Critiqué par les uns et adulé par les autres, une chose est sûre, Shadow of the Colossus a su faire parler de lui et s’impose sans mal comme l’un des plus grands monstres de cette génération. Explications.
Beaucoup se sont accordés à le dire, le jeu vidéo n’est plus un simple moyen de divertissement comme cela le fut à une certaine époque où l’
Atari 2600 prônait telle une déesse au milieu de la pièce qui nous servait de salon. De l’Art. Voilà ce qu’est devenu ce « loisir ». Bien sûr, il faudra des années pour qu’officiellement il soit reconnu comme tel et ce ne sont pas les sous-jeux dénués d’intérêt qui arrivent chaque jour dans nos étalages qui accéléreront les choses, mais force est de constater que le temps où les joueurs passaient des heures à shooter du martien sur
Space Invaders est révolu. Demandant un travail de nombreuses années, les jeux atteignant ce statut particulier ne sont que trop peu nombreux, mais leurs noms ont de grandes chances d’être utilisés lors de conversations intéressantes (vidéoludiques forcément, les chances d’en parler en haute société restant relativement faibles !). Parmi eux, citons bien entendu la série des
Metal Gear Solid,
Deux Ex, le second
Silent Hill ou encore, et nous allons en parler ici même, le travail de la Team
ICO représenté par
ICO et
Shadow of the Colossus.
C’est l’histoire d’un mec…
Qu’est-ce que
ICO ? La question peut se poser tant le jeu est inconnu du grand public. Et bien, pour résumer cette belle histoire,
ICO est un jeu au scénario simple, au
gameplay simple, aux musiques discrètes et à la durée de vie anémique.
ICO ne s’est également pas très bien vendu au point que l’on peut encore aujourd’hui parler de flop mondial. Mais
ICO est grand, poétique, magnifique et a offert au peu de joueurs s’y étant essayés une véritable bouffée d’air frais confirmant l’engouement de l’ensemble de la presse. Pas découragés pour un sou, les développeurs firent monter le hype autour d’une probable suite et il aura fallu attendre début 2003 pour que le magazine japonais Famitsu publie ce que tout le monde attendait : quelques screens montrant 3 guerriers sur leurs chevaux et le nom de code « NICO » (jeu de mot avec « ni » signifiant 2 en japonais). Flou total ensuite, les fans n’étant abreuvés que de minuscules gouttes d’infos si infimes que certains finirent par se demander si le projet sortirait jour, mais heureusement, une vingtaine de mois après l’annonce initiale (excusez du peu !), on en apprend enfin un peu plus sur le projet alors rebaptisé Wanda to Kyozô (Wanda et le colosse). Tout s’accélère ensuite, les joueurs ayant leurs lots d’images et de news chaque mois jusqu’à la sortie fin octobre au Japon et quatre mois plus tard chez nous. Voyons si l’attente valait le coup.
Tout comme son grand frère,
Shadow of the Colossus prouve qu’on a pas besoin d’un scénario de 300 pages plombées de références nietzschéennes pour arriver à nous torturer l’esprit au point de recommencer le jeu et d’arpenter les forums du net pour avoir les réponses à nos questions. Une fois de plus, le synopsis est très simple : un guerrier sur son fidèle destrier va devoir vivre la plus grande aventure de sa vie pour sauver sa belle. Pour autant, ne vous croyez pas dans un univers féerique calqué sur
The Legend of Zelda où autochtones et étapes secondaires viendront rythmer votre quête. Bien plus sombre, le parcours sera avant tout teinté de mélancolie et de solitude, le contexte prenant place dans une immense plaine dénuée de vie humaine. Au centre de cet endroit jamais souillé par la main de l’Homme, du moins en apparence, réside une chapelle. Au centre de cette chapelle débute l’aventure. Une fois le corps de la jeune fille déposé sur l’autel, la voix se fait entendre inéluctablement, comme si le héros le savait, et le motif de cette odyssée se fait savoir : 16 colosses habitent cette plaine, chacun d’entre eux devra tomber sous vos coups d’épée. Telle est la condition pour que votre amour rouvre les yeux. Adol, votre cheval, s’approche de vous. Vous l’enfourchez puis pénétrez dans ce monde inconnu.
Je viens te chanter la balade…
Après quelques pas et une simple pression sur le bouton Start afin d’afficher la carte, le constat tombe : le terrain de jeu sera gigantesque. Jamais, ô grand jamais, nous n’avions pu ressentir un tel degré de liberté en parcourant ce paradis perdu, que ce soit à pied ou à cheval. Placée cinématographiquement, la caméra aide grandement à l’immersion au point parfois d’avoir envie de lâcher la manette et d’admirer la vue au loin, d’écouter le vent et d’attendre… juste attendre. L’impression de paix n’a jamais été aussi bien retranscrite et l’envie de visiter chaque parcelle de terrain se fait vite ressentir, malgré l’absence totale d’utilité même au niveau du
gameplay. Après tout, pour une fois qu’un jeu nous fait ressentir autre chose que la jouissance d’avoir éviscéré un demi-millier d’ennemis, on ne va pas s’en priver. Le réalisme est palpable, quel que soit l’endroit foulé : des quelques ruines placées aux abords d’un désert à la magnificence des sous-bois, en passant par ces chemins étroits entre deux montagnes conduisant à un autre endroit magique. Et que dire de tous ces monuments dont la signification et la présence restent inconnues ? Une ancienne civilisation ? Ou tout simplement des édifices dédiés aux véritables dieux que nous sommes chargés d’affronter ? Qu’importe, on est submergé par l’ambiance qui vaut à elle seule qu’on joue à ce jeu au moins une fois dans sa vie, seul dans une pièce, avec un casque sur les oreilles (non, nous ne sommes pas dans un survival horror).
Ce principe de « promenade » n’est malheureusement destiné qu’à un groupe de joueurs un tant soit peu ouverts d’esprit et dont la notion de découverte reste avant tout basée sur le fait d’avoir à découvrir un nouveau décor, car, hormis cela, il n’y a rien. Ce dernier mot pourra être gravé en lettre d’or aux quatre coins de la carte tant les amateurs de trésors perdus se demanderont cent fois l’intérêt d’une telle carte s’il n’y a rien à y mettre. Un défaut qui prendra de l’allure lorsqu’on sait que ce genre d’escapade prendra environ la moitié de l’aventure, le temps qu’il faudra pour trouver à chaque fois votre route vers votre prochain ennemi, le chemin n’étant pas si facile à trouver la plupart du temps. Vous voulez des adversaires autres que les colosses ? Il y a bien quelques minuscules lézards par-ci par-là… Vous voulez des donjons ? A part les diverses constructions se traversant en trois minutes, pas grand-chose… Vous voulez des quêtes secondaires ? Hé bien, il est vrai que vous pourrez tenter de chopper un fruit que vous pourrez trouver sur environ 2% des arbres… Vous voulez une montée en puissance ? Mangez des fruits et des lézards. Bref, vous l’aurez compris, le but du jeu est le même que celui de Wanda : tuer les colosses vite fait bien fait.
L’art d’affronter un immeuble
Les combats contre les boss dans les standards du genre sont pour le moins spectaculaires et se terminent en gros peu après que vous ayez trouvé le moyen de le toucher avec votre joli objet tout beau tout neuf trouvé il y a cinq minutes dans le dernier donjon.
Shadow of the Colossus est bien loin de tout ça et se permet d’offrir au monde des combats que l’on peut d’ores et déjà classer parmi les plus titanesques de tous les temps. Le principe est simple : chaque colosse a un unique point faible (qui pourra néanmoins changer de place selon les cas) placé à un endroit inaccessible et c’est à vous de trouver le moyen de l’atteindre rapidement, car, soyons franc, lorsqu’une chose de vingt mètres de haut s’avance vers vous avec une massue de la taille de votre maison et que vous vous apercevez que son talon d’Achille est sur son crâne, un moment de réflexion teinté de panique se fait sentir. La solution n’est parfois pas facile à trouver, mais reste pour le moins logique, ce qui ne vous empêchera pas de rester parfois deux heures à déambuler autour d’une de ces choses gargantuesques en hurlant à qui veut l’entendre quel est le moyen de lui planter l’épée là où il faut. Les possibilités d’approche sont nombreuses : le décor tout d’abord qu’il faudra analyser, mais aussi votre arc qui pourra parfois attirer l’adversaire ou le déstabiliser.
Très vite, vous remarquerez que votre meilleur ami lors de ces combats infernaux reste la fourrure plus ou moins répandue sur les corps des colosses qui permettra non seulement de grimper au sommet, mais également de rester accroché lorsqu’il s’agitera dans tous les sens. Attention néanmoins, votre endurance sera mise à rude épreuve lors de ces escalades : en effet, une jauge sous forme de rond rose en bas à droite de votre écran indique la « forme » de Wanda et si celle-ci se vide, le héros, épuisé, lâchera prise et autant vous dire que la chute est assez douloureuse. Pour éviter cela, il suffit de vous reposer en restant accroupi à certains endroits stratégiques (le dos du colosse peut amplement faire l’affaire lorsque ce dernier se courbe), la jauge remontant à vitesse grand V. A l’instar de l’endurance, votre barre d’énergie se régénérera tout aussi vite et mourir reste très rare, quel que soit le mode de difficulté et de toute manière, si cela venait à arriver, vous reprendriez l’aventure directement face à celui qui vous a vaincu. Dernière chose, et pas des moindres, lorsqu’une bataille commence à s’éterniser, la voix que vous entendiez dans la chapelle vous donne un indice suffisamment utile pour vous aider à vous en sortir.
L’ombre des défauts
La perfection n’est pas de ce monde et
Shadow of the Colossus le prouve encore une fois en nous offrant un panel de lacunes fatales pour certains, anodines pour d’autres. Techniquement tout d’abord. Les développeurs ont été ambitieux au point de faire cracher ses poumons à la console, mais le pire reste lors des fameux combats qui font chuter le frame rate de façon très importante, plombant l’animation, et du coup la jouabilité. A ce niveau, la caméra, parfaite pour les balades à cheval est une véritable plaie face aux colosses, au point qu’il nous arrive parfois lors des escalades de nous tromper carrément de direction. Rajoutons également le fait indéniable que le jeu, par son principe, ne pourra pas plaire à tout le monde et les détracteurs accuseront le jeu de n’être qu’une suite de va-et-vient entre le point de départ et la taverne d’un colosse, et ce, jusqu’aux crédits de fin.
Mais la plus grosse déception n’est pas directement liée au jeu, mais plutôt à ce qu’il aurait dû être. Souvenez-vous qu’à l’origine, il y avait trois cavaliers, le jeu devait en effet inclure une fonction coopération des plus jouissives qui aurait démultiplié le côté stratégique de l’ensemble. Que dire également du nombre de colosses qui s’est vu drastiquement nivelé vers le bas, passant d’une quarantaine au petit nombre de 16 (ce qui reste néanmoins consistant) ? La Team
ICO souhaite en garder un peu sous le coude pour une éventuelle suite ? Soit… Pas de quoi lancer des pierres contre les locaux de
Sony, mais lorsqu’on est face à une telle bombe vidéoludique, on ne peut s’empêcher d’en demander toujours plus.