle, Trico). Comme dit plus haut, techniquement, visuellement, c'est davantage de la PS3, mais on s'en fout, l'esthétique éclipse facilement ce genre de détail. C'est beau. La musique est de qualité aussi. Les mécaniques de jeux demandant la collaboration des personnages sont intéressantes. Y'a des idées en tout cas. L'histoire est bonne elle aussi. Et la bestiole est mignonne, touchante. Elle me fait penser à mon chat. Mais que ce soit pour ses bons et ses mauvais côtés...
Figure 3 & 4 : The Last Guardian, en tout cas, c'est beau.
On a rapidement passé en revue les qualités indéniables du titre que tout le monde reconnaîtra aisément. Mais y'a un problème. Un GROS problème. Le jeu est pénible à jouer. Tellement pénible. TELLEMENT. PENIBLE. Souvent. Trop souvent. Pas le temps d'apprécier un passage sympa qu'il est déjà gâché par ces problèmes qui reviennent TOUT LE TEMPS. Quels problèmes ? Passons-les en revue, du plus banal à l'extrêmement énervant.
1- Les bugs
Assez rares mais suffisamment présents pour me soûler, j'ai dû relancer plusieurs fois la console à cause de bugs. Impossible de passer certains phases de jeu (notamment franchir des portails sous l'eau) parce que la créature refuse catégoriquement de le faire, s'arrêtant dans son élan et rebroussant chemin, même après de nombreux essais. Impossible de faire certaines actions (comme dégainer le bouclier) à certains moments. Il arrive également de passer à travers une plateforme sans que le gamin s'y accroche.
2- Donner des ordres à Trico
Rapidement dans le jeu, on peut donner des ordres à Trico. Les ordres sont assez simples : appeler la créature, lui demander de sauter, de se mettre debout, de s’asseoir, d'attaquer. Donner des ordres n'est pas le problème. Le problème est que Trico tient davantage du chat que du chien. Ou du chien très con. Il écoutera les ordres s'il a envie de les écouter. Saute ! Pas envie. Viens ! Hum, non. RIEN. A. FOUTRE. Il n'est ainsi pas rare d'être bloqué parce la bestiole ne veut pas avancer. Ou alors elle veut bien avancer mais elle ne vous a pas attendu cette fois... du coup, il faudra attendre qu'elle veuille bien revenir sur ses pas pour venir vous chercher... Parfois elle donnera des coups de patte aux ennemis en vont balançant dans le gouffre vous aussi.
Figure 5 & 6 : Illustrations du comportement de Trico. A gauche, Trico aidant l'enfant à escalader une falaise. A droite, Trico recevant l'ordre de sauter.
3- La gestion de la caméra
La caméra est atroce, difficile à régler, particulièrement dans les bâtiments ou caverne. Souvent la créature vous bloquera la vue et si vous voulez alors ajuster la caméra vous-même, ça prendra un temps fou. Difficile aussi de viser avec le bouclier quand on a une caméra constamment en mouvements...
4- La physique du jeu et les contrôles
Et le pire : la physique du jeu... que ce soit pour grimper sur des parois, sauter sur des corniches, ramasser des objets, grimper sur la créature ou même marcher, TOUT devient pénible à faire dans le jeu... Les collisions sont hasardeuses, tout comme la capacité du gamin à s'accrocher ou non à un rebord de falaise. Les contrôles pour grimper sur la créature (qui est donc une surface non plane) dépendent de l'orientation de la caméra (qui est pas facile à gérer...) et rendent donc la manipulation très fastidieuse... Le gamin a des savonnettes au pieds et butera sur des marches invisibles, ou rebondira contre des murs avant de choir dans les abîmes. Les (simples) énigmes sont gâchées par des caisses ou cages difficiles à pousser ou qui, elles aussi, butent facilement contre le décor. Toutes ces choses qui sont le cœur du gameplay rendent alors le jeu extrêmement pénible à parcourir.
Figure 7 : Echelle de la souffrance : de -10 (bonheur absolu) à +10 (souffrance absolue).
Avec tous ces problèmes, impossible pour moi d'apprécier le jeu. C'est triste, il avait le potentiel pour être génial, il y a des moments forts dans le jeu, mais tout est gâché par ces incessantes phases irritantes dont la résolution dépend davantage de la chance que du skill. J'en venais du coup à faire des pauses pour respirer un peu et ne pas détruire le jeu. Une fois l'aventure conclue, on reste avec un sentiment artificiellement plus agréable que durant tout le jeu, tout simplement parce que les 15-20 dernières minutes sont essentiellement des cinématiques qui concluent de belle façon l'histoire entre les deux héros. Mais objectivement, rétrospectivement, les principales émotions que l'on ressent au cours du jeu sont la haine et la souffrance provoquée par un gameplay totalement foiré.
Figure 8 & 9 : Deux visions d'un héros et sa monture aux antipodes du monde vidéoludique. A gauche, le gameplay sans poésie. A droite, la poésie sans gameplay. Choisis ton camp ?
Pour autant, faut-il délaisser la poésie dans un jeu, ou brider la volonté des développeurs de faire passer des émotions ? Non, clairement pas. Le média a besoin de ça, d'évoluer et prendre autant de formes qu'il est possible d'en imaginer. Mais en AUCUN CAS ça ne peut être fait au détriment du gameplay. Il peut être simpliste (e.g.
The Walking Dead) mais on ne peut absolument pas faire de concession sur cet aspect. Le plaisir du jeu réside en grande partie dans le fait qu'il sera justement joué. Aussi beau soit-il, pour autant d'émotions qui peut vouloir passer, le jeu ne peut être qualifié de jeu s'il délaisse complètement son gameplay. Certains jeux comme
The Unfinished Swan vont même plus loin en proposant un gameplay non seulement original mais surtout carré et au service de son histoire et de son message.
Figure 10 & 11 : Exemples de (très bons) jeux mettant en avant les émotions sans pour autant oublier qu'ils sont fait pour être joués et appréciés en tant que tels. A gauche, The Walking Dead, saison 1. A droite, The Unfinished Swan.
J'attendais The Last Guardian comme le nouveau Ico. Je ne voulais qu'une chose, c'est l'adorer. Ce qui est d'autant plus frustrant c'est que sur bien des aspects il égale le premier jeu. On ne peut clairement pas nier ses qualités "artistiques". Mais en l'état, en me souvenant de tous ces moments pénibles, ces difficultés rencontrées, non. The Last Guardian, aussi beau soit-il, n'est PAS un BON JEU.