
EA pense global
Aujourd’hui, si l’on effectue un sondage auprès du grand public dans lequel on demande de citer de manière spontanée une société de jeux vidéo, il y a fort à parier qu’Electronic Arts sera abondamment nommée. On peut, en effet, et ce, sans contestation possible, affirmer que EA est la société grand public par excellence. Mais est-ce un défaut ? Non, car ce sont ces sociétés qui ont permis de faire du jeu vidéo une industrie à part entière, pesant plus lourd que l’industrie cinématographique. D’ailleurs, Electronic Arts peut aisément être comparée à l’une des cinq majors de l’industrie du film (Universal, Warner Bros, MGM, Sony ou Disney).
Et c’est là que le bas blesse. Principal icône de l’industrialisation de ce marché, EA est une firme qui subit, de manière très fréquente, les foudres des Hardcore Gamers, qui lui reprochent son trop grand formatage, son manque d’innovation.
Que l’on aime ou que l’on n'aime pas EA, il est intéressant d’étudier plus en profondeur ce géant américain du jeu vidéo. Cette analyse prend d’autant plus de sens en ce mois de mai 2004 que, l’E3 à peine achevé, EA a encore marqué le show de son empreinte. Retour sur un destin hors du commun.
Electronic Arts n’a pas toujours été un géant.
Il serait erroné de croire qu’EA a toujours été une multinationale tournée vers l’argent. Comme toute entreprise, elle est également passée par des phases difficiles et a même failli disparaître peu de temps après sa création. Effectuons un rapide retour en arrière pour comprendre les origines de cette entreprise.
EA a été fondée en 1982 par un certain Trip Hawkins. Entièrement dédiée au software, cette société commence par éditer des titres sur ordinateurs (Apple II, Atari 800). A cette époque, l’entreprise s’appelle Amazin’Software et emploie 7 personne. On peut tout de suite remarquer que la croissance de EA est extrêmement rapide puisqu’il lui aura fallu à peine 20 ans pour multiplier son personnel par 500.
Avec des ventes sur ces machines assez discrètes, la nouvellement nommée Electronic Arts, est proche du dépôt de bilan. Elle ne doit son salut qu’à l’apparition du Commodore 64, machine qui va permettre à EA de prendre pied de manière solide et durable sur le marché des éditeurs. C’est ainsi qu’en 1986, la société est l’éditeur numéro un aux Etats-Unis.
L’ascension est donc rapide pour cette jeune société. Après 1986, Electronic Arts commencera à créer des jeux en son nom propre. Le premier titre n’est rien d’autre que le mythique Skate or Die.
Il est d’ailleurs intéressant de noter cette phrase, tirée d’un Joypad qui faisait un article sur la société. « La créativité et le désir de se démarquer par rapport à la concurrence sont des notions importantes dans l’histoire de l’entreprise ».
Rapportée à la période actuelle, cette phrase témoigne des changements stratégiques opérés par le géant américain.
Pour le reste, et sans rentrer dans les détails, on peut simplement affirmer que la firme a poursuivi sa croissance exponentielle en s’internationalisant, en allant se renforcer au Japon, en rachetant d’autres sociétés et en optant toujours pour les bons choix (migration de leurs titres sur CD, support massif à Sony…). Toutes ces orientations, souvent couronnées de succès, ont permis à la société américaine de devenir un poids lourd incontournable sur un marché en pleine expansion. Voyons à quoi ressemble le groupe aujourd’hui.
Electronic Arts, une multinationale des jeux vidéo.
Pour comprendre l’influence d’Electronic Arts sur le marché, rien ne vaut quelques chiffres. Pour l’année fiscale 2003 (qui s’est clôturée le 31 mars 2004), EA a annoncé un chiffre d’affaire de 2.9 milliards de dollars, en hausse de 19%. Leur bénéfice net s’élève à 577 millions de dollars, ce qui représente une augmentation de 82% par rapport à l’an dernier. Ce dernier chiffre est absolument époustouflant et doit être rapporté à ceux des trois grands constructeurs (317 millions de dollars de bénéfice pour Nintendo par exemple). EA est rentable, très rentable, et engrange même des revenus supérieurs aux constructeurs.
Sur cette même année 2003, Electronic Arts a vu 27 de ses titres obtenir le label platinium ce qui signifie que tous ces jeux ont dépassé le million d’exemplaires vendus. C’est donc à une véritable usine à hits dont nous avons à faire.
Pour mieux comprendre cette organisation et découvrir les raisons de ce succès, étudions plus en détails les différentes divisions du groupe.
EA Sports : il s’agit certainement de la branche la plus connue d’Electronic Arts. C’est notamment ici que l’on retrouve les séries comme FIFA, NBA Live, Madden, NHL, Tiger Woods…
Chacun de ces titres bénéficie d’une nouvelle édition, aux environs d’octobre – novembre, chaque année. Véritable vache à lait pour l’éditeur, ces jeux lui assurent des ventes énormes tous les ans.
Si pendant un temps, ces titres ont été décriés pour leur manque de qualité, il faut avouer que depuis deux – trois ans, ils bénéficient d’une réalisation exceptionnelle grâce à des moyens déployés importants. Motion Capture, sponsoring important, support des stars de chaque sport, environnement musical tendance, tout est fait pour que ces produits attirent l’œil et le chaland. Et cela fonctionne. Malgré des défauts récurrents et un manque d’originalité flagrant (les innovations sont particulièrement légères d’une année sur l’autre et l’attrait principal de chaque nouvelle version réside dans la mise à jour de la base de données), ces titres se vendent à des millions d’exemplaires.
Même un titre comme Pro Evolution Soccer, aussi bon soit-il, ne parvient pas à prendre le dessus sur la vieille licence des FIFA.
Tout cela grâce à un marketing (ou un matraquage médiatique si vous voulez) qui fait que le grand public, qui recherche accessibilité et terrain connu, se rue vers ces titres. Par contre, les Hardcore Gamers préfèreront peut-être se tourner vers d’autres titres comme les séries des 2K de Sega, Virtua Tennis ou PES.
Une chose est sûre : EA continue à profiter au maximum de ses sagas maison et la technique semble si bien rodée que rien ne semble pouvoir les mettre en danger.
EA Games : véritable pot-pourri dans lequel on retrouve des titres aussi divers que variés. C’est ici que l’on retrouve les titres à base de licence (James Bond, Harry Potter), la licence des Sims, des Need For Speed, des Medal of Honor…
Là encore, les hits sont nombreux et les ventes se comptent en millions d’exemplaires. Ces titres atteignent également un niveau de réalisation impressionnant et, depuis quelques années, on remarque que Electronic Arts peaufine beaucoup plus ses jeux. Les dirigeants d’EA ont bien compris qu’il fallait proposer du rêve, et ce dans le meilleur des emballages possibles.
EA Games devrait, à terme devenir le fer de lance médiatique de la société car les perles sont nombreuses dans cette branche. Par contre, on peut regretter que l’innovation soit aussi peu mise en avant. Et oui, cette branche, bien qu’elle ne soit pas touchée par le syndrome des 2002, 2003, 2004 et bientôt 2005 connaît tout de même des problèmes identiques. Dès qu’un filon ou une licence juteuse est détectée, une multitude de suite se succèdent à un rythme effréné. Il convient en fait d’exploiter un filon le plus rapidement possible avant qu’il ne s’essouffle.
EA souhaite faire de l’argent et n’hésite pas, pour cela, à engorger le marché de nombreux titres se ressemblant énormément. C’est ce formatage EA qu’on reproche souvent à cette société. Elle empêche la créativité car avec ces titres très conventionnels elle bloque le marché et empêche les titres plus marginaux de se vendre, mais nous y reviendrons.
EA Big : nouvelle structure de Electronic Arts, EA Big fait la part belle à des jeux dit « Extrêmes ». En tant qu’expert dans l’analyse des marchés, Electronic Arts a bien compris qu’un nouveau type de comportement émergait, et ce, principalement aux Etats-Unis. Il s’agit du jeune qui écoute du Hip-Hop / R’NB et qui pratique des sports extrêmes.
Ne préférant pas accoler cette nouvelle branche avec EA sports, beaucoup plus classique, EA a donc créé EA BIG. Sont publiés par cette division des jeux comme SSX, Sledstorm, Freekstyle, Def Jam Vendetta, NBA Street ou le plus récent NFL Street.
Là, on recherche le plaisir avant tout. Conséquence, ces jeux ne sont absolument pas réalistes. On y découvre des scènes absolument surréalistes, des réalisations exceptionnelles et un environnement très tendance, très 'jeune'.
C’est l’agressivité qui prime, le tout sur des fonds musicaux très en vogue. Ces titres connaissent un réel succès et se veulent le parfait complément de la gamme classique des EA Sports.
Electronic Arts semble donc parvenir à faire de l’or avec toutes ses divisions.
EA Pogo : cette division est peu connue des joueurs puisqu’elle regroupe des petits jeux qui se jouent en ligne. On y retrouve des centaines de titres qui permettent de gagner des prix. On le voit donc bien même sur le jeu en ligne, EA s’investit massivement.
Avec une telle structure, EA a réussi à segmenter le marché en quatre grands pôles. Le moins que l’on puisse dire, c’est que, pour le moment, le marché leur donne raison puisque les bénéfices n’ont jamais été aussi importants.
Mais une bonne organisation n’explique pas tout et nous allons maintenant découvrir les raisons qui ont permis à Electronic Arts de s’imposer comme un des principaux éditeurs du marché.
La méthode EA pour devenir l’éditeur tiers numéro un.
EA, nous l’avons vu, a commencé comme n’importe quelle autre entreprise, en rencontrant de multiples problèmes. Cependant, grâce à une stratégie très réfléchie et des objectifs parfaitement définis, la société est parvenue à s’imposer durablement sur un marché encore naissant et donc rempli d’inconnues.
Revenons donc quelques instants sur les cinq points centraux de la stratégie de développement d’Electronic Arts.
L’achat de sociétés ayant fait leurs preuves : Electronic Arts n’avait pas, pour vocation première, de développer des jeux. Dans un premier temps, la société s’est bornée à éditer des jeux réalisés par de petits développeurs. Fort de son succès, EA a vite compris que dépendre uniquement de développeurs qu’elle ne contrôlait pas présentait un risque pour sa croissance future.
Pour atteindre une taille critique, et donc survivre, il faut posséder une structure complète. Les achats de sociétés ont alors commencé.
Et tout a commencé par le rachat de Distinctive Software. Cette société, spécialisée dans l’animation 3D et la vidéo, va devenir la pierre angulaire de la stratégie du groupe fondée sur le grand spectacle (voir plus bas). On peut se rendre compte, en effet, avec un peu de recul, que depuis des années EA souhaite que ses jeux aient une qualité irréprochable et soient agrémentés de vidéos, ajouts très importants lorsque l’on travaille sur des jeux à licence. Distinctive Software, renommée rapidement, EA Canada, va donc apporter son savoir-faire technique à EA, qui saura s’en servir sur tous les jeux à venir.
Les compétences techniques acquises, Electronic Arts peut se tourner vers les jeux. Fort de son statut d’éditeur puissant et certainement également d’une réserve d’argent conséquente, EA va partir en chasse, tel un prédateur, de plusieurs développeurs de renom. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette chasse s’est avérée fructueuse.
Ainsi, en quelques années, la société a racheté, pris des parts ou scellé des contrats d’exclusivité avec :
- Bullfrog (Populous, Magic Carpet…)
- Origin Systems (Wing Commander, Ultima…)
- Maxis (Sim City, The Sims…)
- Westwood (Command and Conquer…)
- Dreamworks (Medal of Honor…)
Et j’en oublie certainement.
Avec une telle armada de développeurs aussi talentueux, Electronic Arts est assurée de fournir, chaque année, quelques-uns des plus grands hits du marché.
C’est donc un véritable bataillon de développeurs (et encore je n’ai cité que les plus connus) qui travaillent directement sous la bannière EA.
Le plus intéressant est que grâce aux cas cités ci-dessus, on voit bien comment EA a pu devenir numéro un aussi rapidement. Plutôt que de monter ses studios uniquement en interne, la société a acquis de l’expérience en prenant le contrôle, d’une manière ou d’une autre, sur quelques-uns des développeurs les plus expérimentés du marché. La société a donc pu bénéficier de ce que l’on appelle, en management, l’effet d’expérience.
La politique de la licence : nous avons déjà parlé des licences. Mais il est nécessaire de revenir sur cet axe de la stratégie d’Electronic Arts tant celui-ci est fondamental pour comprendre son succès.
EA a rapidement compris que le marché du jeu vidéo allait évoluer, sortir de son environnement underground pour devenir un loisir de masse, captivant toute la famille devant sa TV.
Et quoi de mieux pour capter le grand public que de proposer des titres avec des personnages ou des noms connus de tous.
C’est ainsi qu’EA a commencé à user de licences à tout va. Payant parfois des sommes énormes pour obtenir le droit d’utiliser l’image d’un sportif ou les personnages d’un film ou d’une série, la société a rapidement fait ses comptes et s’est rendu compte que ces opérations seraient rentables.
C’est ainsi que sont apparus les jeux de sports très connus que sont FIFA, NBA LIVE, Tiger Woods PGA, John Madden. Ces jeux utilisent les véritables noms des joueurs, les habillages, les logos et même les sponsors officiels de chacune des disciplines. Succès assurés. Les joueurs passionnés par un sport ou tout simplement le grand public sont ravis de pouvoir jouer avec un Zidane ou un Tony Parker ressemblants traits pour traits aux personnes réels plutôt que de jouer avec Zadine, qui a des cheveux longs, tels que l’on aurait pu le voir sur les jeux sans licence.
L’obtention de la licence est un véritable business qu’Electronic Arts maîtrise à la perfection. La société s’assure des contrats sur le très long terme afin d’être sûr de conserver cet avantage concurrentiel. D’ailleurs, l’exemple de Sony est intéressant. Pendant quelques années, Sony et Electronic Arts se concurrençaient sur les simulations de Formule 1. Aujourd’hui, Sony détient en exclusivité la licence de cette compétition et donc seul ce dernier peut proposer des titres de Formule un « Officiels ».
D’ailleurs, si mes souvenirs sont bons, cela fait plusieurs mois qu’Electronic Arts ne produit plus de jeux de Formule 1. C’est pour éviter de perdre ces licences, au combien juteuses, financièrement parlant, qu’EA s’engage sur des temps très longs et investit des sommes énormes pour les obtenir.
De plus, le grand public comme le fan sont prêts à pardonner quelques erreurs techniques sur un titre, à partir du moment où il lui permet de s’amuser avec des équipes et des joueurs connus.
Cette politique de la licence se retrouve également dans le domaine du cinéma, où EA est très actif. Pour assurer son succès, la société a racheté les licences de trois grands blockbusters du cinéma américain : James Bond, Harry Potter et le Seigneur des Anneaux. Au vu des recettes qu’ont obtenus ces films dans les salles, on ne peut que féliciter EA pour avoir obtenus de telles licences.
Les possibilités d’utilisation sont aussi diverses que variées. Jeux utilisant les personnages dans des histoires parallèles, reproduction fidèle d’un scénario… Et franchement qui aurait acheté les jeux sur le Seigneur des Anneaux s’il n’y avait pas eu Aragorn, Legolas, des vidéos et bonus liés à l’œuvre cinématographique de Peter Jackson ? Pas moi en tout cas ! Car malgré toutes les qualités de ces titres, c’est bien le fait de pouvoir diriger des personnages reconnus et charismatiques qui m’a plu.
Et c’est ce raisonnement qui plaît au grand public. Un enfant sort du dernier Harry Potter et n’aura qu’une envie, se plonger dans le dernier titre d’EA sur ce film pour pouvoir prolonger son aventure.
EA capitalise donc sur les millions de fans de ces trois sagas et s’assure ainsi des ventes énormes et faciles. Quand en plus l’originalité et la réalisation suivent, on ne peut qu’être satisfait.
L’achat de licences de jeux vidéo à succès : phénomène assez récent mais amené à se développer. Electronic Arts, fort de son nom et de ses bénéfices énormes, n’hésite pas à débaucher des développeurs pour pouvoir distribuer des titres au potentiel connu et avéré. Les sociétés, ne pouvant résister au chant des dollars et, tout heureuses de voir un tel mastodonte leur assurer une mise en avant de leur titre très forte, se tournent donc vers le géant américain. Deux titres suffisent à illustrer cet exemple : Timesplitters 3 et Burnout 3.
Ces deux titres ont déjà connu le succès mais sous la bannière d’autres éditeurs (Eidos pour Timesplitters et Acclaim pour Burnout).
Je suis toutefois persuadé que ce changement d’éditeur va profiter à ces licences qui vont bénéficier du savoir-faire, de la technologie EA. Et, sur ce que nous en avons vu, il semble déjà que les apports du géant de l’édition soient plus que visibles : réalisation revue à la hausse, jeu en ligne sur PS2 et XBOX…
Mais l’apport le plus important réside dans le marketing et la promotion qui sera faite autour de ces titres. Le grand public va être visé en masse et l’on peut s’attendre, comme à l’accoutumée, à des campagnes massives.
Pour EA, le risque est quasi nul. Ces titres sont devenus de solides franchises et le succès semble déjà s’amorcer pour ces troisièmes volets. Il n’est donc pas impossible d’imaginer d’autres opérations similaires dans les mois qui viennent. EA surveille tous ses concurrents et semble prêt à saisir la moindre des occasions pour leur dérober une de leurs pépites.
La distribution de titres majeurs d’autres éditeurs : le marché du jeu vidéo est découpé en zone. EA est très bien implanté en Amérique du Nord et en Europe mais très peu au Japon. Du coup, plusieurs éditeurs japonais de renom n’hésitent pas à faire appel à EA pour que leurs titres bénéficient d’une distribution importante sur ces deux territoires sans avoir à déployer un réseau en leur nom propre. Résultats, EA distribue certains titres Capcom (Maximo,…) ainsi que certains titres Square-Enix (FF X-2 notamment).
Cela rajoute encore au prestige de la firme car ces titres sont souvent de grande qualité. Et EA continue ainsi à penser global tant ses domaines d’activités et ses partenariats couvrent une large partie du marché.
La politique du grand spectacle : dernier point de la stratégie d’EA, faire du jeu vidéo un spectacle. Vidéo, musique tendance, interviews des acteurs, making-of du jeu… le jeu se construit comme un DVD. On y apporte des bonus, on souhaite offrir plus au joueur que la simple aventure.
Et concernant le spectacle, il faut avouer qu’Electronic Arts sait y faire et y met souvent les moyens.
Le meilleur exemple pour illustrer cela reste la série des FIFA : chaque année, un ou plusieurs joueurs prêtent leur nom et leur physique pour assurer la promotion du titre : apparition sur la jaquette du jeu, dans la stratégie de communication, cobaye volontaire pour les séances de Motion Capture, tout y passe. Et chacun semble s’y retrouver.
Là encore, tous ces petits ajouts plaisent au grand public, qui vénèrent quelques stars ou films et qui sont tout heureux de pouvoir jouer dans ces environnements proches de leurs rêves.
Electronic Arts est une très grosse entreprise que rien ne semble pouvoir atteindre. Avec des parts de marché pouvant atteindre 30% et des bénéfices énormes, cette société semble faire l’unanimité tant les hits proposés sont nombreux. Mais tout cela n’est qu’apparence et les critiques pleuvent souvent à l’encontre de la société. Et certaines sont complètement justifiées.
Mais que reproche t-on à Electronic Arts ?
En analysant un peu la situation d’Electronic Arts et les commentaires des Internautes et des journalistes, j’ai essayé de comprendre ce que l’on reprochait à cette société qui, après tout, est pour beaucoup dans la démocratisation des jeux vidéo.
Il semble que les critiques soient de quatre ordres. Reprenons rapidement chacun d’eux.
EA formate le marché : la principale critique envers EA concerne le manque total d’originalité dans ses titres. Pour ceux qui ont lu mon article sur la créativité en péril dans les jeux vidéo, vous comprendrez aisément de quoi je veux parler. Pour les autres, séance de rattrapage. Le jeu vidéo est actuellement dans une passe difficile. Les jeux se vendent beaucoup moins, surtout au Japon, les ventes de consoles ne sont pas au beau fixe…
La principale raison est que le marché stagne, n’innove plus, comme si tout avait déjà été fait, ce qui, pour le coup, est complètement faux. Il reste des foyers d’innovation mais les éditeurs rechignent à les utiliser. Ce qu’ils recherchent avant tout, c’est la rentabilité, l’assurance de continuer à exister dans 2, 5 ou 10 ans. En effet, de nombreuses sociétés ont disparu ou vont disparaître dans les prochaines années. La raison : les coûts de développement toujours plus élevés et un nombre trop important de titres lancés en même temps.
EA incarne parfaitement cette philosophie de la rentabilité. La société ne prend en effet aucun risque et veut s’assurer que chacun de ses titres va dépasser le million d’exemplaires vendus. Avec 27 titres qui ont atteint cet objectif en 2003, on peut voir à quel point cette politique est rôdée.
EA n’a que faire de l’originalité, de la créativité. Elle réagit comme les majors du cinéma américain qui nous inondent chaque année de dizaines de films formatés et fades et dont seuls les effets spéciaux attirent l’œil.
En agissant de la sorte et en privilégiant la sécurité à la prise de risque, EA engrange certes des bénéfices mais ne peut que se mettre les Hardcore Gamers, joueurs au pouvoir d’achat le plus élevé, à dos. Et cela présente un risque car ces Hardcore Gamers sont des leaders d’opinion capables de mener de véritables campagnes de dénigrement envers EA. Et ils ont raison. Si le grand public est conquis par cette stratégie qui lui permet, tous les mois de novembre de dépenser 60€ pour avoir un jeu quasi identique à celui de l’année précédente, les Hardcore Gamers grondent et demandent un peu plus d’originalité.
Il est en effet dommage que cette société, qui dispose pourtant de quelques-uns des meilleurs développeurs au monde, ne profite pas de cette occasion pour développer quelques concepts originaux. Peut-être pourrait-elle créer à cette occasion une nouvelle division dans son organisation.
Il semblerait en effet intéressant de réutiliser quelques-uns des millions de dollars gagnés grâce à des jeux grand public pour réaliser des concepts, des ovnis qui ne se vendraient pas autant certes mais qui montreraient que la société peut se renouveler et prendre des risques. Je suis d’ailleurs sûr que de nombreux Hardcore Gamers pardonneraient ces suites à répétition, ces titres formatés (qui après tout ne leurs sont que peu destinés), si EA créait ou distribuait des RPG nippons plus discrets, des jeux comme Sakura Taisen et autres bizarreries japonaises.
Electronic Arts en a les moyens mais n’en a pas, pour le moment, la vocation.
D’ailleurs, avec de tels développeurs, pourquoi ne pas développer des RPG originaux, des jeux de baston ou des jeux musicaux ?
EA tue peu à peu la concurrence : attention, nous sommes dans un modèle capitaliste ou l’objectif est de faire du profit et de devancer la concurrence. L’attitude de Electronic Arts n’est donc pas condamnable.
On peut juste remarquer qu’un marché où la concurrence se résume à deux ou trois très grand groupe n’est pas sain puisque, encore une fois, c’est la créativité qui risque d’en souffrir.
Electronic Arts fait mal aux autres sociétés de jeux vidéo. Pourquoi ? Tout simplement car la plupart de ses titres sont commercialisés entre octobre et décembre, période où les sociétés réalisent la plus grande partie de leur chiffre d’affaires, période de Noël oblige.
Ces jeux très connus, car basés sur des licences fortes et bénéficiant d’une puissante campagne de communication, éclipsent d’autres très bons titres d’éditeurs tiers. C’est ainsi que le grand public, qui achète un ou deux jeux dans cette période va se diriger vers des titres EA, très abondants, au détriment de titres plus originaux et méritants comme Prince of Persia ou Beyond Good and Evil pour ne citer qu’eux. Du coup, EA continue à engranger de convenables revenus tandis qu’UBISOFT se dit déçu des ventes de ses titres. Et encore, nous ne parlons même pas de titres plus spécifiques qui eux, passent totalement inaperçus.
De grosses difficultés émergent souvent de cette période de fêtes et il arrive fréquemment que des sociétés qui manquent cette période doivent mettre la clef sous la porte. Alors, EA est-elle vraiment responsable de cette situation ? Oui et non car en sortant des titres tellement formatés pour le grand public, ils empêchent les autres titres d’avoir une chance de s’en sortir. Mais après tout n’est ce pas là le rôle du marché que d’en réguler les acteurs en présence ? Certes, mais nous, joueurs, n’avons que peu d’intérêt pour le marché et souhaitons avant tout nous amuser. Et cela risque de devenir de plus en plus difficile.
EA est une société trop grand public : ce point rejoint les points précédents. EA est aujourd’hui considéré comme une société grand public et donc qui ne peut pas apporter grand chose aux Hardcore Gamers. D ‘ailleurs, elle ne cherche peut-être même pas à les toucher. Pour moi, c’est une erreur car il ne faut pas oublier que ce sont les personnes qui ont commencé sur les Apple II ou les Commodore 64 et qui, pour beaucoup, sont devenus ces fameux Hardcore Gamers (joueurs passionnés mais aussi caution historique de la culture jeux vidéo), qui ont permis à EA de devenir ce numéro un mondial.
Viser les familles, les jeunes enfants est une chose mais qui, à part un Hardcore Gamers, est capable d’acheter plus d’une dizaine de jeux par an ?
Il y a là un marché, un potentiel de croissance fort pour la société. Au même titre que ces passionnés de cinéma qui privilégient le festival amateur du film à Sundance au festival de Cannes et pour qui tout film Universal donne des boutons, les Hardcore Gamers n’aiment pas trop EA et le font savoir.
Il serait donc intéressant qu’EA écoute ces joueurs, analyse leurs besoins plutôt que de nier leur existence et ainsi d’avoir à lutter contre quelques détracteurs motivés et passionnés.
EA ne pense que par le marketing : cette société donne l’impression de ne fonctionner que par analyse du marché, études statistiques, découpage en différents segments de joueurs, calcul de rentabilité à Court Terme… Tous ces éléments sont bien sûr devenus indispensables à toute société de jeux vidéo mais chez Electronic Arts cela ressort bien plus qu’ailleurs.
En effet, l’affect, l’émotion ne semblent pas être au cœur des préoccupations de l’éditeur. Tout est standardisé et rien ne semble laissé au hasard. Pas la moindre innovation, des sorties millimétrées pour coller à un événement, un film… bref, tout est maîtrisé. Mais pourtant, nous parlons bien ici, d’une forme d’art, d’une forme de création d’œuvre.
Et suite à cela, nous pourrions nous lancer dans un débat pour voir si un jeu vidéo est une oeuvre d’art ou un produit. Tout un programme ! Si cela vous chante, direction le forum.
Attention, loin de moi l’idée de critiquer Electronic Arts. C’est une logique économique et malheureusement implacable. Et tous les éditeurs majeurs usent et abusent de cette politique marketing à outrance. Seulement, Electronic Arts, en leader mondial qu’il est, est plus sous les feux des projecteurs.
Que l’on soit un Hardcore Gamers ou un joueur occasionnel est un élément important dans la perception que l’on a du géant américain. Les premiers, même s’ils savent reconnaître le talent de cette société ne sont généralement pas d’accord avec les choix opérés. D’ailleurs, des dizaines de joueurs se sont montrés déçus du line-up annoncé par EA pour le lancement de la PSP. Des suites, rien que des suites, encore et toujours. N’aurait-il pas été intéressant de profiter du lancement d’une nouvelle machine pour proposer un peu de fraîcheur, de nouveauté ?
Pour les seconds, les joueurs occasionnels, EA est presque une référence, une valeur sûre avec laquelle on est quasiment sûr de ne jamais être déçu. En effet, combien de titres EA sont réellement mauvais ? Très peu en fait et c’est avant tout la raison première de leur succès. Les jeux, aussi marquetés soient-ils, ne peuvent se vendre autant s’ils sont mauvais. Quand on ne peut acheter qu’un ou deux titres par an, les titres EA sont des achats sûrs et qui promettent de bons moments.
On le voit donc bien EA divise. Mais que l’on aime ou que l’on n’aime pas cette société, force est de constater qu’elle fait la pluie et le beau temps sur le marché des jeux vidéo. Et c’est ce dernier aspect qui va nous permettre de clore ce dossier.
EA : un allié indispensable pour les trois constructeurs de consoles.
Electronic Arts est aujourd’hui un allié dont ne peuvent se passer Sony, Nintendo ou Microsoft. D’ailleurs, la Nintendo64 a eu beaucoup de mal à se passer du soutien majeur de EA qui a préféré, à l’époque, soutenir la PSONE.
Avec l’E3 qui vient de se terminer, nous pouvons de nouveau affirmer que le grand gagnant est… EA qui a réussi à être présent lors de deux des trois conférences des constructeurs.
EA apporte un soutien de poids à Microsoft.
Jusqu’à présent, Electronic Arts refusait d’apporter son soutien au jeu en ligne de Microsoft, le XBOX Live. Ces jeux étaient commercialisés mais n’étaient pas jouables en ligne, contrairement à leur version PS2 qui, en vertu d’un accord d’exclusivité avec Sony, étaient les seules à proposer cette option.
Cela a fait du tort à Microsoft puisque le jeu en ligne s’est fortement développé sur PS2 grâce aux titres EA.
Lors de la conférence Microsoft, EA est donc venue fièrement annoncer que le XBOX Live sera supporté par la prochaine fournée de ses hits maisons. Les jeux de sport mais également Timesplitters 3 et Burnout 3 seront jouables en ligne.
On peut imaginer que Microsoft a dû signer un gros chèque pour mettre fin à l’exclusivité de Sony sur le jeu en ligne.
Mais plus que cette annonce et la place qu’elle a occupée dans la conférence Microsoft, c’est le poids d’EA qui est impressionnant.
Malgré la force de Microsoft, on peut se rendre compte que la venue d’EA sur le Live est un événement majeur dont la société de Bill Gates ne pouvait se passer. EA est un acteur incontournable sur le marché. Si l’avoir à ses côtés comme partenaire n’est pas un gage de réussite, ne pas l’avoir condamne forcément à plus ou moins long terme.
EA poursuit sa lune de miel avec Sony.
La relation EA - Sony est solide, très solide. D’ailleurs, on ne sait pas qui profite le plus de ce partenariat tant les deux sociétés se sont développées depuis 1994.
Encore une fois, EA était sur scène, aux côtés du staff Sony pour annoncer son soutien massif à la PSP. Les premiers titres ont été annoncés et seront présents pour le lancement de la machine. Bien que ceux-ci aient quelque peu déçu l’auditoire par leur conformisme, leur réalisation devrait permettre de faire vendre quelques PSP.
Là encore donc, EA était présent. On sent d’ailleurs que ce partenariat va se développer tant l’entente semble être cordiale entre ces deux acteurs de poids du marché du jeu vidéo.
Après avoir annoncé soutenir la PS2 pendant encore de nombreuses années, et ce, même après la commercialisation de la PS3, EA vient de nouveau de montrer son attachement à la société japonaise.
EA ne délaisse pas Nintendo.
EA, assez étrangement, semble satisfait des ventes de ses titres sur Gamecube. Alors que de nombreux éditeurs ont décidé d'abandonner la sortie de titres sur la console de Nintendo, EA poursuit et du coup, profite de ces départs pour n’en vendre que plus ces titres « maison ».
Souvenez-vous l’année dernière, EA avait affirmé aimer le Gamecube et lui apporter un soutien massif, notamment en utilisant de manière plus poussée, la relation GBA – GC. Nintendo avait énormément communiqué sur cet événement et depuis, les produits EA bénéficient d’événements de promotion organisés par Nintendo (publicités notamment).
Quelques mois après cette annonce, EA affirme vouloir soutenir la NDS et annonce déjà plusieurs titres. Si c’est une bonne nouvelle pour Nintendo, on peut toutefois se demander si les titres annoncés vont bénéficier de toutes les nouvelles focntionnalités de la NDS (reconnaissance vocale, WI-FI, écran tactile) ou s’ils vont rester très classiques. C’est une question qui reste sans réponse pour le moment.
On le voit donc bien, Electronic Arts s’investie partout, partout où un potentiel économique se dévoile. Délaisser un constructeur diminuerait ses potentiels de croissance. En effet, le marché des jeux vidéo est cyclique et qui sait qui va dominer le marché dans cinq ans : Sony qui restera leader incontesté, Microsoft qui aurait encore progressé ou Nintendo qui, avec son positionnement original, aura effectuée un come-back retentissant. Comme personne ne sait prédire l’avenir, Electronic Arts préfère ne délaisser personne afin de pouvoir se trouver au bon moment au bon endroit.
Cette société est pour le moins impressionnante. En moins de 20 ans, elle est devenue un acteur incontournable, une world company du jeu vidéo. Et il est intéressant de noter que, pour une fois une société américaine parvient à faire de l’ombre à des sociétés japonaises que tout le monde redoutait il y a peu encore. Les Américains savent également faire des jeux vidéo et le récent succès de Microsoft tend à montrer que la malédiction selon laquelle une console américaine ne pouvait s’imposer face aux produits japonais n’a plus lieu d’être. Est-on en train d’assister à un renversement du marché vers l’occident et plus précisément vers les Etats-Unis ? Les prochaines années nous le dirons.
Ce qui est sûr, et nous terminerons là dessus, c’est que le marché des jeux vidéo va poursuivre sa concentration et que, d’ici à quelques années, seules quelques sociétés très solides (et selon le modèle d’EA) resteront sur le marché, à l’image de l’industrie cinématographique. Ces propos ne sont pas de moi mais du responsable d’Electronic Arts. Doit-on avoir peur de cela ? C’est à vous de décider et d’agir.