Ah, merde, faut encore que je fasse Isolation...
Hum, bon ben ça attendra un peu ; là j'ai envie de vous causer de
Vol 93, qui est sorti il y a une ou deux semaines.
On pouvait craindre que le cinéma commence si tôt à produire des films sur les attentats du 11 septembre ; on peut surtout craindre que le cinéma d'Hollywood s'enlise dans un bête patriotisme anti-islam, mais par chance Vol 93, qui n'est quand même pas réalisé par une bite (Paul Greengrass a aussi réalisé Bloody Sunday), constitue tout l'inverse de ce que l'on pouvait craindre, donc à la limite le meilleur film qui aura jamais été fait sur ces événements (c'est un peu tôt pour le dire, mais en tous les cas il est difficile d'imaginer que l'on puisse faire mieux).
Bientôt devrait également sortir
11 septembre, made in Oliver Stone ; ce dernier a une production pour le moins partagée, donc j'ai du mal à deviner ce que va donner cette histoire de Nicolas Cage pompier de New York qui va sauver les gens dans les tours en flammes.
Dans tous les cas, Vol 93 adopte dès le départ un point de vue original, en se concentrant sur le seul avion qui a loupé sa cible, et duquel on n'a pas d'images, puisqu'il devait s'écraser sur la Maison Banche.

Voilà, ça c'est l'affiche.
On ira vite sur l'histoire ; en plus vous connaissez la fin. En gros, le film est filmé de manière très documentaire : caméra à l'épaule, absence quasi-totale de musique, aucune surabondance de sentiments, toutes les émotions sont contenues.
Il montre en parallèle le détournement du Vol 93 et la rebellion de ses passagers qui l'amèneront à s'écraser dans un champ, et la gestion au sol, dans les bases aériennes, de ces quatre avions détournés coup sur coup, avec la vision des deux qui viennent s'écraser dans le WTC. Le Vol 93 étant le dernier à être détourné, les passager, informés au fur et à mesure de ce qui se passe dans le WTC et au Pentagone (le premier qui vient me dire qu'aucun avion ne s'est écrasé là se prend mon poing dans la gueule), ont tout à fait conscience de ce qui leur arrive et savent donc qu'ils sont de toute manière destinés à périr, a fortiori s'ils ne font rien contre les terroristes.
Ca donne lieu à une dernière demi-heure specatculaire, qui laisse presque la nausée, pas seulement à cause des mouvements de caméra dans l'avion qui part en couille, mais surtout en pensant à ces gens conscients de ce qui les attend et qui font alors preuve de l'héroisme le plus sincère - au sens où ils ne sont pas du tout dans une quelconque recherche de gloire.
''Attachez vos ceintures, aiguïsez vos couteaux... prêts pour le détournement ?''
Le film n'affiche aucun acteur connu ; et par ailleurs aucun passager de l'avion ne ressort plus que les autres. Pour ce qui est des scènes au sol, il est difficile de remettre en cause quoi que ce soit dans la mesure où nombre de gens ayant assisté aux attentats jouent leur propre rôle.
Là où Greengrass est très fort aussi, c'est qu'il montre les terroristes comme des humains, avec l'un d'entre eux qui dit à sa femme qu'il l'aime et qui a surtout l'air de se sentir foutrement mal à l'aise à l'idée de détourner l'avion.
''Ouais ! On va niquer la gueule de Materrazzi !''
Mais au final, la force du film se situe pour moi dans sa critique finalement très dure à l'égard de l'esprit américain. Il y a d'abord une dénonciation d'une certaine forme d'incompétence au sol, avec des gens qui ne réagissent pas des masses face à des avions dont ils pensent qu'ils peuvent avoir éventuellement été détournés (on peut quand même continuer de ce demander ce qu'il est possible de faire en pareille situation). Plus largement, il fait la critique - très juste - du cinéma américain de base, sans cesse en recherche d'émotions faciles à créer (musiques rocambolesques) et de patriotisme. Il montre aussi une population elle-même influencée par ce cinéma, en la personne des gens dans les bases, qui semblent parfois tirés d'un film la gloire des militaires, certainement parce qu'ils en ont trop vus et se prennent pour des héros. Et si les gens qui téléphonent à leur famille dans l'avion pour leur faire le baratin du ''dis à mes enfants et à ma femme que je les aimerai toujours ou qui se mettent à tous réciter le Notre Père ont un côté cliché, on sent bien que Greengrass ne cherche aucunement, comme l'aurait fait un réalisateur américain classique, à faire pleurer le spectacteur, mais plutôt à montrer que d'une part il est difficile d'imaginer une autre réaction de la part de ces gens condamnés et désemparés, et que d'autre part la société américaine, élevée dans un esprit de spectacle et de spectaculaire, réagit naturellement et au quotidien comme si elle se trouvait dans un film.
En clair, ce que Greengass monte de manière particulièrement subtile et forte, c'est que le cinéma et la télévision ont une place si forte là-bas que les gens vivent comme dans un film, et réagissent comme s'ils y étaient. Ca donne lieu à une sorte d'énorme mise en abîme : celle d'une société cinématographique qui est mise en scène dans un film. J'ose alors - parce que je suis fou - le rapprocher de Bret Easton Ellis, qui dans son roman Glamorama met en scène un mannequin qui se sent tout le temps filmé, accompagné d'une caméra et d'un metteur en scène et qui décide de ce qu'il fait parce qu'il pense que tout ça se trouve dans le synopsis du film dont il pense être le héros.
Vol 93 ne se contente donc pas d'être un fabuleux hommage à des gens que l'on a trop vite oubliés, et qui pourtant ont évité quelques dizaines de morts supplémentaires ; il est aussi un film sur la société du spectacle, et il est un film sur le cinéma, en quelque sorte le manifeste de ce qu'un film qui se prétend historique et juste doit être. Il montre, quand on le regarde, les excès dans lesquels les autres film s'attaquant au sujet ne pourront pas se permettre de verser. En ceci il est indispensable.
Une note (pas 10/10 ; je suis pas fou comme à CinémaFrance quand même) : 8/10 ; voilà un excellent film, qui passe d'ailleurs pas très loin du 9 en fait. Voyez-le bordel !