Retour dans le passé une nouvelle fois et cette fois-ci, c'est Inafune qui passe au grill de 4gamer. La source originale se trouve
ici (en japonais) et la traduction vers l'anglais est dûe à Cheesemeister sur le
forum de Gaf. L'entretien date du 18 Octobre 2010 et Rahan de Gameblog en avait parlé
ici ou Boulapoire
là.
On peut remercier bien fort Cheesemeister pour la traduction de cet entretien plus que pertinent.
4Gamer: Merci de nous accorder de votre temps aujourd'hui. Vous avez récemment eu de très dures remarques et lancé de nombreux projets, l'entretien aura donc pour but d'approfondir ce que vous vouliez signifiez et la manière dont vous le faites.
Keiji Inafune: Merci. Mais j'ai déjà décidé de quitter Capcom.
Quoi ?
Je m'en vais. Il y aura une déclaration officielle mais c'est tout ce que je peux dire pour le moment.
Cet entretien vient de prendre une couleur particulière. Pourquoi avez vous décidé de partir ? Vos déclarations ont été provocantes, mais vous avez toujours parlé en tant que membre de Capcom souhaitant changer l'entreprise.
Oui je veux travailler chez Capcom. Mais comment pourrais je le dire... Les circonstances sont telles que je ne peux plus y travailler plus longtemps.
Je peux facilement imaginer qu'il pourrait y avoir des problèmes avec vos déclarations ou projets, mais étaient-ils vraiment si importants ?
Qu'est ce que je dois dire... Je dirais probablement que la voie de Capcom en tant qu'entreprise a changé. Et que mon départ n'en est donc qu'une conséquence. Ca pourrait prendre du temps mais est-ce que ça vous dérange si je l'explique ?
Faites le s'il vous plait.
La raison pour laquelle je pars est, de manière basique, parce que je pense que l'industrie du jeu elle-même doit modifier la façon dont elle appréhende la production des JV. Vous pourriez penser que je suis hypocrite, mais l'obstacle majeur auquel fait face l'industrie japonaise est la transformation de ses créateurs en
salarymen.
Je pense savoir ce à quoi vous faites références mais merci d'élaborer.
Et bien, lorsque j'avais à peu près 20 ans, j'étais vraiment passionné et je suis rentré dans le métier. Mais maintenant je suis au milieu de la quarantaine. C'est un problème [spécifique] à ma tranche d'âge. Ma génération, pour le pire ou le meilleur, empêche l'industrie d'avancer.
Est-ce que vous voulez dire que le système d'emplois à vie des entreprises a un effet négatif sur les personnes ?
C'est exact. Il y a beaucoup de gens qui prennent l'engagement de la compagnie comme un acquis et ne travaillent pas comme ils le devraient. Ca peut être appliqué à l'industrie toute entière, et bien sûr Capcom n'est pas épargné.
Vous pouvez dire ça mais vous étiez aussi employé de ce système.
C'est vrai. Et c'est exactement pour ça qu'initier des actions pour changer les choses est si troublant. J'étais dans la position d'être dans le refus permanent et pourtant de toucher le chèque à la fin du mois. Quelque soit le retard ou les absences au travail de quelqu'un, ou même quelque soit la qualité désastreuse d'un jeu, le chèque du mois suivant était toujours garanti.
En gros, en disant de telles choses dans cette position, la réaction était :
« De quoi parler vous Inafune-San ? Qu'est que vous pouvez précisément faire face à ça ? »
Dans le système d'emploi à vie traditionnel japonais, si les personnes sont sournoises, un environnement est créé dans lequel travailler dur ne rapporte rien, c'est bien ça ?
Pour faire court, c'est comme un état communiste. Travailler aussi dur que vous le pouvez ne sert à rien. Ne pas travailler dur y est plus avantageux. Mais est-ce que ça ne rentre pas en conflit avec la création de jeu ? Vous ne pouvez pas créer de bons jeux en vous la coulant douce.
Bien qu'il y ait de nombreux problèmes ça a cependant fonctionné jusqu'à très récemment. Pourquoi pensez vous que les choses ont changé si soudainement ?
C'est parce qu'il n'y avait pas de compétition avant. Par exemple, dans l'industrie du jeu il y a 20 ans, quelque soit le genre de jeu produit, vous pouviez vendre 200 ou 300 000 exemplaires. Et si vous faisiez un jeu décent, ça se vendrait à hauteur de 500 000 ou 1 millions de copies. Mais cette époque est terminée.
Quelles en sont les raisons ?
En premier lieu la compétition s'est intensifiée. En outre les joueurs se sont ''habitués'' aux jeux. Pour utiliser une analogie facile, tout type de photos érotiques aura son effet sur les plus jeunes collégiens n'est-ce pas? (rires) Mais ça ne se passe plus comme ça maintenant...
Et bien je crois que je comprends. (rires)
Plus, plus et encore plus. Les gens veulent toujours plus d'amusement et de plus jolis graphismes n'est-ce pas ? C'est quelque chose de logique et pas nécessairement une mauvaise chose. Mais c'est là où un problème se manifeste. Les demandes des joueurs et celles des créateurs finissent par diverger.
Oh, ça ressemble peut-être à un tableau montrant l'évolution d'une entreprise passant de bénéfices à des pertes ?
Exact. Ce peut être une bonne chose au début. Entre les demandes joueurs et les demandes des créateurs, celles des créateurs se sont imposées et les attentes des deux parties ont augmentées de manière similaire sur le tableau.
Mais au bout d'un moment, les demandes joueurs ont prévalu. Que ce soit les demandes des joueurs qui aient augmenté à une allure sans précédent ou celles des créateurs qui se soient perdues en chemin, je n'en sais toujours rien. Mais vu l'évolution, je pense que les attentes ont atteintes un tel niveau que c'est impossible de les satisfaire.
Peu de jeux sont donc capables de dépasser les records du dernier méga succès.
C'est exact. Au Japon, c'est Dragon Quest, Final Fantasy et Monster Hunter n'est-ce pas ? Et Pokémon et compagnie. C'est une gamme très limitée de produits. Les autres ne sont pas si bien établis et ils ne se vendent donc pas.
Je vois. On en revient donc à votre précédente constatation.
Ce n'est pas un système dans lequel vous n'êtes pas payé le mois suivant si le jeu ne se vend pas. Même si il ne se vend pas, vous serez tout de même payé. Vu que les gens sont habitués à travailler dans un tel environnement de travail, contre une telle compétition, la motivation de vouloir faire un meilleur jeu après de meilleurs jeux s'est affaiblie. C'est comme si c'était :
« Je fais juste ce qu'on m'a dit de faire ».
Ca doit vraiment piquer au vif beaucoup de personnes.
Particulièrement
« Est-ce que 500 000 exemplaires vendus au Japon suffisent ? » par exemple. Si vous regardez les chiffres, c'est un très bon chiffre de vente et ça pourrait vous rapporter 2 milliards de Yen (25 millions de dollars). Après avoir réglé les frais de développement, la promotion, les dépenses corporatives ou les frais généraux... En intégrant tous ces éléments, 2 milliards ne suffisent pas.
les gros jeux du type PS3 monteront bien évidemment jusqu'à 3 milliards de Yen. Mais si vous êtes producteur, qu'est ce que vous faites lorsque vous voyez ce genre de montants ? Ca variera bien évidemment d'un personne à une autre.
Et bien si vous visualisez vraiment les chiffres, se développer globalement est obligatoire. Pour la PS3 donc, 500 ou 600 milles exemplaires est considéré comme un succès actuellement. Avec ces chiffres, ce n'est pas comme si vous pouviez couvrir des coûts de développements en augmentation constante.
On pourrait penser que les gens sont plus conscients de ce phénomène. C'est simplement de la naïveté ?
Oui.
Hmm... Dernièrement, en regardant attentivement les rapports financiers de chaque compagnie, [j'ai remarqué que] même Capcom a réalisé un bénéfice de 8 milliards de Yen (100 millions de $) l'année dernière (A la date de Mars 2009). Pour mentionner brièvement les problèmes de liquidités, il est impossible pour une entreprise réalisant un bénéfice de 8 milliards de Yens d'avoir plusieurs projets à 2 ou 3 milliards simultanés.
Oui je comprends très bien ce que vous dites.
Avec la montée des machines nouvelles générations, alors que la qualité des graphismes a tant augmenté, conjointement aux coûts de développement, tout ceci alors que le vieux modèle des affaires s'écroule et qu'une entreprise doit totalement soutenir de nombreux produits du développement à leurs sorties, il est clair que ce n'est pas soutenable dans de nombreux cas.
Même en passant de la DS à la 3DS les coûts de développement augmentent, et créer des jeux type DS faciles à produire (bien sûr ça ne veut pas dire que les développeurs l'ont belle) devient impossible. Dans ce genre d'environnement, comment est-il possible de devenir complaisant ?
C'est exactement les raisons pour lesquelles c'est si dangereux. .
Quoi qu'il en soit, dans ce genre de situation, de nombreuses personnes abusent des employeurs éditeurs. Bien sûr, comme tout le monde le sait, il y a aussi des développeurs indépendants qui travaillent dur mais ici, au sein de l'industrie vidéoludique japonaise où les éditeurs ont l'avantage, quelques soient les capacités des développeurs, personne n'est capable de les utiliser convenablement.
Que voulez vous dire par les éditeurs ont l'avantage ?
Le dire va rendre les éditeurs furieux envers moi, mais les éditeurs eux-mêmes forcent les développeurs à devenir sous-traitants.
« Pour cette somme là, vous devez finir à telle date » et ainsi de suite, et, encore plus que la qualité,
« Visez ce nombre de ventes ». Voilà sur quoi ils insistent.
Bien évidemment, ça ne signifie pas que les éditeurs n'utilisent pas les développeurs sur les choses qu'ils aiment mais je ne peux nier le fait que même des créateurs avec de fortes marques et talentueux doivent se soumettre à des contrats de sous-traitances.
Il semblerait que cette situation soit un peu meilleure à l'étranger.
Oui il semblerait. Il y a bien sûr des éditeurs qui traitent les développeurs « comme des chiens » mais à l'étranger il y a plus de développeurs indépendants. Pour eux l'objectif est de sortir un hit, agrandir l'entreprise, la vendre ou l'introduire en bourse et se faire un paquet d'argent. C'est le rêve américain.
Et au Japon ?
Si vous réussissez vous n'en retirez rien et si vous échouez, c'est de votre faute. Rien ne peut être fait sur ce sujet. L'industrie du jeu n'est pas au niveau où elle peut accorder de l'importance aux créateurs et les élever plus haut. C'est la même chez Capcom.
Je pense donc que c'est une très mauvaise situation. Mettre en oeuvre des changements rapidement est un problème.
La série emblématique sur laquelle Inafune s'est fait connaître
Abandonner le parapluie Capcom et vaincre ou perdre en tant que Keiji Inafune
En ce qui concerne la transformation des développeurs en salarymen, bien que je puisse ressentir une telle déception, c'est un problème de restructuration globale de l'industrie. Pas seulement le système d'emplois à vie. Ca implique d'introduire un scalpel dans la relation éditeur-développeur.
Exact. Avec les initiatives que je prends, j'espère entraîner des changements de façon naturelle au sein de l'industrie.
Depuis quelques années j'ai essayé la même chose chez Capcom. Prenez ce cas : j'étais le directeur du développement. Ce qui signifie que j'étais au sommet de Capcom. Je ne pouvais monter plus haut. C'était donc mieux pour moi de n'être qu'un
salaryman, ne rien faire de nouveau afin d'éviter la chute, de ne rien faire d'extraordinaire, en gérant tranquillement ce qu'on me disait de faire. Parce que si je faisais quoi que ce soit d'impudent et échouait, je n'aurais plus été à cette position.
Vous seriez rétrogradé en cas d'échec ?
Rétrogradé, ou plus vraiment à la même place. Les personnes qui ne présentent pas de nouvelles choses ou créent des succès ne gagnent pas de partisans. Au lieu de ça ils sont stricts et disent des choses comme ''respectez l'échéance'' ou ''ce n'est pas assez amusant''.
Vos jeux ne respectaient donc pas leurs échéances.
C'est arrivé assez souvent. (rires) Pas vraiment, mais tant que les responsables ont des résultats, les autres ne peuvent que se contenter de suivre. Parce que j'étais donc au sommet, je devais bien faire.
Mais plus que ça, n'est-ce pas un problème d'être tout en haut et de ne pas vraiment réussir ou carrément échouer ? Généralement c'est facile de garder sa position dans la vie : n'échouez pas. C'est facile d'éviter l'échec, c'est donc mieux de ne pas penser à réussir. Vous n'avez pas à faire de nouvelles choses ou en changer certaines... Ca devient donc une situation délicate dans laquelle vous pouvez à peine vous en tirer dans la plupart des cas.
C'est exactement ça. Il y a de nombreuses personnes qui aiment ça dans notre génération. Si c'est ''inacceptable'', vous aurez envie d'entreprendre plus agressivement, de ne pas faire autant de suite et faire plus.
Il y a peu vous avez dit : « J'ai essayé les mêmes choses chez Capcom ». Avez vous pu mettre en œuvre des changements au sein de Capcom ?
Si j'avais pu, nous n'en parlerions pas aujourd'hui. (rires) C'est plutôt un choc que je n'ai pu être capable de le faire sur le plan économique au final.
Mais ce qui fut réellement choquant, c'est mon incertitude quant aux changements sur le plan productif. Est-ce que j'ai vraiment été capable des les implanter? Je ne peux pas nier que le plus grand choc fut de penser qu' « il n'y avait plus rien à faire ici de mon côté ».
En ce qui concerne le problème des développeurs se transformant en salarymen, ça a du être plutôt difficile dans un tel environnement. Vous ne pouviez pas vraiment changer les choses de l'intérieur.
Exact. C'est une des raisons, ce problème des échelons gestionnaires qui poussent dans cette direction. Des chiffres, des chiffres et encore plus de chiffres. Un autre gros problème: la façon nonchalante dont les gens faisaient leur vie selon la direction prise.
Donc, si par votre exemple vous pouvez montrez que ce n'est pas une fatalité que les choses se passent ainsi, les choses commenceront à changer progressivement.
Oui. Comme je l'ais dit précédemment, même moi, au sein d'un gros éditeur comme Capcom, protégé par un gros parapluie [
Umbrella en VO], totalement à l'abri de la pluie, ne pouvait m'exprimer librement. Et si je quittais ce parapluie et abandonnait le statut de
salarymen, je pourrais vraiment [tenter quelque chose] et démontrer mes propres forces.
Et vous pourriez donc perdre ou gagner individuellement, en tant que Keiji Inafune.
Jusqu'à maintenant, pour le pire ou le meilleur, je ne pouvais sortir du rôle ''Inafune de Capcom''. C'était un problème plutôt important et j'ai aussi pu constater il y a un moment de cela que lorsque les résultats étaient bons, c'était grâce à Capcom, grâce à Megaman. Ce n'était pas que le discours de la compagnie mais celui des joueurs aussi (rires).
« Vous savez, Capcom ; vous savez, Megaman ». Mais lorsque c'était mauvais c'était bien sûr
« Qu'est-ce que vous faites Inafune ? Ne merdez pas ! ». Ca aussi c'était dit à la fois par la compagnie et les joueurs (rires).
N'est-ce pas le cas pour tout produit d'une licence phare provenant d'une grosse compagnie ? Pour Final Fantasy, si ça se vend c'est grâce à la licence et si ce n'est pas le cas, c'est de la faute des créateurs.
C'est exact. C'est exactement pour ça que je veux prouver que quelque chose peut se vendre parce que ça a été créé par Keiji Inafune.
Le prouver devrait être facile.
Oui. Après mon départ, si un Resident Evil ou un Megaman ne se vendent pas, on en aura la preuve. Le temps passe très vite mais d'ici 3 ans... Je ne peux pas vraiment dire, peut-être plus tôt que ça, j'aimerais en avoir la preuve.
Producteur sur Boktai 2 et The Legend of Zelda : The Minish Cap
Dans le développement de JV, vous devez savoir ce qui est nécessaire aux affaires : vous devez manger du nattô même si vous n'aimez pas ça
Pour en venir au cœur de l'affaire, la raison pour laquelle vous quittez Capcom est que vous avez des doutes sur la structure de l'industrie vidéoludique elle-même et vous voulez essayer d'utiliser vos propres forces de l'extérieur, c'est bien ça ? En agissant ainsi, vous espérez initier une restructuration ?
C'est exact. Vouloir tester mes propres forces est totalement motivé par le désir de savoir si un jeu peut se vendre grâce à ma participation. Si c'est mon jeu et non un d'''Inafune de Capcom'', ce sera dû entièrement à moi. C'était quelque chose d'absolument impossible à l'intérieur de Capcom. Bien sûr on pourrait dire que c'est risqué, imprudent ou courageux mais d'un point de vue objectif, calme, ça semble vraiment imprudent.
Mais jusqu'à maintenant, je ne me suis pas simplement reposé sur ma position. Si vous êtes à la tête du développement, vous n'avez pas à créer le jeu, ou même y penser, vous devez juste laisser vos employés tout gérer et prendre les décisions finales. Ce serait facile. Parce que vous êtes le sommet. J'aurais pu juste dire :
« Amenez moi le produit final, je déciderais si il est bon ou mauvais » mais je n'ai jamais fait de choses comme ça. Je pense au concept moi-même, à la stratégie également, je décide de la réalisation du personnage et dit :
« On va le faire comme ça ».
Combien de titres avez vous supervisé ainsi ?
Hum... Une dizaine environ.
Combien de titres produit Capcom ?
Si vous comptabilisez tous les titres mineurs, il y en a une quarantaine.
En prenant une palette de 30 titres, vous étiez en charge d'environ un tiers d'entre eux ?
Oui, plus ou moins.
Combien de personnes travaillaient sur ces projets ?
Actuellement un peu moins que 900 personnes.
Comme prévu ça demande beaucoup de personnes de produire des jeux du calibre de Capcom. Vous assembliez donc tout ça ?
C'est exact. Comme je l'ai dis, mon degré d'implication variait mais j'étais la personne responsable. Si les choses tournaient mal ça deviendrait un gros problème. Avoir 200 milles Yens de revenus contre 500 milles de dépenses, c'est une perte n'est-ce pas ?
Mais n'est-ce pas l'essence du commerce de contenus ? C'est impossible de parfaitement deviner ce qui sera un succès et ce qui ne le sera pas.
Oui. Vous ne pouvez pas toujours le prévoir. C'est pour ça que ma théorie est ''zéro''.
La théorie de la force en nombres ?
Oui. Pour résumer, si chaque projet n'entraîne pas de pertes, ça s'accumulera. Au final, que ce soit 100 milles, 200 milles ou même un million de Yens, ça s'accumulera tout. C'est comme avoir un investissement varié. Plus-minus zéro. Si c'est zéro, ce n'est certainement pas une perte.
Je vois. En mettant de côté les dépenses administratives et d'entreprise, tant que vos projets continuent à se situer au dessus de zéro, vous n'êtes théoriquement pas dans le rouge.
C'est exact. Mais si vous perdez même 500 000 Yens, cette théorie s'écroule soudainement. Un zéro dans le pire des cas est acceptable. Si vous n'arrivez pas à remonter à zéro, ça ne sert à rien. Si tout le monde travaillaient au moins à couvrir les dépenses, vous ne pouvez qu'améliorer [ce résultat] par la suite.
Par exemple, si un projet de jeu moyen moyen est fait, vous pouvez généralement par le concept du jeu dire si il couvrira ses dépenses ou entraînera des pertes. Dans le pire des cas vous devez remonter à zéro, et un concept de jeu doit au moins avoir ça, et doit donc être continué au moins jusqu'à ce point.
Je vois. Mais pour les personnes créatives, ce genre de pression peut être vraiment lourde.
Certainement. Pour moi, si tout est simplement ok, je ne veux pas le faire. Ce n'est pas que je le puisse, c'est que je ne le veux pas. Mais je devais le faire. Devoir être obligé de faire quelque chose finit par vous tuer.
Si vous mourrez de faim jusqu'au point d'en mourir et que devant vos yeux vous voyez du
nattô, un aliment que vous détestez [et que vous vous dites]
« Beurk, je ne mange pas de nattô donc je ne le mangerais pas » et bien vous mourrez. Si je mange du
nattô je peux survivre. A ce stade, c'est égocentrique de dire que vous ne le mangerez pas parce que vous détester ça. Vous faites l'erreur de privilégier vos préférences à une question de vie ou de mort. N'allez vous pas simplement finir mort de faim ?
Même si vous ne le mangez pas, quelqu'un va bien venir et vous aider non ? C'est la même problématique salarymen que précédemment.
Oui c'est exact. Les
salarymen pensent que si vous vous plaignez suffisamment longtemps, quelqu'un vous apportera un hamburger. Si c'est un hamburger vous le mangeriez non ? Des trucs comme ça. C'est ainsi que les choses se passent depuis longtemps et c'est ainsi qu'on en est arrivé là. Vu l'évolution, Capcom ne mangera pas son
nattô et mourra. Ils ne devraient pas agir ainsi parce qu'ils en mourront. Nous laissons ce fait exister, ça doit donc être une fatalité. J'aime Capcom. Je veux la sauver. Et je ne vais donc pas laisser ceci exister.
Pourquoi voulez vous affronter l'adversité pour sauver Capcom ?
Parce que j'aime Capcom. Des 25 ans que j'ai passé dans l'industrie, j'en ai passé 23 chez Capcom. Sans aller dans un autre boulot, sans connaître les autres compagnies, juste en voulant améliorer Capcom.
Ce n'est pas comme si vous fuyez, mais comment dire.. Peut-être que c'était un problème d'avoir beaucoup à gérer.
Cette situation est, pour faire une analogie malheureuse, comme un long mariage, où se séparer n'est pas une question d'haïr l'autre personne. Capcom est une société géniale et je l'adore vraiment. Ca ne changera pas avec mon départ. Je serais toujours un aficionado.
Je suis aussi un fan d'Osaka, et donc si j'étais un joueur de baseball professionnel, j'aimerais jouer pour les
Tigres d'Hanshin. Bien que les
Géants de Yomiuri payent mieux, j'aimerais jouer pour Hanshin. Je jouerais pour gagner.
Je vois.
C'est la même chose en ce qui concerne vouloir sauver Capcom. Cependant, être devenu dépendant de Capcom est un problème différent, mais parce qu'il est devenu clair que je suis sur un chemin différent, j'ai décidé de quitter Capcom.
Donc si vous voulez sauver Capcom vous pouvez continuer à travailler dessus même après les avoir quitté. Il semble que beaucoup de personnes soient dans le même cas.
C'est absolument exact. J'ai donc dit à Capcom que je partais pour fonder ma propre compagnie, tout en continuant à travailler pour eux, à continuer les titres déjà en cours et suivre les projets engagés. Si c'était acceptable je ne pourrais être en mesure de travailler avec d'autres éditeurs mais je serais capable de finir ce que j'avais commencé. Ce ne fut cependant pas possible. Il m'a été dit que
« ce ne serait pas nécessaire ».
Je vois... Bien que je ne connaisse les détails de ce refus, ça pourrait aboutir à ce que certains titres déjà entamés ne voient jamais le jour.
C'est possible.
Je me demande si Megaman Dash 3 sera ok...
En regardant son calendrier, les membres de l'équipe et le programme établi, Megaman Dash 3 est finalement sur les bons rails. Je ne voulais vraiment pas partir maintenant... Mais je n'y arrive plus. Ma volonté de continuer s'est tarie. C'est pourquoi je devais quitter Capcom et renforcer ma détermination, étant donné que je voulais aider à le finir de l'extérieur mais ce ne fut pas possible.
Comme vous l'avez mentionné plus tôt, si Megaman se vend parce qu'Inafune l'a fait, il ne se distinguera pas. Mais si Megaman se vend parce que c'est Megaman, le projet survivra.
C'est exactement ça. Pour Capcom cela n'a pas d'importance qu'un jeu soit du Inafune typique ou qu'il soit créé par un producteur anonyme. C'est au final la raison pour laquelle j'ai pris la décision de partir. C'est triste de partir, en prouvant ce point. C'était vraiment triste.
La marque Inafune était vraiment traitée ainsi ?
J'ai eu l'impression que la marque Inafune était la plus mal gérée au sein de Capcom. Imaginez que vous avez une magnifique sœur plus jeune, les gens diraient bien évidemment :
« Votre plus jeune sœur est jolie. Ca doit être agréable de vivre avec elle ». Mais vous la regardez peut-être en pensant qu'elle est dans la norme. C'est à peu près pareil. (rires)
Je ne suis pas exactement sûr de ce que vous voulez dire mais je pense avoir compris votre point. Aussi commun que soit le problème de ne pas être aussi important que vous le devriez, il y a aussi le problème de ne pas être traité aussi bien que vous le devriez. Lequel de ces deux problèmes était le plus important ?
Même lorsque j'ai remis ma lettre de démission, personne ne m'a contacté à ce sujet (rires). Il y aurait du avoir un
« Hey Inafune, est-ce que tu as un moment ? » ou
« Qu'est-ce que tu veux dire par là ? Je veux l'entendre directement de ta bouche ». Rien. Zéro .
...Vous rigolez j'espère.
Bien sûr mon équipe m'a demandé de ne pas partir mais vous pourriez penser que quelqu'un de l'échelon supérieur essayerait au moins d'empêcher quelqu'un avec de telles compétences de partir, ou même lui demander plus de précisions.
Hmm...
Ce n'est pas grave cependant. Je m'y attendais. Mais pour une société dont le commerce entier concerne la création et la vente de jeux, vous devez vous apercevoir que le développement est l'élément clé. Si vous ignorez ce domaine, la compagnie ne peut tenir, et c'est ainsi que les choses se passent à ce jour.
Je ne peux pas dire que je n'ai pas été en mesure de faire de nombreuses choses différentes mais j'aurais aimé que le côté développement bénéficie de plus de confiance dans la création des jeux.
Ce n'est pas le cas ?
Non. Pas un seul membre du conseil de direction ne comprend les jeux. Je n'ai pas demandé à en faire parti, mais si vous n'avez pas quelqu'un à cette position qui les comprend et prend les décisions finales, on finit par avoir une partie affaire qui ne comprend pas les jeux et une partie développement qui veut créer des jeux. Je pressens que c'est le plus gros problème auquel Capcom devra faire face.
Ca pourrait être ça, mais au final ceux qui prennent les décisions finales sont le président et le directeur général.
C'est exact mais le fait qu'ils n'ont pas les bonnes informations durant la phase de décisions n'aide certainement pas.
Bien sûr.
Et donc, même si le président et le directeur ne voulaient rien entendre, je devais le leur dire. C'est quelque chose que j'ai fais, même si parfois ça ne m'a apporté que leur dédain. Je peux dire que je voulais juste qu'ils comprennent mes arguments. Je ne parle pas d'argent ou de statut non plus. Si on m'avait simplement dit :
« nous étions en colère avec vous alors, mais vous aviez raison », je ne pense pas que les choses auraient tourné ainsi.
Je faisais pression à la fois pour la stratégie occidentale et multi-plateformes, et je pense toujours qu'elles ont fini par être justes. Si on m'avait simplement dit :
« Vous aviez raison », j'aurais pu être en mesure de rester motivé.
Onimusha et Lost Planet 2
Un jeu Capcom peut être produit par 10 personnes : le mythe de la production interne s'écroule
Avec la tournure un peu pessimiste de cette discussion, j'aimerais vous en demander plus sur le développement à l'étranger. Vous l'avez mentionné précédemment, mais vu vos blogs et autres écrits, ça semble être un sujet plus facile à comprendre.
Par où devrais je commencer...Chez Capcom, il y a actuellement 700 développeurs qui gèrent 3 ou 4 titres.
...Quoi ?
C'est exactement ce que j'ai dit.
Que font les autres?
Il n'y a personne d'autres. L'intégralité des 700 personnes gèrent 3 ou 4 titres.
Attendez une minute. Si il y a 4 titres, ça représente à peu près 180 personnes par projet. En prenant en compte une marge d'erreur, ça fait environ 150 personnes sur chaque jeu ? Le coût de la main d’œuvre pour la durée d'un projet représenterait donc environ 2 milliards de Yens (25 millions de $).
Exact ce n'est pas assez. C'est pour ça que le mythe de la production interne s'écroule.
Avoir 700 développeurs sur 4 titres fait dire à tout le monde qu'ils sont toujours occupés. Vu que 150 personnes travaillent sur chaque projet, un mois de travail coûte entre 150 millions (2 millions $) et 200 millions (2,5 millions $).
Donc 3 mois de travail représente 600 millions de Yens (7,5 millions de dollars). 10 mois représente 2 milliards. Si un projet a pris 3 ans... Ca représenterait au moins 6 milliards de Yens (75 millions de dollars).
Exact. Bon, ce n'est pas comme si 150 personnes sont tous soudainement mises sur un projet, mais c'est courant que ça coûte entre 3 et 4 milliards de Yens (37,5 - 50 millions de dollars).
Comme on peut donc s'y attendre, si ce coup est manqué, c'est vraiment catastrophique.
Oui. Ca peut signifier une perte d'un milliard de Yens (12,5 millions de dollars). Il n'y a rien que vous puissiez faire pour absorber ça. C'est la prépondérance interne.
Quel a été le plus récent succès produit en interne ?
C'est Resident Evil 5 il y a deux ans. Ca a aussi occupé 150 personnes. Cette année c'est principalement externe. Street Fighter IV était externe.
Monster Hunter Diary: Poka-Poka Island Village, qui s'est vendu à 500 000 exemplaires, était externe. Dead Rising aussi est externe.
Lost Planet 2 a été produit en interne, mais les lecteurs de 4Gamer savent comment ça s'est fini. A la fin de l'année, Monster Hunter Portable 3rd sortira en ayant été développé en interne. Ca sera assurément un succès. Après ça, Marvel vs Capcom 3 est aussi externe.
Pour simplifier, il n'y a pas de titres développés en interne en dehors de Monster Hunter qui peuvent être qualifiés de succès. Il n'y a pas de succès développés en interne en dehors de Monster Hunter et Resident Evil. Si vous demandiez si ces deux titres peuvent soutenir les plusieurs milliers de personnes chez Capcom, la réponse serait négative. C'est pour ça que nous avons dû les produire.
Comme vous l'avez dit avant, et ce n'est pas limité à Capcom, un risque est présent lorsque vous développez des projets à 2 ou 3 milliards de Yens.
Exact. Ce peut être futile. Ca peut vraiment être futile.
Et c'est pourquoi, en parlant grossièrement, je dis qu'il n'est pas bon pour un éditeur d'employer un tel nombre de personnes dans le but de maintenir sa structure. Sans parler à hauteur des nombres indiqués, ce serait pratique de réduire le personnel de moitié et de compter à la place sur les développeurs externes.
Lorsque j'ai fait Dead Rising il n'y avait que 5 personnes de Capcom dessus. Ajoutez un producteur et un assistant et ça fait environ 7 personnes. Même là nous n'avions pas à impliquer 10 personnes dessus. En assignant moins de 10 personnes internes, nous pourrions faire un titre pour le marché mondial.
Ce que vous êtes donc en train de me dire c'est que vous pouvez créer un jeu typé Capcom en y assignant 10 personnes.
C'est exactement ça. Par exemple, je travaillais sur 6 jeux différents et seulement 15 personnes de Capcom étaient impliquées dessus. Plusieurs de ces personnes prennent part à plusieurs projets, et chaque jeu compte donc environ 5 membres du personnel Capcom impliqués. C'est entièrement possible.
Avec ce raisonnement 50 personnes peuvent donc produire 10 titres.
Ils peuvent, même si c'est seulement en théorie. Je ne peux pas ne pas mentionner un gros morceau cependant. Si ce n'est pas plus mis en œuvre, en revenant sur un sujet précédemment abordé, Capcom en tant qu'entreprise ne survivra pas.
Le développement interne est important. Je ne dis pas qu'il est inutile. En ce qui concerne le contrôle qualité et la motivation du personnel, il doit y avoir un développement interne. Capcom lui-même dernièrement consiste en Monster Hunter et Resident Evil. Ces deux séries sont deux marques très importantes. Ces deux séries ne devraient être développées qu'en interne.
En prenant ceci en compte, si chaque série occupe 150 personnes, 300 personnes sont nécessaires pour développer un jeu de chacune d'entre elles simultanément. En dehors de ça... Ce serait du développement externe, et il y aurait donc bien évidemment besoin d'une supervision. 100 superviseurs seraient donc nécessaires. Avec une centaine d'entre eux vous pourriez produire 20 titres, tout ça avec 400 personnes.
Actuellement il y a 700 développeurs.
Oui. Bien que j'étais dans l'échelon supérieur, je ne suis pas quelqu'un qui apprécie les restructurations. C'est nécessaire pour la survie de la compagnie. Ca représente le salaire de 300 personnes.
Je l'ai dit de nombreuses fois mais contrairement à Konami, Capcom est une entreprise qui produit uniquement des jeux. Tout ce qu'elle fait c'est produire des jeux. C'est pour ça qu'elle doit réussir par tous les moyens nécessaires. Cette partie devrait être évidente.
En simplifiant, une des façons de faire ça est de travailler avec les développeurs occidentaux comme vous l'avez indiqué.
Exact. Ce que j'ai fais afin de réussir était de démontrer que les jeux Capcom peuvent être réalisés en externe. J'ai réfuté la croyance ancestrale qu'un jeu externe ne puisse être un jeu Capcom. Avec Dead Rising tout d'abord puis avec SFIV. Plus de titres doivent être développés de cette façon. Ca donnera de bonnes choses à la fois pour la compagnie et pour les joueurs.
Fin de la première partie
La seconde partie arrivera plus tard. Concernant les projets récents d'Inafune, outre
Mighty No.9,
Recore a été annoncé à l'E3. On en verra plus sur ce jeu (développé avec Armature) lors de la Gamescom, sur le stand Microsoft.
putain pile poil ce que je disais en 2013
En tout cas cette interview fait flipper sur l'état du jeu vidéo au Japon, on dirait que tout arrive a saturation en même temps, les développeurs historiques ont vieillis et n'arrivent pas à trouver le feu sacré au sein d'un système lui aussi vieillissant et dépassé par lui même.
Je ne suis plus étonner de les voir démissionner de leur entreprise fetiche et aller chercher la motivation ailleurs et en occident.
Il y a un bon vivier sur ce point au Japon en tout cas !
Merci pour le partage iglooo !
Faut pa oublié qu'il bosse aussi sur Kaio (le pinguin pirate)... mais on a toujours aucune nouvelle... a part qu'il est toujours en développement
"les éditeurs eux-mêmes forcent les développeurs à devenir sous-traitants. «Pour cette somme là, vous devez finir à telle date» et ainsi de suite, et, encore plus que la qualité, «Visez ce nombre de ventes». Voilà sur quoi ils insistent.
Bien évidemment, ça ne signifie pas que les éditeurs n'utilisent pas les développeurs sur les choses qu'ils aiment mais je ne peux nier le fait que même des créateurs avec de fortes marques et talentueux doivent se soumettre à des contrats de sous-traitances.''
Hmmm... Parlerais t'il de quelqu'un en particulier?
hayatevibritania ça fait une moyenne de 13333 dollars par tête et par mois, sur l'estimation basse (rajoute environ 8000 si c'est la haute). Je trouve ça très élevé personnellement, même en prenant en compte le salaire moyen japonais. Je suis pas au courant des niveaux de salaire dans l'industrie par contre, si quelqu'un en sait plus...
kabuki t'as un lien stp?
syoshu fin 2010, d'où "retour dans le passé". Je pensais avoir été suffisamment clair...
mais pour l'heure on voit pas mal de créateurs jap signer en occident, de swery à kamiya en passant par inafune visiblement
Aprés tu penses qu'il parle de qui lol ?
En occident il suffit de donner le nom du réalisateur pour tout de suite donner oui ou non une indication sur la qualité de la production grâce à son CV, c'est pour ca maintenant que je comprends mieux pourquoi Recore a été annoncé à coup de ligne type CV.
Les grands créateurs japonais sont en quête de reconnaissance on dirait bien.
vivement la partie 2 iglooo
stellarsoul +1 pour SE. Vivement ton article
Partie 2 d'ici quelques jours normalement.
Article très intéressant.
En tout cas, ça explique un peu plus le marasme qui entoure les prod jap.
Mais l'espoir n'est pas perdu, tout du moins quand on regarde SE qui je pense a pu se remettre en cause et a certainement utiliser des transfert de compétence du à son acquisition d'Eidos.
Cependant, Capcom, lui semble continuer de s'enliser toujours un peu plus, ils doivent être vachement obtus et garde leur tête dans leur guidon.
De plus c'était une des rares firmes japonaises à occidentaliser leur prod sans pourtant perdre cette petite patte nippone.
Non malheureusement le site sur lequel était cet interview n'existe plus , dommage et puis ça date faut voir si je retrouve ça
kabuki c'est toujours les meilleurs qui partent en premier
Merci pour cet éclaircissement sur ce qu'il se passe derrière les coulisses.