Pour vous inviter à rejoindre la mafia des années quarante, 2K vous a concocté le genre de cinématiques qu'on ne peut pas refuser. Vous savez, le style merveilleusement mis en scène avec des personnages plus vrais que nature, des dialogues parfaitement doublés et un humour noir qui impose un rictus de rigueur. Après ça, il n'y aura plus aucune résistance de votre part, puisque vous serez totalement pris dans l'engrenage du blanchissement d'argent, de la lutte de territoire et des règlements de comptes sanglants. Tout un programme en perspective qui se traduit par tirer, tuer et se barrer en deux temps trois mouvements à travers une course-poursuite frénétique dans les rues sinueuses de la ville. Du déjà-vu, il est vrai, mais le travail d'ambiance est tel qu'on se transforme inexorablement en ce grand bandit coiffé d'un chapeau noir comme la mort, prêt à toutes les exactions pour s'affranchir de toutes les affres d'un simple mortel. Une sorte de jeu vidéo d'auteur, qui vous offre son plus beau rôle de composition !
Cela fait longtemps que l'on vous parle de Mafia II. Et si, à chaque nouvelle galerie d'images, notre enthousiasme grimpe, on attendait une étape essentielle : le jeu enfin fini. D'emblée, ce qui frappe, c'est le travail exécuté par 2 K Czech pour créer une ambiance, un univers. Vito, le héros, est un jeune Italo-américain de retour de la Seconde Guerre mondiale. A peine descendu du train que son meilleur ami Joe se rue sur lui et l'entraîne au coeur de la ville d'Empire Bay, à mi-chemin entre New York et Chicago. Vito comprend ce monde, il y est né. Il en connaît la musique. Il sait ainsi que s'il veut se faire un nom, le seul moyen est d'agir comme Joe et de rejoindre la Famille, la Mafia, et de commencer en bas de l'échelle par des menus larcins.
Le jeu démarre réellement alors que Vito et Joe doivent vendre des cigarettes contrefaites. On embarque dans la voiture de Joe, à la place du conducteur pour une virée dans la ville. D'emblée, le sens du détails fascine. L'équipe de 2 K Czech a reproduit l'Amérique des fifties avec un souci du détail confondant. Voitures, costumes, bâtiments, décor, tout semble sorti de cette époque. Cette impression est renforcée par la musique disponible dans le jeu. Ainsi, vous pouvez écouter pléthore de tubes rock'n'roll et jazzy sur les différentes radios d'Empire Nay City. Mais un univers n'est rien s'il ne dégage pas une énergie. Là encore 2K Czech fait fort car la sensation de vie est remarquable. Un homme harangue une femme à sa fenêtre, un commerçant range ses étals de légumes, des passants discutent...
On arrête un peu de rêvasser et on appuie sur l'accélérateur. Quelques secondes suffisent pour maîtriser la conduite des Chevrolet, Pontiac et autres Cadillac, et leur modélisation est magnifique : les chromes brillent, les carrosseries reflètent le monde environnant, les voitures se salissent avec le temps. La sensation de vitesse et la nervosité de la conduite sont aussi au rendez-vous. Après une courte phase où Vito doit aller chercher des cartouches de cigarettes à l'arrière d'une camionnette, on entre dans le feu de l'action. Attaqués par un gang de blousons noirs, nos deux apprentis mafieux se font voler leur cargaison. Pas le choix, il faut passer un coup de fil à Henry, un homme de main de la famille Clemente. Ce dernier nous donne rendez-vous dans un terrain vague pour régler leur compte aux voleurs.
Armé d'une mitrailleuse Thompson, on détruit un petit snack-bar en bois. Là, l'ambiance mafieuse ultra-référencée, on pense ainsi à Miller's Crossing des frères Coen, est géniale. Tous les mafieux sont en ligne et arrosent de plombs le restaurant. Les néons se décrochent, puis chutent au sol, les vitres explosent, la façade en bois tombe en lambeaux. Même s'il s'agit de dégâts scriptés, on se rend compte du soin apporté au moteur physique. On avance vers une vieille distillerie, toute de rouille et de tôles marronnasses. On marche entre les flaques, des rats filent entre nos pieds. On note ici combien les phases d'action, certes linéaires, sont très réussies graphiquement. De plus, ce dirigisme permet une action plus tenue, plus rythmée que dans GTA IV. Avec la présence de scripts, chaque assaut vous ménage son lot de surprises. Alors que vous avancez, en tirant des semonces de fusil à pompe, une voiture vous fonce dessus à tombeau ouvert. Quelques décharges dans le moteur suffisent pour envoyer l'engin dans le décor. Plus tard, des ennemis apparaissent sur les toits, sur des passerelles. On glisse à couvert en appuyant très vite sur le bouton. Il faut ainsi avancer pendant une dizaine de minutes, en venant à bout de vagues d'ennemis successives. Si l'intelligence artificielle n'est pas extraordinaire, elle reste assez réactive : les ennemis se mettent à couvert, changent de position et fuient quand ils sont en minorité. On regrette tout de même un manque d'impact sur les corps et des ragdolls pas toujours réalistes. Mais rien de méchant. Mafia II est un jeu porté par un univers ultra-soigné et une ambiance incroyable. De plus, le parti pris de rendre ses phases d'action plus dirigistes se montre payant et rend le jeu bien plus nerveux qu'un GTA IV.
En entrant dans la Mafia, vous devez accepter ses règles, son code tacite... Si vous refusez, vous êtes un homme mort. ? Déjà pour commencer, à Empire City, tout s'achète. D'abord pour survivre dans la mégapole, il faut avoir la classe. Ainsi vous pouvez visiter les divers magasins et tailleurs pour vous acheter costumes, chapeaux et tenues diverses. Vous pourrez aussi vous rendre chez le garagiste pour transformer votre vieille Cadillac en bolide. Mais s'il y a bien une chose qui s'achète à Empire, c'est le silence. Si vous êtes arrête par la police, vous avez le choix entre fuir ou la soudoyer. En lâchant quelques billets, les flic iront voir ailleurs... La corruption, ça peut avoir du bon.
Comme dans toute "entreprise", la Mafia a ses règles et son système de promotion. Ainsi, quand on débute, c'est en bas de l'échelle. Vito et Joe doivent être patients. Car avant leur premier job pour la Famille, il leur faut se faire un nom en exécutant de menus travaux : vols de voitures, braquages, ventes de cigarettes de contrebande... S'ils font leurs preuves, ils obtiendront des missions de plus en plus importantes et donc mieux rémunérées : rackets, règlements de comptes, assassinats... en gros, le crime, le vrai.
Mais pour faire un bon homme de main et créer sa légende, il faut savoir aussi tuer avec classe et ingéniosité. Et commencer par savoir donner une bonne correction. Vito peut ainsi se lancer sans des combats au corps au corps. Mais il pourra aussi s'armer d'une batte de base-ball ou d'un couteau. Le plus souvent, tout se joue aux flingues. Colt, revolver, sulfateuse MG42, Thompson, fusil à pompe, vous avez le choix des armes. Et pour les adeptes du feu d'artifice, vous pouvez aussi envoyer des cocktails Molotov ou poser des charges explosives.
Mais appartenir à la Famille, c'est avant tout une affaire de respect. Respect pour le Don, pour les aînées et pour ses pairs. Mais le monde est ce qu'il est et la trahison est partout. Sur les 15 ans de "carrière" que retrace Mafia II, Vito va en connaître des désillusions et revers de médailles. S'il a beau être un gars droit, ce n'est pas le cas de tout le monde et, en gravissant les marches vers le pouvoir, nombreux sont ceux à vouloir lui mettre des bâtons dans les roues...
Côté gameplay, la conduite est paramétrable, normal ou simulation, et donne lieu à de bonnes poursuites avec la police. Dans ce cas, un système d'icone indique au joueur le niveau d'agressivité des flics. Des symboles "wanted" s'affichent parfois, auquel il faut maquiller la voiture ou vous changer pour passer incognito, à pied, on prend un plaisir monstre à se balader dans la rue et à provoquer des bagarres, toujours très fun d'ailleurs et incluant parfois des QTE, pour donner une bonne raclée au pauvre quidam. Les scènes de fusillades quant à elles assurent le spectacle, même si on remarque que la visée est parfois bien trop hasardeuse. Dommage.
Mieux servi sur PC que sur consoles, le premier Mafia manifestait déjà une irrépressible envie de narrer, de raconter. Rebelote avec Mafia II qui, comme son aîné, ouvre sa ville, crée de liberté de mouvement pour mieux la restreindre lors des missions principales. Débutant en 1945 et se finissant à la fin des années 50, le scénario suit la montée de Vito Scaletta et de Joe Barbaro dans les échelons de la pègre locale. La liberté est un outil pour créer une atmosphère. De même que l'évolution de la ville, des vêtements ou des appartements des héros. Ainsi, les effets climatiques servent autant une chronologie elliptique, faite de cartons pour annoncer le passage des années, que des desseins narratifs évidents, la pauvreté des premiers jours (neige, pluie) précédant l'âge d'or (soleil au-dessus d'Empire Bay) des deux antihéros. Une transformation qui épouse évidemment les errements de la mode de l'époque : une télévision et un juke-box parfaitement opérationnels succèdent au poste de radio dans la salon de Joe, la cuisine accueille bientôt un frigidaire façon Happy Days et un carrelage noir et blanc particulièrement vintage. Quant au lit, les draps défaits font preuve du manque d'hygiène de Joe et les soutiens-gorge oubliés dessus, de son tempérament très fougueux ! Pour rendre au mieux la période, les développeurs se sont inspirés de longs métrages, de nombreuses publicités ou de catalogues de fournitures. Les années 50 sont un décor très attractif, surtout pour les joueurs qui en ignorent tout ou en ont une idée approximative. Mafia II, c'est presque une plongée en terre étrangère ! Aussi, pour plonger le joueur dans une ambiance musicale appropriée, Mafia II s'enorgueillit de dizaines d'heures de musiques et d'émissions de radio de l'époque. Sans doute la bande-son la plus exhaustive que 2K Games ait jamais proposée dans un jeu.
Toutes les possibilités offertes par le média sont ici utilisées pour immerger le joueur. Si le jeu vous laisse libre de vous déplacer à volonté et en toute liberté dans Empire Bay, c'est pour que vous soyez submergé par les détails. Et de détails, Mafia II ne manque pas. Que l'on marche ou conduise dans les rues d'Empire Bay, ses habitants s'activent, se livrent à leurs activités quotidiennes alors que des thèmes be-bop jaillissent des autos, ici une femme qui s'adosse à un pylône avant d'allumer une cigarette, là un rondouillard qui achète un sandwich avant de s'asseoir sur un banc, plus loin un jardinier s'affairant sur le pelouse d'un parc ou un passant faisant le plein d'essence de son automobile. Partout de la vie, fourmillante, crédible. Et qui dit métropole, dit trafic urbain, et celui de Mafia II est géré sur trois niveaux, trois échelles, de l'embranchement le plus proche à la circulation générale des artères de la cité. De quoi ne jamais tomber en panne d'autos à alpaguer !
Les développeurs ont surtout réussi sur un point, réalisé un superbe travail : c'est beau, c'est propre, et c'est vivant. Ceci d'ailleurs grâce à la beauté pourtant indéniable de la ville d'Empire Bay, qu'à ce souci de nous imprégner au maximum de l'ambiance de l'Amérique de cette époque : musiques d'époque dans les kiosques, des passants qui discutent des prochaines élections, et ce multitude de détails qui enveloppé les quartiers tantôt bon chic bon genre, tantôt crasseux d'une cité en plein boom industriel. Autre exemple tout aussi parlant : le réalisme affiché lors des missions. Des murs qui s'effritent sous les impacts répétés des balles de gros calibre aux bouteilles de whisky qui volent en éclats, le niveau d'animation est impressionnante, et donne non seulement aux fusillades un côté nerveux et dynamique, mais offre également une dimension stratégique supplémentaire, vous obligeant à changer régulièrement d'abri pour éviter de vous retrouver à découvert.
Bien sûr, on n'échappe pas aux éternels clichés du film mafieux, aussi bien dans les personnalités que dans les répliques mais le tout est si bien fait que l'on n'y prête guère attention. Les dialogues et doublages sont particulièrement réussis et contribuent à créer une excellente ambiance. D'ailleurs, Vito et son meilleur pote/bras droit Joe passent leur temps à discuter tout au long des missions, ce qui renforce encore cet effet d'immersion. Bourrées d'humour, ces conversations ont plus le mérite de rendre une traversée du couloir monotone en véritable partie de plaisir. Côté cinématiques, elles sont assez nombreuses mais ne lassent pas. 2K Czech a le talent de mise en scène et en profite au maximum. De plus, la musique, qui était déjà un des points forts du premier, participe à créer une expérience encore plus prenante. Souvent au plus juste en alternant les styles et les rythmes suivant le niveau d'action et de tension à l'écran, elle change même au fil des années, du temps et des saisons ! Et pour poursuivre dans la volonté de réalisme des développeurs, elles sont issues de vrais albums de l'époque allant du jazz au blues en passant par la country et la soul. Bref, en bon GTA-like, Mafia II touche à tout, mais avec une tendance à s'appliquer mieux que les autres, premier de la classe inclus. Presque inattaquable sur le physique, imprenable sur l'ambiance, il reste que la durée de vie est bien maigre (17h perso), sur cette aspect ils auraient du peaufiner un peu ça, car l'air de rien, c'est plus court que la moyenne du genre.
Avec Mafia II, on a franchement l'impression d'être plongé dans un GTA IV version Le Parrain. D'ailleurs, cachez la jaquette et demandez quel studio est aux commandes, il y a neuf chances sur dix pour qu'on vous réponde Rockstar. Ce qui est bien normal, sachant que dans la mise en scène (cinématographique), l'écriture des dialogues (crus et rentre-dedans) et le déroulé du jeu (l'aspect bac à sable, moins exploité), tout ou presque rappelle les derniers Rockstar. Certes, il s'agit de points forts en 2002 pour le premier épisode, mais l'influence Take-Two reste indéniable. Bien sûr, Mafia II conserve aussi certaines routines plaisantes du premier jeu, comme le limiteur de vitesse qui permet d'éviter les ennuis avec la police ou encore des courses poursuites musclées, leurs bolides étant très difficiles à semer. Il faut donc parfois savoir ravaler sa fierté et lever les mains au ciel... sans oublier de glisser un billet à l'agent pour repartir sans menottes. Bref, dans sa conception, Mafia II (r)assure. La surprise vient de son scénario qui se déroule en plusieurs parties et qui vous transporte dans une sacrée ambiance. Mais même s'il est possible d'explorer le moindre recoin de la cité (en extérieur du moins), les à-côtés ne sont pas légion. J'ai pu aller faire repeindre ma bagnole (une superbe jeep) dans un garage. Mouais. J'ai acheter des fringues dans le magasin BCBG du coin. Mouais. J'ai aussi bu une mousse et un whisky, ou encore acheter une arme ou un hot-dog... mais à part ça ? C'est sans plus. Surtout que les habitants de cette charmante ville sont peu loquaces et pas enclins à nous confier leurs petits problèmes. Donc, ne vous attendez pas à des missions complètement hallucinantes comme ce peut être le cas chez la licence concurrente. Mafia II est un jeu plus sérieux, plus noir, plus cinématographique. Et plus dirigiste qu'il ne veut bien le laisser croire. Mais se rattrape avec son ambiance, avec un goût du détail prononcé et une mise en scène savamment étudiée.
Fun, propre et classe, Mafia II a, pour moi, justifié ses innombrables retards. Ce jeu tient parfaitement la distance et propose un scénario et des personnages dignes des meilleurs films de mafieux, ça va faire très mal !
(Source) :