Pour saluer la mort de Horst Tappert, l'interprète (l'inerteprète, ai-je failli écrire...) de l'inspecteur Derrick, voici un détournement signé Michel Hazanavicius :
Une fois ceci posé, qu'il me soit permis de rendre un hommage sincère à Derrick. Je n'ai jamais beaucoup regardé cette série, sauf quand j'étais petit chez ma grand-mère, et je me suis souvent ennuyé devant. Mais je m'amuse des commentaires sardoniques qui accompagnent le décès de Horst Tappert et qui, dans un excès d'humour mal maîtrisé, tournent sans cesse autour de la lenteur de cette série. Je m'en amuse d'autant plus que j'ai moi-même pris un certain plaisir à moquer Derrick, croyant être original alors que tout le monde dans ma tranche d'âge et dans ma classe sociale le fait.
Il est de bon ton aujourd'hui de tancer Derrick parce qu'il lui faut toujours deux minutes pour décrocher un téléphone et parce que ses courses-poursuites et ses fusillades sont rares. Ce matin encore, Christophe Beaugrand, le gars qui parle des médias dans la matinale de Canal+, ne s’est pas privé, et il semblait très fier d’amuser la galerie à peu de frais.
Il n'empêche que je peux constater, occasionnellement, lorsque je jette un oeil à un épisode de Derrick diffusé l'après-midi sur France 3, que cette série n'a jamais transigé avec les réalités sociales de l'Allemagne. Je comprends que certains épisodes m'aient traumatisé étant gamin. Ce n'est pas seulement cette histoire d'image verdâtre, et cette lenteur qui peut parfois devenir anxiogène : dans Derrick, tous les thèmes, y compris les plus violents et les plus malsains, sont abordés de front, et toujours avec une volonté de comprendre les motivations des tueurs. On y parle d'inceste, de prostitution, d'avidité, de misère économique et sociale... L'inspecteur lui-même est loin d’être idéalisé (comme le sont souvent les personnages de flic, afin de nous faire aimer l’ordre et la sécurité) : il peut parfois être sec, cassant avec les proches des victimes (je m’en souviens, ça me choquait de ne pas voir un gentil policier comme les Etats-Unis m'avaient donné l'habitude d'en voir).
C'est sûr que ce n'est pas joyeux. Mais cela me semble tout de même bien plus enrichissant que les séries policières françaises où Julie "Bisounours" Lescaut enquête (plus ou moins...) dans le monde des Teletubbies et parvient le plus souvent à un happy end qui nous permet d’aller au lit la conscience tranquille, et où l'on crée artificiellement des situations de courses-poursuites à vingt à l'heure et de fusillades nullissimes. Derrick n'a jamais eu l'air de bénéficier de beaucoup de moyens, et surtout il n'a jamais tenté de péter plus haut que son cul. Et je crois que dans cinquante ans, si quelqu’un de courageux regarde les 280 (281 ? 283 ? les sources divergent, et divergent c’est énorme comme disait Desproges) épisodes que compte ce feuilleton, il apprendra quelque chose de l’Allemagne des années 1970 et 1980. Alors que le gars qui regardera l’intégrale de la gendarmette Corinne Touzet… je préfère commencer à prier pour son âme immédiatement.
C’est pourquoi il me semble utile de rendre hommage à Horst Tappert et de rappeler, comme le fit le regretté Lou Reed il y a de cela quarante ans, que malgré toutes les amputations, il est encore possible de danser sur une station de rock’n’roll.