L'inspiration tarie ? Le robinet à idées qui fuit ? Et si l'on revisitait les classiques de la littérature et du cinéma ? Une once du Roi singe par-ci, des gouttes de post-apo et des mécanismes hérités d'Ico (PlayStation 2), la décoction Enslaved sent clairement le déjà-vu, le déjà joué. Et pourtant, sous ses couches d'éprouvé/approuvé, ses airs d'ultra-codifié, le mastard de Ninja Theory taquine doucement l'originalité, esquisse un futur salement désenchanté.
Une longue traversée post-apocalyptique
Nul Judgement Day ou cyborg venu du futur, l'humanité n'eut besoin que de quelques centaines d'années, de deux-trois guerres bactériologico-nucléaires et de tout autant de catastrophes naturelles pour disparaître. Là, à l'abandon dans les ruines des cités, recouverts de lichen, veillent désormais drones et droïdes, reliquats des guerres passées trop prompts à mettre en branle leurs vérins hydrauliques, à arroser de plomb tout signe de vie.
Pour survivre, l'homme a dû évoluer. Encore une fois. Si une partie s'est amassée dans les communautés souterraines et spécialisée dans les techniques de piratage, l'autre, réadaptée à l'environnement sauvage, cohabite avec une flore qui a repris ses droits sur le béton et l'acier. Brute épaisse, Monkey a, lui, choisi le monde extérieur. Usé à l'abattage à la chaîne de ferraille ambulante, le voilà encagé, pris au collet par des esclavagistes arpentant les cieux des cités écroulée. Sauvé in extremis par la jeune Trip, il doit la ramener au bercail, là-bas, loin de l'ouest, pour espérer être libéré de son emprise et de ses ordres, un casque vissé à son crâne déchargeant des impulsions électriques au moindre faux pas. Pire, si le coeur de la donzelle s'arrête, le Wolverine/Sangoku de service incarné par le joueur passe, lui aussi, l'arme à gauche. Post-apo' par l'esthétique, Enslaved, c'est donc, et surtout, la rencontre forcée, l'évolution par l'épreuve de deux opposés, texture d'un road movie en toile de fond. Comme dans les ouvrages et films d'Alexandre Garland, scénariste attitré du jeu, le voyage forcément initiatique, va les changer l'un comme l'autre, attirer les contraintes à la manière d'un vaillant Another World... grand classique des années 90.
Le duo
Bête revisitée, plus Ron Perlman (Hellboy) que Jean Marais, Monkey frappe, dézingue, envoie valdinguer des cliques d'androïdes de ses poings armés, quitte à sortir le grand jeu, un bâton de combat aux multiples aptitudes. De même que les moyens de locomotion plus aériens que doit emprunter Monkey. Qu'importe, la foire d'empoigne assure le spectacle, le simiesque tatanant déjà autant que le Kratos d'un God of War. Oubliés les sempiternels QTE : ils ont en déjà fait le tour dans leur précédent titre, Heavenly Sword sur PlayStation 3. Enslaved c'est du beau jeu, l'apprentissage progressif des techniques de destruction et de démembrement : esquive des attaques imparables, contour de l'ennemi, saut sur le dos et frappe à répétition pour arracher moteurs, crâne et vérins. Pour autant, les outils cinématographiques, signature du studio, ne sont pas remisés : zooms à foison, gros plans et tressautements violents de l'écran soulignent, mettent en scène l'animalité du héros. Ce procédé, ne jamais recourir au préenregistré, toujours laisser le joueur maître de ses actions, les Ninjas l'appliquent aux affrontements, oui, ainsi qu'à toute autre séquence du jeu. Un exemple ? Une échelle qui s'écroule sous le poids du héros. Appuyer plusieurs fois sur la touche Saut permet, pendant sa chute, de la gravir barreau après barreau, d'atteindre la plateforme attenante. Simple, logique, et surtout plus dynamique et interactif que n'importe quel Quick Time Event ! En arrière-garde, sans défense visible, Trip, elle, a tout du boulet sans intérêt. Du moins, dans un premier temps. Incapable de se battre, trop aisée à se faire massacrer, la rouquine n'en demeure pas moins indispensable à la longue traversée des états désunis d'Amérique. Dirigée via menus déroulants, elle attire l'attention de l'ennemi, se cache pour mieux se protéger, soigne Monkey, actionne leviers et mécanismes, pirate les ordinateurs encore en marche ou analyse chaque secteur traversé pour en déceler les éventuels pièges et alarmes... Sans cette aide, et les mouvements coopératifs qui découlent de son implémentation, Monkey serait vite "nettoyé" par les tourelles, drones et services de sécurité qui fourmillent dans New-York. Astucieuse, la belle n'en est pas moins fragile et quelques coups de masse en viennent rapidement à bout, Game Over en prime. Si Trip meurt, la faute en revient entièrement à vous. Parce que vous ne l'aurez pas assez surveillée, vous n'avez pas su vous occuper d'elle comme il le fallait ! Empathie vous dites ? Aux portes de la mort, Trip a cependant l'idée de lâcher une grenade EMP pour stopper pendant quelques secondes les bourrades androïdes. Court laps de temps dont vous profitez pour la mettre à l'abri des pétoires robotisées. Contact intense, trop elliptique, ce jeu sait attiser la curiosité.
Mouais...
Sur une base scénaristique somme toute originale, Enslaved déroule un contenu mâtiné d'action (les combats contre les robots) et de plate-forme (les balades à flanc de gratte-ciel en ruine). Dès les premières secondes de jeux, les influences sont flagrantes : Monkey se déplace sur les parois avec la même agilité que le Prince de Perse, sautant d'un mur à l'autre, se rattrapant à des poutrelles, etc. La mise en scène rappelle également fortement Uncharted 2, avec des angles de vue spectaculaires, comme cette contre-plongée sous une grue qui rappelle la toute première scène du jeu de Naughty Dog, où Nathan Drake doit escalader les flancs d'un train suspendu à une falaise. Côté combat, rien de bien original non plus, Monkey donnant des coups de bâton, lequel peut être amélioré au fil de l'aventure, pour accéder à de nouvelles attaques. Fort heureusement il existe quelques gadgets plus originaux : Monkey et Trip disposent de quelques accessoires high-tech ou mystiques, pour les aider dans leur quête.
Comme Goku dans Dragon Ball Z, Monkey peut planer sur ce qu'il appelle un nuage, mais qui ressemble plus à un hover-board lumineux. C'est bien pratique sur les surfaces aqueuses.
Le bâton de Monkey ne sert pas qu'à frapper, il peut aussi envoyer des projectiles de plasma qui déstabilisent les circuits intégrés des robots.
Trip sait ouvrir les portes électroniques et dispose d'une caméra-libellule pour repérer la position des mines au sol.
Tout ceci engendrent des phases de jeu elles aussi un peu originales, mais rien de bien révolutionnaires non plus.
Une aventure
Alors, envie d'empathie, de s'amouracher d'une jeune et jolie ingénue ? Si les oeuvres de Fumito Ueda (Ico, Shadow of The Colossus) ou le dernier Prince of Persia se sont précédemment essayées à titiller la fibre émotive du joueur trop souvent solitaire, il faut désormais aussi compter sur Enslaved, dernière salve de Ninja Theory. Avec au centre des préoccupations, les interactions, façon La belle et la bête, entre Trip, l'héroïne qu'on doit protéger, et Monkey, apocalyptique hanté par les cyborgs-guerriers des guerres passées, les deux opposés font route ensemble pour rejoindre la côté ouest et ses communautés des survivants. Pour Monkey, le sauvage, il s'agit surtout de frapper, cogner et démanteler chaque robot qui croisera sa route, usant au besoin de son bâton pour ralentir l'avancée ennemie. Trip, elle, sait attirer l'attention des gardes et des tourelles de tir, indiquer à son acolyte les pièges de chaque niveau, voire le soigner et déclencher certains mécanismes. Bref, la belle est indispensable à notre périple. D'autant qu'au contraire d'un Prince of Persia, trop pressé d'oublier les règles érigées par Ueda, la mort rôdera autour d'elle, et son décès, souvent douloureux, est immédiatement suivi par un Game Over. Un vrai. Alors oui, Enslaved se la joue duo d'acrobates peut-être, mais il n'oublie jamais de sanctionner le joueur, de renforcer les liens qui l'unissent à Trip. Car comme dans Heavenly Sword, Ninja Theory a développer une histoire, transformer son road movie vers l'ouest, librement inspiré du Roi-Singe, en voyage initiatique.
C'est du propre
Enslaved est un jeu plutôt joli à regarder, avec des décors urbains envahis par la végétation très impressionnante (même si les textures tardent parfois à s'afficher ; sacrée Unreal Engine !), Enslaved est un jeu soigné, mais désespérément trop près d'un cahier des charges classiques. Quelle que soit la situation, on a toujours l'impression d'avoir déjà vu ça ailleurs, en aussi bien voire mieux. Seul réel motif de satisfaction, la relation qu'entretiennent Monkey et Trip, très convaincante. C'est l'acteur Andy Serkis (Gollum dans le Seigneur des Anneaux) qui incarne Monkey, et il y a véritablement quelque chose d'humain dans ses yeux et ses mimiques. C'est vrai que l'histoire de ce drôle de couple est suffisamment touchante, mais Enslaved ne parvient pas à sublimer le caractère trop classique de l'aventure, durant ici environ 12h. Et c'est bien dommage !
Enslaved ne souffre pas d'un défaut majeur, et propose même une aventure correcte... mais sans plus. La faute à des phases de jeu convenues, une réalisation honorable mais sans prouesse particulière, et un gameplay là encore au point mais assez classique. Reste la qualité du scénario et de la relation Monkey-Trip !