SNK se spécialise
En 1993, SNK n’est plus un outsider naïf cherchant à imiter Capcom. Avec Fatal Fury 2, le studio a déjà posé une identité claire, mais encore imparfaite : un jeu exigeant, charismatique, techniquement ambitieux, parfois trop rigide pour prétendre de mieux que le statut d'outsider de Street Fighter II. Fatal Fury Special arrive un an plus tard avec une ambition précise : corriger, compléter et stabiliser cette formule, sans jamais renier ce qui fait la singularité de la série.
Ce n’est pas un simple ajustement de chiffres ou une révision cosmétique. Fatal Fury Special est pensé comme l’édition définitive de Fatal Fury, celle qui transforme un très bon jeu en référence durable.
Les revenants, un invité de marque et la construction d’un univers
Contrairement à ce que l’on pourrait croire à la première lecture du roster, Fatal Fury Special n’introduit pas tant de nouveaux personnages qu’il ne réintègre et redéfinit ceux du premier Fatal Fury, absents de l’épisode 2. SNK ne cherche pas à empiler des silhouettes, mais à consolider son univers et à rééquilibrer sa galerie de combattants.
Le retour le plus marquant est évidemment celui de Geese Howard. Officiellement mort à la fin du premier Fatal Fury, précipité du haut de la Geese Tower par Terry Bogard, il réapparaît ici comme si de rien n’était. SNK assume pleinement cette résurrection ambiguë, presque légendaire, renforçant l’aura du personnage plutôt que de l’affaiblir. Geese n’est pas seulement un boss iconique : il devient un combattant jouable, exigeant stick en main, fondé sur le zoning, les contres et une punition chirurgicale, qui récompense les joueurs capables de lire le rythme du match et de gérer la distance avec précision. Autre chose, Geese est là, et il est important de l'appuyer, car il n'y a aucun scénario dans ce jeu. Nous sommes dans le premier jeu SNK de type "Dream Match".
Tung Fu Rue fait ainsi son grand retour après avoir été écarté de Fatal Fury 2. Mais le personnage n’a plus grand-chose à voir avec sa version de 1991. Sa célèbre transformation, qui le faisait passer d’un vieillard malingre à une brute surpuissante, disparaît complètement. À la place, SNK lui offre un moveset entièrement repensé, plus technique, plus mobile, et surtout plus cohérent dans un cadre compétitif.
Tung devient un personnage basé sur la gestion de l’espace à courte et moyenne distance, avec des coups aux propriétés particulières, des timings inhabituels et une capacité à casser le rythme adverse. Il n’est plus un gimmick scénaristique, mais un combattant exigeant, difficile à maîtriser, pensé pour les joueurs capables de tirer parti de ses angles d’attaque atypiques et de ses priorités parfois déroutantes. Son gameplay demande une vraie compréhension du neutral et une lecture fine des intentions adverses.
Duck King, lui aussi issu du premier Fatal Fury, revient également dans Special avec un gameplay ajusté. Si son identité visuelle et son style excentrique restent intacts, son arsenal est affiné pour mieux s’intégrer à la méta du jeu. Duck King repose toujours sur une mobilité correcte et des attaques à portée intermédiaire, mais bénéficie de coups mieux définis, plus exploitables en zoning et en punition. Il devient un personnage capable de maintenir une pression constante sans tomber dans le rushdown aveugle, en utilisant des angles d’attaque peu conventionnels et un tempo difficile à lire.
Ces retours ne sont pas anecdotiques : ils traduisent la volonté de SNK de réunifier Fatal Fury, en proposant une version où presque toutes les figures majeures de la série peuvent enfin cohabiter dans un même cadre de jeu cohérent.
Mais Fatal Fury Special va encore plus loin avec une apparition qui fera date : Ryo Sakazaki. Invité directement issu de Art of Fighting, Ryo n’est pas là par hasard. Sa présence marque le premier crossover officiel entre deux licences SNK, et pose les bases de ce qui deviendra quelques mois plus tard The King of Fighters. Au-delà du symbole, Ryo est un personnage lourd, orienté pression, avec des coups puissants et une gestion du corps-à-corps très différente de celle des combattants de Fatal Fury, renforçant encore la diversité des affrontements.
À cela s’ajoutent l'intégralité du roster, et les boss jouables de Fatal Fury 2 — Billy Kane, Axel Hawk, Laurence Blood, Wolfgang Krauser — désormais intégrés de manière plus équilibrée, même si certains conservent un net avantage structurel. Krauser, notamment, reste un personnage dominateur à longue portée, mais demande une gestion rigoureuse de l’espace et de ses recovery.
Une mécanique affinée, mais jamais édulcorée
Sur le plan du gameplay, Fatal Fury Special corrige la principale faiblesse de son prédécesseur : sa rigidité excessive. Les déplacements sont plus réactifs, les sauts mieux contrôlables, et les transitions entre coups normaux et spéciaux gagnent en fluidité. On reste toutefois dans une logique SNK très claire : le jeu n’est pas permissif, et l’exécution reste volontairement exigeante.
Le système à deux plans, souvent considéré comme un gimmick dans les premiers épisodes, trouve ici une vraie justification mécanique. Le changement de plan devient un outil de neutral game à part entière, permettant d’esquiver un projectile, de casser une pression trop linéaire ou de forcer une prise de décision chez l’adversaire. Bien utilisé, il enrichit considérablement la lecture du match ; mal employé, il expose à des punitions sévères.
Le jeu accorde une importance capitale au zoning et au spacing. Les coups normaux ont des hitbox précises, parfois déroutantes, mais rarement injustes. Les projectiles structurent l’espace sans jamais devenir omniprésents, et les erreurs de placement se paient comptant. Les combos existent, mais restent relativement courts et situationnels, souvent basés sur des enchaînements simples ou des confirmations après un coup sauté bien placé. Il ne s’agit pas encore d’un jeu à cancels complexes ou à longues routes optimisées, mais plutôt d’un versus fighting où la priorité est donnée à la prise de décision et à la punition.
Les revenants et l'invité
Desperation Moves et gestion du risque
Les Desperation Moves (DM), déjà introduites dans Fatal Fury 2, sont ici mieux intégrées à l’équilibre global. Toujours conditionnées à une barre de vie critique, elles exigent des manipulations strictes et un timing précis. Leur rôle n’est pas de renverser un match par hasard, mais de servir d’outil de finition ou de punition lourde dans des situations bien identifiées.
Leur exécution difficile participe pleinement à la philosophie du jeu : Fatal Fury Special récompense la maîtrise et la lucidité, pas l’improvisation. Un DM placé au bon moment est extrêmement gratifiant, mais son échec peut coûter un round entier.
Réalisation et identité SNK affirmée
Visuellement, Fatal Fury Special représente l’aboutissement du savoir-faire SNK sur Neo Geo à cette période. Les sprites sont massifs, expressifs, richement animés, et les décors regorgent de détails vivants sans jamais nuire à la lisibilité. Chaque arène raconte un lieu, une culture, une atmosphère, renforçant l’identité de chaque combattant. Les stages de Tung et Duck King justement sont particulièrement léchés et réussis !
La bande-son, toujours très marquée par le style SNK, oscille entre thèmes épiques, accents rock et envolées mélodramatiques. Elle participe pleinement à la tension des combats et à la mise en scène générale, sans chercher la discrétion.
Les forces
– Gameplay affiné et plus cohérent que Fatal Fury 2
– Système à deux plans pleinement exploité
– Roster riche, incluant des boss jouables bien pensés et non "cheatés"
– Neutral game exigeant et stratégique
– Forte identité SNK, assumée
Les (petites) faiblesses
– Exécution toujours exigeante, peu accessible aux débutants
– Équilibrage perfectible sur certains personnages (Laurence, Tung, Cheng un peu trop "faibles", Joe et Kim un peu trop "forts")
– Peu de combos spectaculaires
– Rigidité encore perceptible face aux jeux Capcom (malgré les gros progrès)
Conclusion - SNK ne blague plus !
Fatal Fury Special n’est pas un jeu qui cherche à séduire immédiatement. Il demande du temps, de la rigueur et une vraie volonté d’apprentissage. Mais en échange, il propose une expérience de versus fighting dense, cohérente et profondément marquée par une vision différente de celle de Capcom.
En stabilisant son gameplay, en enrichissant intelligemment son roster et en affirmant sa mythologie, SNK signe ici la version la plus aboutie de Fatal Fury première generation. Un jeu qui ne pardonne pas l’à-peu-près, mais qui récompense la lecture, le placement et la maîtrise technique.
Ce n’est peut-être pas le plus accessible des classiques de l’arcade, mais c’est l’un des plus structurés. Et c’est précisément pour cela que Fatal Fury Special reste, encore aujourd’hui, un titre fondamental dans l’histoire du versus fighting SNK.
Fiche technique: Titre original : Garou Densetsu 2: Arata-naru Tatakai Développeur: SNK Editeur: SNK Genre: Versus Fighting Année: 1993 Autres supports: Arcade (Neo-Geo MVS), Android, FM Towns, GameGear, iOS (iPhone/iPad), Neo Geo CD, Nintendo Switch, PC, PlayStation 4, MEGA CD, Super Nintendo, NEC CD-ROM, Xbox 360, Sharp X68000, Xbox One/Series Nombre de joueur(s): 2 Localisation: