Cette semaine, j’ai acheté le Point (3,5 € tout de même), alléché par la présence en page 41 d’un article d’Alain Duhamel, éditorialiste multimédias, intitulé « Laurent Joffrin et le poujadisme antimédias ».
Dans cet article, Alain Duhamel (affectueusement et judicieusement surnommé
« Purée Froide » -clic- par le Plan B) entreprend de nous montrer en quoi le dernier ouvrage de Laurent Joffrin, directeur du quotidien Libération, est un livre bien, qu’il faut lire. Il s’appelle « Média Paranoïa » et porte donc sur les discours « antimédias ». Il est inutile de préciser qu’Alain Duhamel, en tant que chroniqueur dans les pages de Libération, a pour employeur Laurent Joffrin ; cela n’a sans doute pas influencé son jugement. On sent d’ailleurs l’esprit critique de Duhamel poindre sans pudeur lorsqu’il dit du livre : « il se caractérise par sa franchise et sa vivacité, par sa clarté et par sa force de conviction ». Bref, tout l’inverse de sa propre prose.
Je n’ai pas lu le livre de Joffrin et ce n’est donc pas sur lui que portera ce billet ; et puisque Duhamel ne cite jamais une phrase de l’ouvrage, et qu’il fait par conséquent siennes les idées de son patron, c’est à ce qu’il dit que l’on va s’intéresser.
Alain Duhamel commence par rappeler la publication du « terrible sondage annuel réalisé par TNS Sofres pour La Croix », qui « accable une fois de plus les médias et pointe cruellement leur discrédit dans l’esprit des Français ». En effet, c’est clair, les Français ne font pas confiance aux médias français. Mais ils ont tort, comme va nous l’expliquer Alain Duhamel.
Duhamel commence par faire la liste des clichés dont sont victimes les médias : « les médias malhonnêtes travestissant régulièrement la réalité ; les médias conformistes véhiculant une pensée unique ; les médias dépendants, aux ordres des puissances économiques ; les médias connivents, entretenant des relations incestueuses avec le pouvoir politique …» Ca fait un paquet. « Autant d’idées reçues, explique Duhamel, auxquelles adhèrent malheureusement une forte majorité de Français, autant d’idées fausses, comme le démontre l’auteur [mon patron adoré] avec pugnacité et compétence ».
Et Duhamel de battre en brèche toutes ces idées reçues. Toutes ? Non, car il oublie de répondre à l’accusation de dépendance aux puissances économiques. Il faut dire qu’on voit mal comment il pourrait contester que c’est bien parce qu’ils sont soumis à des pressions économiques que les médias sont souvent médiocres. Pour le reste, c’est clair :
« Les médias mentent (Timisoara, Khmers rouges, Algérie, affaire Grégory, affaire Baudis, Outreau ?) très rarement ». Bien sûr, si on parle de gros mensonges, d’énormes supercheries, ça n’arrive pas tous les jours. Mais il ne faudrait pas oublier les petits mensonges quotidiens, qui sont le plus souvent des mensonges par omission : on oublie de demander leur avis aux adolescentes voilées avant de leur interdire l’accès à l’école publique ; on oublie de faire intervenir les ouvriers qui sont sous-représentés ; on oublie de faire connaître tous les chiffres du tabagisme passif ; on oublie de préciser, lorsqu’on invite M. Juvin pour parler des problèmes des hôpitaux, qu’il est membre du secrétariat national de l’UMP, et ainsi de suite…
Duhamel poursuit : « Les médias dépendant du pouvoir politique ? Certainement moins qu’avant et de façon beaucoup plus exceptionnelle qu’on l’imagine ». Eh bien dans ce cas, ce n’est pas bien grave… Peu importe que de nombreux possesseurs de médias soient des amis du président de la république. Et au fait, comment le président de France Télévisions sera-t-il nommé et révoqué, à l’avenir ? Et
les membres du CSA (clic) ?
Quant à la « pensée unique ? Hormis les référendums européens (mais après coup, qui avait raison ?) [tiens oui, qui avait raison ? pas le peuple bien sûr, puisqu’on lui a fait passer le traité de Lisbonne par derrière], c’est au contraire l’affrontement des idées sur tous les terrains. » Là je me dis : j’aimerais voir quel affrontement, de quelles idées, et sur quels terrains. Mais Duhamel a anticipé mes vœux : « Pour qui en douterait, il suffit d’observer l’anarchie actuelle des diagnostics et des thérapies concernant la crise ! » Ah, eh bien dans ce cas tout va bien : les experts qui hier chantaient les louanges du libre marché sont les mêmes que l’on convoque pour condamner ses excès. Voilà qui donne lieu à de superbes affrontements d’idées, comme par exemple dans l’émission « On refait le monde », à laquelle Duhamel participe, sur RTL (cf. le Plan B,
« Les sous-doués analysent la crise » -clic- )
Enfin Duhamel s’attaque au cliché de « la manipulation de l’opinion par les médias : y croire, c’est sous-estimer l’autonomie des citoyens ». C’est tout à fait vrai. C’est tellement vrai que je me demande d’ailleurs pourquoi les éditorialistes et chroniqueurs de France persistent à nous asséner leurs vérités sans avoir l’air de penser une seule seconde que nous sommes susceptibles de ne pas y croire. Les journalistes infatués sont les premiers à croire qu’ils convainquent les masses. Ainsi, Alain Duhamel, comme un certain nombre de ses semblables, s’exprime régulièrement dans le Point (dit « de droite »), dans Libération (dit « de gauche »), sur Canal+ (aux côtés de Catherine Nay et de Philippe Val, autre penseur multimédias), sur RTL, sur France 2 et ailleurs encore lorsqu’il est en promotion. Et il ose nous dire qu’on a tort d’estimer qu’une « pensée unique » sévit dans l’univers médiatique. Pis : il va plus loin. « Si une pensée unique régnait dans les médias, le non l’aurait-il emporté en 2005 ? » Il serait sans doute incongru d’émettre l’hypothèse selon laquelle, parce que justement les citoyens sont « autonomes », ils ont voté non en réaction à la masse prodigieuse d’éditorialistes et d’experts (dont Alain Duhamel) qui se sont succédé pour nous vendre le traité, au détriment de toute parole défendant le non, immédiatement qualifiée de « lepéniste ».
Après cette plaidoirie éclatante, Duhamel pose un mystérieux point final : « Conclusion : un débat Laurent Joffrin / Jean-François Kahn s’impose ». Un débat Joffrin / Kahn ? Je crois que ça ira. J’en ai vu un il n’y a pas très longtemps dans « Médias, le magazine » sur France 5, eh bien c’était nul, ils ont brassé de l’air tous les deux. Mais peut-être est-ce cela que l’on appelle un « affrontement d’idées ».
Conclusion : il y en a des fois dont on se dit que ce serait pas mal si, en raison de toutes les amputations, ils cessaient de danser sur une station de rock’n’roll.
Triste époque ...