Un article de
Gamasutra dans leur rubrique
Game Design Deep Dive, qui se focalise sur un choix de conception apportant une mécanique particulière et son implantation dans le jeu. Aujourd'hui c'est
Alien : Isolation et son système de sauvegarde qui est analysé.
Qui: Gary Napper, directeur du design chez Creative Assembly
Je suis un concepteur de jeu avec 14 ans d'expérience dans le métier et plusieurs directions de titres AAA, dans de nombreux styles dont des jeux d'aventure à la 3° personne, des licences cinématographiques, des jeux de courses, des FPS, des jeux de plate-formes et de simulation. Plus récemment j'étais le concepteur principal sur
Alien : Isolation, qui est sorti en Octobre et continue à effrayer les gens selon mon
twitter.
Le système de sauvegarde d'Alien Isolation
J'ai souvent répondu à des questions sur les systèmes du jeu, la décision de devoir fabriquer ses objets, la conception des niveaux et bien sûr l'alien lui même. De tous les systèmes, I.A. des entités, mécaniques et choix artistiques qui ont rendu Alien Isolation si prenant, une mécanique [en particulier] entraîne souvent une grosse réaction chez les gens et, aussi simple que ça en ait l'air, c'est le système de sauvegarde.
Qui aurait pensé qu'un tel choix déclencherait des réactions si passionnées parmi les joueurs du monde entier ? Il s'avère que si vous arrivez à cerner une mécanique basique correctement, vous obtenez ce résultat. Le système de sauvegarde dans Alien : Isolation a adopté une approche plutôt drastique (certains diraient vieille école). Il n'y a pas de sauvegardes temporaires ou de points de contrôle dans le jeu. La seule façon de sauvegarder est de trouver un terminal, d'y insérer votre carte d'accès, d'attendre que le système de la machine se lance puis de patienter jusqu'à ce que 3 lumières s'éteignent, tout en sachant que vous pouvez être tué à tout moment.
Le choix d'une sauvegarde manuelle
Lorsque nous avons commencé à travailler sur le système de sauvegarde, on avait les points de contrôle et sauvegardes via le menu habituels. Nous avons observé les jeux auxquels nous jouions tous et avons passé un peu de temps à équilibrer les points de sauvegarde et leurs fréquences.
Comme toute équipe de développement, nous jouons tous à beaucoup de jeux et chacun a ses favoris. Souvent nos décisions et choix sont imprégnés des jeux auxquels nous jouons et de nos préférences personnelles. Pour ce jeu j'étais décidé à utiliser un système avec des points de contrôle et des sauvegardes prédéterminées. Selon moi ça fonctionnait dans des jeux comme les Dead Space, les Metroid et les Bioshock, et c'était un système simple à comprendre.
Cependant, « simple à comprendre » n'est parfois pas la bonne approche lorsque vous créez un jeu conçu depuis le début pour terrifier et mettre les gens dans une situation inconfortable.
L'une des mes mécaniques préférées toutes époques confondues est le système de rechargement actif de Gears of War. J'ai eu la chance de rencontrer son inventeur, un certain Clifford Michael Bleszinski, lors d'un événement E.A. où nous travaillions tous les deux il y a quelques années. Je lui ai demandé si il l'avait inventé, et il me confirma que c'était lui. Il ajouta qu'il était très surpris que d'autres jeux ne l'ait pas plus copié. Une bonne discussion s'ensuivit sur les jeux qui auraient pu l'utiliser, puis nous sommes retournés à nos affaires respectives.
La raison pour laquelle j'aime autant cette mécanique est qu'elle a ajouté un haut niveau d'émotion à une interaction basique auparavant. Appuyer sur X pour recharger est un élément de base de nombreux jeux. C'est devenu un agacement plutôt qu'une interaction dans certains cas. La chose la plus émotionnelle que vous pouviez en retirer était le « dead man's click » [son de l'homme mort](viser, tirer puis rien, si ce n'est prendre conscience que vous avez un chargeur vide).
Avec le système de rechargement actif, si vous amélioriez le timing, vous faisiez plus de dégâts et rechargiez plus rapidement. « Bordel je suis bon ! » : c'est ce que vous pensiez alors qu'une lueur satisfaisante apparaissait sur vos munitions et que vous pouviez commencer à décimer les Locusts plus rapidement. Le revers de la médaille c'est le sentiment d'effroi si vous vous plantez : une arme enraillée, un rechargement plus long, une chance perdue de faire des dégâts supplémentaires. C'était [la formule] risques/récompenses dans sa forme la plus simple et ça fonctionnait comme un charme.
La question que je me suis posé était : « Est-ce qu'une simple interaction comme sauvegarder peut déclencher une telle émotion? »
J'aimerais dire que c'était mon idée, et que c'était le plan depuis le début mais hélas ce n'est pas le cas. Pendant le développement, l'un de nos designers (qui est devenu cadre), Simon Adams, est venu me voir avec un argumentaire pour un système de sauvegarde manuelle. J'ai dit « non » de nombreuses fois (« ce que nous avons suffit »). Ca me semblait être un changement trop important, ou une [grosse] prise de tête et beaucoup de travail pour le mettre en place dans l'environnement du jeu : nous aurions à placer des terminaux de partout, changer les décors dans les zones correspondantes et modifier le code pour le système de sauvegarde.
Et il y avait l'alien. Pour ceux qui n'ont pas joué au jeu ou ne le savent pas, notre alien est systémique. C'est une entité IA qui fonctionne selon sa propre logique, en traquant les signes du joueur, les autres humains sur place et tout ce qu'il peut tuer. Il s'adapte aux mouvements du joueur, à ses choix, ses armes et rend quelques concepts intéressants possibles.
Ce fut la problématique de savoir que faire de l'alien lorsqu'on sauvegarde qui remit le débat des points de sauvegarde sur le devant de la scène à nouveau. « Lorsque j'arrive à un point de sauvegarde rapide et que l'alien est sur le point de me tuer... Qu'est-ce qu'il se passe lorsque je reprends la partie ? Il est toujours là ? "
Nous avions deux choix nets. L'un d'entre eux était de ne rien faire ce qui aurait mené à une boucle infinie de morts et réapparitions. L'autre était de retirer l'alien lors du chargement [de la sauvegarde], ce qui aurait signifié que courir vers les points de contrôles aurait été une tactique valide (vu qu'après avoir tué le joueur, ce dernier serait à nouveau en sécurité). Aucun des deux n'était assez bon, et aucun ne renforçait le gameplay de base.
Simon argumenta encore en faveur de son idée de sauvegarde manuelle, cette fois ci en tant que solution à nos problèmes. Si nous pouvions avoir un endroit pour sauvegarder, nous pourrions soit modifier le comportement de l'alien de telle façon qu'il s'y adapte ou bien laisser le joueur s'assurer de sa sécurité avant de sauvegarder.
Nous avons décidé de tester ce dernier choix avec un prototype simpliste vite bricolé. Notre équipe design mis en place rapidement un point de sauvegarde avec un simple script (appuyer sur un bouton) pour déclencher la sauvegarde manuelle. La première mission à utiliser ce système pris soudainement une toute autre tournure. Nous ne nous baladions plus nonchalamment ([auparavant] lorsqu'on mourrait, notre progression n'était pas tout à fait perdue). Nous étions effrayés. Si nous n'arrivions pas aux points de sauvegardes et les réussissions, nous perdions notre avancée. Même dans une simple mission c'était tendu.
"Imaginez si ça fait un bout de temps que vous jouez sans avoir sauvegardé ? Quelle tension ça entraîne ? ». C'est là que l'émotion apparaît. Sauvegarder devint crispant. Chercher à sauvegarder devenait crispant. Imaginez ça ! Le simple fait de sauvegarder soutenait maintenant les éléments conducteurs du jeu, la terreur et l'isolation. Une modification plus avancée de ceci fut un simple ajustement sur le prototype de sauvegarde que Simon fit. Il changea le modèle d'un bouton qu'on pousse à un terminal à carte utilisé par les autres interactions dans le jeu. Cette interaction a été prise directement du film originel, où Dallas utilise une sorte de carte-clé pour accéder à Mother, comme vu ci-dessous :

Simon changea cette interaction et utilisa nos outils de script pour suspendre l'animation un certain temps lorsque les 3 bips se déclenchent. Ce petit changement entraîna une grosse différence sur les mécaniques et ce sur de nombreux points, [et il] convainquit les sceptiques et les partisans des sauvegardes lors des points de contrôles.
Le résultat
Voir les joueurs trépigner et parler à voix haute lorsque les points de sauvegardes se déclenchent, en disant des trucs comme « Allez ! Il est dans le coin ! » fut incroyable. Une autre émotion aussi présente était inattendue : le soulagement. Les joueurs étaient soulagés lorsqu'ils réussissaient à sauvegarder, et aussi lorsqu'ils apercevaient un point de sauvegarde. Le sentiment d'enthousiasme d'en trouver un devint l'un des temps forts de la traversée d'un niveau, et les joueurs s'empressaient d'y courir pour l'utiliser, même quand c'était imprudent.
Pour moi c'est devenu une évolution nette de notre système de sauvegarde, et qui était bénéfique au jeu dans son ensemble. Les joueurs prendraient de plus en plus de risques en étirant les phases de gameplay entre les points de sauvegarde, en sachant à tout instant qu'ils doivent sauvegarder bientôt sous peine de perdre leur progression.
Une impression concrète de perte apparaît lorsque ce risque n'a pas été récompensé et bien que certains l'ont décrit comme « punitif », ça correspond au style du jeu et de son ennemi principal. Nous avons essayé de concevoir un jeu où lorsque le joueur est tué, il sait que c'est dû à ce qu'il vient de faire, ou à ce qu'il n'a pas réussi à faire. Un joueur a seulement besoin d'expérimenter cette perte une seule fois pour ressentir la tension et le stress lorsqu'[il recherchera] un point de sauvegarde dans le noir, avec un alien en train de le chasser.
Bien que j'adorerais m'en attribuer le mérite, l'inventeur de cette idée est Simon Adams, et ce fut un effort collectif pour la mettre en place (avec la partie artistique, animation, code, audio et conception des niveaux). Le jeu fut définitivement transformé par son utilisation. Je suis content d'avoir écouté Simon... Au final.
Gary (qui aurait des problèmes en France) et une image du DLC Nostromo.
Le jeu est dispo sur PS3/4, Xbox360/One, PC et est compatible Oculus Rift (A petit prix maintenant). Si vous cherchez une transcription en bonne et due forme du premier épisode de la série en jeu vidéo, le messie est arrivé!
Source:
Sinon le jeu est juste une tuerie