Lorsqu'on parle d'arlésienne dans l'espace du jeu vidéo, deux catégories se présentent aux portes de nos souvenirs : celle qui engendre un titre décevant face aux nombreuses années d'attente, et celle qui ne sortiront finalement jamais.
Duke Nukem Forever, j'entends ton nom.
Alan Wake fait parti d'une troisième catégorie, une où les élus sont malheureusement trop rares : celle où le jeu est tout simplement bon, à la hauteur de nos attentes en tout cas. Car
Alan Wake est bon, très bon d'ailleurset même s'il base son background sur les ténèbres, il apportera la lumière à ceux qui le suivent depuis maintenant cinq ans.
Présenté par
Remedy comme un thriller psychologique,
Alan Wake se devait de posséder un scénario un minimum accrocheur. Inutile par contre de vous inquiéter quant aux spoilers à ce sujet car nous nous contenterons de ne rien dire à ce propos, pas même une ligne de l'introduction. Pour ce qui est de la qualité en revanche, nous pouvons dire que les scénaristes s'en sont plutôt bien sorti, « plutôt » oui car au lieu de nous donner quelque chose de profond mais simple à comprendre, nous avons droit à soit de l'inutilement compliqué, soit à des révélations qui arrivent beaucoup trop vite. Découpé en six épisodes avec à chaque fois une fin, un générique et un résumé, le titre joue également la carte du chliffanger à la sauce US. Finalement très loin de ce que pouvait nous offrir des séries comme
Prison Break (saison 1) ou Lost, ces rebondissements de fin de chapitres ne parviendront jamais à faire l'effet d'une bombe et on se contentera généralement d'écouter les sympathiques musiques du générique avant de passer à l'épisode suivant, sans nous poser la moindre question au milieu de tout ça.
En fait, là où les développeurs excellent, c'est sans conteste dans la narration elle-même. Littéralement happé dans une ambiance rarement vue dans un jeu vidéo, le joueur découvre chaque ficelle du scénario et tente de rassembler les pièces du puzzle entre les différentes cinématiques superbement bien mises en scène, la voix-off d'Alan Wake qui commente un peu tout ce qui se passe, les flashbacks sur la vie passée du bonhomme ou encore les pages de votre manuscrit, dissimulés un peu partout. On trouvera également des à cotés qui augmenteront encore l'immersion, à savoir des panneaux ou monuments qui nous renseigneront davantage sur la communauté de Bright Falls, des petits postes diffusant les émissions de la radio locale, ou encore une mini-série (Zone X) clairement typée quatrième dimension que vous pourrez mater sur certains télévisions. Rajoutons enfin qu'une centaine de thermo de café peut être ramassée durant l'aventure, ne vous offrant rien d'autre que le prestige, pas même un boss caché façon George Clooney (mais tout de même un succès pour les chasseurs de G).
Revenons à l'ambiance, aidée par des graphismes à nous en faire parfois décrocher la mâchoire. Alors oui, quelques rares textures paraitront un peu vieillottes et le regard de certains personnages pourra manquer un peu de vie durant les cinématiques, surtout comparé à la concurrence, mais dieu que c'est beau.
Rarement un jeu, pourtant linéaire, n'aura donné envie de rester sur place à contempler le couché de soleil à travers les feuilles des arbres. Par ses éclairages et ses mouvements (branches, feuilles, herbes…), la forêt donne autant l'impression d'être morte que vivante, s'offrant le luxe d'être un acteur à part entière tant on pourrait passer de temps à l'admirer, même si elle est censé inspirer la peur. En parlant de peur,
Remedy a cherché à casser les codes du jeu « angoissant » en instaurant deux éléments qu'on n'a pas vraiment l'habitude de voir dans des jeux du genre : le jour, et des PNJ. Bien entendu, on se retrouvera généralement seul à courir dans les bois, de nuit, mais une fois encore, la narration nous offrira des passages en plein jour où on discutera avec quelques personnalités locales. D'ailleurs, aussi secondaire qu'il soit par rapport à Alan, ces différentes personnes se révèleront plutôt attachantes, comme notre éditeur. Par contre, bon, on n'échappera à quelques clichés du genre, quand il ne semble pas tout simplement repris du premier
Silent Hill. Un gage de qualité certes, mais tout de même déjà vu.
Si évoluer dans cet univers procure donc énormément de plaisir avec tout de même une envie de voir le dénouement, il nous faut parler un peu du gameplay qui aura de quoi faire polémique. Intellectuel sans le moindre muscle, Alan se montre être une proie facile contre les « possédés » que vous allez rencontrer. Il n'arrive pas à sprinter plus de six secondes et est incapable de porter le moindre coup au corps-à-corps, pas même une gifle… Heureusement, il sait manier les armes à feu, l'occasion de découvrir rapidement qu'éliminer les ennemis demandera un peu plus de finesse qu'appuyer uniquement sur la gâchette. Pris dans les ténèbres, chaque adversaire devra être éclairé pendant un certain nombre de secondes (avec votre lampe torche), afin de lui décocher ensuite quelques balles. Mine de rien, sauf dans les cas où vous ferez face à des objets maudits (tonneaux, voitures, wagon…), nous venons de résumer tout le système de combat de ce titre attendu depuis cinq ans.
Choquant ou non, le tout se montre un peu moins répétitif que prévu. Devoir gérer en temps réel ses piles, ses balles et la position des ennemis est toujours prenant, surtout quand le moindre faux pas peut conduire à une mort pure et simple. On trouvera quelques nouvelles idées parfois, comme conduire une voiture, trouver une source de lumière ou amener des ennemis sur des câbles électriques mais dans l'ensemble, il est vrai qu'on en aurait voulu un peu plus. Niveau armement, on se contentera de quatre armes (pistolet, fusil, carabine et pistolet lance-fusée), deux objets de jet (fusée éclairante et grenade flash) et… c'est à peu près tout. Quant au bestiaire, là encore, ça n'évolue pas beaucoup jusqu'à la fin du jeu, pas même un boss digne de ce nom. C'est dommage, surtout que pour compléter la caste « possédés », il y avait de quoi faire avec la flore et surtout la faune. Dans ce dernier cas, il faudra se contenter de corbeaux qui ont tous les arguments pour faire flipper les piafs d'Hitchcock.
Et pourtant, malgré tous ces petits défauts,
Alan Wake parvient à scotcher le joueur, flattant sans cesse ce dernier en lui offrant des clins d'œil à la pelle, des moments de stress pas possible (mais démarre, foutu générateur !) et des passages juste cultes comme avec le troisième épisode. Le titre se permet d'être dans la moyenne des jeux du genre coté durée de vie (une douzaine d'heures si on fouille un peu) et assurera un peu de replay value en offrant certaines pages inédites à récolter uniquement dans le mode de difficulté le plus dur, déblocable une fois le jeu terminé. Malin tiens…
Linéaire, gameplay qui se renouvelle peu, chliffangers de fin d'épisode loin d'être à la hauteur de nos attentes… Oui, Alan Wake aurait pu faire parti de cette catégorie de jeu qu'on a attendu durant des années pour finalement pas grand-chose. Mais heureusement, les gars de Remedy ont su éviter ce malheureux constat en offrant un titre accrocheur, grâce à une narration superbement maitrisée, des graphismes somptueux et des moments inoubliables qui se doivent d'être vécus plutôt que décrits. Pour un public averti donc, qui n'est peut être pas à l'abri d'une petite déception, mais qui saura prendre son pied s'il sait à quoi s'attendre.
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