R.U.S.E. est un jeu de stratégie ambitieux, qui confirme une tendance qui a le vent en poupe dans l'industrie : développer des STR adaptés aux impératifs consoles. Les prémices d'une déferlante de futurs hits.
La stratégie en temps réel a toujours été le fleuron du jeu sur PC. Les adaptations consoles de STR (comme Age of Kings sur PlayStation 2), serinées par des éditeurs peu regardants sur la qualité, ont toujours affiché des écueils rédhibitoires (complexité, fluidité, maniabilité) pour conquérir un public console peu réceptif. Pourtant, depuis quelques années et l'avènement de la dernière génération de consoles, les sorties de STR se multiplient sur Xbox 360 et PlayStation 3. Au début, il ne s'agissait toujours que d'adaptations de productions PC, mais les développeurs semblaient avoir rencontré moins de difficultés techniques qu'auparavant, et ils ont dès lors proposé des conversions un peu plus respectables. Ainsi, des titres tels que La Bataille pour la terre du Milieu II en 2006 et Command & Conquer 3 l'année suivante ont préparé le terrain pour le raz-de-marée de 2008/2009. Cinq STR sont apparus dans les rayons l'an dernier (Universe at War, Battle March, Supreme Commander, Alerte Rouge 3 et un certain Tom Clancy's EndWar), tandis que le premier trimestre 2009 a vu débarquer Halo Wars et Stormrise, deux productions aux ambitions sur consoles affichées et revendiquées... mais pourtant pas exemples de défauts. Quant à maintenant, c'est au minimum l'occasion de jouer à R.U.S.E., édité par Ubisoft et développé par le studio français Eugen Systems.
Mais quelles raisons permettent d'expliquer cette soudaine accumulation de sorties, et surtout cette ambition nouvelle du STR sur consoles ? Pourquoi des machines pourtant très populaires comme la PlayStation 2 n'ont jamais eu droit à un tel intérêt ? Au-delà de la morosité des ventes PC et de la nécessité de rentabiliser les coûts de production, c'est dans l'évolution technologique qu'il faut voir la justification principale de cette mode. On le sait, PC et consoles sont plus proches que jamais en termes de capacités techniques, cette génération de consoles permet des choses que l'ancienne n'autorisait pas. Les STR ont des contraintes particulières car il faut afficher beaucoup de choses à l'écran et toutes ces unités doivent être contrôlées par une I.A. complexe, la composante en ligne est primordiale pour un STR et que la Xbox 360 et la PlayStation 3 sont les premières machines à réellement offrir une expérience online aboutie. Les limitations techniques bridaient les développeurs, et en limitent encore certains. Utiliser les contrôles classiques d'une console ne permet pas de gérer correctement d'énormes bataillons d'unités et requiert donc un tas de compromis.
Il est vrai que toutes les productions de 2008 rechignent à aligner plus d'une cinquantaine d'ennemis simultanément. Mais cela ne signifie pas que l'entreprise est impossible ou, plus important, qu'ont ne peut pas réaliser un très bon jeu de stratégie sur console. R.U.S.E., le fameux jeu signé Eugen Systems, nous le prouve avec brio. Ce titre dispose d'un moteur propriétaire particulièrement efficace développé en interne depuis plusieurs années. Il permet d'afficher des champs de bataille réellement gigantesques, tout en ne lésinant pas sur les détails. Les effets graphiques tels que les flammes, la fumée, les explosions ou les déformations des décours en mettent plein la vue. Et ce malgré la grande quantité d'unités présentes à l'écran. R.U.S.E. impose une nouvelle perspective au genre de la stratégie en temps réel, rien que ça. L'idée : se poser en stratège, et non en simple commandant en chef se contentant de placer ses pions et compter ses ressources. La vision plus stratégiques, plus globale des conflits, n'impose pas pour autant un déficit en matière de micro-gestion. La question logistique, par exemple, nécessite de construire certains bâtiments à côté des routes qui quadrillent toutes les cartes. Les ravitaillements sont automatiques, mais si un joueur coupe l'accès à certaines ressources (munitions, vivres), il prendra un avantage certain sur son opposant. De même, R.U.S.E. ne se limite pas à quelques unités. Les développeurs ont choisi la second Guerre mondiale comme background pour la variété et le prestige des armées qui y ont participé. Six nations sont représentées, avec leurs forces et faiblesses, et un total de 240 unités peuvent être déployées au cours de la campagne solo. Bien sûr, beaucoup sont des évolutions plus puissantes de versions de base (que l'on débloque en investissant dans un arbre de recherche), mais cela n'enlève rien au panorama très éclectique et très fidèle des unités disponibles dans le jeu. Sur terre, sur mer ou dans les airs, chaque groupe a son utilité. Et si les tanks ont un certain avantage en rase campagne, du fait de leurs chenilles et de leur distance de frappe, ils se montrent vulnérables en ville ou à proximité d'une forêt. Car l'un des grands atouts stratégiques à exploiter dans R.U.S.E. réside dans l'environnement des champs de bataille. Couplé avec la manipulation de l'information via les les ruses, un joueur habile alliant ainsi macro et micro-gestion doit s'affirmer comme un stratège hors pair. Les ruses ?
Le changement de point de vue du titre d'Eugen Systems passe en effet par l'utilisation minutieuse des "ruses". Le concept se résume ainsi : un stratège joue avec son adversaire, il doit manipuler l'info. ainsi, les clés de la victoire se situent dans la dissimulation, le vol et la divulgation volontaire de l'info. Par exemple, en faisant appel à la ruse "silence radio", un joueur peut faire disparaître ses unités, à l'inverse, s'il emploie "unités factices" ou "bâtiments factices", il diffusera de faux renseignements afin de leurrer son ennemi et de l'appâter dans une direction qui l'arrange. Enfin, en utilisant des ruses comme "espion" ou "plan de décryptage", il peut déjouer les plans de son adversaire et anticiper ses mouvements. Au total, le titre comporte une dizaine de ruses, à débloquer progressivement en solo, elles sont toutes disponibles en multi, où leur utilisation sera toutefois restreinte.
La première lacune à combler pour un bon STR, concerne l'immersion. Sur une console, les joueurs préfèrent être au coeur de l'action plutôt que de la suivre de loin. C'est pourquoi EndWar avait adopter pour une vue très proche des unités commandées. Une sorte de caméra à l'épaule, qui favorise l'aspect spectaculaire des combats et permet de mieux en apprécier l'esthétique. Un choix adopté également par l'équipe de Stormrise dont la caméra rapprochée est un élément clé. Mais aussi, dans une certaine mesure, par R.U.S.E. puisque le zoom extrêmement puissant du jeu permet tout aussi bien de reculer pour avoir une vision globale du terrain que de se rapprocher jusqu'au niveau du sol pour en apprécier les moindres détails.
Dans le titre d'Eugen Systems, la caméra fonctionne à la manière de Google Earth. Elle s'appuie sur un modèle d'intuitivité, permettant une navigation souple et rapide d'un point à l'autre du champ de bataille, autorise toutes les perspectives et favorise une prise de recul primordiale. En effet, pour son nouveau bébé, le studio parisien a voulu changer les habitudes des joueurs. R.U.S.E. impose un changement de point de vue (permis par le zoom arrière) en plaçant le joueur dans la peau d'un véritable stratège, et non plus qu'un simple commandant de troupes. La micro-gestion des unités n'échoue pas pour autant au fond du cahier des charges de l'intelligence artificielle, elle passe juste au second plan vis-à-vis des choix stratégiques globaux (les fameuses ruses, notamment). Cette démarche originale ne fait qu'illustrer un phénomène déjà compris par la plupart des développeurs. Ils ne peuvent pas prendre les STR existants comme modèles. Il faut tout reprendre à zéro et repenser ce que doit être un gameplay de stratégie en temps réel. Une transposition à l'identique d'un STR PC sur console ne peut donc marcher, de par sa complexité et sa richesse. Les mécanismes de jeux sont trop lourds à apprendre pour les joueurs consoles, habitués à des concepts simplifiés et à une prise en main immédiate. Enfoncé dans son canapé, pur quelques dizaines de minutes, rarement plus, le joueur rechigne à jouer un didacticiel de trois heures comme celui de Supreme Commander. Il veut du concret au plus vite, et pas de complications au niveau des contrôles... Choses que peu d'adaptations de STR traditionnels peuvent revendiquer. Et pour cause, les contrôles sont, par définition, incompatibles avec le game design d'un STR. L'utilisation de la manette dénature le concept de la stratégie en temps réel car elle ralentit et alourdit l'exécution des commandes. Un pad édulcore le gameplay d'un STR et le seul moyen de trouver la fameuse solution pour recréer la fluidité des STR PC, consiste à en repenser intégralement les mécanismes pour les consoles. Ce qui a été fait dans EndWar et Stormrise, dans une moindre mesure dans Halo Wars, mais aussi dans R.U.S.E. grâce à une assistance très poussé de l'ordinateur. Trop poussée ? L'I.A. est tellement efficace qu'elle ne brime jamais les choix stratégiques du joueur. L'I.A. ne s'accapare pas notre travail pour autant, je dirais plutôt que le jeu facilite les choses en nous épargnant la mémorisation d'infos inutiles. En effet, le titre n'affiche aucune réelle interface, aucun HUD pour référencer les caractéristiques des unités et les possibilités d'action. Pour savoir si un groupe de soldats va prendre le dessus sur notre adversaire, R.U.S.E. affiche une petite fenêtre provisoire pour nous indiquer nos chances de victoire. Pratique, intuitif, à l'image des commandes à la manette qui sont un modèle d'accessibilité. Et ce, même titre que celles d'EndWar et de Stormrise, voilà une entrée pour une nouvelle ère pour les jeux de stratégie sur consoles.
Une partie de la solution pour réaliser un STR console, est toujours de garder en tête les contraintes de la machine au cours du design du jeu. Ainsi, toutes les productions récemment sorties bénéficient d'originalités en matière de gameplay et/ou afin de s'adapter au mieux à la Xbox 360 et à la PlayStation 3. EndWar s'apprécie pour son système perfectionné de commande vocale., Stormrise pour ses déplacements de caméra au stick et sa verticalité, Halo War pour sa simplification extrême. Autant d'efforts destinés à convaincre le public de l'intérêt d'un genre encore trop austère. Si les joueurs ne sont pas encore convertis au STR, c'est que jusqu'à présent aucun jeu ne proposait une expérience aussi aboutie et bien réalisée que ce qui existe dans les autres genres. La qualité crée le marché. Et il suffit sans doute d'un déclic pour que le genre explose. Du moins c'est ce que j'aime à penser. Contrairement à certains détracteurs qui ne voient aucun avenir sur consoles pour les STR, je récuse sur cette conviction : au début du cycle de vie de la dernière génération de consoles, les gens disaient la même chose à propos des FPS. Les puristes clamaient haut et fort que personne ne parviendrait à réaliser un bon FPS multijoueur sur console. Et leurs arguments étaient presque identiques : contrôles inadaptés, supériorité du combo clavier/souris. Maintenant, il suffit de regarder les jeux les plus joués sur le Live pour comprendre que cette barrière a été brisée. Pourquoi les STR n'emprunteraient-ils pas la même
voie ? Dès que le public va être plus réceptif, nous allons voir de plus en plus de STR sur consoles. Prenez les jeux de stratégie au tour par tour par exemple, à partir du moment où le public s'y est sérieusement intéressé, d'excellents jeux sont sortis et ont rencontré un énorme succès. Est-ce là une manière de dire que le succès des STR sur machines de salon paraît inéluctable ? D'une certaine manière, on peut le penser. Halo Wars a dépassé le million d'exemplaires vendus, et bien qu'il ne soit pas un succès à une licence particulièrement vendeuse, on ne peut nier que c'est là un record qui fait figure de symbole, pour un jeu par ailleurs sorti uniquement sur Xbox 360. Les joueurs découvrent un genre et s'y familiarisent avec des productions encore balbutiantes sur le fond. Mais tout porte à croire qu'avec le temps et l'argent investi par des éditeurs visionnaires, les STR vont non seulement se démocratiser, mais aussi s'imposer comme un genre phare. Une fois que la bonne recette sera trouvée au niveau des contrôles, elle va se propager comme un feu de poudre à toutes les productions. Les mécanismes vont alors se complexifier, le gameplay s'enrichir. Les vrais STR demandent de la réflexion, poussent à faire des choix. Les parties, qui peuvent être très dynamiques et très courtes, conviennent bien aux joueurs consoles qui devraient jubiler à l'idée d'une expérience de stratégie pure, maintenant nous allons poursuivre dans le cas de R.U.S.E. afin de savoir s'il participe grandement à démocratiser ce type d'expérience sur consoles.
Espionnage, brouillage radar, offensive bidon avec des leurres pour prendre l'ennemi à revers, autant de stratégies intéressantes et faciles à utiliser. La prise en main est même l'une des forces de ce jeu. Pensé pour la console, .R.U.S.E. possède une interface épurée et simpliste. Grâce à un système arborescent, bâtir une base, créer de l'infanterie mobile ou demander un soutien aérien ne nécessite pas un doctorant. Du coup, le fun est immédiat. Et ça, c'est plutôt chouette.
Comme nous le divulgue le titre, chaque partie de R.U.S.E. est pimentée par "des coups de bluff", à l'instar de Prax quand il nous fait croire que son dernier article est fini alors qu'il ne l'a même pas commencé. "Pimentée", prenez d'ailleurs ça comme un euphémisme, puisque tout, absolument tout s'organise autour de cette donnée. L'idée, c'est qu'il n'y a pas de "brouillard de guerre" et donc que chaque joueur détient un certain nombre d'informations sur son adversaire : sa position de départ, certaines constructions et les mouvements de troupes. Tout le sel consiste alors à masquer ses propres actions ou... à créer de fausses informations ! R.U.S.E. est une véritable partie de poker menteur où chaque participant doit utiliser au mieux les "cartes ruses" qui vont sont offertes tout au long des parties. Si le concept a déjà été timidement utilisé ailleurs (les unités capables de créer des leurres sont légion dans ce genre de jeu), il est ici poussé à fond, pour un résultat vraiment séduisant.
Les possibilités de R.U.S.E. sont nombreuses. Mais nous avons affaire à un titre assez mou (voire même carrément mou comme mou) mais qui demande pourtant de réfléchir vite et bien. Vite, parce que la production des troupes et la recherche d'informations sur son adversaire sont des questions posées dès les toutes premières secondes. Avec deux écoles (et des dizaines de nuances) : 1. L'école qui va privilégier son développement (avec les ruses qui servent sa propre économie, comme le Blitz qui accélère toutes les unités dans une zone précise). 2. L'école qui va privilégier l'espionnage (ruses de décryptage des mouvements adverses, reconnaissance des unités...), pour réagir et produire en conséquence (chaque unité a ses "bêtes noires"). Réfléchir aussi bien, parce que qu'il y a tout un tas de détails à ne pas négliger : la nature du terrain (tendre des embuscades dans la forêt peut retourner l'issue d'un combat), le placement de ses unités (derrière un bâtiment par exemple), et bien entendu, les ruses, à utiliser à bon escient et au bon moment. Les choses qui m'ont chagrinés ne sont pas nombreuses, mais elles existent : un pathfinding un peu à la ramasse, un zoom qu'on utilise finalement assez peu (le zoom maximum et minimum ne servent que pour des situations très particulières) et un système de jetons qui trouve ses limites, en termes de lisibilités, lors des gros combats. Pourtant, ce R.U.S.E. m'a convaincu, par son approche autant que par sa réalisation.
Pour le reste, R.U.S.E. se veut assez classique : des constructions, des unités pour se taper sur la tronche (200 environ), plein de pouvoirs de fou et des factions au nombre de six. Pour rendre le tout digeste, le développeur a bien bossé avec un menu de constructions pouvant apparaître en un clic et n'importe où (nul besoin de revenir à sa base pour produire ou construire), une interface très dépouillée et la présence d'une ressource unique, via des dépôts à sécuriser et des lignes de ravitaillement à mettre en place. Vous l'avez compris, R.U.S.E. est un jeu très ambitieux et qui m'a clairement fait son petit effet. La seule mauvaise chose réside finalement dans la période choisie : la Seconde Guerre mondiale, qui a certes du sens pour les développeurs (pour les nombreuses évolutions techno, les grandes batailles, la myriade d'unités, les anecdotes en tout genre) mais, qui en revanche, me tape bien comme il faut sur le bourrichon ! Allez, pas de quoi râler outre mesure toutefois, puisque nous voilà en présence d'un jeu plus que excellent.
Accessible est le qualificatif qui ressort de ce jeu. Loin des travers élitistes du genre, R.U.S.E. est avant tout un jeu divertissant et spectaculaire. Qui d'ailleurs, contrairement à d'autres jeux du genre, il est très agréable à jouer, ergonomique, sans se départir des exigences tactiques du genre. Un vrai coup de maître. On tient là le meilleur représentant de cette catégorie de jeux sur consoles.