Au fil d'un long entretien publié sur le site Gamasutra, Shaun McCabe et Chad Dezern, respectivement chef de projet et directeur productif au sein du second studio Insomniac Games basé en Caroline du Nord, sont revenus en détail sur les coulisses et aléas de la création de Ratchet & Clank PS4.
Les deux hommes dressent un post-mortem sans langue de bois, qui met aussi bien en avant les aspects maîtrisés de la production , que ceux laissant encore à désirer et sur lesquels l'équipe aurait souhaité accorder davantage de temps.
"Bien entendu, nous étions ravis d'apprendre que le film R&C verrait le jour [...] mais l'idée de produire un jeu y étant relié était particulièrement intimidante."
Trois contraintes sont ainsi évoquées par Shaun et Chad.
1*
L'héritage de la saga. Ce nouvel opus se devait être une nouvelle étape majeure dans son évolution, mais également un hommage respectueux à l'essence même du tout premier épisode sur PS2.
2*
La synchronisation film/jeu : comment gère t-on la co-production simultanée d'un film et d'un jeu ? Comment articuler la structure du jeu autour de celle du film ?
"Certes, le film est fondé sur l'histoire originelle du duo et exploite nos propres modèles 3D, mais le script demeurait à ce moment là un concept vague et flou, et pour cause, son écriture venait à peine de démarrer. De précoces discussions convergeaient d'ores et déjà vers l'idée d'une réécriture de l'intrigue première, ainsi que l'introduction de nouveaux lieux."
3* Dernière contrainte, que nos deux Insomniac qualifient d'ailleurs comme étant leur deuxième plus ancienne nemesis :
Le Temps. Après tout, le jeu se devait de sortir en même temps que le film, alors prévu pour 2015, ce qui laissait à l'équipe une dizaine de mois seulement...
"Nous restâmes en position fœtale sous nos bureaux pendant quelques temps... puis finissions par reprendre pieds, debout sur nos bureaux ", plaisantent-ils, avant de poursuivre "car, après tout, nous adorons développer des jeux Ratchet & Clank. Même après 16 ans, l'excitation et l'intérêt suscités par cette licence restent conséquents."
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Ce qui c'est bien déroulé :
Équilibrer l'ancien et le neuf.
Un moteur mâture et de robustes pratiques de partage de code d'un jeu à un autre.
Le jeu tiré du film tiré du jeu.
"Nous avons partagé bien plus que des éléments scénaristiques avec Rainmaker. Le partage de modèles 3D s'est avéré gagnant pour tous, également."
Une jouabilité pour tous et toutes.
"Les enfants non-initiés finissaient les niveaux avec des temps de jeu similaires à ceux des adultes initiés : preuve que notre calibrage de difficulté fonctionnait."
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Ce qui c'est mal déroulé :

La collaboration à distance
Ce qui était au premier abord la plus grande victoire d'Insomniac durant ce cycle de production, a fini par devenir également sa plus grande source de difficulté.
"Pourquoi ? Parce que la culture."
Tout d'abord, que l'on soit en Californie ou en Caroline du Nord, le cycle jour/nuit n'est pas aligné sur le même cadran horaire. Or, lorsque l'on travaille avec des centaines de développeurs, la communication est vitale.
De mauvaises pratiques d'archivage
"On pourrait penser que l'on accorde une valeur immense à notre propre travail. Mais parfois, nous passons d'un projet à l'autre si rapidement que nous oublions de stocker et nommer proprement nos ressources. Si j'avais une machine à remonter le temps, je m'enverrais une lettre du genre "Donne un nom descriptif à chaque élément, sale idiot !"."
Pour faire simple : l'équipe n'avait plus accès aux fichiers sources des opus PS2. Non sans hasard, puisqu'à l'époque les développeurs utilisaient des normes nominatives purement numériques.
Autrement dit, chaque fichier disposait d'un titre constitué... de chiffres ; rien qui puisse décrire précisément le contenu du fichier concerné, en somme.
Par chance, la collection HD Ratchet & Clank parue sur PS3 allait littéralement sauver la production. En effet, ce douloureux et long travail de reconstitution des données, tant redouté par Insomniac, avait été accompli quelques années plus tôt par le studio Idol Minds.
Chaque modèle, chaque élément avait été extrait un par un depuis un disque "master" du premier Ratchet & Clank sur PS2, et renommé, réarchivé dans des banques de données bien plus lisibles et faciles d'accès.
La sous-estimation du temps de production des cinématiques
"Voici l'une des erreurs à rajouter à notre déprimante liste d'erreurs que l'on commet à chaque fois. Nous sommes vraiment mauvais dans la planification de production de nos cinématiques."
Ce n'est un secret pour aucun studio de développement, la réalisation de cinématiques est un processus long et complexe qui demande du temps, beaucoup de temps. Ce processus est en réalité très similaire à celui éprouvé par les studios d'animation tels que Dreamworks ou Pixar : du script au storyboard, du storyboard à l'animatique 3D, de l'animatique 3D au rendu final, autant d'étapes qui impliquent chacune des efforts conséquents et communs.
"Nos animateurs adorent leur boulot, ils accordent énormément d'heures supplémentaires à chaque projet, toujours dans une course effrénée contre un planning qui pardonne peu. Bien heureusement, c'est un travail plaisant et fun, mais cela n'excuse rien. Nous avons réellement besoin d'améliorer notre planification à ce niveau."
Depuis, les studios Insomniac ont tiré leçon de cette erreur et l'on peut donc présumer que Ratchet & Clank PS4 était le dernier projet à en pâtir. La solution ? Accorder davantage de temps à la création des animatiques 3D (= l'équivalent d'un brouillon pour une animation 3D, avec des mouvement très basiques, dont le rôle est de fixer un bon timing et de bons mouvements de caméra), et être plus rigoureux dans l'évaluation du nombre de personnages à animer, de décors à exploiter, et de cadrages à appliquer.
La réduction des effectifs à la fin du projet pour peaufinage
Dans l'industrie du jeu vidéo, la taille d'une équipe de développement varie non seulement selon l'ampleur du projet, mais aussi selon son état d'avancement. Ainsi, bien souvent, les phases de pré-production et d'optimisation sont prises en charge par des effectifs réduits, là où en revanche, lors du pic de production, l'équipe va se grossir temporairement.
"C'est une dynamique très courante et désormais éprouvée par une majorité de studios. Il n'est d'ailleurs pas rare que des développeurs soient embauchés sur le tas, en contrat à durée déterminée, afin de renflouer les rangs lors des phases nécessitant le plus de mains d'oeuvre possible. Lorsque les médias parlent de licenciements intempestifs au sein d'un studio, il n'est pas tant question de licenciements purs et durs que de nombreux contrats provisoires ayant touché à leur fin. Heureusement, notre petite équipe de post-production était constituée de véritables champions. Ils ont saisi un défi monstrueux à bras-le-corps et sont parvenus à délivrer une expérience Ratchet & Clank hautement aboutie et peaufinée."
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Bilan :
*En seulement 10 mois réunissant Pré-production et Full Production, le studio a réussi à nous proposé une belle réussite. Malgré un budget minuscule et une équipe de taille vraiment modeste.
*A cette époque la plupart des équipes étaient déjà sur les développements de Spiderman, des jeux VR et de Song Of The Deep.
*Insomniac Games ont énormément appris avec ce projet, tant en terme de gestion que d'organisation. Mais aussi sur le Hardware de la PS4.
*Le gros succès critique et commercial du jeu motive énormément le studio pour la suite.
*Le jeu est plus ou moins à deux millions d'exemplaires vendus (Physique + Démat.)
