Note : ce billet est une chronique que j’ai écrite pour un site d’actualité hebdomadaire que nous entretenons, quelques camarades de fac et moi-même. Si le cœur vous dit d’aller jeter un œil à ce site et de m’en dire quelque chose (les critiques les plus sévères sont acceptées, voire désirées), c’est ici (clic)
Samedi 28 février, dans son émission Revu & Corrigé, sur France 5, Paul Amar prétendait de nouveau « décrypter l’actualité ». Et l’actualité, la semaine dernière, c’était bien évidemment la publication en couverture de Paris Match d’une photographie de Ségolène Royal avec son supposé nouveau compagnon, sous un titre typiquement Matchien (qui ne veut donc rien dire) : « Une femme libre ». Libre de quoi ? Se trouvait-elle en prison ? Peut-être dans la prison de son cœur de femme meurtrie par les trahisons… Enfin bref, je ne vais pas commencer à écrire comme Irène Frain, qui nous écrase sous le poids des mots chaque semaine dans les pages de Match. Toujours est-il qu’au moment où l’émission est diffusée, Royal a fait savoir qu’elle n’avait pas été libre d’empêcher la publication de ces clichés, en conséquence de quoi elle menace de porter plainte (ce qu’elle a fait depuis).
Donc Paul Amar, avec sa modestie habituelle, s’empare de ce sujet de la plus haute importance et prétend le « décrypter » en l’abordant, surprise ! sous l’angle de la pipolisation des personnages politiques… Dans sa mission de « décryptage » il sera accompagné d’un secrétaire d’état, Hervé Novelli, d’un comédien qui avait soutenu Ségolène Royal en 2007, Philippe Torreton, d’un journaliste multimédias, Paul Wermus (Direct 8, France Soir, France 3…) et du directeur adjoint de Paris Match, Régis le Sommier.
Je veux m’attarder, dans ce débat, sur la ligne de défense des journalistes (Wermus et le Sommier), qui justifient la publication de ces photos. En effet, elle révèle l’estime bien basse dans laquelle ils tiennent le métier de journaliste. S’estimant « très objectif », Wermus nous explique pour commencer que « quand on veut que sa vie privée soit respectée, c’est très simple, on met pas sa main dans le pot de confiture » ; et de citer en exemple Laurence Parisot, patronne du Medef, qui « n’a jamais communiqué sur sa vie privée ». Plus tard, il explique que Ségolène Royal est « un personnage exceptionnel, au sens précis du terme » (euh… oui ?). « Il peut pas y avoir deux poids et deux mesures, assène-t-il : il y a un certain nombre de personnalités politiques de premier plan qui préservent leur vie privée parce qu’elles ont décidé de la préserver, voilà ; elle joue sur tous les tableaux, alors au bout d’un moment, finalement, c’est comme un boomerang, ça vous revient dans la tête ».
Régis le Sommier, quant à lui, explique que « si elle ne veut pas que ça se sache, elle ne va pas à Marbella, dans le St Trop’ espagnol, en plein pendant les vacances. Ces photos-là auraient très bien pu être prises par des personnes privées, elles se seraient à ce moment là retrouvées sur le web, on aurait dit ah Ségolène Royal y a des photos etc, mais parce que c’est Paris Match, évidemment, on revient et on dit ahlala, et on nous traite de charognards comme d’habitude ». Ahlala, Paris Match… Mieux, le Sommier estime qu’il y a « une idée d’information [sic] : quand Ségolène Royal se montre comme ceci dans les rues de Marbella, elle montre qu’elle ouvre un nouveau chapitre dans sa vie, y a quelque chose de différent. » On se trouverait presque dans la nouvelle pub de Spécial K… « Y a kekchose de nouveau dans sa vie ».
Voilà donc « l’idée d’information » pour Match (et quelle information !) : un nouveau chapitre dans le passionnant livre de la vie de Ségolène Royal. Ici, Wermus et le Sommier ont adopté la défense classique des journalistes confrontés au devoir de respecter la vie privée des personnes publiques : c’est pas nous, c’est elles qui ont commencé. Ségolène Royal n’aurait pas dû, en 1992, faire venir les caméras et les photographes dans sa chambre de maternité, après avoir accouché. C’est elle qui a franchi la fameuse « ligne jaune ».
Certes. On ne pourra pas nier que pour certaines personnes politiques, mettre en scène, à certaines occasions, leur vie dans le but de se faire aimer est devenue une méthode de communication. Toutefois, il ne faudrait pas oublier la complaisance dont les médias font part à leur égard. Les journalistes ont beau jeu de rappeler que c’est d’abord Ségolène Royal qui les a appelés pour s’exhiber. Mais ils oublient opportunément de dire (et sans doute ne s’en rendent-ils pas vraiment compte) que lorsque Ségolène Royal les a appelés, ils sont venus, tout simplement, sans qu’il y ait la moindre nécessité de les forcer. Il est facile d’accuser les politiques de franchir la « ligne jaune ». Mais qui se trouve immédiatement derrière cette « ligne jaune », prêt à accueillir toute démarche d’exhibition de la part des personnalités politiques ? Wermus et le Sommier, comme l’ensemble de leurs confrères lorsqu’ils publient des photos volées, semblent considérer que leur rôle de journalistes se limite à faire la communication des politiques lorsque ces derniers le réclament, et qu’à partir du moment où ils l’ont fait une fois, ils peuvent le faire même contre la volonté de leurs sujets.
Le Sommier laisse entendre qu’il y a une certaine noblesse à informer sur « un nouveau chapitre dans la vie de Ségolène Royal », mais où était la noblesse journalistique lorsque Paris Match a accouru comme un bon petit chien-chien dans la chambre de maternité de la même Royal ? Pourquoi Match et l’ensemble de la profession n’ont-ils pas dit, lorsque qu’un homme politique, pour la première fois, a voulu jouer les exhibis dans leurs pages, que leur métier n’était pas de faire sa communication ? Parce que le plaisir de montrer et d’en tirer des revenus se conjugue avec le plaisir de se montrer et d’en tirer des électeurs. Il est bien facile de se justifier en disant que Royal est seule coupable d’avoir régulièrement montré des pans complets de sa vie. C’est oublier la responsabilité des médias, qui ont servi de relais à ces élans démonstratifs, alors qu’ils avaient le pouvoir d’affirmer, ne serait-ce qu’au nom d’une certaine estime de leur métier, que ça n’était pas leur rôle. Et puisque Wermus comme le Sommier semblent, de concert, regretter un petit peu que la situation soit ce qu’elle est, il n’appartient qu’à eux d’y mettre fin en refusant, à compter de maintenant, de jouer les caniches en se rameutant dès qu’une personne politique les siffle.
Mais bien sûr, ils ne s’entendent jamais dire ça sur un plateau de télévision. Leur seul véritable opposant, Philippe Torreton, n’est pas allé plus loin que de dire que la loi condamne ces pratiques. Et en attendant, ils prêtent volontiers le flanc à l’idée que les journalistes sont aujourd’hui devenus les relais bienveillants de la communication politique à peine déguisée derrière des postures « intimistes » ou de « confidence ». Oui, les « confidences », ça me fait bien marrer aussi. Lorsque Michaël Darmon, le journaliste de France 2 embarqué avec Sarkozy, « envoyé spécial à l’Elysée » (il faut le faire quand même !) explique sur le plateau du 13 heures que « le président nous a confié qu’il comptait » faire ceci ou cela, il faut être sacrément naïf, voire un peu con sur les bords, pour s’imaginer que derrière le ton de la confidence, Sarkozy ne faisait pas tout simplement de la communication, bien conscient que tous les journalistes auxquels il s’adressait iraient le lendemain révéler crânement, dans une petite rubrique « indiscrets », ce que le président leur avait langoureusement susurré à l’oreille, persuadés d’avoir obtenu, grâce à leur relation privilégiée avec le premier homme de France, une info destinée à rester confidentielle…
Bref, comme disait Steven s’adressant à Peter, le journalisme total, c’est totalement con.