A la manière de Hideo Kojima, David Cage (game designer français de son état) a une vision de l'amusement vidéo tout autre que ses confrères. D'ailleurs le terme de créateur d'expérience vidéoludique lui irait bien mieux que le premier titre énoncé. Il est à l'origine de deux jeux qui ont marqué de leur empreinte le monde de la culture digitale avec The Nomads Souls et Fahrenheit. Deux projets bien différents l'un de l'autre. Si on regarde de plus près, on pourrait comparer la dernière production de Quantic Dream à sa seconde. En décortiquant le jeu comme nous avons eu l'occasion de le faire, on se rend vite compte que l'équipe de Quantic Dream va bel est bien nous proposer une troisième expérience inédite dans le petit monde du jeu vidéo.
Quantic Dream, ce n'est pas seulement un studio de développement de jeu vidéo, mais aussi un laboratoire de recherche et développement sur les technologies de la motion capture (dit mocap dans le jargon du numérique). Ce procédé permet de calquer sur des personnages modélisés en 3D les gestes et expressions d'acteurs réels. De ce fait, il y a maintenant presque 4 ans que ce studio à dévoilé à l'E3 2006 une démo technologique s'intitulant « The Casting ». C'était sur le stand de
Sony Computer Entertainment et le but était de mettre en avant les performances de la Playstation 3. Cette petite démo de quelques minutes est à présent devenu un des jeux les plus attendus de la génération de jeu vidéo actuelle. Le studio de jeu vidéo parisien peut se targuer aujourd'hui d'être un des seuls développeurs tiers indépendant à travailler sur une exclusivité Sony. En effet le géant japonais de l'électronique à foi en ce projet et le finance en grande partie, ce qui rend le titre exclusif à la machine du constructeur. L'attente est grande, mais souvent critiqué,
Heavy Rain est à la fois un OVNI vidéoludique, mais aussi la grande arlésienne de ces dernières années (en lice avec Gran Turismo 5). Et les titres retardés, ça fait toujours travailler les méninges de la critique ou des joueurs, qui pensent que le titre tant acclamé ne pourrait être en fait qu'un pétard mouillé.
Les premières présentations dites in-game du jeu de David Cage ont commencé à diviser les foules. Pour beaucoup le jeu, qui pouvait s'apparenter comme un titre d'action et d'aventure, se voit mettre des barrières dans sa liberté de progression. C'est bien là tout le problème du buzz. Le studio s'est refusé pendant longtemps à communiquer très clairement sur son style de jeu, si ce n'est le fait d'utiliser son générateur à phrases d'ambitions, avec des suites de mots rêveurs comme « nouvelle expérience », « jeu à caractère émotionnel important » ou « fusion du jeu vidéo et du cinéma ». Des phrases certes accrocheuses et tape-à-l'œil, mais finalement pas suffisantes. La première prise en main du titre s'est fait lors du dernier E3 de Los Angeles en mai 2009. Si la presse commence à décrire le jeu comme prenant mais loin des attentes des joueurs, son premier retour sur le gameplay est plutôt positif. En revanche, coté joueurs, on ne peut que se contenter d'images et vidéos, forçant un constat inéluctable : le titre a perdu de sa superbe depuis la première présentation, sans être moche non plus (loin de là). Quelques previews plus tard, le titre est enfin entre nos mains et le résultat est loin d'être mauvais.
Le titre est construit comme un film et dispose d'un script scénaristique beaucoup plus long que la moyenne pour une production vidéoludique. Attendez-vous alors à une aventure découpée en plusieurs parties, point assez visible dès le début de l'aventure où les toutes premières minutes peuvent paraître totalement inutile et dénué de sens. Le scénario peut sembler long à prendre forme mais sur l'ensemble, on se rend compte que chaque élément fait parti d'un focus, d'un gros plan narratif cherchant à détailler comme dans un livre le moindre fait et geste des personnages que l'on va incarner. Toutes leurs actions sont décortiquées et découpées par des mouvements à la manette, comme se brosser les dents, prendre une douche, aller aux toilettes, mettre la table ou donner de l'argent à quelqu'un. Des actions simples à l'intérêt limité dit comme ça, mais qui font partie intégrante de la narration visuel de l'aventure.
Heavy Rain est un film égoïste qui ne se partage pas. N'essayez pas de le suivre entre amis, la connexion entre le joueur qui s'implique à la progression et au jeu et qui lui apporte les réponses à ses questions ne peut être vécue que par la personne qui tient la manette. Tout autre joueur dans la même pièce ne pourra apprécier cette expérience en ne regardant que les successions d'actions, jusqu‘à trouver ça ridicule. C'est bien là que se situe toute la subtilité de cette expérience.
Heavy Rain s'apparente plus comme un Point & Click et bien qu'il offre des passages de libre déplacement comme dans
Fahrenheit, le jeu est vraiment plus pensé autour des énigmes. A la différence du jeu précédent et à l'instar des productions de Hideo Kojima, le jeu profite d'une réalisation identique à celle d'un film. Bien moins action survitaminée qu'un
Metal Gear Solid, le jeu de
Quantic Dream trouvera en revanche sa place dans le genre thriller. Un scénario bien mystérieux qui tourne autours du tueur à l'origami avec cette unique question « Jusqu'où seriez-vous prêt à aller, par amour ? ». Dans
Heavy Rain, l'histoire est l'essence même du gameplay. La grande partie du jeu, plus de 80% de l'enquête, vous proposera de prendre part à une succession de QTE et le reste à une recherche d'indices façon « Les Experts ». Le casting est grand et vous ne dirigerez pas toujours le même personnage, au point qu‘il n'y a finalement pas de véritable rôle principal. L'impression de participer à un film interactif est bien présente, frustrante peut être pour ceux qui s'attendaient à participer à un jeu d'aventure, mais pas pour les habitués des jeux d'énigmes où les phases à pieds ne servent souvent qu'à se rendre d'un indice à l'autre. A la différence de ces derniers, ici on pourra se battre et avoir quelques scènes plutôt bien réalisées.
L'expérience
Heavy Rain est longue, la mise en scène s'accentue au fur et à mesure que nous avançons dans la trame scénaristique. Si au début tout commence tel un conte de fée urbain, dans une gentille famille américaine, l'ambiance se dégrade progressivement et la mise en scène accentue à bon rythme (ni trop rapide, ni trop lent) vers le polar noir, sombre, amer et savoureux, tel un bon café serré. De nombreux petits effets viennent renforcer cette descente psychologique, renforçant un malaise perceptible par le joueur, allant même jusqu'à vous mettre mal à l'aise. Il est parfois frustrant de ne pas pouvoir courir et d'être obliger de suivre au pas notre personnage. La prise en main est très différente de ce que nous avons l'habitude de voir, donc déroutante au début, mais s'avère bien adapté au concept sur le long terme et fait également partie d'un ensemble. Elle permet d'être tout aussi unique que le titre, incomparable à une autre œuvre existante. Toujours est-il que certaines actions aurait pu être plus simple, comme avoir la possibilité de se retourner immédiatement et non pas de devoir faire un quasi demi-tour de la pièce, pour le faire.
Dans l'ensemble l'environnement est soigné. C'est beau, c'est joli et parfois magnifique, mais certains personnages, notamment lors du générique d'introduction, offrent un contraste avec le décor de fond. Certains revêtent une peau trop plastique, détaillée certes, et on a l'impression d'admirer une poupée de cire essayant malgré tout de nous communiquer un sentiment. Cela ne s'applique pas à tous bien heureusement, tout le monde ne semblant pas avoir eu droit au même traitement physique. L'animation n'est pas non plus exempt de défauts. Si certaines animations sont réalistes, d'autres semblent refléter encore les stigmates d'une poupée mécanique ayant du mal à saisir un objet ou semble détachée de la scène avec une gestuelle parfois trop large et hésitante. C'est d'autant plus regrettable quand on sait que
Quantic Dream est aussi un studio de motion capture. Les décors sont quant à eux très détaillés et chaque pièce ou environnement fourmille de petits détails. Certains lieux sont même remplis de centaines de PNJ, bougeant simultanément et nous offrant ainsi une véritable claque visuelle.
Mais la technique n'en est pas pour autant parfaite. Le titre de
Quantic Dream n'est pas des plus fluide, le frame rate peine à plusieurs reprises, certaines textures saturent et l'aliasing est présent au casting dans quelques angles de vue. Dans l'ensemble oui, le titre est une vitrine technologique pour la Playstation 3 mais ne répond pas de manière claire, à cette question : est-ce que la console de Sony pourrait vraiment faire tourner la démo technologique de 2006 ? On se demande par moment si les développeurs n'ont pas eu les yeux plus gros que le ventre. L'esthétique générale est fidèle à l'atmosphère que le titre veut nous faire partager et malgré certes quelques imperfections ici et là, le moteur d'Heavy Rain peut se targuer d'être l'un des plus performants de l'actuelle génération au côté de celui d'Uncharted 2 et du prochain
God of War III.
David Cage, le réalisateur vidéoludique au point de vue différent nous propose là encore une autre description de sa vision du loisir numérique. Du jeu vidéo pour adulte, surement réservé à un public qui recherche du calme et de la passion, loin du stress des habituelles grosses productions d'aventure, d'action ou de combat. Sa dernière œuvre ne doit pas être vue comme une concurrence du jeu vidéo envers le cinéma, mais comme un lien fort entre ces deux univers, pour les rassembler. Heavy Rain fait de l'œil aux joueurs mais veut aussi séduire un nouveau public, qui tout deux pourraient se découvrir une attirance toute particulière pour cet esprit alternatif de la culture vidéoludique.