Adorateur de Michel Houellebecq et plus particulièrement de son second roman,
Les Particules élémentaires, paru en 1998, je ne pouvais évidemment pas manquer l’adaptation de ce chef d’œuvre au cinéma.
Les Particules élémentaires, le film, est allemand, réalisé par Oskar Roehler avec l’aval de Houellebecq lui-même.
C’est préparé à une énorme déception que je suis entré dans la salle avant de voir le film ; pourtant je l’ai trouvé foutrement bon.
S’il est presque impossible de résumer le livre, le film est déjà plus facile à synopsiser dans la mesure où il occulte un grand pan du bouquin. Dans le long-métrage, on suit donc l’itinéraire de deux demi-frères quadragénaires ayant chacun grandi chez sa grand-mère paternelle (élément autobiographique, puisque Houellebecq a lui-même grandi chez sa grand-mère). Michael (Michel dans le livre) est un physicien renommé qui travaille sur le clonage et dont la vie sexuelle est inexistante ; Bruno est un prof de littérature frustré sexuellement. Les deux trouveront l’amour, Michael à travers sa plus tendre amie d’enfance, qui n’a jamais cessé de l’aimer mais à laquelle lui ne s’était jamais intéressé, et Bruno avec une quadragénaire qui va lui faire goûter aux joies du sexe libéré. Manque de bol, chacun va se trouver confronté à la maladie de sa compagne.
Annabelle et Michael...
... Bruno et Christiane.
Cette histoire constitue également la charpente du livre, sauf que ce dernier est beaucoup plus vaste, avec une vraie réflexion sur l’avenir de l’humanité à la limite de la science-fiction, aspect presque totalement éclipsé dans le film. Ce dernier n’en souffre toutefois pas : l’histoire de base est à elle seule magnifique, et j’aurais presque tendance à penser qu’en se concentrant uniquement sur les personnages et leur histoire, il fait finalement l’honneur au livre de rendre sa lecture indispensable pour apprécier totalement son génie.
En tant que lecteur fan de Houellebecq, mon premier objectif est de me détacher de ce que je sais du livre et de ce qu’il m’a fait ressentir pour ne plus lui comparer le film, et juger ce dernier pour ce qu’il est : un film avant tout, et ensuite une adaptation.
En tant que film, Les Particules fait preuve dans sa réalisation d’un classicisme total, presque gênant : aucune inventivité, et rien qui laisse penser que son réalisateur sait mieux se servir d’une caméra qu’un autre. Cette réalisation sobre et invisible laisse donc une grande place au propos — c’est là l’un des points forts — et surtout à l’interprétation irréprochable de tous les acteurs, à commencer par Moritz Bleibtreu, qui incarne Bruno, bien souvent très touchant.
Les Particules parle de l’homme moyen moderne, de la recherche du bonheur et de l’amour comme porte d’accès à ce bonheur. On y trouve un humour cynique et cru, le même que celui du livre, dont les dialogues n’ont d’ailleurs presque pas changé. On rit dans Les Particules, mais jamais franchement ; c’est un rire retenu et désespéré, presque déprimé. Le tragique de l’histoire laisse quant à lui la place à un bon paquet de tristesse, tristesse renforcée par la crédibilité des acteurs.
Scène déjà hilarante dans le livre, ou Bruno, fin bourré, chante à tue-tête ''Ils sont venus ils sont tous là, elle va mourir la Mammaaaaaaa !'' au chevet de sa mère mourante (qui décède d'ailleurs du bordel causé par son fils).
Film allemand adapté d’un roman français, on pouvait craindre que ça ne marche pas. Il me semble pourtant que la nationalité allemande est celle qui correspond le mieux à ce film. D’une part parce que les Allemands sont certainement le meilleur public de Houellebecq ; d’autre part parce que, plus libérés que nous sur le plan sexuel, les Allemands ne sont pas frileux sur le sujet. Je suis convaincu qu’un réalisateur français aurait considérablement édulcoré le contenu sexuel du film et éclipsé ce qui constitue pourtant le moteur de l’histoire.
J’ajouterai à cela que la langue allemande, loin de trahir le propos et de s’avérer gênante (en tout cas en VO), est peut-être la langue idéale pour l’adaptation de l’œuvre d’un auteur dont la philosophie se réclame de Nietzche, Kant et Shopenhauer, tous trois allemands.
Dans l’absolu, Les Particules élémentaires est donc un bon film, porté par des acteurs brillants, une histoire superbe, accompagné par la musique qu’il faut , mais sans non plus être une claque.
On peut alors s’amuser à le comparer au roman. Si ce dernier surpasse largement son adaptation, c’est d’abord parce que sa portée philosophique est bien plus grande, et son ambition encore plus grande. Le film reprend l’essentiel de l’histoire racontée par Houellebecq, mais laisse en cours de route une bonne moitié de l’ouvrage, et ce de manière inévitable, dans la mesure où il me semble impossible d’adapter cette moitié-là pour l’écran.
Il se permet également de modifier la fin du roman et de la rendre moins triste, soit parce qu’il ne devait pas dépasser les deux heures, soit parce qu’il ne voulait pas que les gens se pendent en sortant de la salle. C’est pourtant dommage ; la fin éclipsée par le film est la source dans le livre d’une émotion intense.
En clair, que vous ayez lu le roman ou pas, vous pouvez filer voir Les Particules Elémentaires ; théoriquement vous ne devriez pas être déçu. Je vous demanderai en revanche expressément de lire le roman avant de mourir ; sans ça, même en ayant vu le film, vous louperiez quelque chose d’énorme.
Une note : 7/10 (à cause de cette fin tronquée — on a frôlé le 8 ).